23. Analepse
LEV
Lorsque j'entrouvre les yeux, je sens un poids encombrant oppresser ma poitrine et je galère à prendre une grande inspiration. Grognant à moitié, je pose l'un de mes bras en travers de mon visage pour me cacher du soleil qui agresse ma rétine et cherche l'origine de cette gêne.
Soudain, mon cœur loupe un battement.
Affalé sur moi, la tête dans mon cou et une main fermement accrochée à ma taille, Gian dort paisiblement. Ses mèches ébènes contrastent avec la peau opaline de mes épaules et son souffle chatouille mon torse.
Mon cœur se remet à battre, cette fois bien plus vite.
J'ai retrouvé Gian. Bordel, après des mois interminables, j'ai retrouvé la chaleur de son corps, la rudesse de ses muscles, l'insolence de son regard. J'ai retrouvé sa bouche sensuelle, son sourire provocateur, son attitude arrogante. Mais surtout, j'ai retrouvé sa passion dévorante, ses gestes impatients, ses baisers brûlants, son plaisir insatiable. Je l'ai retrouvé, lui, dans son entièreté, et putain, je ne m'en remets pas.
Gian...
Un frisson de plaisir remonte le long de mon échine et je m'oblige à fermer les yeux quelques secondes pour reprendre mes esprits. Les parties de mon corps en contact avec celui de Gian me brûlent comme si elles cherchaient à fusionner avec lui.
Inconsciemment, j'enroule un bras autour de sa nuque et plonge mon nez dans ses cheveux bruns. Il sent si bon...
Mon geste semble le réveiller et je l'entends grommeler contre ma peau tandis que son corps se presse un peu plus contre le mien. Mon bas-ventre s'enflamme et mon érection matinale ne s'en trouve que revigorée.
— Eh ben, y en a un qui est bien réveillé dès le matin...
Sa voix grave, rendue rauque par le sommeil, me soutire un frisson et je souris en sentant sa main caresser distraitement mon aine.
— T'en as pas eu assez hier soir ? me taquine-t-il.
Gian lève son visage vers moi et un sourire malicieux vient tordre ses lèvres. J'appuie sans réelle puissance mon poing contre sa joue et m'étire en baillant. Le mouvement provoque une douleur sourde en bas de mon dos et je grimace furtivement.
— Putain, tu fais chier, grogné-je entre mes dents.
Gian, qui a saisi mon inconfort, sourit avec fierté.
— Tu n'as pas cessé d'en redemander.
Sa bouche s'échoue dans le creux de mon cou et il se redresse pour déposer une myriade de baisers le long de mon torse. Il finit par embrasser mon sexe encore poisseux de nos ébats de la veille et lape mon gland avec amusement.
Je grogne et le repousse. J'ai vraiment des courbatures partout et ce connard le sait très bien. Mes yeux croisent les siens et j'y décèle une étincelle satisfaite que je ne comprends pas immédiatement.
— Tu m'as menti, affirme-t-il gaiement.
Je fronce légèrement les sourcils et lui lance un regard interrogateur. Malgré ses mots, il garde un air heureux qui me décontenance.
— Tu n'as ouvert ton cul à personne d'autre durant tous ces mois, précise-t-il en agrandissant son sourire.
Je me retiens de lever les yeux au ciel et tâtonne sur la table de chevet à la recherche de mon paquet de clopes. Lorsque je le trouve, j'en coince une au coin de mes lèvres et croise un bras derrière ma tête.
— Je n'ai jamais dit que je l'avais fait.
— Tu aurais pu.
— Non.
Gian se laisse tomber en arrière et s'assoit face à moi, ses bras tendus derrière lui pour le soutenir. Je ne peux empêcher mon regard de courir le long de son corps, s'attardant sur la rondeur de ses épaules avant de dévaler son ventre creusé par d'imposants abdominaux. Mes yeux s'accrochent à son aine, à peine dissimulée par le drap blanc qui fait ressortir sa peau hâlée.
Perdu dans ma contemplation, je manque de sursauter en voyant une main claquer des doigts devant mon visage. Pourtant, au lieu de m'extirper de cet état adoratif, j'en profite pour admirer les doigts longs de Gian, ses mains puissantes qui se sont tant refermées sur ma peau cette nuit, ses avant-bras musclés dont les veines saillantes accentuent sa virilité.
— Non pas qu'être au centre de ton attention me dérange, mais ça fait deux fois que je te pose une question, rit-il doucement.
Je cligne bêtement des yeux et tire sur ma clope pour reprendre contenance. L'une des mains de Gian se met à caresser mon ventre.
— Pourquoi tu n'avais jamais cédé à ta nature d'oméga avant moi ? Je veux dire... Je conçois que tu trouves ça dégradant, mais regarde, ce qu'on fait toi et moi, c'est incroyable. Et c'est que du positif, que du plaisir. Alors pourquoi ne pas t'être laissé tenter par l'appel de la chair auparavant ?
Ses mots me font contracter la mâchoire et je prie pour qu'il ne l'ait pas vu. Je la redoutais cette question, je la fuis depuis que nos deux corps ont décidé de se répondre.
Je ne saurais l'expliquer, je ne sais pas, je ne veux pas. La seule option, qui place Gian sur un piédestal, ne me ravit aucunement.
Alors, je me contente de lui souffler la fumée de ma clope à la gueule et de darder un regard ennuyé sur lui. Mais ce connard commence à me connaître. Et son sourire railleur en est la preuve.
— Oooh, je sens que j'ai mis le doigt sur quelque chose, chantonne-t-il en plissant les yeux d'un air inquisiteur. Voyons voir... Est-ce que t'affirmer en tant qu'oméga t'aurait ôté une quelconque influence dans les bas-fonds ? Est-ce que tu avais peur de céder à tes pulsions si tu commençais à coucher avec des gars ? Est-ce que tu avais peur d'avoir trop mal au cul ? Oh ! Ou est-ce que c'est parce que ta mère t'a...
— J'ai été violé à quatorze ans.
Le visage de Gian se décompose sur le champ. Je ressens une maigre satisfaction à le voir perdre son air arrogant, mais malheureusement pas suffisante pour surpasser la sensation désagréable qui me tiraille l'estomac.
Les yeux sombres plongent dans les miens, comme s'ils essayaient de lire au plus profond de mon âme, et j'ai soudainement enfin d'y planter mon couteau pour qu'ils cessent leur inspection si intrusive. La colère commence à gonfler dans ma poitrine et je tire longuement sur ma clope pour tenter de l'ignorer. Bordel, la fureur que je ressens à mon égard est presque plus forte que celle que j'éprouve envers Gian. Pourquoi ces mots enfouis au plus profond de mon être ont-ils franchi la barrière de mes lèvres ? Putain, je voudrais souder ces dernières pour être certain que cela ne se reproduise plus jamais.
— Raconte-moi.
La voix grave de Gian me fait presque sursauter et je pose un regard terrible sur lui. J'aimerais lui hurler dessus, le rouer de coups, écorcher sa peau et barbouiller les draps de son sang pour lui faire passer l'envie de vouloir s'immiscer dans ma vie et de m'ordonner de m'ouvrir à lui. Je voudrais lui en vouloir de me forcer à dévoiler mes démons du passé. Et pourtant, je me contente d'inspirer un grand coup et de me lancer.
— C'était un client de ma mère. Un alpha. Il venait la voir depuis que j'avais à peu près huit ans. C'était un chef de gang assez puissant, très imbu de lui-même et d'une violence inouïe. Parfois, quand il avait baisé ma mère au point qu'elle ne puisse plus marcher, il m'apprenait comment me servir d'un couteau et il égorgeait des chats errants devant moi pour me montrer. Il ne me frappait pas, contrairement aux autres clients de ma mère, mais il m'incitait à leur rendre la pareille. C'était le seul gars qui me considérait autrement que comme une merde que l'on peut écraser quand bon te semble. A cette époque, j'étais un bêta, tout le monde savait que j'étais un bêta et il n'y avait aucune raison pour que je change de nature. Comme tu le sais, à mes douze ans, je me suis barré de chez ma mère après avoir tué l'un de ses clients pour vivre dans les rues. Un jour... j'ai fait une grosse connerie.
Le souvenir me fait serrer les poings et ma mâchoire se crispe douloureusement.
— A la sortie des bas-fonds, il y a une réserve d'armes destinée aux soldats qui traînent toujours par ici. Peu d'entre eux pénètrent les bas-fonds, mais ils font en sorte de nous empêcher d'en sortir. Bref, j'ai réussi à entrer dans cette réserve et j'ai volé des tas de flingues, des grenades, tout ce que tu peux imaginer. J'étais un gamin, je découvrais mes capacités physiques et j'avais une rage de vivre et de m'en sortir que peu de gens ont là d'où je viens. Évidemment, l'armée s'en est rendue compte et ils ont imprimé l'image des caméras où on voyait vaguement mon visage. Ils l'ont distribuée aux chefs de gang en disant que soit ils livraient le coupable, soit l'armée irait le chercher elle-même, mais cette fois ce serait à coup de tanks s'il le fallait. Personne ne m'aurait reconnu sur cette photo si ce connard ne me connaissait pas déjà parfaitement. Il est venu me trouver un soir... et il m'a exposé la situation. Il a dit qu'il m'aiderait, qu'il y avait une solution...
Cette fois, c'est la colère qui se fraie un chemin le long de mon œsophage et s'enroule autour de ma gorge pour tenter de m'étouffer. J'avale la boule douloureuse qui obstrue ma trachée et me rallume une clope. Gian ne dit rien et se contente de me fixer, ses yeux sombres n'exprimant rien qu'un sérieux que j'ai rarement vu dans son regard.
— J'étais putain de stupide, craché-je avec rage, bordel, même maintenant je n'arrive pas à croire que j'aie pu être aussi naïf. Je crois que j'avais besoin de croire en quelqu'un, de faire confiance, au moins une fois, une seule fois dans ma vie... Je l'ai rejoint un soir, dans un espèce de bar miteux qu'il tenait et, quand tout le monde est parti, il m'a emmené dans sa cave. Pour établir un plan, apparemment. Et là, je pouvais plus rien faire. Je me suis débattu comme un fou, j'ai essayé de le frapper avec tout ce que j'avais sous la main, mais je ne faisais pas le poids. Il me disait que si je me laissais faire, il ne me dénoncerait pas, que ça faisait des années que j'agitais mon cul sous son nez et que je méritais ce qui m'arrivait. Il m'a tellement roué de coups que j'ai cru que je ne me relèverai jamais. C'était ça son truc, détruire la personne qu'il baisait. Il a ravagé mon visage et m'a brisé quasiment toutes les côtes. J'avais si mal que j'avais l'impression de devenir fou. Il m'a baisé comme une pute à même le sol, a écrasé mon visage dans la poussière et m'a déchiré en deux. Je me rappelle que je perdais tellement de sang que mon visage baignait dedans. J'avais si mal... Mais plus que tout, je souffrais mentalement. J'avais l'habitude de la souffrance physique, peut-être pas à ce point, mais je savais la gérer. Mais cette nouvelle forme de torture qui t'arrache jusqu'à ta dernière once d'humanité, ça je connaissais pas. Quand il a fini de me baiser, il ne restait plus grand-chose de moi. Ce fils de pute s'est levé, s'est rhabillé et a jeté une pièce d'or sous mon nez. Juste comme ça. Comme s'il me remerciait de mes services. Et il m'a abandonné dans cette cave, couvert de sang et de foutre.
Je suis coupé dans mon discours par une douleur qui irradie de ma cheville. Sans que je ne m'en rende compte, Gian a entouré cette dernière de sa main, sûrement pour me procurer un soutien psychologique, mais il y plante désormais ses ongles si profondément qu'il me fait saigner. Dans ses iris sombres, un orage terrifiant gronde.
Mon cœur se serre et je referme mon poing autour de ma clope à moitié consumée. La brûlure dans ma paume m'arrache un affreux frisson, mais j'ai besoin de cette douleur pour ne pas perdre pied. Une nouvelle fois, je prends une profonde inspiration et continue.
— J'aurais dû crever. J'avais perdu trop de sang, j'avais trop de trucs cassés en moi. Et c'est là que c'est arrivé. Est-ce que c'était un dernier mécanisme de défense pour me maintenir en vie, est-ce que c'était la dernière option de mon corps pour s'adapter à l'agression d'un alpha, j'en sais rien, mais c'est là que je me suis éveillé en tant qu'omega. Je pense que j'ai été exposé à de trop fortes doses de phéromones et que mon corps, dans sa terrible faiblesse, n'a rien trouvé d'autre pour me maintenir en vie que de s'adapter pour mieux les absorber. J'ai pas vraiment compris ce qu'il se passait au début, je sentais que j'étais en train de crever et mon être tout entier brûlait tellement que j'en chialais de douleur. Je me suis évanoui et quand je me suis réveillé, j'étais vivant. C'est tout. Dans un piteux état, mais vivant. Mon corps a dû absorber toutes les essences que ce connard avait laissé en moi et s'est adapté pour mieux les accepter. Un oméga récupère mieux de l'assaut d'un alpha qu'un bêta. Un oméga est fait pour supporter toutes les humeurs d'un alpha, pour s'adapter à son comportement, pour encaisser le moindre de ses gestes. Alors voilà... Donc non, Gian, céder à ma nature d'oméga n'a jamais été une option.
Ses ongles s'enfoncent un peu plus fort dans ma peau. Ses mains tremblent de colère. Je m'appuie un peu plus contre le dossier du lit et retrouve un air impassible.
— Tu me fais mal.
Mes mots le reconnectent immédiatement à la réalité et il ôte sa main de ma cheville comme s'il venait de se brûler. Dans ses iris, l'orage s'est transformé en véritable ouragan qui menace de tout détruire sur son passage.
— Ce gars... Qu'est-il devenu ?
Sa voix grave est devenue caverneuse et chaque mot est chargé d'une colère si lourde qu'il peine à sortir de sa bouche.
— Il est mort, je réponds d'un ton neutre. Je l'ai tué quelques années plus tard. Et je lui ai fait avaler la putain de pièce d'or qu'il m'avait jeté à la gueule.
Gian ne répond pas. La rage qui émane de lui est si tangible que je pourrais la prendre dans mes bras. Ses phéromones haineuses virevoltent dans la pièce et me claquent la peau.
Finalement, il rabat ses cheveux en arrière d'un geste rageur et expire fortement. Sans rien dire, il s'avance vers moi, se rallonge à mes côtés et me prend dans ses bras.
D'abord gêné par cette étreinte que j'estime trop tendre, je tente de le repousser, mais ses bras se resserrent davantage autour de moi. Alors que je m'apprête à le frapper, lui et son attitude pleine d'apitoiement, je comprends soudainement que ce n'est pas pour moi qu'il me tient si fort contre son torse, c'est pour lui. Doucement, ma colère s'évanouit quand je saisis l'ampleur de la sienne. Loin de la pitié compatissante que je lui prêtais, c'est une véritable colère envers lui et envers le monde qu'il ressent.
Ses bras me serrent si fort contre lui que je peine à respirer, mais il ne me vient même plus à l'esprit de me dégager. Il s'en veut d'avoir été maladroit, il s'en veut de m'avoir mis au pied du mur, mais surtout, il s'en veut de ne pas avoir été là pour moi, comme si sa putain de personne aurait pu faire quoi que ce soit pour me sauver.
J'ai envie de l'insulter, mais je ne fais que me blottir un peu plus dans ses bras. Ses lèvres caressent mon front puis viennent effleurer leurs homologues. Lorsqu'il prend la parole, son souffle sur ma bouche me soutire un délicieux frisson.
— Plus personne ne te fera du mal, Lev. Plus jamais.
NDA : Ok c'est bon, on y est, le dernier pan du passé de Lev est dévoilé ! Qui avait deviné qu'il s'était passé ça ?
Je n'ai pas envie de parler trop vite mais j'espère finir l'histoire d'ici 5 ou 6 chapitres + un épilogue. Je risque de publier un peu moins souvent le temps de mettre les derniers détails en ordre mais ça devrait vite arriver maintenant !
J'espère que ce chapitre vous aura plu, n'hésitez pas à voter et commenter, ça fait plaisiiir.
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