Le troll mangeait les pissenlits par la racine depuis plusieurs jours lorsque Shani et Urien arrivèrent en vue des terres du duché.

Durant ce périple, le barde n'avait cessé de jacasser, au grand dam de la fée qui avait plusieurs fois menacé de lui couper la langue. Elle aurait facilement pu lui fausser compagnie ceci dit, mais, contre toute attente, son compagnon de route rendait le trajet plus vivant et plus confortable. Au lieu de dormir à la belle étoile toutes les nuits, ils se voyaient offrir l'abri de granges, relais ou autre monnayant en échange quelques histoires à narrer au coin du feu, ou quelques services à rendre. Seule, la jeune fée savait qu'elle n'aurait pas eu autant de chance en matière de commodité.

Du reste, elle était impressionnée, voire complètement dépitée, par la crédulité des bonnes gens qui les hébergeaient. Pouvait-on sincèrement prêter foi aux histoires rocambolesques que leur racontait Urien ? Pouvait-on raisonnablement croire qu'une fée sans armes avait pu terrasser trois monstrueux trolls en armure ? Le Fabuleux Combat de la Belle et la Bête en la Clairière Enchanteresse s'était très vite transformé en la Geste Miraculeuse de la Fée Pourfendeuse de Trolls. Tous les soirs ou presque, le barde avait enjolivé un peu plus la réalité jusqu'à la dénaturer complètement. La fée n'aurait même pas été étonnée si, à la fin de leur voyage, son récit la faisait combattre nue contre une armée de trolls en armure lourde. Cet homme mentait sans vergogne et, malgré tout, ses affaires marchaient et leur permettaient de parcourir les kilomètres sans trop souffrir des rigueurs de la route. Pour cette seule raison, elle avait donc toléré sa présence à ses côtés. Tant qu'il ne mettait pas sa mission en péril, elle n'avait pas de raison de lui fausser compagnie.

C'est donc ainsi qu'ils pénétrèrent au sein du duché de Breille.

A une ou deux reprises, Shani avait eu des visions de l'homme à la chevalière, dont elle supposait qu'il devait s'agir du duc en personne. Elle n'avait pas eu l'impression qu'il pouvait la voir ces fois-là, mais elle restait méfiante car les visions avaient été plus réalistes que la première fois. De plus, un mauvais pressentiment lui titillait les entrailles depuis son arrivée aux frontières des terres du duc.