18. Acrobatie


GIAN


Mes yeux s'écarquillent en entendant les paroles de Giovanni et je sens mon estomac rugir de colère. Sans attendre, je saute hors du lit, attrape mon pantalon qui traîne par terre et l'enfile à la va-vite. Je jette un regard derrière mon épaule pour m'assurer que Lev m'imite et mes yeux s'attardent quelques secondes sur son dos musclé et la chute de ses reins. Je jure entre mes dents contre ces connards de flics qui m'empêchent de profiter de cet instant et me retiens de faire glisser mes doigts le long de la colonne vertébrale de mon associé. Bordel, j'aurais tué pour embrasser encore longtemps ce corps brûlant qui a enflammé mes sens comme jamais. Ces enculés vont vraiment me le payer.

Lev se tourne vers moi et son air sérieux me ramène à la réalité. La police est chez moi. Le gouvernement vient de nous tourner le dos.

Mes dents grincent entre elles tandis que j'essaie de retourner la situation dans tous les sens. Depuis une dizaine d'années, l'État ferme les yeux sur les agissements mafieux et les ministres se laissent acheter par des pots de vin conséquents. Il y a quelques mois, le nouveau président du conseil a annoncé vouloir éradiquer la criminalité du pays, mais j'ai naïvement cru que ses beaux discours ne seraient qu'une façade, comme l'étaient ceux de ses prédécesseurs. A croire que cet idiot est réellement déterminer à nous mettre des bâtons dans les roues !

Giovanni me fixe avec un air d'absolue terreur qui me donne envie de le défenestrer. Cet imbécile ne sait pas contrôler ses nerfs ou quoi ?

— Les flics ont déjà arrêté le fils Donati ! halète-t-il stupidement.

— Romeo ?

— Non, son frère. Ils sont partout, il y en a des centaines dans les rues, chaque villa mafieuse a été perquisitionnée, ils arrêtent tout le monde !

— Appelle Dario et réunis les gars, ordonné-je avec force. Il va falloir sortir d'ici coûte que coûte. Et par pitié, reprends-toi avant que je te colle une balle entre les yeux.

Giovanni hoche vigoureusement la tête, l'air perdu, puis son regard se pose sur Lev, comme s'il remarquait seulement maintenant sa présence. Je vois la surprise traverser son visage avant que ses sourcils ne se froncent.

— Qu'est-ce qu'il fout là lui ?

Je laisse un petit rictus déformer mes lèvres et rabats mes cheveux en arrière d'un geste suffisant.

— Tu as besoin d'un dessin peut-être ?

Les yeux de Giovanni passent de mon air moqueur au torse nu de Lev, reviennent sur mes cheveux ébouriffés, s'attardent sur les marques qui parsèment la peau de mon associé et il devient brusquement si rouge que je me demande s'il ne va pas exploser. Il bafouille quelques mots incompréhensibles, s'incline légèrement et sort en courant de la pièce. Je me retiens d'exploser de rire et mon regard croise celui, blasé, de Lev.

— Demain, toute l'Italie est au courant, annoncé-je gaiement.

Mon associé grimace et enfile son t-shirt.

— Niquel, c'est exactement ce dont j'avais envie.

J'enjambe le reste de nos vêtements qui traîne au sol et m'approche de lui. Sans un mot, je le saisis par la mâchoire et dépose mes lèvres contre les siennes. S'il est surpris de mon geste, il n'en montre rien et répond doucement à mon baiser. Mon nez glisse quelques secondes dans son cou et j'inspire une dernière fois son odeur si enivrante.

— La prochaine fois, je compte bien profiter un peu plus de ton corps.

— La prochaine fois ?

Lev hausse un sourcil moqueur et je lui mords la lèvre inférieure comme réponse.

— Ne fais pas semblant.

Le Russe a à peine le temps d'esquisser un rictus amusé que la porte s'ouvre à nouveau en fracas et l'immense carcasse de Dario se découpe dans l'encadrure. Lorsque son regard se pose sur Lev, son visage se durcit immédiatement, mais il a le bon sens de ne faire aucun commentaire. A mes côtés, je sens mon associé se crisper imperceptiblement.

— Suivez-moi boss, on va essayer de sortir par les cuisines.

Nous nous précipitons dans le couloir tandis que Dario continue à nous faire le récapitulatif de la situation.

— Ils sont au moins une vingtaine ; la moitié encercle la maison et l'autre est encore au rez-de-chaussée. La plupart des gars sont occupés à les ralentir, mais ils menacent déjà de tirer. On s'est fait trahir boss, Conti a retourné sa veste.

Federico Conti est le ministre de l'intérieur, mais aussi l'homme le plus facile à corrompre au sein du gouvernement italien. Pendant longtemps, la mafia a réussi à le garder dans sa poche, mais l'arrivée du nouveau président du conseil a dû le paniquer et il a préféré nous trahir pour sauver sa peau. Conti, mon petit Conti... Tu n'imagines pas à quel point ton nom rendra bien sur une pierre tombale.

Lorsque nous parvenons près de l'escalier, nous nous mettons à longer les murs au cas où des balles perdues puissent nous atteindre. En bas, des cris couverts par le vacarme assourdissant du mobilier qu'on détruit et des portes qu'on enfonce parviennent à nos oreilles. J'ai une grimace furtive en songeant à cette belle villa qui se transforme en champ de bataille ; je n'en aurai pas assez profité.

Nous débouchons dans un petit bureau dont la porte du fond donne sur un escalier de service. Avant de l'emprunter, Dario glisse un flingue glacé entre mes doigts et me fixe de son regard déterminé.

— Restez bien derrière moi boss, je vais vous faire sortir d'ici.

Je hoche la tête et retiens un sourire moqueur en voyant mon garde du corps éviter volontairement tout contact visuel avec Lev. Je me tourne vers ce dernier et lui lance un regard amusé.

— Pas trop jaloux de ne pas avoir de joujou à toi ?

Le concerné darde ses yeux flegmatiques sur moi et tire de sa poche son canif argenté.

— Je ne suis jamais démuni, rétorque-t-il calmement.

Je souris en entendant sa voix rauque et me retiens de l'embrasser. Bordel, ce mec me rend fou.

Cependant, je n'ai pas le temps de m'appesantir sur ces pensées que des bruits de pas résonnent dans l'escalier de service. Immédiatement, Dario pointe son flingue vers les intrus et j'entends un flic donner l'alerte. Ce sera la dernière chose qu'il fera de sa vie ; à peine a-t-il eu le temps de finir sa phrase qu'une balle se loge tout près de son cœur. Les autres policiers se mettent à tirer et je me baisse de justesse en sentant une balle siffler près mon oreille.

Je charge mon flingue et nous remontons les escaliers en courant pour nous réfugier dans le bureau. Je vois Lev se glisser discrètement dans le couloir pour vérifier que la voie est libre et il m'adresse un signe discret pour que je le suive. Ignorant la mise en garde de Dario, j'obtempère aveuglément et nous courons jusqu'à la salle de bain située à côté du bureau. Mon garde du corps nous rejoint et nous avons à peine le temps de refermer la porte que des cris résonnent derrière. Putain, ces connards ont atteint l'étage.

Le visage impassible et le regard concentré, Lev tire les deux meubles de la salle de bain contre la porte pour la barricader. Dario semble hors de lui.

— Putain, bravo, c'est ça ton plan ? vocifère-t-il. Nous enfermer dans une putain de pièce sans issue ? Putain de fils de pute de communiste, qu'est-ce que tu comptes faire après ça ?

Lev se contente de lui adresser un regard ennuyé avant de s'approcher de la fenêtre. Je m'appuie contre un mur avec nonchalance et l'observe, un petit sourire flottant sur mes lèvres. Lev m'impressionne. Son sang-froid semble ne connaître aucune limite et chacun de ses gestes est précis, réfléchi, efficace. La façon dont ses yeux analysent tout en une seconde et dont son corps se meut habilement malgré le danger m'excite un peu. En dépit des menaces et des coups des flics contre la porte, je prends le temps d'admirer ses bras musclés ressortir sous son t-shirt noir, la peau pâle de son visage et la folie de ses cheveux blonds encore emmêlés de nos ébats. Ma langue passe rapidement sur mes lèvres et je ricane doucement ; je meurs d'envie de le dévorer.

Lev croise brièvement mon regard et je vois la lueur du désir s'allumer dans le sien. Il détourne vite les yeux, mais cela a suffi pour que mon bas-ventre se torde d'envie. Bordel, dès qu'on sort d'ici, je le plaque contre le premier mur que je trouve.

— On va sauter.

Sa voix grave m'extirpe de mes pensées perverses et je le fixe sans rien dire. Ses yeux glauques n'expriment rien que de la détermination et il se gratte la nuque avec le manche de son couteau.

— Tu te fous de ma gueule ?

Le visage de Dario est déformé par la colère et je me demande un instant s'il ne va pas mettre Lev en joue.

— On est au deuxième étage et tu veux qu'on saute par une putain de fenêtre ? éructe-t-il en le fusillant du regard. Si tu veux crever le Russe, dis-le moi de suite, je me ferai un plaisir d'abréger tes souffrances !

L'interpellé regarde dehors avec ennui et range son canif dans sa poche.

— On ne va pas sauter par terre, explique-t-il sans broncher. On va sauter dans l'arbre en face, puis sur le mur qui borde le jardin. Et ensuite, ce sera à celui qui court le plus vite.

J'ai l'impression que Dario va l'étriper sur place. Ses yeux sont exorbités sous la colère et une veine palpite follement sur sa tempe.

— Tu t'es cru dans un putain de film ? J'suis pas un putain de chat qui peut sauter tranquillement dans un arbre sans manquer de se casser la gueule par terre.

Lev lui jette un regard ironique et s'appuie contre le mur près de la fenêtre.

— Et bien reste ici. J'espère que ton vieux dos supportera le sol d'une cellule.

Je n'écoute pas les insanités que lui répond mon garde du corps et m'approche à mon tour de la fenêtre. Dario a raison : le plan de Lev est risqué, sûrement utopique. Le pommier se situe à deux mètres de la fenêtre et si l'atteindre en sautant est faisable, je n'ai aucune idée de comment me réceptionner sur des branches étroites et glissantes. En imaginant que j'y parvienne, il faudrait que je sois ensuite assez rapide pour rétablir mon équilibre, trouver un point d'appui et m'élancer à nouveau pour atteindre le mur situé un peu en-deçà de l'arbre sans que les flics ne me tirent dessus.

Hum... J'imagine que tout ceci est un jeu d'enfant pour Lev et son agilité féline. Mais moi, je n'ai pas la débrouillardise et l'assurance des gosses de rues qui ont l'habitude d'emprunter ce genre de parcours loufoque.

Tant pis, ce n'est pas comme si nous avions un autre plan de toute façon, et la perspective du danger fait palpiter mon cœur d'excitation.

Lev croise mon regard et je vois l'ombre d'un sourire étirer ses lèvres lorsqu'il comprend que je le suivrai.

Je m'étire ostensiblement et fait craquer ma nuque avant de poser mon regard sur Dario.

— On va voir si les entraînements de mon père ont servi à quelque chose.

Mon garde du corps se décompose et sa main se resserre sur son flingue.

— Vous n'êtes pas sérieux, boss ? Vous n'allez pas faire confiance à ce putain d'oméga communiste ?

— Fais attention à ce que tu dis, siffle Lev entre ses dents serrées. Ce n'est pas parce que je tolère ta putain de gueule dans la même pièce que moi que je ne peux pas t'éventrer à tout moment.

Furieux, Dario pointe le canon de son arme sur la tempe de mon associé, mais je m'interpose entre eux avant qu'il n'ait le temps de répliquer.

— Baisse ton flingue, Dario, sommé-je en durcissant le ton. Tu fais ce que tu veux : reste ici si tu préfères, mais moi je refuse de me laisser prendre par ces connards. Alors soit tu portes tes couilles et tu nous suis, soit tu restes ici à pleurnicher, mais par pitié, fais-le en silence.

Le concerné grince des dents mais baisse respectueusement la tête. Aussitôt, Lev ouvre la fenêtre et grimpe agilement sur le rebord. Il s'y accroupit, jette un coup d'œil dans le vide pour vérifier qu'aucun flic ne l'a vu, et saute d'un coup jusqu'aux premières branches du pommier. Il se réceptionne parfaitement et seul son pied gauche glisse momentanément dans le vide avant de retrouver un appui stable. Il n'a fait aucun bruit, n'a cassé aucune branche, n'a poussé aucun cri. Tandis que je l'observe se tapir au milieu du feuillage, je me fais la réflexion que ce mec est un putain de félin insaisissable. J'ai hâte de lui montrer toute ma grâce et mon agilité innées.

Je m'accroupis à mon tour sur le rebord de la fenêtre et mon estomac se tord en voyant le vide sous mes pieds. Bordel, si je me loupe, je vais me faire un joli bleu !

Soudain, tout un groupe de flics passe sous le pommier et je m'empresse de me cacher dans la salle de bain tandis que Lev se plaque un peu plus contre les branches. Derrière la porte, les coups redoublent d'intensité et les meubles commencent à bouger dangereusement.

Mon cœur tambourine dans mes oreilles et je réalise, pour la première fois depuis longtemps, à quel point je suis dans une position précaire.

Au bout de cinq minutes, l'attroupement de flics en bas disparaît – sûrement pour prêter main forte à leurs collègues qui s'acharnent contre la porte – et je remonte sur le rebord. Mon corps trop grand passe difficilement par l'encadrure et je suis obligé de rentrer la tête dans les épaules pour ne pas me cogner. Dans cette position, impossible de prendre un quelconque élan pour sauter. Seule la force de mes jambes pourra me porter. Putain, si je sors vivant d'ici, je reprendrai les entraînements !

J'expire fortement et pousse d'un coup sur mes pieds pour m'élancer dans le vide. Je sens les branches me fouetter le visage lorsque j'atteins l'arbre et mes chaussures dérapent sur les feuilles humides. Je chute violemment sur les fesses, cherche désespérément à m'agripper à une branche et sens l'une d'entre elles pénétrer violemment ma cuisse droite.

Soudain, une main puissante me tire vers le haut et je parviens à me stabiliser tant bien que mal, ignorant la douleur qui irradie de ma jambe. Les yeux glauques de Lev me sondent quelques secondes et il tire mon bras vers lui.

— Faut pas qu'on s'attarde, me presse-t-il sans me lâcher. Suis-moi, les flics nous ont repérés.

En effet, je ne réalise que maintenant le manque de discrétion dont j'ai fait preuve en sautant. Plusieurs branches se sont brisées sous mon poids et ont chuté au sol, attirant l'attention d'un policier qui passait par là. Je jure entre mes dents et vois Lev sauter agilement sur le mur qui borde mon jardin, puis disparaître de l'autre côté.

Le cerveau embrumé par l'adrénaline et la douleur, je l'imite, glisse plus que je n'atterris sur le rebord, tombe de l'autre côté et me tords violemment la cheville à la réception. Putain, je suis aussi félin qu'un éléphant de mer.

Lev me chope par le bras et nous nous mettons à courir à perdre haleine le long des rues étroites du centre-ville. Quelques cris retentissent derrière nous, mais nous sommes trop rapides, trop déterminés. Nous bousculons quelques étals de marchands, évitons de justesse des gamins jouant sur le trottoir, manquons de nous faire renverser par des voitures, mais rien ne nous arrête.

En dépit du froid et de la douleur, je me sens incroyablement libre et j'ai envie de rire à gorge déployée tant la situation est improbable. Putain, j'ai baisé avec mon associé, un homme oméga, le gouvernement italien vient de me trahir, la villa de Petrucci que j'ai prise par la force est occupée par la police et je me retrouve à courir les rues avec un communiste des bas-fonds. Qu'est-ce que ma vie est devenue ?

Au bout d'une vingtaine de minutes, nous cessons notre course et Lev nous attire dans une ruelle déserte encombrée par des morceaux de ferraille abandonnés. Éreintés, nous nous écroulons au sol, le dos collé aux pavés glacés et le souffle erratique, tentant de calmer les battements désordonnés de nos cœurs. La sueur glisse le long de mes tempes et ma cheville me lance terriblement. Pourtant, je suis heureux.

Mon visage roule vers la droite et mon regard plonge dans celui de Lev. Ses cheveux blonds sont plaqués sur son front par la sueur et un petit sourire sauvage étire ses lèvres. Au fond de ses yeux, une lueur amusée danse follement et je devine que la même brille dans mes prunelles. Alors, sans un mot, ma main glisse derrière sa nuque et je l'attire vers moi pour sceller nos lèvres en un baiser fougueux, un baiser passionnel et dévorant qui nous permet d'extérioriser toute l'adrénaline qui a inondé nos veines ces dernières minutes.

A bout de souffle, nous nous séparons et je colle mon front contre le sien, gardant mes lèvres contre leurs homologues.

— Tu causeras ma perte.



NDA : Bon, pour ceux qui avaient lu mon " Avant-propos " où je disais que l'histoire ferait max 20 chapitres...je ne sais pas qui j'ai voulu berner avec ce discours mais ce sera faux hein, évidemment, je suis incapable d'écrire quelque chose de court. J'espère ne pas trop dépasser les 30 chapitres, j'ai vraiment envie de faire quelque chose de concis.

J'espère que vous êtes motivés à me suivre tout au long de cette histoire et que ce chapitre vous aura plu. Comme d'hab', vos votes et commentaires sont les bienvenus :)

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