22. L'aube d'un nouveau jour
Tout est beau. Tout est serein. Il n'y a rien qui perturbe ce calme et cet amour infini. Il n'y a que le bruit de ma respiration, lente, régulière, et ce fourmillement désormais familier qui bourdonne autour de moi : la magie. Je ne vois rien – tout est blanc, un beau blanc apaisant, une lumière. Je me sens indéniablement à ma place, je me sens bien. Je rayonne de magie, elle déborde et brille comme des faisceaux. Je suis faite de magie : j'en fais partie intégrante.
Puis un point noir apparaît. Un seul. Minuscule, ridicule, intrusif. Si insignifiant mais pourtant parasite. Il m'intrigue, ce point noir. Que fait-il là ? Pourquoi vient-il troubler cette atmosphère paisible ?
Je m'en approche, doucement. Il semble grandir à chacun de mes pas, comme s'il réagissait à ma présence.
— Qui es-tu ? je demande d'une voix carillonnante propre aux songes.
— Obscurité.
Ce chuchotement provient du point noir, j'en suis certaine. Il est sinistre, glacial, et provoque un frisson désagréable dans ma nuque.
— Qu'est-ce que tu veux ?
— Toi.
Je fronce les sourcils, continuant ma marche. Le point noir commence à se déformer, puis peu à peu à former une silhouette.
— Pourquoi ?
— J'ai besoin de toi.
La forme se fait de plus en plus nette. Les traits me semblent familiers, les courbes ne me sont pas inconnues. Mais je suis incapable de retrouver l'identité de ce soi-disant Obscurité – comme s'il y avait un mur dans mon esprit.
— Je ne comprends pas en quoi je te suis indispensable.
— On ne fait pas d'ombre sans lumière, d'Obscurité sans Clarté.
— Qu'est-ce que tu insinues ?
Aucune réponse.
— Qu'est-ce que tu insinues ? répété-je.
La silhouette disparaît, tout comme l'endroit de magie dans lequel je baigne. Je me relève en sursaut, le front en sueur, la respiration bien trop saccadée, une peur sourde dans le ventre.
J'entends des grognements. Ma vue s'adapte petit à petit au noir, et je discerne le visage endormi de Yanos.
Je tente de retrouver mon calme, mais l'adrénaline bout bien trop vite dans mes veines. Mon rêve était trop réel, trop prenant, et j'ai l'intuition qu'il cache quelque chose.
Je me lève en essayant de ne pas déranger le garde, puis me hâte de descendre l'échelle. Quelques braises rougissent encore dans la cheminée, et les légers ronflements de mon père sont les seuls bruits autour de moi.
Alors pourquoi suis-je en alerte ?
Je me sens menacée, en danger. Et surtout, j'ai l'impression qu'un détail m'échappe. Mon rêve n'était pas qu'un rêve, j'en suis certaine, mais alors, qu'est-ce que c'était ?
La porte d'entrée s'ouvre dans un grincement plaintif, et je sursaute, les sens exacerbés. Je sens une vague de soulagement m'étreindre lorsque je reconnais le visage endormi d'Adrian.
— Tu m'as fait peur, je lui chuchote, tandis qu'il referme la porte avec précaution.
— Désolé. J'ai fait un mauvais rêve, et impossible de me rendormir. En plus, il fait froid, dehors.
Il s'approche et s'assied devant la cheminée, mains tendues devant lui, face au feu.
— Moi aussi j'ai fait un drôle de rêve, avoué-je en prenant place à ses côtés.
— À qui est cette chemise ? demande-t-il en ignorant ma remarque.
— Devine...
— Il ne t'a rien fait, j'espère ?
Je songe à notre baiser. L'espace d'un instant, tout avait été parfaitement clair dans mon esprit. Je comprenais. À présent, je suis hantée par mon songe, et cette évidence s'est enfuie. Je ne me souviens plus de ce que j'ai découvert, comme si ça n'avait été qu'une illusion.
Devrais-je lui dire ? J'ai peur qu'il se mette en colère. Mais ça ne le concerne pas, n'est-ce pas ? C'est entre Yanos et moi.
Alors pourquoi est-ce qu'Adrian me paraît si important dans cette histoire ?
— Il ne m'a rien fait, dis-je en me rendant compte qu'Adrian attend toujours ma réponse.
— Je me sentais bien seul, dans ma calèche.
— C'est toi qui a décidé d'y aller, personne ne t'y obligeait.
— Comme je t'ai dit, je vais faire des efforts. Pour toi. Mais c'est dur d'en faire, quand je sais que tu es dans les bras d'un autre.
— Arrêtez de vous comparer, tous les deux. Cette guéguerre n'a aucun sens.
— Si. Tu as forcément une préférence pour l'un de nous.
Je pose ma tête sur son épaule, lasse de leur combat ridicule pour mon cœur.
— Je ne peux pas y répondre. Je n'ai simplement pas la réponse.
— Ciel...
Je relève le regard. Il semble triste, qu'ai-je dit de mal ?
— Tu sais ce que signifie Adrian ? me demande-t-il.
— Non.
Je suis légèrement désarçonnée par sa question. Pourquoi me dit-il ça maintenant ? Quel lien y a-t-il ?
— Ça signifie Obscurité.
•⚔︎•
— Obscurité ? Tu es sûr ?
— Tu doutes de moi ?
— Non, c'est juste... Ça me fait penser...
— Ce que je veux dire, c'est que malgré mes efforts, je sais que tu ne pourras jamais me préférer à lui.
Je m'écarte pour mieux le dévisager, surprise. Mon attention est piquée au vif.
— Pourquoi ça ?
— Parce que j'ai une part d'ombre qu'il n'a pas. Je suis la résurrection d'un tyran, mince ! Je possède un côté sombre que tu ne pourras jamais aimer. Lui, il est l'homme qu'il te faut, il est attentionné, gentil, protecteur. Moi... Moi je suis imprévisible, méchant, arrogant, et il y a un autre Adrian qui se cache, qui ne demande qu'à faire le mal. J'aurais tellement aimé être quelqu'un de bien, être un bon roi, mais je ne peux pas lutter. À cause du sort... de la prophétie... J'ai en moi une facette que je n'ai jamais voulue.
Je vois une larme couler sur sa joue. Il pleure, il pleure vraiment, pour la première fois depuis que je le connais. Une autre s'échappe de son œil, puis d'autres, encore et encore.
Je me place devant lui, choquée devant sa peine. Je pose mes mains de chaque côté de son visage et essuie ses larmes avec mes pouces.
— Je ne pourrai jamais être celui qu'il te faut...
— Tais-toi, bon sang.
— À cause de moi, tu...
Je ne laisse pas finir que je plaque mes lèvres contre les siennes pour le faire taire.
C'est une explosion de sensations qui m'étaient jusqu'alors inconnues. Mes nerfs s'électrifient un à un, engourdissent mes membres, me picotent la peau. Mon cerveau est sur le point d'éclater. Je n'arrive pas à me concentrer, mes pensées vagabondent et tressautent inlassablement.
Mes mains, qui étaient sur ses joues, glissent doucement dans ses cheveux. Notre baiser se fait plus profond, plus sûr, plus passionnel. Pour rien au monde je n'échangerais ce baiser : j'ai le sentiment d'avoir trouvé ma place, d'avoir trouvé ce qui m'a toujours manqué.
Ce qui m'a toujours manqué.
Je me recule, comprenant tout à coup. Comment ai-je pu oublier ? Comment ai-je pu négliger cette évidence qui m'a frappée, hier soir ?
— Ça va ? me demande Adrian, le souffle court.
— Je...
— Je n'aurais pas dû... Excuse-moi...
— Ce n'est pas ça, tu n'as rien fait de mal. C'est moi qui t'ai embrassé.
— Alors quoi ? Dis-moi.
— De quoi as-tu rêvé exactement, cette nuit ?
Il soupire d'agacement. Je me mords la lèvre, frustrée et trépignante.
— En quoi est-ce si important ?
— S'il te plaît, Adrian. Il faut que tu comprennes...
— J'ai rêvé de toi. Que tu étais baignée de lumière, que tu étais faite uniquement de clarté.
Clarté...
— Et ensuite ? Tu as dit que c'était un cauchemar, je ne vois rien d'effrayant.
— Ensuite, du noir a commencé à t'envahir. Tu étais... J'avais l'impression de te corrompre.
— Me corrompre de quoi ?
— D'obscurité, de mon côté sombre !
Je retiens mon souffle. Obscurité...
— On ne fait pas d'ombre sans lumière, dis-je en me rappelant les paroles dans mon rêve.
— Et alors ?
— Alors tu n'es pas entièrement sombre, Adrian. Il y a forcément du bon en toi. Tu entends ? Il y a du bon.
— Il y a aussi du mal...
— Il y en a chez tout le monde. Regarde, dans ton rêve, j'en avais aussi. Moi aussi, je ne suis pas faite que de bien.
— Pas autant que moi...
Je l'embrasse à nouveau, le goût salé de ses larmes sur les lèvres. Il essaye de maîtriser ses hoquets, et me serre très, très fort contre lui. Je caresse sa barbe naissante, elle est rugueuse sous mes doigts. Sa mâchoire est anguleuse, et sa peau est douce. Il commence à doucement aspirer ma lèvre inférieure, et j'ai l'impression que mon cœur fond sous les gestes fébriles de ses mains qui caressent mon dos.
Une lumière aveuglante vient frapper mon œil. Je lève le regard, perturbée par ce faisceau. Je découvre que les premiers rayons du soleil viennent de se lever, et s'infiltrent à l'intérieur de la maison, pile sur mon visage.
— Viens, dis-je en prenant Adrian par la main.
Je le force à se lever, puis l'emmène discrètement à l'entrée. Nous sortons, tout aussi silencieux, puis je le dirige vers l'écurie, où je retrouve Nuage.
— Salut, ma belle, susurré-je à ma jument.
Elle hennit en guise de réponse, et je lui flatte l'encolure quelques instants. Puis je la sors, lui passe une corde autour du cou et pose un drap sur son dos. Je prends appui sur un rocher et m'installe sur elle, retrouvant l'agréable sensation de puissance lorsque je monte mon cheval.
Adrian lève un sourcil, et je lui fais signe de grimper derrière moi. Nuage se laisse faire, quoiqu'un peu méfiante envers cet intrus qu'elle ne connaît pas.
— Où m'emmènes-tu ? me demande Adrian.
— Voir le lever du soleil.
Je claque de la langue, puis la jument part au galop. J'ai l'impression de voler, et d'être invincible, le vent fouettant mes joues.
Nous arrivons assez rapidement au sommet d'une colline, où j'avais l'habitude d'aller certains matins pour observer ce spectacle. J'entends Adrian retenir sa respiration ; la vue est époustouflante.
Nous descendons, puis je laisse Nuage paître tandis que je conduis Adrian un peu plus loin. Je m'allonge dans un coin qui semble douillet, à même le sol, et il me rejoint en s'installant contre mon épaule.
— C'est magnifique, chuchote-t-il.
— C'est pour ça que je t'ai emmené ici.
Il se redresse et vient poser ses lèvres contre les miennes. Ses yeux sont encore rougis, mais les larmes ne coulent plus. Je le laisse faire, reprenant notre baiser là où nous l'avions laissé. Il vient poser une main dans le creux de ma taille, puis prend appui de son autre main et se met au-dessus de moi. J'ai la furtive image de Yanos sous mon corps, tout à l'heure, mais bizarrement, il est beaucoup plus facile à éloigner de mon esprit qu'Adrian.
Celui-ci se fraye un chemin avec sa langue, et je le laisse faire, totalement sous son emprise. Mon ventre bourdonne de... De quoi, d'ailleurs ? Je n'en sais rien. Je n'ai jamais ressenti ça. C'est comme des milliers de bulles qui explosent, comme des milliards de levers de soleil.
Adrian me semble comme une évidence. Comme si ma place avait toujours été ici, dans ses bras, contre ses lèvres. Comme si j'étais née pour être sienne.
Il faut que nous retrouvions cette page concernant l'âme sœur du dirigeant suprême. Mais, au fond de moi, je sais déjà ce que je vais y trouver.
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