3. Négociation


GIAN


Le Russe tire pour la énième fois sur ses manchettes et je ne peux empêcher un sourire moqueur de déformer mes lèvres. Engoncé dans son smoking noir, il a l'air aussi à l'aise qu'un poisson hors de l'eau. Ses sourcils sont froncés et ses lèvres pleines ne forment plus qu'une ligne dure qui trahit l'énervement qu'il se refuse d'exprimer.

Lorsqu'il est arrivé chez moi à vingt heure, mon tailleur personnel l'attendait de pied ferme et, après d'âpres négociations, a réussi à lui trouver le costume parfait. Mon coiffeur a ensuite pris le relais et s'est battu avec ses cheveux indomptables jusqu'à réussir à les plaquer harmonieusement en arrière, révélant un front noble et un visage régulier aux traits légèrement insolents. En dépit des nombreuses cicatrices qui strient sa peau, je dois avouer que cette pourriture possède une certaine beauté ; une beauté froide et frigide qui instaure une barrière immédiate avec quiconque tenterait de l'approcher, mais une beauté tout de même.

Parfaitement coiffé et habillé, ses grands yeux glauques paraissent d'autant plus déstabilisants et je ressens toujours une petite gêne au fond de l'estomac lorsqu'il les pose sur moi.

Putain de communiste.

— Bon, voici les règles de la soirée : ferme ta gueule et fais bonne figure, énuméré-je grossièrement. Tant que Petrucci ne t'adresse pas la parole, tu me laisses mener la conversation. S'il te provoque, tu fais profil bas. Si tu sens que tu vas faire une connerie quelconque, tu prends un autre verre ou tu te grilles une clope. Essaie de cligner des yeux aussi, je ne sais pas si tu essaies d'aspirer mon âme à travers eux, mais c'est vraiment perturbant.

Le Russe ne réagit pas et continue de me fixer par pure provocation.

— Oh, et glisse-lui un ou deux sourires, ajouté-je. Histoire qu'il pense pouvoir avoir accès à ton cul.

— C'est pour ça que tu m'as emmené ?

Sa voix éraillée est glaciale, menaçante. Les traits de son visage sont restés aussi figés que celui d'une poupée de cire, mais je sens la colère exhaler de son corps. L'envie de le provoquer me prend, mais je me ravise au dernier moment ; l'enjeu est trop grand.

— Non, nié-je en soutenant son regard. Et au-delà de ça, il sait qu'il ne touche pas mes associés.

Le communiste ne répond pas. Je prends ça pour un assentiment de sa part et ouvre la portière avant d'extirper mon corps dans le froid de la nuit. Je sens que l'autre connard me suit tandis que je grimpe les marches de la villa de Petrucci, et je me fais une nouvelle fois la remarque que j'aimerais être n'importe où plutôt qu'ici.

Un de ses hommes nous accueille et nous sonde du regard, comme si cet enculé essayait de nous déshabiller par la pensée. Je ne peux m'empêcher de gonfler mon aura et il reçoit mes phéromones haineux en pleine gueule, ce qui le fait reculer de deux pas en arrière. Il grimace, mais baisse la tête, ayant compris le message.

Petrucci nous attend dans son petit casino privé. Accoudé sur une table deblackjack, il est entouré de deux jeunes gars dont il a dû visiter le cul plus souvent qu'un curé son église. Lorsqu'il nous voit, il relève la tête et nous adresse un immense sourire dégoulinant de mépris et d'hypocrisie.

— Gian ! s'exclame-t-il d'un air faussement ravi. Mon Dieu c'que tu as grandi !

Enculé.

— Paolo, lui souris-je, heureux de te revoir. Je te présente Lev, mon associé.

Je vois ce dernier me jeter un bref coup d'œil et je devine qu'il est étonné que je connaisse son prénom. Et oui, chien des rues, tu as beau être une belle ordure, je ne m'associe pas avec un inconnu.

Petrucci lorgne un moment sur le Russe et j'aperçois les doigts de celui-ci se contracter imperceptiblement. Le savoir dans une situation désagréable m'amuse beaucoup.

Le propriétaire des lieux nous tire dans une petite salle à l'écart de la ferveur du casino et nous ouvre une bouteille de champagne. Tout comme lui, je garde mon air faussement affable et mon sourire mondain qui m'a permis de signer tant de contrats ; j'ignore s'il fera effet sur Petrucci, mais je ne perds rien à essayer.

— Alors, expliquez moi un peu l'pourquoi d'vot' visite. A première vue, vous m'avez tout l'air d'deux gamins arrogants avec des couilles assez grosses pour pénétrer mon territoire sans avoir peur que j'vous les coupe et vous les fasse bouffer.

Petrucci assène tout ça avec un grand sourire, mais je vois la lueur de folie au fond de ses yeux. Depuis tout petit, je côtoie ce gars sans avoir réellement eu affaire à lui. Avec mon père, ils étaient parvenus à un accord tacite consistant à se respecter de loin, sans se mêler du business de l'autre et sans empiéter son territoire. Âgé d'une quarantaine d'années, Petrucci porte sur sa gueule les stigmates d'une jeunesse mouvementée : une profonde cicatrice déchire sa joue gauche et il lui manque l'oreille droite. Ses yeux bleus très foncés sont toujours voilés par une étrange émotion, quelque part entre la folie furieuse et l'amusement sadique. Il est quasi impossible de deviner ses réactions et son humeur change plus rapidement que les putes dans son lit.

— Depuis que je me suis associé à Lev, j'ai pu prendre possession d'un nouveau marché pour écouler la came, énoncé-je calmement. Lev connaît parfaitement les bas-fonds, il a su imposer notre marchandise et la vendre aux bonnes personnes. La demande a été si forte qu'on a pu de notre côté augmenter et améliorer la production, et je me retrouve aujourd'hui avec une came de qualité supérieure, de celle qu'on égale pas aussi facilement. Tu n'imagines pas les ravages qu'elle fait ; la demande explose chaque jour et nous sommes en pleine expansion. Avec ton soutien, et en passant évidemment par tes gars pour l'écouler, nous aimerions en vendre dans certains quartiers de ta ville. Tu trouveras pas de meilleure came dans tout le pays et nous te laissons le contrôle du marché ; nos gars n'y foutront pas les pieds et tu pourras récupérer 30% des bénéfices de vente.

Petrucci reste silencieux et je ne sais pas comment interpréter cette absence de réaction. Je commence à me demander s'il m'a écouté lorsque ses yeux lubriques se posent sur Lev, tandis que sa bouche se tord en un immonde sourire vicieux.

— Donc comme ça tu es Russe ? s'intéresse-t-il en retroussant sa lèvre supérieure sur ses gencives. J'savais pas qu'la mafia côtoyait ce genre de racaille.

Lev ne répond pas.

— A moins qu'ce n'soit pour ton cul qu'Gian t'a embauché ?

Je suis à deux doigts de lui rappeler que je ne suis pas de ce bord-là, mais me retiens au dernier moment. Je dois savoir ce qu'il a en tête.

— J'me suis jamais fait l'cul d'un communiste, j'me demande c'que ça fait.

— Je ne suis pas communiste.

La voix rauque de Lev sonne comme une menace et je me raidis.

— Mais tu n'es pas contre vendre ton cul ? insiste Petrucci sans se départir de son affreux rictus graveleux.

— Si c'était ma seule ambition, tu crois que je serais ici devant toi ?

L'autre plisse les yeux.

— Les gars des bas-fonds n'ont aucune morale. Évidemment qu'tu vendrais ton cul pour d'la came. Comment j'peux faire confiance à une saloperie dans ton genre ?

Je sais que le Russe rêve de le frapper. Je n'imagine pas tout ce qu'il y a dans sa tête, mais ça ne doit pas être très joli. Je décide d'intervenir.

— Lev a toute ma confiance. Tu penses vraiment que je confierais ma marchandise à un putain de camé ?

— Je n'sais pas Gian, tu t'associes bien à un putain de communiste, rétorque le concerné en glissant un regard féroce sur moi.

Les épaules de Lev se contractent. Les yeux se Petrucci s'assombrissent.

— En plus, tu m'proposes 30% des bénéfices ? continue ce dernier dont le visage se crispe de rage. Pour qui tu m'prends, pour un putain d'débutant ? Vous voulez empiéter sur mon territoire et vous m'filez 30% d'bénéfices ? J'pourrais t'coller une balle entr'les deux yeux pour t'faire ravaler ta putain d'arrogance.

Le vieux débris commence à virer au rouge. Je m'installe plus confortablement dans mon fauteuil et porte la coupe de champagne à mes lèvres.

— La came qu'on te propose est unique et notre association est solide, le contré-je avec tranquillité. Les ministres, tout comme les clochards des bas-fonds, sont à nos pieds. Ce que je te propose est rentable pour toi : tu gardes le contrôle de ton territoire, mais tu y écoules notre came. Je suis prêt à monter jusqu'à 35% de bénéfices, mais je n'irai pas plus loin. Ton clan est puissant et nous avons tous les deux intérêt à nous associer, surtout quand les autres vont commencer à entendre parler de notre business et vont vouloir s'intéresser à nos affaires. De la bonne came, du fric en plus et un partenaire fiable : si tu trouves une offre plus bénéfique que celle-ci, je ne suis pas digne d'être le fils de mon père.

Petrucci me fixe de longues secondes durant lesquelles je reste impassible. Je suis sûr de moi et de mon argumentaire. Le vieux est puissant, mais manque d'innovation ; il n'a aucune raison de refuser.

Finalement, les commissures de ses lèvres tressautent et il part dans un violent fou rire.

— J'aime les jeunes qui ont des couilles comme ça ! éructe-t-il d'une voix grasse. Très bien, j'accepte votre marché. J'vous aime pas vraiment, mais vous avez du ressort et ça m'plaît !

Il marque une pause et frappe dans ses mains.

— Bon, maintenant que les affaires sont faites, vous êtes mes invités ! Il est temps pour vous de découvrir l'ampleur de mon empire !

Je croise le regard de Lev et lis dans ses iris glauques sa désapprobation. Mais nous n'avons pas vraiment le choix. Petrucci semble exalté.

— Faites venir l'alcool et les putes !



NDA : Bon finalement j'étais inspirée donc je poste un nouveau chapitre ce soir. J'espère que j'irai aussi vite la semaine prochaine !

Alors, vos avis sur ce chapitre ? Comment vous sentez l'association Lev/Gian ? J'ai hâte de lire vos retours :)

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