(Media : Live like legends - Ruelle)

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Les dunes bleutées du désert défilaient sous les pieds de Kea à une vitesse vertigineuse, mais ce n'était pas encore suffisamment rapide à ses yeux. 

Elle avait récupéré une chimère dans les écuries environ quinze minutes auparavant. Au moment où la sensation qu'elle espérait tant l'avait enfin gagnée. 

Une sensation de douleur réconfortante et bienvenue. Elle l'avait atteinte violemment, remplissant ses yeux de larmes sur le coup. Mais c'était un supplice qu'elle espérait depuis longtemps. Elle n'attendait plus que ce signal pour quitter le royaume d'Edrahel et aller mener son propre combat.

Elle savait que sa fin était proche et elle refusait que Yuan soit le témoin de son déclin. 

Elle n'avait désormais plus qu'un souhait, revoir son monde une dernière fois. Celui qu'elle avait quitté trois siècles plus tôt et qu'elle avait peur d'avoir oublié. Ce monde qui l'avait vu naître et dans lequel elle avait poussé son premier cri, échangé son premier baiser, connu son premier homme. Ce monde dans lequel elle avait eu une famille, ce monde qu'elle avait tant chéri.

Quitte à mourir, elle voulait avoir une chance de le faire sur Terre, de respirer son air une fois de plus, de voir le soleil y briller une dernière fois. 

Et pour rendre ce dernier vœu possible, elle se dirigeait vers un portail.

Le plus près se trouvait à seulement quelques kilomètres d'Edrahel, elle le voyait déjà de là où elle était. Plus que quelques mètres à parcourir et elle pourrait enfin le traverser.

La douleur qu'elle ressentait lui martelait le corps, c'était insoutenable, mais elle devait continuer.

Soudain, n'y tenant plus, elle chancela, à deux doigts de perdre connaissance. Elle tomba de sa chimère, roulant dans le sable bleu. Mais c'était impossible, elle ne pouvait pas échouer, pas alors qu'elle était si près du but.

Le lien qui l'unissait à Manakel mettrait quelque temps avant de l'épuiser du reste de ses forces et elle ne voulait pas risquer que Yuan la trouve. La dernière chose qu'elle souhaitait était de mourir dans ses bras.

Elle avait tellement mal, c'était un déchirement. Toutefois, elle acceptait cette douleur avec contentement, car elle signifiait la fin de son bourreau et un nouveau départ pour Aderoth. Yuan avait réussi, son royaume était sauvé. Son monde était libéré de ce fou.

Kea se remit sur ses pieds, puisant dans ses dernières ressources pour se relever.

Le portail se trouvait là, à seulement quelques pas d'elle. Si proche. Elle le rejoignit de son mieux. Retrouvant soudain suffisamment d'entrain pour franchir la distance qu'il lui restait à parcourir.

Puis elle fut face à lui. Il se dressait là, devant elle, dans toute sa splendeur... ce tourbillon perpétuel.

La jeune femme hésita un instant, repensant à Yuan et au bonheur qu'il lui avait apporté. Cela n'avait duré que quelques jours et pourtant cette courte période avait compté plus que tout. 

Elle s'en voulait de devoir lui faire subir tant de peine, elle s'en voulait terriblement, mais leur histoire était encore fraîche, il pourrait s'en remettre. Il devait s'en remettre.

Aderoth était désormais débarrassé de Manakel, des jours meilleurs ne pourraient que suivre. Le bonheur reviendrait s'installer dans ce monde démoniaque, et Yuan finirait par le ressentir lui aussi, il ferait son deuil, son cœur se réparerait. C'était un mal nécessaire.

Kea leva une main vers le portail, prête à traverser. C'est alors qu'elle sentit sa présence derrière elle. Son seigneur argent se trouvait là, tenant une distance respectable, n'osant pas l'approcher davantage.

La peur qu'elle ne fasse un faux mouvement et ne soit transportée par le tourbillon qui lui faisait face tenaillait le ventre du démon. Un seul geste, un seul petit mouvement de la main, et elle disparaissait dans ce géant d'énergie.

— Ne fais pas ça, la stoppa-t-il.

— Yuan... commença-t-elle le souffle court...

— Kea, mon amour, ma bien-aimée, je t'en supplie, ne fais pas ça, lui dit-il un déchirement dans la voix.

La douleur martelait le cœur de Kea, elle ne supportait pas de l'entendre souffrir ainsi, de l'entendre la supplier.

— Yuan, mes heures sont maintenant comptées, poursuivit-elle avec difficulté. Le lien qui m'unit à Manakel ne devrait pas tarder à me vider totalement de ma lumière.

— On trouvera un moyen...

— Il n'y en a aucun, le coupa-t-elle. Tu le sais bien. Je vis en sursis depuis déjà trop longtemps.

Elle était épuisée, ses larmes ne demandaient qu'à sortir mais elle n'avait même plus la force de pleurer.

— Il doit y avoir une solution, tu ne peux pas partir comme cela. Pas maintenant, l'implora Yuan.

Kea retint ses larmes du mieux qu'elle put, elle devait rester forte, elle se devait de tout faire pour que Yuan accepte sa mort prochaine, c'était inévitable. 

Elle avait peur de se retourner, de croiser son regard et de s'effondrer. Elle ne pouvait pas mourir dans ses bras, elle ne pouvait pas s'éteindre sous ses yeux. La dernière vision qu'il garderait d'elle ne devait pas être celle d'un cadavre.

— Tu dois accepter mon départ Yuan, murmura-t-elle

— Je ne peux pas... Kea... ne traverse pas, tenta-t-il encore une fois.

La jeune femme mit alors dans son regard toute la conviction dont elle était capable et se tourna vers Yuan. Elle plongea ses yeux dans les siens, des yeux qui en disaient long sur l'amour qu'elle lui portait. Un amour qu'elle ne pensait pas retrouver un jour.

— Tu m'as apporté le cadeau le plus précieux au monde, tu m'as redonné vie Yuan. Grace à toi, mes derniers moments ont été heureux. Mais comme toute chose, je suis éphémère. Là est toute la beauté de la vie, c'est toi-même qui me l'as dit. Laisse-moi retrouver mon monde. Laisse-moi voir la Terre une dernière fois, respirer son air et mourir là où je suis née. C'est mon seul désir.

— C'est trop dur, je ne peux pas... Kea, tu me demandes l'impossible, hoqueta-t-il.

— Tu dois penser à ton royaume Yuan, en tant que dirigeant tu as des responsabilités à tenir. Pour moi, il est trop tard, il n'y a plus d'espoir, mais pour eux c'est une nouvelle vie qui commence. Une vie dans laquelle ils auront besoin de toi, et de ta force pour les guider.

— Ils pourront attendre... je t'accompagne, décida-t-il dans une ultime tentative de la garder auprès de lui.

— Non ! hurla Kea. Yuan, je t'en prie, la dernière image que tu auras de moi ne doit pas être celle de la mort. Pitié, je t'en conjure.

Yuan s'écroula sur le sable, la douleur qu'il ressentait ne permettant pas à son corps de le porter plus longuement. Il était à bout de force, il ne pouvait pas la perdre.

Kea voyait tant de souffrance en lui... c'était un supplice qui la déchirait de l'intérieur, elle n'était plus capable d'en supporter davantage. Elle devait partir avant de perdre le peu de volonté qu'il lui restait. 

Elle se retourna laborieusement, fuyant le regard meurtri de Yuan et étouffant un sanglot au passage. Puis elle tendit sa main vers le portail, si elle ne traversait pas maintenant elle n'aurait jamais plus la force de le faire.

— Aussi longtemps que je vivrai, je ferai tout pour que tu me reviennes. Même si je dois combattre la magie elle-même pour te récupérer. Nous nous retrouverons... Valala drakht, murmura son démon argent alors qu'elle s'apprêtait à avancer.

Kea relâcha tout le souffle qu'elle avait retenu sans même s'en apercevoir. Un fin sourire se dessinant sur ses lèvres à la mention de cette promesse, à la mention de ce nom... Valala drakht... On pourrait le traduire par âme-sœur mais cela ne serait pas encore assez fort pour exprimer toute la puissance que renfermait ce simple mot. 

Les Valala drakht transcendaient l'univers, où qu'ils se trouvent, sous quelque forme que ce soit, ils étaient liés, et finissaient toujours par se rejoindre inévitablement. 

Oui... ils se retrouveraient, de cela elle était certaine.

Elle jeta un dernier regard à l'homme sans qui elle n'était rien, gravant son visage dans sa mémoire, et elle traversa.

— Je t'aime, Yuan, lui avoua-t-elle dans un murmure alors que le tourbillon s'emparait de son corps et l'arrachait à jamais de sa vue.

***

Le passage était douloureux, à la limite du supportable, elle qui avait déjà si mal. Mais elle tint bon, elle résistait aux forces qui la malmenaient espérant avoir une chance de survivre à la traversée.

Elle risquait de se faire avaler, de disparaître dans ce géant d'énergie pure, elle le savait. Elle savait aussi qu'elle ne tiendrait pas longtemps une fois de l'autre côté, si par chance elle réussissait à passer... Le portail l'aurait vidée entièrement du reste de son énergie déjà bien épuisée, mais elle tenait bon. Elle menait sa dernière bataille, et elle comptait bien l'emporter.

Après des secondes qui lui parurent interminables, un paysage prit peu à peu forme sous ses yeux. Elle commença à distinguer les contours de plusieurs arbres gigantesques, puis elle crut apercevoir le bleu cyan du ciel de son monde, mais ce qu'elle remarqua surtout, ce fut une source de lumière impressionnante qui l'émut au plus profond de son être.

Tout se calma enfin. 

Son environnement avait fini de tourner autour d'elle.

Kea était à genoux dans l'herbe, la tête baissée, n'y tenant plus. Elle était à bout de force, les yeux fermés par le dynamisme de son arrivée. Elle respirait enfin l'air de la Terre et elle ne se souvenait pas à quel point cela avait pu lui être agréable. Elle se réjouit de pouvoir le ressentir une dernière fois.

Elle respirait profondément, essayant de remettre un peu d'ordre dans ses pensées, lorsqu'une chaleur apaisante gagna toute la surface de sa peau. Elle puisa alors dans le peu d'énergie qu'il lui restait pour trouver le courage de relever la tête et d'ouvrir ses yeux.

Le voilà, il était là, cet astre qui la faisait vivre jadis, celui qu'elle pensait ne jamais revoir. 

Alors que le soleil la réchauffait de ses rayons, elle se sentit enfin entière et elle sourit à ce géant de lumière.

Puis un flash l'aveugla. Et tout disparut.

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GLOSSAIRE :

Aderoth : Monde démoniaque par lequel on accède à l'aide d'un portail depuis la Terre.

Akkouq : espèce de démons inoffensifs très rare, d'une curiosité maladive.

Azur : petits cailloux translucides qui représentent la monnaie d'Aderoth, ils permettent de canaliser la magie alentour pour lancer des sorts.

Bathym : métal rare et précieux d'Aderoth, il a la couleur de l'or rose.

Baalzephon : talisman de protection.

Caucase : Démon bestial mangeur d'homme aux griffes acérées.

Charybde : Royaume de Manakel, il a construit sa forteresse autour d'un des trois portails d'Aderoth.

Chimère : créature démoniaque possédant un corps de lion, une queue de serpent et les ailes d'un aigle. Ses pattes arrière sont semblables à celle d'une chèvre. Les démons l'utilisent comme créature volante.

Courbette : salutation démoniaque.

Diamant Nebula : pierre précieuse extrêmement rare et très puissante.

Edrahel : Royaume de Yuan.

Legeon : Royaume de Balaam.

Valala drakht : signifie âme-sœur en langage démon. Les Valala drakht se retrouvent toujours, où qu'ils soient, sous quelque forme que ce soit, par delà la mort.

Yavanna : aliment d'Aderoth qui ressemble au chocolat et en a les mêmes bienfaits.

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Et voilà...

Alors, pour la petite info, au départ j'avais prévu de terminer le roman ici, tout est parti de ce passage devant le portail et j'ai construit mon histoire autour de lui... mais après coup, je me suis tellement attachée à mes personnages qu'il me paressait inconcevable de ne pas conclure sur une fin heureuse, donc soyez rassurés si vous n'aimez pas les fin tristes, la suite (qui arrive demain) devrait vous plaire.