Partie 1 : Rencontre au musée
L'objet présenté dans la vitrine était bien différent du reste de la collection.
Ce bracelet forgé dans le bathym, le plus précieux des métaux d'Aderoth, laissait un arrière-goût amer à Kea. Pas qu'il soit inesthétique, au contraire, c'était un cercle de métal très fin, taillé avec une minutie prodigieuse dans des formes recourbées à la façon des fils de laiton que l'on tord et entremêle. La couleur du bathym rappelait celle de l'or rose, le bracelet était prévu pour remonter plus haut sur le bras, dans la forme d'un S, et seule une petite pierre blanche venait parfaire le tout.
Perdue dans ses pensées, la jeune femme caressa inconsciemment le médaillon qu'elle portait autour du cou et qui était lui-même fait de bathym.
C'était surtout l'histoire que dépeignait la guide et qui entourait ce bracelet que Kea ne parvenait pas à comprendre. Comme toute légende, elle savait que même si une part de vérité perdurait, le plus gros n'était que mystification et déformation.
En trois siècles, le mythe prenait bien vite le pas sur la réalité. Même en Aderoth, où le temps passait pourtant plus lentement que sur Terre, les événements se trouvaient vite déformés si aucune preuve ne venait les étayer.
Dans ce monde, où la technologie n'existait pas, la magie contenue dans l'air avait un effet étrange sur tout ce que l'Homme avait inventé. Les objets électroniques étaient les plus affectés, bien des démons avaient tenté d'en ramener depuis la Terre mais, neuf fois sur dix, la traversée du portail les réduisait en miettes ou les faisait tout simplement disparaître.
Voilà pourquoi les objets tels que les téléphones portables, les appareils photos ou encore les lecteurs MP3 étaient aussi prisés sur Aderoth. Parfois, une vague d'énergie leur redonnait vie, sans raison, les écrans s'allumaient, les musiques se déclenchaient... Personne ne comprenait vraiment le phénomène, mais les démons s'arrachaient ces objets comme des diables.
La collection personnelle du palais en présentait d'ailleurs un lot important, ce qui attirait les curieux par dizaines chaque jour. Yuan, le Seigneur de ce royaume, savait comment attirer les foules, il fallait le reconnaître.
Le bâtiment qui faisait office de musée se situait juste devant l'entrée du palais et mesurait la taille d'une petite salle de bal. Il ne comportait que deux pièces, la première servait à accueillir les visiteurs pour les répartir en petits groupes de visite, et la seconde renfermait l'ensemble de la collection du musée.
La guide poursuivait son récit :
— On dit de ce bracelet qu'il appartenait à Cléophée, la compagne de Manakel, Seigneur démon le plus puissant de notre monde. D'après la légende, Manakel était éperdument amoureux de Cléophée, lui qui n'avait jamais montré aucun signe d'attachement à quiconque avant de rencontrer celle qui allait devenir sa muse. Une rencontre qui reste encore un mystère à ce jour. Tout ce que l'on sait, c'est que Cléophée était une démone mineure dotée de très peu de pouvoir, voire pas du tout. Ce qui est plutôt étonnant vu l'importance que Manakel accorde au pouvoir. On aurait plutôt tendance à penser qu'il aurait cherché à se mettre en couple avec un être qu'il considérerait à la hauteur de sa toute-puissance. Nous savons tous à quel point le Seigneur Noir peut se montrer vaniteux, n'est-ce pas ?
La foule de curieux ricana. Manakel était un être cruel à qui la modestie avait toujours fait défaut. Il avait semé la terreur sur tout Aderoth pendant de nombreuses années, et tout le monde craignait qu'il ne se réveille un jour de l'inertie qui l'avait gagnée voilà maintenant plus d'un siècle.
— Très peu de personnes ont eu l'opportunité de rencontrer Cléophée, expliqua la guide. Manakel la couvait comme le plus précieux des trésors, il la gardait recluse dans l'enceinte de sa forteresse. Il faut dire qu'il ne s'est pas fait que des amis avec le temps. Nombreux sont ceux qui auraient sauté sur l'occasion pour se servir d'elle comme moyen de pression afin de détrôner le Seigneur Noir. Malheureusement, cette surprotection n'a pas préservé la jeune démone de son funeste destin. Un jour, alors qu'elle se baladait hors de sa tour d'ivoire, elle est tombée d'une falaise et s'est écrasée cent mètres plus bas. Son pauvre petit corps complètement broyé sous la violence de l'impact. Une vraie boucherie d'après les témoignages. Manakel n'a jamais pu récupérer son corps tellement il avait été endommagé en se fracassant sur les rochers.
Les démons avaient toujours manqué particulièrement de tact, ils ne faisaient pas dans la dentelle et n'hésitaient pas à mettre des mots sur les choses. Kea avait eu du mal à s'y faire au départ, ici mieux valait ne pas être susceptible. Puis elle s'y était assez vite habituée en fin de compte, et elle avait même fini par apprécier ce trait de figure. Au moins, si un démon ne vous aimait pas, vous vous en rendiez compte très vite.
— Depuis, Manakel se terre dans son royaume et n'en n'est pas sorti depuis plus de cent ans. Il pleure toujours sa bien-aimée et cherche obstinément un moyen pour la faire revenir, termina finalement la guide.
Une véritable histoire de conte de fée, songea Kea avec cynisme.
Alors que le groupe passait à un autre objet de la collection — la veste d'un costume ayant appartenu au Seigneur Opun, encore un tyran de ce monde — Kea aperçu un objet qui l'intrigua un peu plus loin. Elle laissa donc le groupe de visite s'éloigner et écouter les affabulations de la guide, tandis qu'elle s'approchait de cet autre trésor.
Il s'agissait d'un téléphone portable du même modèle que celui qu'elle possédait sur Terre. Un objet qui lui paraissait insignifiant autrefois et qui la replongeait maintenant dans une multitude de souvenirs.
A l'époque où elle en avait encore l'utilisation, elle ne s'en servait que très peu, elle n'avait jamais aimé les discussions à distance. A ses yeux, rien n'était plus précieux qu'une conversation en face à face. La gestuelle du corps et les expressions du visage en disaient souvent beaucoup sur l'état d'esprit de nos interlocuteurs, tandis que derrière un écran, les intentions se trouvaient vite déformées. Kea trouvait dommage de voir toutes ces personnes accrochées à leurs téléphones mobiles, si bien qu'elles finissaient par en oublier la beauté du monde qui les entourait.
Aujourd'hui pourtant, elle aurait donné cher pour remettre la main sur le petit appareil électronique qui lui avait appartenu jadis.
— Belle pièce, n'est-ce pas ?
Kea n'avait pas entendu l'homme arriver derrière son dos, elle se retourna et découvrit un démon d'une beauté saisissante et dangereuse à la fois. Il la dépassait d'au moins deux têtes et sa carrure était impressionnante.
Les démons avaient des aspects bien plus éclectiques que les humains, ils étaient divisés en différentes espèces qui pouvaient aussi bien revêtir l'apparence d'un monstre poilu aux dents acérées que celle difficilement différenciable d'un Homme.
Celui-ci était plus humain que monstrueux, mais la couleur de sa peau était cependant très particulière. Le haut de son corps était d'un gris pénétrant alors que le bas était plus sombre, presque noir. Le tout était agrémenté de reflets argentés qui le rendaient d'autant plus mystérieux. Il avait visiblement cru bon de se passer de T-shirt, ce qui ne laissait rien manquer des lignes de son torse parfaitement sculpté, ni de ce dégradé de gris qui commençait à se foncer au niveau de sa taille pour devenir complètement noir sur la peau apparente de ses pieds nus.
La jeune femme se demandait à quel endroit de la partie inférieur de son corps la teinte devenait aussi sombre. Mais ce pantalon l'empêchait d'assouvir sa curiosité mal placée.
Un coup d'œil au démon permit à Kea de réaliser qu'il n'avait rien loupé de son inspection muette. Le rouge gagna ses joues aussitôt.
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