17. La volonté de la magie

Aller le voir ? Évidemment que je veux le voir, mais... Est-ce possible ? Je veux dire, la magie, la prophétie, l'avenir que je suis supposée changer, toutes ces choses me laisseront-t-elles le loisir de voir ma famille enfin réunie ? Je me recule, sondant la sincérité dans ses yeux.

— Tu n'es pas ma prisonnière.

— Je... Nous...

— Il faudra que tu reviennes, mais... Tu peux rester une journée avec eux, si tu veux.

Comment refuser ? Ça fait des années que je rêve de voir mes parents dans la même pièce. Depuis que ma mère est partie, en fait.

Je jette un coup d'œil vers cette dernière, qui nous observe, les larmes aux yeux. Elle hoche la tête, donnant son approbation. Ça y est. Je vais voir ma famille, toute entière.

— Merci, chuchote-t-elle à l'attention du Prince.

Il baisse le menton, gêné. Moi, je me jette dans ses bras, le serrant du plus fort que je peux, l'étouffant presque.

— Merci, merci, merci...

Il me rend mon étreinte avec une timidité qui fait cabrer mon cœur. Son odeur de gingembre et de patchouli emplit mes narines, et un instant je songe à Yanos. Ne pleure pas. Ne pleure pas. Je le sauverai, il faut que je le sauve, il ne peut juste pas mourir par ma faute.

Et, pour une fois, peut-être que mon titre d'élue m'aidera.

•⚔︎•

Ma mère est partie après une dernière étreinte, reprenant ses fonctions de docteur. Je lui ai promis de la tenir au courant de notre journée auprès de papa. Ensuite, je me suis retrouvée seule avec Adrian. À l'instant où la porte s'est refermée, je me suis retournée vers lui.

— Laissez-le se racheter.

Il me regarde, un sourcil haussé, attendant des explications.

— Yanos. Laissez-le se racheter.

— Impossible, je te l'ai déjà dit. Mon futur titre de roi en dépend.

— Au contraire. Prouvez au peuple que vous savez être un bon prince, en lui laissant la chance de se racheter par de bonnes actions.

— Je lui ai laissé une chance, et il l'a gâchée. Tu ne peux rien y faire, Ciel, il est assez grand pour faire ses propres choix.

— Je ne le laisserai pas tomber.

Il croise les bras en soupirant.

— Laissez-moi au moins m'expliquer...

Il me scrute un instant, puis finit par capituler.

— Bien. Je t'écoute.

— On ne pardonne pas quelqu'un avec des paroles ou des biens, mais par des actes. Si... Si vous lui laissez une chance, par exemple, en lui faisant faire des travaux forcés, ou de bonnes actions, vous lui laisserez la vie sauve, et vous aurez l'image d'un prince empathique et désireux de vivre en paix avec son peuple.

Je souffle, la respiration courte de par ma tirade. J'espère sincèrement qu'il acceptera – c'est ma seule chance. Il hausse son deuxième sourcil, incrédule.

— « Empathique et désireux de vivre en paix avec son peuple » ? Tu penses sérieusement que c'est l'image qu'on attend d'un prince ?

— Et pourquoi pas ? Moi, c'est celle que j'aimerais avoir.

Il s'approche de moi, le regard brûlant. Brûlant de quoi, je ne sais pas, mais ardent comme des braises de cheminée.

— Pourquoi pas ? Mais Ciel, le peuple veut d'un roi respecté, terrifiant. D'un roi qui prend des décisions difficiles sans hésiter, qui tue quand il faut tuer, et qui pardonne quand il faut pardonner. Et là, il faut tuer. Je suis désolé, je sais que tu tenais à lui, mais...

— Mais ton image est plus importante qu'une vie ?

— N'élève pas la voix sur moi...

— Sinon quoi ? Tu vas me tuer, moi aussi ? Tu vas m'éliminer, comme tous ceux qui se mettent en travers de ton chemin ? Purement, simplement, les éliminer ?

— Ciel... dit-il d'une voix sourde de colère que j'ignore royalement. Continue, et je ne répondrai plus de mes actes...

— Vas-y, tue-moi ! Coupe-moi la tête, sois un prince respecté et craint, alors tue-moi ! Prouve au peuple que tu sauras diriger un royaume entier par le meurtre, montre aux bourgeois que tu sais prendre des décisions difficiles ! Tue-moi !

— TAIS-TOI !

J'ai dépassé les bornes. Je le vois, dans ses yeux, je suis allée beaucoup trop loin. Plus seulement d'une question de rang ; j'ai heurté l'homme qui se cache derrière le prince.

— Je ne te tuerai pas. Je ne te tuerai pas !

— Parce que je suis cette foutue élue ?

— Parce que je tiens à toi !

Je referme ma bouche, ravalant ma réplique. Je ne m'y attendais pas, pas du tout. Je ne réponds rien, sous le choc. Évidemment, je m'en doutais un peu, mais... Pourquoi ? Pourquoi moi, pourquoi maintenant ?

— Cette discussion s'arrête là, siffle-t-il d'une voix froide en commençant à partir.

— Non, j...

— Arrête de contester les ordres de ton prince, merde !

Je m'apprête à répondre, mais que pourrais-je dire ? Il a raison. Il a gagné. Yanos va mourir. Yanos va mourir, et c'est ma faute.

— Ne le tue pas, supplié-je dans un dernier espoir.

— Bonne nuit, Ciel.

Il me jette un regard glacial qui me fait trembler de peur, puis sort en claquant la porte. Je sursaute, les larmes aux yeux. J'en ai assez de ses changements d'humeurs. J'en ai assez de tout. Je n'en peux plus. Je veux m'effondrer, oublier toutes ces histoires de magie et de mises à mort et ne plus jamais en entendre parler.

Pourtant, mue par un instinct inexplicable, je tourne la poignée et m'élance à la suite du prince. Mon corps réagit seul, porté par une énergie qui ne vient pas de moi.

La magie...

La magie me pousse vers Adrian. La magie veut que je reste auprès de lui.

Mais pourquoi ?

— Adrian !

Il ne se retourne pas. Il ne réagit pas et m'ignore.

— Il ne doit pas mourir ! continué-je sans initier ces paroles.

La magie parle à travers moi.

— La prophétie a besoin de lui !

— Mensonges ! répond-il sur le même ton en faisant volte-face.

— La prophétie a besoin de lui, répété-je beaucoup plus calmement, maintenant certaine d'avoir son attention.

Je sens avec effroi la douleur revenir dans mes omoplates. Adrian semble l'avoir remarqué, car sa colère se dissipe en un éclair. Cette fois-ci, le processus est beaucoup plus rapide, et la souffrance grimpe beaucoup plus vite. Elle ne s'étend plus qu'à mon dos, mais envahit aussi mes épaules, mes bras, ma nuque et mon bassin. J'ai l'impression de brûler, tandis que ma bouche continue de parler comme si de rien n'était.

— Je ne mens pas, Adrian. La prophétie, la page manquante, il joue un rôle là-dedans.

— Mais comment ?

— Trouve la page manquante, articule ma voix de plus en plus anormalement grave.

J'ai mal, terriblement mal. Mon dos est lourd, si lourd...

Je vois le prince grimacer de douleur à son tour, tandis que des plumes noires apparaissent autour de lui. Je remarque que des plumes blanches virevoltent déjà devant mes yeux.

Pourquoi ?

Pour toute réponse, le feu redouble d'intensité. Je hurle à pleins poumons, en parfaite synchronisation avec le prince, dont des ailes se mettent à pousser dans son dos.

À son regard, je devine que la même chose m'arrive. Pourquoi, pourquoi ? Cette question tourne dans ma tête. Pourquoi la magie nous fait-elle subir ça, maintenant ?

Enfin, tout s'arrête. La douleur, le feu, tout se stoppe brutalement. Il ne reste que cette sensation de poids dans mon dos, et ce grouillement dans mon ventre synonyme de magie.

De magnifiques ailes noires comme la nuit se dressent derrière Adrian, tandis que les mêmes, en blanc, ornent mon corps. Nous restons quelques instants immobiles, stupéfaits, tentant de comprendre ce qui vient de se passer.

La magie veut nous faire passer un message.

Je déplie et étire mes ailes, un sentiment grisant d'invulnérabilité s'emparant de moi. Adrian m'observe, fasciné, avant de faire de même. Nous étendons au maximum nos nouveaux membres, réalisant leur envergure impressionnante.

— C'est incroyable... murmure-t-il, toute trace de colère disparue de sa voix.

— La magie... Elle...

J'essaye de mettre des mots sur ce que je comprends doucement. La magie nous a forcés à nous transformer. Ses ailes sont noires, tandis que les miennes sont blanches.

Nous sommes pareils... et pourtant opposés.

Je ne dois pas l'abandonner, parce que nous sommes dans le même bateau. Confrontés à une magie instable, des métamorphoses imprévisibles, nous devons rester soudés. Ou nous courrons à notre perte.

Je comprends. Je comprends pourquoi la magie m'a incitée à rejoindre Adrian, à me mettre de son côté. Nous devons rester ensemble, ou sinon, la tragédie du dirigeant suprême se répétera.

Et cette histoire d'âme sœur... Il est mort par colère de ne pas l'avoir trouvée. Je ne dois pas l'abandonner...

Est-ce seulement possible que ce soit moi ?

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