Partie 9 : J'ai dit "comme une envie d'évasion" !

Retour à la case départ. 

Mais si la vie avait appris une chose à Kea, c'était que rien ne valait un bon effet de surprise. Et il ne pourrait pas y avoir de meilleur moment pour cela. Comme le disait si bien Sytry, il fallait battre le fer avant d'être manchot.

Elle se rendit cette fois-ci dans la penderie de Yuan d'où elle sortit tous les vêtements qui s'y trouvaient, ce qui se résumait à des pantalons, des pantalons et encore des pantalons. A croire que le seigneur se trimbalait toujours les tétons à l'air.

Certes, sans soleil pour les faire cuir, les démons ne risquaient pas autant l'exposition de leur peau que les humains, mais c'était tout de même une caractéristique qui était propre à Yuan. La plupart des démons que Kea connaissait savaient ce qu'était une chemise. Exceptés les démons bestiaux bien-sûr, qui étaient plutôt du genre à s'afficher à poils, dans tous les sens du terme.

La penderie de Yuan était tout à fait à son image.

— Regardez mes abdos comme ils sont beaux, des vraies tablettes de choco... vous salivez hein... gnagnagna. Quelle flaque de pus ! fulmina Kea.

La jeune femme parvint tout de même à se constituer une nouvelle corde avec les pantalons de Sa Seigneurie. Et en deux temps, trois mouvements, elle avait attaché le tout à la balustrade et l'avait jeté par la fenêtre derechef.


Ce qui parut des heures plus tard à Kea, un garde pénétra enfin dans la chambre, un plateau à la main, il fallait croire que le seigneur s'était souvenu que les humains avaient des besoins vitaux finalement.

Le repas se retrouva par terre aussitôt, tant pis pour son estomac.

— Non, non non non ! Ce n'est pas possible. Dites-moi qu'elle n'a pas fait ça ! couina le garde.

Il courut jusqu'au balcon, horrifié à l'idée d'avoir pu décevoir son seigneur et maître une fois de plus.

— Par le bouc de Satan ! Elle a filé. Cette humaine est une vraie plaie !

Il détala aussi sec et donna l'alerte dans la foulée.

— Elle s'est échappée, la prisonn... heu, la servante s'est échappée ! Elle est dans les jardins !

Le garde avait beau s'être rattrapé de justesse, c'était complètement stupide de sa part, les gens se questionneraient bien plus sur ce qui avait pu pousser une simple servante à s'échapper, que de savoir à quelle prisonnière il faisait référence. 

Les démons n'étaient pas si différents des humains sur ce point. Encore un qui, toujours selon notre ami Sytry, n'avait pas inventé la poudre à couper l'eau chaude.

Une fois assurée que la voie était libre et que l'agitation s'était calmée dans le couloir, Kea sortit de sous le lit. Un seul coup d'œil au dehors lui avait fait comprendre qu'elle ne pourrait jamais traverser les jardins sans attirer l'attention de toute façon. Et il n'y avait rien de mieux qu'une diversion pour mettre son plan à exécution.

Les gardes étaient tous affairés à l'extérieur à chercher un fantôme, ce qui laissait une belle ouverture à Kea. Elle avait dans l'espoir d'atteindre la sortie qui menait à l'arrière cour dans laquelle se trouvait l'écurie qu'elle visait. Il faudrait qu'elle pense à remercier Yuan pour cette fabuleuse idée.

Elle se lança donc de nouveau dans les méandres du palais, volant presque au dessus des dalles et s'arrêtant à chaque intersection pour être sûre de ne croiser personne.

Après avoir descendu les escaliers sans se faire repérer et alors qu'elle était à environ vingt mètres de la porte de sortie, Kea fonça sur la dernière ligne droite et heurta de plein fouet un mur...

Un mur de chair épaisse et sombre. Un mur qui était visiblement pieds nus et également torse nu, comme à son habitude.

Kea releva la tête peu à peu, jusqu'à découvrir un visage qui paraissait toujours aussi prétentieux, mais sur lequel elle crut lire cette fois-ci une pointe d'amusement. Ce qui la mit d'autant plus en rogne.

— Vous êtes un vrai pot de colle ma parole, lui reprocha-t-elle. Toujours là où on ne vous attend pas.

Évitant soigneusement la main que Yuan lui tendait, Kea se redressa de toute sa hauteur et releva fièrement le menton avant de tourner les talons en direction de la chambre. Il était hors de question qu'elle le laisse se servir d'elle comme d'un sac à patates une seconde fois.

— Votre repas était à chier, ajouta-t-elle le dos tourné. Ah, et au fait, vous n'avez plus de pantalons, il semblerait qu'ils aient eu un léger accident dernièrement.

Yuan regardait Kea partir, consterné par tant d'effronterie. Personne n'osait jamais lui tenir tête comme elle le faisait. Cela aurait dû l'irriter au plus haut point mais ne faisait pourtant qu'attiser davantage son intérêt pour elle. Il était définitivement intrigué. Cette humaine était tout à fait unique en son genre.

Une fois de nouveau seule dans la chambre, Kea commença réellement à désespérer. Sa porte de sortie semblait s'éloigner un peu plus d'heure en heure et elle commençait à croire qu'il n'y avait pas d'échappatoire.

Pourquoi est-ce qu'il ne la laissait pas partir tout simplement ? Cela réglerait leur problème à tous les deux.

— Raaaaaaah ! s'énerva-t-elle.

Elle était en colère. Très en colère. Il fallait qu'elle casse quelque chose, sa rage devait sortir ou elle finirait par imploser. Ce qui aurait certainement pour effet de pulvériser quelques-uns de ses neurones au passage, et elle y tenait à ses neurones.

Elle prit donc une décision, si elle ne pouvait pas faire entendre raison à Yuan, elle ferait de sa vie un véritable enfer. Il allait amèrement regretter de ne pas l'avoir écoutée plus tôt.

Et cela commencerait dès maintenant. 

Il tenait à ce point à ce qu'elle joue le rôle d'une servante ? A ce qu'elle fasse le ménage ? Aucun problème. Elle était la reine en la matière.

Cette petite babiole en forme d'escargot, si joliment mise en valeur sur la commode, par exemple... ne serait-elle pas mieux par terre ? Et ce miroir qui trônait majestueusement à côté de la salle de bain? Oups, cassé... sept ans de malheur sur Terre, cela équivalait bien à quatorze ans sur Aderoth au bas mot...

Kea s'appliqua à ne laisser aucun détail au hasard, tout allait être complètement transformé, subjugué. Ce serait sa plus belle œuvre. Le Seigneur Yuan serait ravi de ses services. Elle serait étonnée qu'il n'en redemande pas après cela.

Tous les manuscrits en tas qui reposaient si paisiblement sur son bureau, devenaient chacun leur tour des avions de papier qu'elle faisait voler à travers la pièce. Elle s'amusait comme une folle.

Le fauteuil en chêne massif devant la cheminée fut bien vite remplacé par un magnifique amas de pieux en bois de toutes les tailles. Et elle ne s'était presque pas fait mal aux pieds et aux mains en s'acharnant dessus. Elle avait toujours été très douée en activité manuelle.

Le tapis par terre avait sérieusement besoin de couleurs, cela tombait bien, il restait justement un peu de nourriture tombée du plateau de tout à l'heure. Les myrtilles, ou du moins ce qui y ressemblait fort, faisaient manifestement un excellent colorant.

Après avoir jeté les tableaux par la fenêtre, renversé tous les meubles et saccagé le reste de la chambre aussi bien qu'elle le pouvait, Kea sembla satisfaite. 

Elle s'écroula sur le lit, repue.

Elle contemplait son œuvre du regard lorsque la porte s'ouvrit avec fracas. Elle se redressa brusquement, sur la défensive. Yuan entra, un vent de colère presque palpable l'accompagnant.

— Mais qu'est-ce que c'est que ce borde...

Il s'immobilisa net, réalisant tout à coup le désordre qui régnait dans sa chambre. Alors que ses yeux parcouraient la pièce et réalisaient au fur et à mesure l'ampleur du chaos, Kea pouvait lire une multitude d'expressions traverser son visage. Une première pour ce Seigneur démon qui ne laissait jamais rien transparaître habituellement.

Elle y vit tour à tour de l'incompréhension, de la stupeur, de la confusion, de la... réflexion ? Et enfin ce qui lui semblait être de la tristesse lorsque ses yeux se posèrent sur le petit coquillage en mille morceaux qui gisait à ses pieds.

Kea ne s'y attendait pas, elle savait que le désordre le mettrait en colère, lui qui semblait avoir un besoin de contrôle maladif, mais de la peine ? Elle n'aurait jamais cru cela possible venant de cet individu intangible.

Une vague d'énergie négative vint la heurter de plein fouet. Elle ressentait sa fureur jusqu'au plus profond de son être et se demanda si ce nouvel affront n'avait pas signé son arrêt de mort. Puis le souffle d'énergie repartit aussi vite qu'il était venu.

Kea retint sa respiration, n'osant plus bouger, de peur de déclencher les foudres de Yuan.

Mais il lui jeta à peine un coup d'œil avant de quitter la chambre sans ajouter un mot. 

C'était probablement la plus parlante des conversations qu'ils avaient eu jusqu'à maintenant.



***

GLOSSAIRE :


Aderoth : Monde démoniaque par lequel on accède à l'aide d'un portail depuis la Terre.

Azur : petits cailloux translucides qui représentent la monnaie d'Aderoth, ils permettent de canaliser la magie alentour pour lancer des sorts.

Bathym : métal rare et précieux d'Aderoth, il a la couleur de l'or rose.

Chimère : créature démoniaque possédant un corps de lion, une queue de serpent et les ailes d'un aigle. Ses pattes arrière sont semblables à celle d'une chèvre. Les démons l'utilisent comme créature volante.

Courbette : salutation démoniaque.

Edrahel : Royaume de Yuan.

***

Vous avez pu être témoin encore une fois de la relation explosive de Yuan et Kea.

J'espère que cette partie vous a plu. 

PS : comme on est encore au début de l'histoire, je posterai à nouveau une seconde partie ce soir. En attendant n'hésitez pas à commenter et cliquer sur la petite étoile si vous aimez :)

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