15. Troubles

Je sens mon visage perdre lentement ses couleurs. Des ailes ? Des ailes blanches ? Dans mon dos... Pour de vrai ?

— Adrian ?

— C'est... J'aimerais dire que c'est normal, ça fait partie du processus de métamorphose, mais... Je ne comprends pas pourquoi maintenant...

J'avale ma salive, la gorge aussi sèche et râpeuse que du papier de verre.

— J'étais en train de penser que j'étais un dragon, et puis... La magie...

J'essaye à nouveau de bouger mon dos, et mes ailes frémissent immédiatement. C'est tellement étrange, tellement absurde, que je cligne plusieurs fois des yeux, priant pour que toutes ces plumes blanches disparaissent soudainement.

— Adrian ? Ciel ? appelle la voix de Julien derrière nous, nous faisant sursauter l'un et l'autre.

Nous nous retournons, et je peux le voir blêmir lorsqu'il m'aperçoit. Je me racle la gorge, partagée entre la gêne et la peur.

— Ciel ! Comment as-tu fait ?

Le mage s'avance rapidement vers moi et commence à tripoter mes ailes, l'air d'un gosse à qui on vient de donner son jouet préféré.

— C'est incroyable ! Extraordinaire ! Nous avons franchi un nouveau cap. Tu penses que tu arrives à voler ? Oh, après tout, on peut tout faire avec la magie. Tu as utilisé une méthode particulière ? Et...

— Julien ! m'exclamé-je en reculant mes nouveaux membres. C'est un accident.

— Un accident ?

Je me masse les tempes en réprimant un soupir. J'aimerais tant arriver à lui expliquer ce que je ressens, mais moi-même je ne le sais pas.

— Je n'ai pas fait exprès, me forcé-je à répondre, ma voix me donnant l'impression d'écorcher mes joues.

— Je ne comprends pas, comment as-tu pu...

— Moi non plus je ne comprends pas, d'accord ?

Un silence s'installe, durant lequel je m'efforce de me calmer. La colère, quoique tentante, n'aidera en rien.

— Ça faisait mal, avoué-je. Les ailes. Comme si elles avaient transpercé ma peau pour pouvoir... apparaître.

Je ne peux pas me résigner à dire pousser. J'espère que ce n'est qu'éphémère, comme les griffes, et qu'elles disparaîtront quand la magie se sera calmée. En attendant, cette dernière continue de s'agiter gaiement autour de moi, s'enroulant et vibrant comme une brise chaude. Sa présence est à la fois apaisante et inquiétante. Pourquoi se manifeste-t-elle autant avec moi ? Qu'ai-je de différent ?

La prophétie.

Je crois entendre une voix me répondre, mais j'en doute fortement, comme si les paroles avaient été emportées par du vent. Je ferme les yeux un instant, tentant de reprendre mes esprits, et d'apaiser ce tourbillon agité dans mes cheveux. Je me concentre sur ce sentiment de liberté qui m'envahit, essayant de le taire par mes pensées.

Magie, s'il te plaît, fait partir ces ailes.

Aussitôt, la rafale cesse, et mon dos me paraît plus léger. Mes sens régressent, jusqu'à revenir à la normale. Pas de douleurs, pas de brûlures, juste cette perception qui s'étouffe peu à peu. Je bouge mes épaules qui me tiraillent, et ouf ! plus rien. La magie est partie, emportant les ailes et les plumes avec elle.

Soudain, je me sens prise d'une grande fatigue. Je tremble, éreintée, mes jambes peinent à supporter mon poids. Mes paupières papillonnent, lourdes, et m'obscurcissent la vue. Je vois le sol flou se rapprocher de mon visage, tandis que mes muscles ne répondent plus. Mon cerveau semble m'avoir fui, puis plus rien. Le trou noir.

•⚔︎•

Je reviens lentement, très lentement à moi. Je ne vois rien, j'entends seulement quelques bruits feutrés. Je me concentre dessus, jusqu'à ce que je reconnaisse des voix.

Malheureusement, je n'arrive pas à saisir de paroles. Simplement des éclats de bruits, fragmentés, imprécis.

Ensuite le toucher. Je suis allongée, dans un lit, je crois. Je sens la douceur de la soie et de la fourrure sous mes doigts inertes. Ma tête repose sur un oreiller, et une couverture a été rabattue sur mon corps.

Enfin, j'esquisse un mouvement pour ouvrir les yeux. D'abord, je ne vois rien, j'ai peur pendant un instant d'être devenue aveugle, mais la lumière apparaît, jusqu'à devenir insupportable. Je bats des cils pour m'habituer à la luminosité, quand les voix se font beaucoup plus proches et nettes.

— Regardez ! Elle ouvre les yeux, dit une voix féminine.

— Ciel ? Ciel, tu m'entends ?

La voix de Yanos résonne dans mes oreilles, fait écho dans mon cerveau en même temps que dans mon cœur. Yanos !

J'ouvre les paupières, mue par une énergie nouvelle causée par la voix de celui que je croyais ne jamais revoir.

— Y... Yanos, marmonné-je, la langue douloureuse et le timbre déraillé.

— Je suis là.

Une main chaude se faufile dans la mienne, attrapant mes doigts. Je veux lui rendre son contact, serrer sa peau, mais mon corps ne me répond pas.

— Je me sens mal...

— C'est normal, tu...

— Je me sens mal ! je m'époumone, mon dos se redressant dans un spasme, sentant une nausée acide me remonter.

Je vomis devant moi, la tête bourdonnante, la vue troublée, des frissons froids le long de ma nuque.

— Un seau ! crie Yanos.

— Là, là, répond calmement la voix féminine, tandis qu'un objet dur se glisse sous mon menton.

Je finis de rendre mon estomac, écœurée.

— Je vais chercher de nouveaux linges, continue l'inconnue.

Mais qui cela peut-il bien être ?

Je ne parviens toujours pas à discerner les personnes autour de moi, mes yeux refusant de voir clair. Je distingue une forme s'éloigner, tandis que Yanos, à côté de moi, s'est approché pour tenir mes cheveux.

— Désolée, balbutié-je.

— Pas grave.

— Que quelqu'un aille chercher une tisane, ordonne la voix du prince, plus loin. Et fasse remplir sa baignoire.

Il est là, lui aussi ?

— Mon fils, ne t'inquiète pas, objecte la voix du roi. Le Docteur a dit qu'elle allait bien.

Décidément, tout le château s'est regroupé pour me regarder régurgiter sur mes genoux !

Des pas résonnent, avant de s'éteindre derrière une porte claquante. Un soupir, près de moi, le frottement du tissu. Le lit qui se déforme. Quelqu'un s'est assis. C'est Yanos.

— De l'eau...

— Quelqu'un peut-il apporter un verre d'eau ?

— J'y vais, dit Adrian.

Depuis quand s'entendent-ils, ces deux-là ? Et depuis quand le prince obéit-il à Yanos ?

Yanos... Yanos...

Yanos !

Comment se fait-il qu'il soit ici ? Adrian a été très clair, il n'a plus le droit de m'approcher. Alors, pourquoi sont-ils ici, tous les deux, à se soucier de moi, comme s'il ne s'était rien passé ?

Des pas se rapprochent, puis un poids se dépose de l'autre côté du lit, à l'opposé de Yanos.

— Tiens, Ciel, murmure le prince.

Je perçois un verre apparaître sous mon nez. J'ouvre la bouche, fébrile, me sentant trop faible pour le tenir moi-même.

Le prince me fait avaler l'eau délicieusement fraîche et propre, avec ses gestes tendres dont lui seul a le secret. Yanos me caresse les cheveux, les replaçant derrière mon oreille, effleurant ma pommette et ma tempe par moments.

— Je vais remplir un autre verre ? demande ce dernier.

— Oui. Au pire, on pourra lui rafraîchir le front avec.

C'est absurde. Cette situation est absurde. Les deux hommes qui plus tôt se disputaient à propos de moi, maintenant coopèrent pour prendre soin de mon front fiévreux. Combien de temps suis-je restée inconsciente, au juste ? Une semaine ? Un an ? Parce que je doute qu'ils aient pu se réconcilier aussi vite.

Mes yeux arrivent enfin à s'accrocher à quelques détails. Le décor se fait plus net, les couleurs plus vives. J'observe les alentours, heureuse de voir correctement à nouveau.

— Enlevez-vous, s'il vous plaît. Je vais changer ses draps, s'élève de nouveau la voix féminine.

Je tourne mon regard dans sa direction, curieuse de mettre un visage dessus.

— Que...

Je reste ébahie. Ses cheveux, aussi roux que les miens, s'accordent avec ses yeux noisette. Elle sourit, elle est belle, et surtout, elle a une tâche de rousseur sous l'œil. Je reconnais cette femme, aussi précisément que dans mes souvenirs les plus lointains.

— Bonjour, ma fille, dit-elle avec un regard maternel.

— ... Maman ?

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