Un crapaud dans la larme

Cognos, la plus belle cité du royaume, était baignée de la lumière dorée du soleil zénithal. Les rayons lumineux réfléchissaient sur les toitures de tuiles blanches qui donnaient toute sa splendeur à la ville, tandis que les rues pavées résonnaient du claquement des multiples pieds et sabots qui les foulaient. Cognos, le berceau du savoir, la citadelle des plus grands érudits et magiciens du continent, fourmillait d'une activité sans pareille.

A l'épicentre de la ville, se dressant de toute sa hauteur, la Grande Bibliothèque de Cognos était devenue le refuge d'un nombre incalculable de connaissances, savoirs et pouvoirs en tout genre. Un hall d'entrée majestueux, encadré d'une double rangée de colonnades de marbre rose, était dominé par une estrade en haut de laquelle était juché un vieillard dont les rides se comptaient par centaines rien que sur sa figure. C'est vers cet individu, vraisemblablement le cerbère de cet établissement, que la silhouette fine et fluette de notre petite fée se dirigea avec aplomb et détermination.

— Excusez-moi, je cherche un spécialiste de la magie minérale. Un gnome de préférence.

— Hum... fut la première réaction de cette antiquité faite homme lorsqu'il se pencha au-dessus de son pupitre pour regarder au travers de son binocle celle qui venait de l'apostropher de manière si importune. Vous parlez de maître Dalkost ? Vous le trouverez dans la salle des bois.

— Merci, répondit simplement la fée.


Après moult détours dans le labyrinthe que constituaient les couloirs de la bâtisse ancestrale, Shani arriva finalement jusqu'à la fameuse salle des bois. Elle portait admirablement bien son nom, et la fée en resta bouche-bée d'admiration lorsqu'elle en franchit le seuil. Face à elle, une voûte gigantesque abritait une improbable forêt dans laquelle se mélangeaient des arbres d'une impressionnante variété.

Au milieu de cet étalage de verdure et de troncs, un plan de travail encombré de fioles et d'alambics trônait tel un autel dédié à quelque divinité disparue depuis des lustres. S'affairant autour avec une vélocité qui mettait en défaut son âge avancé, un gnome tout barbu tranchait dans cette oasis verte par ses habits aux couleurs criardes et disparates.

— Maître Dalkost je présume ?

L'étrange petit personnage s'arrêta net et tourna son faciès joufflu vers sa visiteuse. Un grand sourire éclaira ses traits et il lui fit énergiquement signe de s'approcher.

— Ah, enfin ce n'est pas trop tôt ! Cela fait des semaines que je réclame une assistante ; la dernière est partie en fumée, paix à son âme. Venez par ici et tenez-moi cette tige de Venenia Urtus, voulez-vous ? Allons pressons, les arts magiques n'attendent pas !

— Vous faites erreur maître Dalkost, je suis juste là parce que j'ai besoin de vos connaissances.

— Oh ! fit le gnome avec une déception palpable dans la voix. Bon, et bien, venez m'aider quand même et je vous apporterai mes lumières en même temps. De quoi s'agit-il ?

— Il y a peu, j'ai récupéré ce coffret d'un héritage, mais je n'ai pas l'incantation qui en est la clef. On m'a dit qu'il était impossible de l'ouvrir sans, à moins de faire appel à un grand magicien, et vous êtes une pointure en matière de magie minérale à ce qu'il se dit. J'ai donc pensé que, peut-être, vous pourriez m'aider ?

Le petit magicien posa sur la fée un regard indigné, faussement outragé. Visiblement, son interlocutrice ne savait pas qui était en face d'elle. Il se gonfla de sa superbe du haut de ses quinze centimètres, et entreprit de le lui faire savoir.

— Je ne suis pas une pointure, je suis LA pointure ! Vous ne trouverez pas de meilleur spécialiste en magie minérale sur toute la surface du globe, sachez-le mademoiselle ! Mes quatre cent ans d'expérience font de moi le magicien le plus à même de vous aider ! Bon, montrez-moi cette boîte et voyons voir comment contourner ce problème.

Sans attendre de réponse, Dalkost s'empara du coffret et le posa sur son plan de travail. Puis il se mit à réciter diverses incantations dans une langue inconnue de la fée. Cette dernière attendit donc de voir si le conseil de Krélonius était bon concernant ce drôle de gnome.


Il fallut plus de deux heures au magicien pour percer le secret du sort qui protégeait la boîte ouvragée. Mais sa patience et sa maîtrise des arts magiques eurent raison des défenses mises en place, et ce fut dans un léger déclic que le couvercle s'ouvrit soudainement. Le gnome poussa un « AH ! » retentissant qui réveilla Shani que l'ennui avait momentanément vaincue.

Tous deux se penchèrent au-dessus du coffret pour découvrir ce qu'il renfermait. Si la fée, s'attendant à quelque objet ou document croustillant, fut déçue en découvrant une simple pierre d'une blancheur laiteuse, ce ne fut pas le cas du magicien dont les yeux s'écarquillèrent de surprise.

— Une larme de dragon ! s'exclama-t-il avec enthousiasme. Je ne pensais pas avoir la chance d'en voir une un jour. Elles sont très rares !

— Ah bon ?

Rareté étant souvent synonyme de grande valeur, son intérêt pour le caillou remonta d'un cran.

— Bien sûr, vous avez là un héritage inestimable mademoiselle. On prête à ces pierres des vertus magiques sans précédant ! A ce jour, il n'en existe que deux dans notre royaume, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Oh ! fit-il soudain attristé en examinant la pierre de plus près.

— Qu'y a-t-il ?

— C'est dommage, votre pierre a un crapaud, regardez !

Il lui montra un très léger défaut qui courait à la surface de la larme.

— Il se peut que cela altère ses propriétés. Je vous recommande, si d'aventure vous étiez amenée à vouloir l'utiliser, de la manier avec la plus grande des précautions.

— Je vous avoue que je ne saurais même pas comment l'utiliser. Pourriez-vous me l'apprendre ?

— Ni moi, ni un autre, je le crains. C'est une connaissance très ancienne qui s'est perdue au fil des époques. Mais il se dit que la magie d'une larme de dragon ne peut être activée qu'en présence de sa jumelle, car la légende veut que les dragons versent toujours deux larmes en rendant leur dernier souffle. C'est ce qui fait toute la puissance magique de ces pierres.

Intéressant, pensa Shani. Je comprends mieux l'empressement et l'intérêt du duc à récupérer cette pierre rapidement. Eh bien, je sais maintenant où il va falloir que je me rende si je veux en savoir plus sur ces pierres.


Elle prit congé du magicien et repartit, songeuse. La mission ne prévoyait pas de magie : il faudra qu'elle pense à demander un supplément lorsqu'elle reviendra auprès de son commanditaire toucher son dû.  

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