Partie 41 : Et nous partirons en guerre


Les joues trempées, Kea regardait ses amis quitter le palais du haut de sa fenêtre. 

Elle n'avait pas pu retenir ses larmes plus longtemps après qu'ils eurent tous passé le pas de la porte, la laissant seule avec l'appréhension du combat à venir. Elle avait l'impression de ne faire que pleurer ces derniers jours, ce qui était parfaitement contradictoire avec la sensation de bonheur qu'elle avait pu éprouver dans le même temps.

Ne pas pouvoir assister à l'exécution de leur plan et avoir ainsi l'assurance que tout se passerait sans accroc l'inquiétait profondément, mais elle était également soulagée de savoir que Yuan se trouverait loin d'elle au moment où il tuerait Manakel. Car elle préférait encore vivre une éternité de torture plutôt que d'avoir à lire l'expression de son visage lorsqu'il transpercerait le cœur de son ennemi et comprendrait enfin toute l'ampleur de la situation... Lorsqu'il s'apercevrait que cette victoire marquerait aussi inévitablement la fin de leur histoire et les séparerait l'un de l'autre à jamais...

***

L'enfer se déchaînait sur le champ de bataille, le ciel se teintait tour à tour des différents flux de pouvoirs en action. Des cris inhumains résonnaient un peu partout autour de Yuan et ses amis.

Les troupes d'Odax avaient attaqué, suivies de celles de Caron quelques secondes plus tard.

Les mages des royaumes de Ziane et Lomiel s'activaient à former des boucliers de magie autour des combattants alliés. 

Pour le moment, et malgré leur difficulté à avancer, tout se déroulait comme prévu. Yuan se félicitait d'avoir su anticiper les mouvements de l'armée de Manakel. 

Car, même si les hommes du tyran étaient en sous effectif, sa puissance lui permettait de tenir bon sans que ce déséquilibre ne se fasse ressentir jusqu'à maintenant.

Au contraire, les alliés de Yuan avaient même du mal à gagner du terrain. Manakel envoyait à intervalles réguliers des vagues de magie pure qui coupaient le souffle aux troupes et les sonnaient durant quelques minutes capitales. 

Gonflé de son orgueil et de tout son mépris, ce monstre s'amusait surtout du spectacle auquel il assistait. Voir les autres démons s'entretuer le réjouissait. Mais Yuan s'était attendu à ce que leur progression soit difficile.

Seuls les boucliers que formaient les mages permettaient aux troupes de ne pas plier sous la violence de l'impact. Cependant, la fine protection qui les maintenait pour le moment en vie ne tarderait pas à disparaître sous les tentatives déchaînées de Manakel.

Ce fou ne s'embêtait pas à épargner ses propres hommes, il possédait tellement de puissance qu'il avait presque du mal à la contrôler lui-même. Si ses sujets ne parvenaient pas à éviter sa magie, alors tant pis, c'est qu'ils ne méritaient pas de vivre. Il se croyait invincible, et dans son raisonnement, tout le monde autour de lui était réduit à l'état d'insecte. Il ne craignait rien ni personne. 

Mais sa fierté l'empêchait de discerner clairement les choses, la situation commençait à lui échapper et il ne le voyait pas, aveuglé par l'arrogance de sa suprématie.

Yuan contournait la bataille avec ses amis, attendant de s'approcher suffisamment de sa cible pour s'envoler haut dans le ciel et retomber derrière Manakel, le prenant ainsi par surprise.

— La guerre faisait rage au dessus de nos têtes, mais nous étions tels des chevaliers, sans sueur et sans reproche...

Sytry, de son côté, avait entreprit de décrire toutes les actions de leur épopée durant leur ascension jusqu'à Manakel. Cela avait au moins le mérite d'alléger l'atmosphère.

La première ligne se trouvait à présent dans le désert, elle avait réussi à repousser l'armée de Manakel de quelques mètres, les gardant hors d'atteinte des portes de la cité.

Le tyran reforma ses rangs, se servant de ses hommes comme d'un rempart... comme des moutons qu'il dirigeait vers l'abattoir.

Il avait sous-évalué Yuan, ne s'attendant pas à ce que les autres seigneurs démons se joignent à lui. Il aurait pourtant dû savoir que c'est quand on est au bord du gouffre que l'on déploie le mieux ses ailes.

Ils se doutaient tous que la folie de Manakel ne ferait que croître, elle n'avait pas cessé de le faire depuis des siècles, la seule accalmie s'étant présentée lorsque Kea avait pris la fuite. La douleur de sa perte et la souffrance physique qu'il ressentait l'avait tranquillisé pour un temps, mais tous savaient qu'il reviendrait, plus enragé que jamais. Et ce jour là, personne ne voulait se trouver sur sa route. Il était grand temps d'éliminer cette menace une fois pour toute.

Yuan profita de l'occasion pour prendre du terrain à son tour. Manakel regardait ailleurs, c'était sa chance.

Il rampait dans les dunes bleues, Zaebos, Sytry et Elwenn à ses côtés.

— Nous livrions une bataille sans merci, faisant des roulés-taboulés dans le sable... poursuivait toujours Sytry en chuchotant.

Manakel se trouvait en haut d'une falaise à plusieurs centaines de mètres devant eux. Il était peut-être indestructible, mais il ne prenait pas pour autant le risque de s'approcher et d'être blessé par inadvertance. Résistant mais pas indolore.

Des vagues d'énergies traversaient le désert, frôlant leurs crânes de temps à autre dans un murmure assourdissant.

— Attention, Zaebos ! Derrière toi ! croassa soudain Sytry.

Un petit groupe de trois hommes appartenant à Manakel tentaient de fuir la bataille et s'étaient retrouvés nez à nez avec la bande. Ils avaient finalement dû en avoir assez de servir de chair à canon, mais cela ne les avait pas empêché de vouloir décapiter Zaebos au passage.

Yuan fit appel à ses pouvoirs et leur envoya une vague de magie qui les souleva du sol et les fracassa les uns contres les autres comme les cloches d'un carillon.

Ils retombèrent à ses pieds, tous les trois complètement sonnés.

— Merci, mon coeur, une seconde de plus et il était trop tard, soupira son amant, reconnaissant.

— Comme quoi tu as bien fait de m'emmener, n'est-ce pas ? Il faut toujours joindre l'outil à l'agrippable, chantonna ce dernier.

— Je pense que nous sommes assez proches, leur annonça alors Yuan.

— Fais attention à toi, mon ami, j'ai promis à ta belle de te protéger de mon mieux pour que tu lui reviennes sain et sauf, lui dit Elwenn avec sollicitude. Ne me fais pas mentir.

— Ne t'en fais pas, je veillerai sur lui une fois là haut, la rassura Zaebos. De ton côté, prend soin de mon Sytry.

Zaebos s'approcha de son bien-aimé et l'embrassa tendrement, séchant ses larmes de ses baisers. Ce démon avait capturé son cœur comme nul autre n'avait su le faire par le passé. Il l'aimait plus que la vie elle-même et ne supporterait pas de le perdre.

— Sois sans crainte, je me montrerai prudent, lui promit Zaebos. Prends soin de toi jusqu'à mon retour. Nous serons bientôt de nouveau réunis pour célébrer notre victoire.

— A tout de suite Gueule d'amour, murmura Sytry. Je t'aime.

Il était prévu que Yuan s'envole avec Zaebos et le lâche sur la falaise pour qu'il fasse diversion auprès des gardes de Manakel. Une fois leur attention dirigée sur son bras droit, cela laisserait tout loisir à Yuan pour approcher suffisamment le tyran et le surprendre par derrière.

Elwenn fit un signe de tête à Zaebos et leur laissa la place pour décoller.

Yuan serra son ami contre lui et déploya ses ailes dragonesques dans toute la force de leur amplitude. Une simple poussée le propulsa très haut dans les airs, jusqu'au dessus des nuages. 

De là, il repéra bien vite Manakel sur son piédestal, toujours occupé à lâcher des torrents de magie sur les troupes de ses ennemis.

Yuan se fit une meilleure idée de la situation depuis le ciel, les rafales de pouvoir de Manakel avaient finalement réussi à percer la plupart des boucliers. Des dizaines de mages gisaient désormais à terre, le corps de certains reposaient inanimés, d'autres mortellement blessés. 

Quelque soit l'endroit où il posait son regard, tout n'était que chaos et boucherie. Les troupes d'Odax et de Caron avaient également subi de lourdes pertes. Tant de morts... Manakel était fou. Il était grand temps que cela cesse.

Yuan entama sa descente et lâcha Zaebos non loin des gardes. L'agilité toute reptilienne de son bras-droit lui permit de se déplacer de façon fluide et de trancher dans le vif, son épée s'agitant dans des mouvements nets et précis.

Dans le même temps, Yuan atterrit à son tour tout près de Manakel, de façon à ce qu'il concentre son attention sur lui plutôt que sur son ami.

En apercevant Yuan se poser, Manakel partit d'un rire profond au son rauque et guttural.

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