Partie 14
Yuan fit lever Kea de sa chaise et la ramena jusqu'à l'entrée de l'aile Nord. Les appartements du Seigneur comprenaient sa chambre, la salle à manger, une cuisine, un salon et une salle d'entrainement. Seuls ses plus fidèles sujets pouvaient y pénétrer. Ainsi que Kea bien entendu, que Yuan prenait un soin tout particulier à surveiller de près. Ses précédentes tentatives d'évasion n'allant pas aider à changer cela.
Lorsque la jeune femme pénétra dans cette partie du palais, une chose étonnante se produisit.
Elle reprit de nouveau son apparence naturelle, bien que son médaillon fût toujours attaché à son cou.
— Qu'est-ce que... commença-t-elle.
Yuan la regardait, les bras croisés, visiblement très fier de lui.
— J'ai fait poser un sort annulant tous les charmes de métamorphose dans mes appartements. Ici vous n'avez pas à craindre que quelqu'un vous repère et je préfère vous voir sous votre vraie nature. Cela devrait m'aider à vous cerner qui plus est.
Kea n'avait rien à ajouter à cela. Okiri non plus visiblement.
Elle se rendit donc dans la salle à manger, où Sytry se trouvait toujours en pleine discussion avec Zaebos.
Le bras droit de Yuan vint toucher deux mots à l'oreille de son seigneur et maître, suite à quoi ce dernier prit la parole :
— Sytry, viens, je vais t'escorter jusqu'à la sortie. Tu pourras revenir demain si tu le souhaites. De toute façon j'imagine que si je ne t'en donne pas l'autorisation, je te retrouverais de nouveau escaladant les murs de mon palais.
Le démon léopard s'empourpra. Il embrassa Kea sur le front et se traîna docilement derrière Yuan.
De toute évidence, la relation de Sytry avec Zaebos donnait à Sa Seigneurie le droit de se montrer familier envers lui. A moins qu'il ne cherche à gagner sa confiance avec une idée derrière la tête...
Kea se retrouvait donc seule avec Zaebos, et Okiri bien-sûr, mais la créature était à présent occupée à faire rouler des petits pois sous la table de la salle à manger et, pour la première fois de la journée, l'Akkouq ne lui prêtait plus la moindre attention.
Kea en serait presque devenue jalouse de ces petites boules vertes supersoniques.
Le bras droit de Yuan avait manifestement quelque chose à lui reprocher. Il avait été sur la défensive vis-à-vis d'elle dès leur première rencontre. Et elle ignorait ce qu'il pouvait bien lui vouloir. Mais quelque chose lui disait qu'elle n'allait pas tarder à être fixée sur la question qu'elle le veuille ou non.
— Yuan est trop généreux avec toi, révéla-t-il sans prendre de gants.
— Bizarre, je n'ai pas eu la même impression, rétorqua Kea d'un ton cinglant. Peut-être à cause du fait qu'il me retient prisonnière depuis trois soirs, je ne sais pas, c'est encore un peu flou dans ma tête...
— Sytry a confiance en toi, la coupa-t-il. Moi pas. Cela fait dix ans que tu le connais et tu ne lui as jamais rien révélé de ton passé. Quel genre d'amie garderait autant de secrets ?
— Est-ce que c'est pour cette raison que tu le fréquentes ? Pour en apprendre plus sur moi ? l'accusa-t-elle alors.
— Comment oses-tu ? gronda-t-il.
— Comment j'ose ? Depuis cinq ans qu'il essaie d'attirer ton attention, tu n'as jamais bougé le petit doigt. Et tout à coup vous semblez filer le parfait amour ? Pile au moment où ton seigneur cherche à obtenir des informations me concernant... Avoue que c'est plutôt suspect.
— J'ignorais que cela durait depuis cinq ans, se radoucit-il devant la révélation que Kea venait de lui faire.
Étrangement, Zaebos avait l'air sincère. Elle se méfiait toujours de lui, mais ses sentiments à l'égard de son ami avaient l'air authentiques. Kea avait eu peur du contraire.
Elle n'avait pas osé révéler ses craintes à son ami, ne souhaitant pas lui faire de la peine. Mais elle trouvait le timing de leur relation un peu trop parfait et elle croyait difficilement aux coïncidences.
Cela dit, Zaebos semblait effectivement surpris d'apprendre que le béguin de son ami durait depuis si longtemps.
— Tu es dangereuse pour Yuan, il ne se méfie pas assez de toi, reprit-il. Pour l'instant il voit tout cela comme un jeu. Mais Balaam n'est pas une menace à prendre à la légère. Il a rompu une trêve vieille de plus d'un siècle pour mettre la main sur toi. J'ignore ce qu'il te veut et je m'en fiche, notre royaume ne rentrera pas en guerre pour une traîtresse.
— Et je ne m'attends pas à ce qu'il le fasse, riposta-t-elle. Je n'ai pas choisi d'être enfermée ici Zaebos, si cela ne tenait qu'à moi, je serais déjà loin à l'heure qu'il est. Si tu tiens tant à ce que je disparaisse alors aide-moi à m'échapper.
— Impossible. Je n'irais jamais à l'encontre d'un ordre de Yuan, je lui ai prêté allégeance. Je ne peux que le conseiller, mais il est difficilement influençable lorsqu'il a une idée en tête.
— Les démons et leur sens de l'honneur... pesta Kea. Dans ce cas, tu es condamné à supporter ma présence jusqu'à ce que je parvienne à me sortir d'ici toute seule, et d'après ce que j'ai pu voir je ne suis pas près de réussir. Yuan semble être au courant du moindre de mes gestes.
— C'est le cas, affirma Zaebos le regard noir. Alors ne t'avise pas de tenter le diable une fois de plus. Il finirait par devenir moins clément.
— Quelque chose me dit que cette idée ne te dérangerait pas plus que cela.
— Tu te trompes, la contredit-il de façon étonnante. Je ne comprends pas pourquoi mais Sytry tient vraiment à toi. Et je tiens à Sytry, la dernière chose dont j'ai envie c'est de le voir malheureux.
— Ce qui nous fait au moins un point commun.
Zaebos tourna la tête, comme s'il entendait un son que Kea ne pouvait percevoir.
— Yuan approche, déclara-t-il.
Kea ignorait comment Zaebos le savait mais elle lui faisait confiance sur ce coup. Un étrange lien télépathique semblait unir Yuan et ses gardes. Cela provenait sans doute de son pouvoir. En tant que Seigneur démon il devait avoir assez de puissance pour développer plusieurs aptitudes surnaturelles.
Yuan entra dans la salle à manger et haussa un sourcil, surpris du calme qui s'y trouvait. On aurait pu entendre les mouches roter si elles avaient existé dans ce monde.
Kea et Zaebos se regardaient toujours en chiens de faïence. L'atmosphère était lourde, et devant le silence qui régnait, la tentation de Yuan fut trop forte...
— Bouh !
Son cri déstabilisa tout le monde, et surtout Okiri qui sursauta et hurla comme un putois sous le coup de la surprise. On aurait dit le bruit d'un bébé hyène, c'était plutôt mignon. Les oreilles de Kea auraient du mal à s'en remettre mais c'était mignon.
Dépité, et reprenant bien vite ses esprits, Zaebos prit congé de son seigneur et ce fut au tour de Kea et de Yuan de s'observer mutuellement sans prononcer un seul mot.
La jeune femme se demandait encore comment elle parviendrait à tromper la vigilance du seigneur démon pour réussir à lui fausser compagnie. Il faudrait qu'elle se montre plus stratège que lui et cela s'annonçait particulièrement difficile.
Yuan l'étudiait de son regard électrique et elle déglutit sous la puissance attractive de ses yeux. Cela aurait été bien plus simple de le détester si elle ne l'avait pas trouvé si séduisant. Si dangereusement séduisant.
Elle parcourait de nouveau ses formes et se rappelait la vision qu'elle avait eue de lui le matin même, alors qu'aucun artifice ne venait faire obstacle à sa vue quant à la perfection de son corps.
Elle s'était imaginée dans ses bras, le Seigneur démon penché sur elle, lui chuchotant des mots doux à l'oreille et l'attirant contre son torse chaud et puissant... Oh non, voilà qu'elle recommençait à divaguer. C'en était trop.
— Arrêtez ça ! s'écria soudain Kea.
— Arrêtez quoi ? susurra-t-il.
— Vous le savez très bien. Vous utilisez votre pouvoir de séduction sur moi, mais ça ne marche pas. Je sais ce que vous essayez de faire.
— Et qu'est-ce que j'essaie de faire au juste ? l'interrogea-t-il le sourcil dressé.
— Vous tentez de m'amadouer en venant vous trémousser devant moi. Vous essayez de me séduire dans l'espoir de m'arracher des informations contre ma volonté. Si vous croyez une seule seconde que je vais vous révéler quoi que ce soit uniquement parce que vous débordez de sex-appeal, vous vous trompez grandement ! Alors vous feriez mieux de cesser tout de suite vos agissements parfaitement déplacés et immoraux.
— Je suis ravi de savoir que vous n'êtes pas insensible à mon charme servante, mais je dois cependant vous détromper sur un point : je n'use d'aucun pouvoir de séduction sur votre personne. De quelque façon que ce soit...
Sur ce, Yuan sortit de la salle à manger, laissant Kea bouché bée, essayant de comprendre tout ce qu'impliquaient les dernières paroles du démon gris-argent.
— Mensonge ! s'emporta-t-elle.
Mais elle n'était plus aussi sûre d'elle à présent.
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