- Mayvin ! Réveille-toi ! Je te cherche depuis si longtemps. Mayvin ! ?

- J... Jiork c'est toi !?

- Qui voudrais-tu que ce soit ?  Allez, bouge un peu.

- J'ai mal.

Leurs voix mentales s'entremêlent et Jiork lui envoie des ondes apaisantes pour essayer de minimiser sa souffrance.  Mayvin reçoit avec gratitude cette transmission de soulagement mais elle constate que Jiork aussi peine à s'en remettre, donc elle cesse de recevoir et se place en symbiose avec lui.

- Jiork, cela ne s'est pas passé comme prévu, n'est-ce pas ?

- Oui, en effet, la dérive s'est opérée en catastrophe on dirait et nous n'avons pas pu diriger l'organique.  Dans la dérive qui a biaisée, je t'ai entraîné vers ces petits points d'intelligence primitive qui surnageaient en surface de ce continent.

- Des petits points ? Arghhh.

- Cesse de te plaindre et ouvre les yeux. Tu comprendras mieux.

Mayvin ouvre enfin les yeux avec précaution.  L'air est toujours brumeux, humide, chaud et poussiéreux.  Autour d'elle, c'est encore moins lumineux qu'à son réveil précédent.  Elle réalise qu'elle est avachie sur une substance vivante de type Mycota.  Elle est érigée en faible altitude ce qui lui donne une vision d'ensemble du lieu où elle se trouve.  Autour d'elle il y a plusieurs autres de ces organiques sur pied.  Entre eux, des brumes se déplacent au gré d'un faible courant d'air.  Soudain, elle sursaute en voyant deux points brillants et jaunâtres qui l'observent.

- Jiork !?

- Et oui, bonjour ma tendre amie...  Comment aimes-tu mon organique ?

Elle observe la petite créature bien installée sur un autre Mycota sur pied.  Toute petite, maigrelette, des appendices auditifs allongés et pointus, un petit museau nerveux.  Des membres chétifs sur un corps squelettique.  Le tout agrémenté d'une queue pointue qui fouette l'air avec constance, comme douée d'une vie propre, et d'une peau noire et luisante.

- Cet être n'existait pas sur ce monde ?  Elle ressemble au Banshok que l'on élevait dans notre enfance... cela fait si longtemps.

-Oui, des Banshoks, tu as bonne mémoire Mayvin.  La conception organique ciblée avant notre dérive n'est plus... Comme bien d'autres organiques de ce lieu.  Nous étions menacés de nous perdre.  Je n'avais pas le temps d'attendre une nouvelle conception naturelle.  Je t'ai entraînée vers des petits points d'intelligence en suspens et, en les combinant directement à notre germe, nous les avons en quelque sorte influencés à se développer en catastrophe. Enfin, j'en ai dirigé un peu le résultat final par une image qui semblait flotter en toi, et elle me plaisait aussi.  Je ne t'ai pas demandé ton avis... tu étais disons...

- Absente ?

- Oui, en effet.  Mais, j'aime bien !  Regarde, vu l'état de dégradation de ces milieux, j'ai opté pour que nous nous nourrissions de l'organique directement.  Nous sommes le maillon de recyclage des chaînes trophiques de tous les écosystèmes.

- Des décomposeurs, pouah !

- Mais avoue qu'ainsi notre chance de survie est énorme.

- Qu'arrive-t-il à ce monde ? 

-...

- Jiork !!  Il n'était pas ainsi lors de son analyse !

- Et bien j'ai bien honte de t'avouer que nous sommes la cause de ce dégât monstrueux.  En fait, pas juste toi et moi, mais l'ensemble de notre expédition.  Nous aurions dû écouter Shimitt et arrêter les processus de dérives pour une période.  Notre aéronef était épuisé.  Il n'a pas su conserver assez d'énergie après notre dérive et il s'est écroulé...

- Notre vaisseau nerculéen... Pantash est mort !  Et l'équipage ?

- Pantash a rejoint l'étendue liquide d'oxyde de dihydrogène de l'autre côté de cette planète, il en a laissé un cratère mémorable que j'ai pu observer avant de m'engouffrer définitivement dans la dérive.  À mon réveil, paniqué, j'ai tenté des appels sur toutes les ondes neuronales que cet organique est capable de fournir mais je n'ai eu aucune réponse de tous nos compagnons.

- Il n'y a que nous deux ?  Ils seront recyclés mais ne pourront continuer la Dérive.

- Il n'y a que nous deux...  Qu'ils soient recyclés sous l'oeil bienveillant de la Grande Dérive.

- Qu'ils soient en paix.

Les deux êtres font un silence en mémoire de leurs amis et équipage.