30. Je veux des réponses !

Sans surprise, j'ai rêvé de cette Obscurité. Mais elle est restée muette, alors que je lui posais d'innombrables questions. J'ai fini par abandonner, dépitée.

Je me réveille en grognant, insatisfaite de ma nuit. Je ne suis même pas reposée, simplement torturée par les mystères.

Quelques rayons glissent derrière le rideau de ma chambre. Je me lève et ouvre celui-ci d'un grand coup sec, réveillant les deux hommes dans mon lit avec des gémissements.

— Debout ! crié-je, sur les nerfs.

— La tigresse est fâchée, marmonne Yanos et cachant ses yeux avec ses mains.

— Fâchée et déterminée. Alors habillez-vous, j'ai des questions à poser, et vous avez des réponses à me donner !

Adrian obéit sans un mot, mû d'une énergie sinistre. Yanos, lui, se roule dans les draps, refusant de quitter mon lit.

— Debout, espèce de ronchon ! je m'écrie en le secouant. Sinon je fais pousser mes ailes et je te fais faire le tour du royaume à vol d'oiseau. Et je ne garantis pas de ne pas te lâcher !

Prenant mes menaces au sérieux, il se lève avec une grimace. Son torse nu me laisse le loisir d'admirer ses muscles, dûs à son entraînement de garde. Et je dois avouer qu'il est plutôt...

Ciel, arrête ça tout de suite.

Je me réprimande intérieurement, quand des coups timides à la porte nous interrompent dans nos préparatifs. Je me hâte d'ouvrir, tombant nez à nez avec un visage familier.

— Fantine !

— Mademoiselle, vous êtes de retour ! Je peux entrer ? J'ai des choses à faire.

— Euh, c'est-à-dire que...

Elle ne me laisse pas finir qu'elle dépasse mon épaule, un sourire heureux aux lèvres. Je me retourne et la voit sursauter lorsqu'elle aperçoit Yanos, en train de mettre sa chemise, et Adrian... nu.

— Bonjour, dit celui-ci le plus naturellement du monde.

— V... votre altesse, bafouille Fantine en s'inclinant maladroitement, les joues rouges pivoine.

Elle me regarde et se triture les mains.

— Je... je passerai plus tard, marmonne-t-elle en sortant rapidement.

Elle referme la porte dans un coup de vent. J'arque un sourcil en regardant Adrian, avant de sentir un sourire amusé étirer mes lèvres.

— Elle est jeune, justifié-je.

— J'ai l'habitude d'intimider.

— Alors je suis heureux de faire exception à la règle, commente Yanos en fermant ses boutons.

Ses cheveux ébouriffés et ses gestes précis, mêlés à son regard vert émeraude, il est juste... adorable.

— Referme la bouche, Ciel, tu vas gober un insecte.

Sa remarque me fait rougir, et je détourne les yeux sur Adrian qui enfile son pantalon. Mauvaise idée, la vue de son corps si peu couvert me fait le même effet. Surtout lorsqu'il se mort la lèvre, comme il le fait.

— Je vais m'habiller ! dis-je soudainement en tapant dans mes mains.

J'ouvre mon armoire à la volée et choisis une robe au hasard, puis dérive sur les corsets. Comment vais-je en mettre un, sans Fantine pour m'aider ?

Je jette un rapide coup d'œil aux deux mâles derrière moi, avant de détourner le regard. Je ne peux pas leur demander ça...

— Je peux t'aider, si tu veux, chuchote Adrian qui s'est rapproché sans que je l'aie entendu.

— Euh... Je... je n'ai pas trop le choix, j'imagine.

— Enlève ta robe de nuit.

Je lui lance un regard outré, mais son air est parfaitement sérieux. Il soupire, puis crie à Yanos sans me lâcher des yeux.

— Le sous-fifre ! Tu peux sortir cinq minutes ?

— Pourquoi ?

— Pour laisser Ciel s'habiller.

— Et vous vous allez gentiment rester la regarder ? Hors de question.

— Yanos, coupé-je, s'il te plaît. Il va juste m'aider à nouer mon corset, je te demande simplement de te retourner.

D'un air indéchiffrable, il se retourne en croisant ses bras. Je tourne le dos à Adrian et me dépêche de retirer ma chemise de nuit puis d'enfiler tout aussi vite ma jupe de sous-vêtement.

Mon prince place sans un mot l'instrument de torture contre mon torse, avant de commencer à nouer les ficelles une à une.

— Tu peux serrer un peu plus.

— Je ne tiens pas à ce que tu meures asphyxiée.

Je ne réponds rien, et attends patiemment qu'il finisse d'enfermer mes côtes. Alors qu'il noue le dernier nœud, je m'apprête à mettre une robe blanche, mais il arrête mon geste.

— Quoi ?

Il ne dit rien et se contente de poser ses lèvres sur mon épaule nue, provoquant un frisson inattendu dans ma colonne.

Il pose ses mains sur ma taille et écarte sa bouche de ma peau avant que son souffle chaud vienne heurter mes oreilles.

— Tu es à moi, murmure-t-il.

Ses paroles auraient dû m'énerver, voire me révolter ; je ne suis pas sa chose ! Pourtant je suis incapable de ressentir autre chose qu'un agréable trouble au creux de mon ventre.

Il détache finalement son emprise sur moi, et je reprends ma respiration que je retenais involontairement.

Il a raison ; je suis à lui, sous son emprise, sous son charme, et je n'arrive toujours pas à savoir si c'est une bonne chose.

•⚔︎•

Une fois enfin habillés, nous sortons de ma chambre, silencieux. Le regard de Yanos est fermé, je crois qu'il m'en veut d'avoir laissé le prince me voir presque nue, tandis que je l'en interdisais.

Désolé, Yanos, il y a des choses que je ne contrôle pas.

— Allons à la véranda, dis-je.

Les hommes acquiescent et me guident sans un mot. Au passage nous croisons Fantine, qui rougit en voyant le prince, et balbutie quelque chose comme « J'y vais » avant de s'éloigner presque en courant.

Adrian lève les sourcils en la voyant s'enfuir, l'air de ne pas comprendre.

— Je crois que tu lui plais un peu trop, expliqué-je.

— Ah, dit-il brillamment en se grattant la nuque.

Le silence retombe, jetant un froid entre nous trois. Nous arrivons enfin à destination, et je soupire de soulagement, heureuse que cette ambiance macabre cesse enfin.

— Apportez-nous de quoi déjeuner, ordonne Adrian à un domestique posté raide comme un bâton, qui obéit dans une révérence. Asseyons-nous.

— Je préfère rester debout, contré-je en croisant les bras.

Il roule des yeux en s'affale en marmonnant que je fais ce que je veux. Yanos le rejoint, sur la chaise d'à côté, l'air toujours aussi vexé.

— Bien ! Alors, premièrement : est-ce que tu as tué la femme du prince d'Espagne ?

Mon prince se frotte la barbe, qui décidément me plaît de plus en plus.

Non, concentre-toi, Ciel ! Des réponses, tu es là pour avoir des réponses !

— C'était un accident, lâche-t-il finalement. J'étais très en colère ce jour-là. Je ne contrôlais plus ce que je faisais.

— Et tu penses que c'est une excuse ?

— Je te l'ai déjà dit, Ciel, j'ai une part d'ombre en moi que je suis incapable de gérer ! explose-t-il en gesticulant. Si tu savais combien je regrette, et dans quel état j'étais lorsque je l'ai fait, tu ne dirais pas la même chose.

— J'ai été menacée de mort ! je crie en pointant mon index sur sa poitrine. Si je ne m'étais pas transformée, j'aurais eu la gorge tranchée !

— Et tu crois que j'aurais pu le prévoir ?

— Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi tu as tué une innocente ?

Ma voix s'est brusquement radoucie, tremblante de peine. Je n'arrive pas à croire qu'Adrian, lui qui hier encore m'embrassait avec passion, soit un meurtrier. Qu'il soit la cause d'une mort injuste.

Il souffle bruyamment, s'enfonçant un peu plus dans sa chaise, tandis que le domestique de toute à l'heure débarque dans la pièce, les bras chargés d'un plateau débordant. Il le pose sur la table, avant de s'incliner et de partir précipitamment.

— Jake... Ce prince..., débute-t-il d'une voix mal assurée. Il y quelques saisons, bien avant que je te rencontre, j'allais souvent lui rendre visite, pour discuter politique. Nous étions en bonne entente, mais pas au point d'être amis. Et un jour... J'ai découvert...

Il prend une grande inspiration, et avoue d'une voix tremblante :

— J'ai découvert qu'il abusait de ses domestiques. Qu'il les battait, les violait, les humiliait, et leur faisait du chantage pour qu'elles ne racontent rien. Je suis entré dans une colère noire, de savoir que mon allié était... une ordure. Je hais ceux qui abusent des femmes ; non, en fait, je hais ceux qui abusent du respect. J'étais fou de rage, je voulais le faire souffrir, autant qu'il avait fait souffrir ses servantes. Alors... alors... alors j'ai tué sa femme, la seule personne qu'il aimait véritablement. Il a dû vite découvrir que c'était moi quand il s'est rendu compte que j'étais froid et distant avec lui, et que je ne venais presque plus dans son château.

La douleur dans ses yeux me confirme la véracité de ses paroles et de ses remords. Je sens une pointe de compassion germer en moi, mais je l'étouffe bien vite, me souvenant qu'il a tout de même commis un meurtre par colère.

À tuer quelqu'un, il aurait dû tuer ce prince lui-même. Les femmes auraient pu être enfin libres, et il n'aurait plus à supporter un homme qu'il détestait. Sa femme était innocente ; et à en juger ses dires, il la traitait avec respect.

— J'ai agi sans réfléchir, répond-il comme s'il lisait dans mes pensées. La mort était une peine trop douce ; je voulais lui briser l'existence. J'ai fait une erreur, une terrible erreur.

— Je... je...

Cherchant les mots pour décrire ce que je ressens, je marche en rond, prenant une pomme au passage sur le plateau et la croquant à pleines dents.

— Je ne sais pas quoi dire, Adrian.

— Alors ne dis rien, s'il te plaît, chuchote-t-il en baissant la tête comme un chien malheureux.

Sa tristesse est palpable, et j'ai une envie folle de le prendre dans mes bras pour le réconforter.

À ma grande surprise, Yanos tapote timidement l'épaule du prince dans un geste réconfortant. Puis il rougit et range son bras là où il était, gêné. Je ne peux empêcher un sourire d'étirer mes lèvres ; enfin une attention autre qu'antipathique entre ces deux-là !

— Bien, deuxième question, continué-je pour changer de sujet. Qu'est-ce que tu faisais dans le couloir souterrain ?

— C'est... Euh... Je...

Il bégaye, incapable de formuler une phrase. Il finit par abandonner, et attrape une grappe de raisin pour les manger un par un.

— Adrian ?

— C'est moi qui ai créé cette cavité, lâche-t-il enfin. Mais je n'ai pas fait exprès. Au moment où la magie est réapparue, ma moitié... ma moitié sombre s'est aussi réveillée, et...

Il triture sa nourriture. Il me cache quelque chose, je le sens, et ça m'énerve de découvrir que je suis encore face à un secret.

— Continue.

— Pour qu'il existe l'Obscurité et la Clarté, il faut une forme matérielle, commence-t-il. Un endroit, un point d'ancrage, un lieu uniquement empli de cet élément. Et lors du retour de la magie, ces endroits se sont créés naturellement. Tu ne remarques pas que depuis ce matin-là, il se passe des oppositions entre... le mal et le bien ?

— Donc ce trou, c'est le lieu de l'Obscurité, c'est ça ?

— Exactement. Et nous... nous sommes des points d'ancrages, à notre manière.

— C'est-à-dire ?

Je commence doucement à comprendre, et la vérité m'effraie. Je ne veux pas l'entendre, j'ai peur de confirmer ce que je soupçonne.

— Je suis l'Obscurité. Et tu es la Clarté.

Il marque une légère pause pour croiser mon regard.

— Je suis le mal. Je suis la résurrection et l'incarnation vivante du mal. Voilà pourquoi mes ailes sont noires. Voilà pourquoi j'ai tué cette femme. Voilà pourquoi je me suis réfugié dans ce couloir. Parce que je suis un représentant de l'Obscurité.

Ça y est, c'est dit. Ce que je redoutais est réel. Tout, tout m'indiquait que c'était ça, que Adrian était rattaché à l'Obscurité, jusqu'à son prénom même.

Mais alors, si cette cavité est l'endroit du mal...

— Où est le lieu la Lumière ?

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