47. Lycanthrope

— Calme-toi... Ciel, reviens...

Mon esprit torturé par la douleur redescend doucement parmi les vivants. J'en ai assez, tellement assez, de souffrir. Je veux que tout s'arrête. Je veux que toute redevienne comme avant. Je ne veux plus jamais verser une seule larme.

Quelqu'un crie. Je crois que c'est moi. Je suis encore trop sonnée pour le savoir. J'entends peu à peu la voix douce et brisée d'Adrian, qui tente de m'apaiser. Mais ai-je la force de le faire ? Ce serait si simple de me laisser à la folie du chagrin. Si facile de glisser dans le déni.

Soudain, à ma grande surprise, je reçois une gifle phénoménale. Choquée par la violence de ce geste, je redresse immédiatement la tête et me retrouve face à une Milène dans une colère noire.

— Maintenant, tu arrêtes de chouiner ! hurle-t-elle. Tu crois que t'es la seule à avoir mal ? À vouloir crier ? Eh bien NON ! Alors tu la fermes, tu te relèves et tu avances ! J'en ai marre de traîner une gamine !

— Milène, arrête..., essaye Adrian.

— Toi aussi, tu la boucles ! coupe-t-elle. Vous deux, pour l'instant, vous n'êtes qu'une bande de bras cassés. Et regardez où ça nous a menés. On a perdu Yanos, et on n'a toujours pas trouvé ce qu'on est venus chercher. Où est ta famille, Ciel, hein ? Elle est où ? Moi je ne vois personne ! Personne ! Où est cette page manquante pour laquelle tu as tellement insisté et causé de problèmes ? Elle n'est pas là ! J'en ai plus que marre de suivre deux incompétents pleurnichards et feignants. Alors remuez vos fesses, foutre de dieu !

Éberlués par son discours plus qu'explicite, la seule chose que j'arrive à prononcer est un « wow » admiratif. Adrian m'aide fébrilement à me mettre sur mes deux jambes, toujours fusillés par des yeux verts éclatants.

— En selle, grogne notre magicienne mécontente.

Alors que nous marchons vers nos bêtes laissées plus loin, notre chemin est soudain barré par une grande lumière blanche qui émane devant nous.

— Qu'est-ce que...

Je porte ma main devant mes yeux, aveuglée. Mais rapidement, l'intrusion s'éteint, et lorsque j'ose jeter un regard, je me retrouve devant une figure réconfortante et baignée de douceur, surmontée de deux ailes blanches douces comme la soie.

— Clarté ?

— Ciel, c'est bien plus grave que ce que je pensais.

— Q... Quoi ?

— Yanos, dit une deuxième voix féminine dans notre dos.

Quand nous tournons la tête, c'est pour voir Obscurité, fidèle à son aura dangereuse et véritablement envoûtante, portant à l'opposé des ailes noires et lourdes à regarder, malgré leur éclat brillant.

— Mais que...

— Yanos est en danger. En grand danger, reprend Clarté.

— Laisse-moi leur dire, sœurette, ricane Obscurité.

Sœurette ?

— Ton sous-fifre est un..., reprend la femme sombre.

— Tais-toi ! la coupe Clarté. Ciel, je suis terriblement désolée. Ce que je vais te dire va sûrement te bouleverser. Mais...

— Oh, arrête tes manières, sainte-miss-parfaite ! Va droit au but ! T'excuser ne changera pas la donne.

Mon regard fait des allers-retours entre l'Obscurité et la Clarté qui discutent comme deux amies en désaccord. Elles se connaissent donc... ?

— Nous ne sommes pas amies, crache l'élément d'Adrian en répondant à mes pensées. Nous sommes sœurs.

— Obscurité ! la réprimande Clarté en lui jetant un œil désapprobateur.

— Quoi, tu ne leur as pas dit ? Mais quelle mauvaise déesse tu fais ! Cesse donc de laisser tes larbins dans l'ignorance !

— Larbins ? grogne Adrian dans sa barbe.

— La ferme, petit dragon. Tu me fais déjà assez honte, n'en rajoute pas en ouvrant la bouche.

— Alors vous êtes sœurs ? soufflé-je, ébahie. Je veux dire... Vous êtes des éléments... Comment...

— C'est plus qu'un simple lien parental, explique gentiment Clarté. Mais nous en parlerons plus tard. Pour l'instant, c'est Yanos qui est important.

— Le loup sauvage, se moque son opposé.

— Mais...

— Disons qu'il a... changé. Il a révélé sa véritable nature, en intégrant la meute que vous poursuivez.

— La... La quoi ?

Milène murmure quelque chose, et je me retourne, n'ayant pas entendu.

— Qu'est-ce que tu as dit ?

— Yanos est un loup-garou, répète-t-elle, plus fort, les pupilles dilatées d'horreur.

— La sorcière a compris ! s'extasie Obscurité. Prends-en de la graine, joli dragon, elle a l'air assez futée.

— Attendez, quoi ? sifflé-je, incertaine d'avoir compris.

— En revanche, toi, tu es lente, sous tes affreux cheveux carotte, ridiculise cette femme que je méprise autant qu'elle m'effraie. Ton sous-fifre est un loup-garou. Tu sais ce que c'est, au moins ?

Je repasse encore et encore les mots d'Obscurité dans ma tête. Un loup-garou ? Je veux dire... un vrai loup-garou ?

Je croyais pourtant qu'Adrian et moi étions les seules créatures magiques existantes pour le moment... La magie n'est pas encore apparue au grand jour ! Comment est-ce possible ? Et depuis quand ? C'est-à-dire... C'est trop improbable, c'est même carrément impossible !

— Il a toujours été un loup, dit Clarté. Il n'avait juste pas trouvé sa meute.

— Sa... meute ?

— Tu ne sais donc rien des loup-garous ? s'exclame Adrian. Tu n'as pas entendu l'histoire du loup de Versailles ?

— Le loup de... Non, je n'en ai jamais entendu parler. Enfin, je sais à peu près ce que sont les loup-garous, mais... mais qu'est-ce que vous faites là ? j'interroge aux deux éléments, debout côte à côte, la différence dans toute sa splendeur.

— Nous sommes venues vous aider. À récupérer Yanos. Il a en effet intégré une meute, mais pas la bonne. Il faut qu'il revienne à vous, et brise le lien de la Lune.

— Je crois qu'on devrait commencer par le début, propose Milène en voyant mon air effaré et complètement perdu.

•⚔︎•

Nous nous sommes finalement tous assis – même Obscurité et Clarté, à ma grande surprise – autour d'un joli feu bleu créé par les petits soins de la magicienne. Quelques minutes de silence se sont écoulées, faisant grimper en flèche le stress dans ma gorge, presque à en étouffer. Alors que je suis sur le point de suffoquer d'impatience, Adrian prend enfin la parole.

— Les loup-garous ne sont pas l'espèce la plus répandue parmi les créatures magiques, c'est d'ailleurs pour ça qu'ils sont assez craints et méprisés. Ce sont des hommes simples, qui, avant de trouver une meute à intégrer, ne présentent aucune faculté magique. La lycanthropie se transmet par les gènes, ou par une morsure – si elle n'est pas fatale. Mais dès qu'ils sont acceptés dans n'importe quelle meute, leurs pouvoirs surgissent, et, comme tu le sais, se transforment en loups à chaque pleine lune. Le degré de lucidité durant leur phase canine dépend uniquement de leur place dans la meute. L'Alpha, par exemple, est en pleine possession de sa raison et ses émotions, tandis que le loup le moins important oubliera totalement qui il est pour devenir un monstre sanguinaire.

Un frisson glacé m'effleure le dos. Alors, Yanos...

— L'inconvénient, c'est qu'une fois la lycanthropie enclenchée, le loup est obligé de faire partie d'une meute jusqu'à la fin de sa vie. Un loup-garou solitaire dépérira très vite, ses transformations devenant fatales. Avoir une place, aussi basse soit-elle dans un groupe, est essentiel à leur survie.

— Donc... Ces hommes au collier... C'est une meute de loup-garous ? conclué-je en me massant les tempes.

— C'est ça. Et ils y ont intégré Yanos.

— Mais pourquoi a-t-il changé ? Je veux dire... Il est devenu méchant...

J'entends Obscurité ricaner à ma droite, mais je décide de l'ignorer. « Méchant » est en effet un euphémisme comparé à l'élément brut du mal assis dans notre petit cercle, l'air de parfaitement s'ennuyer. Je n'arrive d'ailleurs toujours pas à croire qu'elle soit aussi calme. Où est passée l'horrible prêtresse du Mal ?

— Ne t'en fais pas pour elle, elle est toujours là, susurre Obscurité et m'enterrant du regard.

— Euh... Pour en revenir à Yanos..., continue Adrian et nous jetant un coup d'œil douteux. Dans un groupe, l'Alpha exerce un contrôle total sur les convictions de ses protégés. Il ne contrôle par leurs pensées, mais leur manière de penser. Donc Yanos est maintenant persuadé que nous sommes ses ennemis, ce qui, j'ai envie de dire, ne change pas de d'habitude.

— Adrian ! siffle Milène en plissant des paupières.

— D'accord, d'accord. Je voulais juste détendre l'atmosphère. En somme, si nous voulons récupérer le sous-fifre, il faut d'abord gagner la confiance de l'Alpha.

Ce qui n'est pas gagné. Cette phrase flotte dans l'air, sans que personne n'ose la dire. Surtout au vu des récents évènements, qui tiennent, rappelons-le, à deux meurtres pour le moins violents, un kidnapping et une tentative d'assassinat à l'arc.

— Mais... Même si on arrive à récupérer Yanos, il ne peut pas survivre sans meute..., couiné-je en formulant les pensées qui s'entrecroisent dans mon esprit.

— Là est tout le problème, répond la jolie voix carillonante de la Clarté. Et c'est maintenant que nous entrons en jeu, Obscurité et moi.

— Obscurité ? Vous allez nous aider, aussi ? ose demander la blonde magicienne.

— Ne crois pas que je le fais par gentillesse, s'égosille l'intéressée. C'est, encore une fois, pour garder en vie mon stupide petit protégé. Et aussi parce que sainte-miss-parfaite ne m'a pas laissé le choix, finit-elle en grognant de mécontentement.

— On en a déjà parlé, ma sœur. Cesse de râler.

— Je n'ai toujours pas dit que j'aimais l'idée. Tu m'y as contrainte.

— Alors, coupé-je pour parler de choses plus sérieuses. C'est quoi, le plan ?

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