Renaissance
Vendredi soir à 18h Samuel se présente au bar. Il est étonné par l'accueil chaleureux que je lui réserve qui contre balance avec nos derniers échanges assez froids et distants.
- Bonjour Samuel, comment allez-vous ? Je suis contente de vous voir. Vous permettez qu'on mange ensemble avant le concert pour discuter des prochains vendredis ? Je n'ai pas eu le temps de faire le point avec mes artistes cette semaine.
Il me regarde, intrigué et acquiesce timidement.
- J'ai pensé qu'on pourrait soumettre les prochains titres au vote par le biais des réseaux sociaux et laisser choisir les clients, qu'en pensez-vous ?
- Je me fie à vos choix Charline.
- Astrid m'a parlé de votre rendez-vous de dimanche, c'est bien que vous nouiez de nouvelles relations avec les gens du coin.
- Je crains qu'Astrid ait d'autres attentes auxquelles je ne pourrais pas répondre pour le moment.
- Laissez lui une chance, elle est adorable.
- Je reste en retrait et discret comme vous me l'avez demandé mais cela n'enlève rien de ce que je ressens pour vous. Je pense à vous tous les jours dans l'attente de vous retrouver le vendredi soir. Heureusement que ma prestation a remporté un grand succès sinon je n'aurais aucun argument pour vous revoir.
Je reste muette et flattée par cette nouvelle révélation.
- Vous ne me rembarrer pas pour une fois ?!
- Non j'ai eu assez de contrariété cette semaine.
Je lui parle de la dispute entre Sacha et Estelle et du prochain départ de mon amie.
- Que ressentez-vous à l'approche du départ d'Estelle ?
- Beaucoup de joie pour elle évidemment mais aussi de la peur et ...
- Vous pouvez vous confier à moi vous savez Charline.
- Je crois que je l'envie, lâché-je dans un murmure.
Je vois dans son regard qu'il comprend où je veux en venir mais il a la délicatesse de ne pas s'engouffrer dans la perche tendue.
Ce soir pour la première fois depuis l'ouverture des concerts seule Estelle sera présente. Gabriel a préféré sortir avec Sacha de son côté pour éviter d'attiser le conflit et il me rejoindra demain en fin de matinée.
Estelle reste avec moi au bar et pour une fois c'est la plus sage de nous deux. Je remplis nos coupelles de vin dès qu'elles sont vides.
Samuel démarre la soirée avec une compilation de titres entrainants. Le public l'entoure, chantonne avec lui et certains clients commencent à danser. Nous avons droit à un grand défilé au bar et une multitude de petites commandes type tapas et grignotage pour la cuisine.
Vers minuit je sens que l'abus d'alcool commence à me faire tourner la tête donc je décide de prendre l'air quelques minutes seule.
Je regarde Samuel par la fenêtre et pour la première fois depuis de longs mois j'ai envie de m'assoir près du piano et de jouer.
Je rentre dans le bar, me dirige vers Samuel et lui chuchote de se lever à la fin du morceau.
Il s'exécute inquiet et je prends sa place derrière le piano.
Je commence à jouer les premières notes de wish you the best de Lewis CAPALDI. Cette chanson figure dans les partitions évoquées ensemble, je sais qu'il la connaît et je lui fais signe qu'il peut chanter.
Toute la salle m'applaudit dès les premières notes et des cris de stupéfaction éclatent de toute part. Tout le monde est autour de nous. Mes doigts glissent sur le piano comme si j'avais joué la veille. Samuel ne me quitte pas du regard et je lui renvoie de grands sourires.
A la fin du morceau je me lève et retourne derrière le bar.
- C'était merveilleux Charline. Je suis tellement contente que tu aies franchi le cap après ces longs mois sans jouer. Comment tu te sens ? me demande Estelle.
- Vivante. Et je me sers un nouveau verre de vin.
Estelle me lance un regard plein de tendresse et de compréhension. Je n'ai pas besoin d'en ajouter, elle a compris l'intégralité de mes pensées en m'observant jouer.
A 2h lorsque tous les clients ont quitté la salle Samuel me rejoint au bar. Je fais signe à Estelle de monter à l'étage.
J'ai trop bu, je le sens. J'ai le feu aux joues et j'ai la tête qui tourne. Je me sers un grand verre d'eau et l'engloutis en quelques secondes.
- C'était un plaisir de vous voir jouer et de partager ce moment avec vous Charline. Vous étiez éblouissante.
- On peut se tutoyer ! ajouté-je en tanguant vers lui.
- Vous avez besoin que je vous aide à monter à l'étage ?
- Je sais, je n'aurai pas dû boire autant mais j'avais besoin de décompresser ce soir plus que jamais.
- Vous ...Tu n'as pas à te justifier devant moi.
J'avance péniblement vers l'escalier et me plante devant lui. Je plonge mon regard dans ses yeux bleus et pose une main sur son torse. Mon cœur s'accélère et je me rapproche encore un peu plus. Il me prend par la main et m'aide à monter les marches qui nous séparent de l'étage. Estelle ouvre la porte de ma chambre et je la foudroie du regard.
- Merci Samuel, je vais prendre le relai.
- Bonne nuit Estelle, bonne nuit Charline.
Estelle m'aide à enlever mes habits et me glisse au fond des draps. Quelques secondes plus tard je tombe dans un profond sommeil.
Je suis réveillée à 11h par les caresses de Gabriel qui m'a rejoint dans le lit.
J'ouvre les yeux, lui sourit et me dirige vers la salle de bain. Je fixe mon visage dans le miroir et prend une longue douche. Je repense à ce que j'ai ressenti hier, à ma renaissance sur ce piano et dans les yeux de Samuel. Je me souviens avoir ressenti un puissant désir pour lui et j'ignore ce qu'il se serait passé si Estelle n'était pas intervenue. Hier soir je n'étais plus la petite Charline sage et docile, pendant un instant j'ai laissé sortir la part de moi qui frôle l'interdit, qui s'engouffre dans la passion et dans l'inconnu. J'ai toujours eu peur de cette part qui sommeille en moi. Je suis d'une nature réfléchie et raisonnable. La seule fois où j'ai laissé la raison au placard j'ai postulé au conservatoire et non à l'école de médecine imposée par mes parents. J'y ai vécu trois années partagée entre l'amour pour la musique et la peur de l'avenir.
Estelle est de nature fonceuse. Elle est prête à bousculer son quotidien, envoyer valser son petit ami et sauter à pied joint dans l'inconnu parce qu'elle a un rêve et qu'elle le vit à fond.
Je retourne dans la chambre, m'habille rapidement alors que Gabriel tente de m'attirer dans le lit avec lui.
- Il est déjà 11h, je ne peux pas me permettre de rester au lit plus longtemps !
Il boude deux secondes et me rejoint en bas.
Estelle me lance un sourire que je suis la seule à déchiffrer. Il va falloir attendre mercredi soir pour discuter de la soirée passée, de mon retour sur le piano et de Samuel.
Gabriel nous raconte sa soirée avec Sacha et avec d'autres joueurs du club de badminton. Estelle ne pose aucune question bien que cela la démange.
Vers 14h Estelle retourne chez ses parents.
Gabriel est extrêmement collant et entreprenant. Je me laisse guider par ses envies et m'interdit de penser à Samuel.
A 17h nous sortons enfin de la chambre et je m'active pour préparer l'ouverture du restaurant avec Astrid et notre intérimaire du soir.
Le groupe de musiciens arrive à 18h, dîne et installe leur matériel.
La soirée n'a pas la même saveur que la veille mais je me laisse tout de même portée par l'ambiance festive et la bonne humeur générale.
A minuit Sacha fait une entrée triomphante au bras d'une jeune femme blonde qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Estelle. Ils s'assoient tous les deux au bar et commandent deux cocktails. Estelle danse avec Gabriel et de vieilles connaissances. Lorsqu'elle les aperçoit elle ne se dégonfle pas elle les salue amicalement.
- Bonjour je suis Estelle, ravie de vous rencontrer.
- Bonjour, je suis Emilie. Je travaille avec Sacha. Il m'a conseillé de venir ici car il y passe tous ses week-end avec ses amis.
- Ses amis vous remercie, ajoute Estelle en plantant son regard le plus malicieux dans celui de Sacha.
Puis elle lui tourne le dos en prenant sa démarche la plus assumée et la plus distinguée. Je remarque dans le regard de Sacha un soupçon de tristesse.
- Excusez-moi Emilie, je peux vous l'emprunter quelques minutes s'il vous plait. J'ai besoin de lui montrer quelque chose en cuisine.
Sacha me regarde, agacé puis me suit sans parler.
- C'est bon je n'ai pas besoin de tes sermons Charline.
- A quoi tu joues, tu crois qu'en te montrant avec une belle blonde tu vas apaiser les tensions ? Estelle se remettra de toi plus vite que tu t'en crois capable et ça tout le monde le sait. Tu prétends être fort et insensible mais je sais très bien que tu souffres. Je te connais depuis toujours. Met ta fierté de côté et va lui parler bon sang !
- Elle a pris une décision qui en a entrainé une autre.
- Tu vas lui faire la misère parce qu'elle part 8 mois. C'est quoi 8 mois dans une vie ?
- On avait dit qu'après nos études on se posait ensemble et elle était d'accord pour chercher un job dans le coin. Résultat quelques semaines plus tard elle a déjà le projet de partir. Cela en dit long sur son engagement envers moi.
- Dans trois mois elle partira puis à son retour tu t'en mordras les doigts car aucune fille ne pourra la remplacer.
- Bien écoute n'en sois pas si sûre. Emilie a l'air plutôt satisfaite de mon invitation et je compte bien la ramener chez moi pour voir où cela nous mène.
- Une semaine et tu as déjà trouvé une nouvelle copine ? Ça en dit long sur ton engagement également Sacha.
Je repars au bar en colère mais fais semblant de sourire devant les clients.
A la fermeture Estelle m'aide à ranger et se confie rapidement.
- Je pensais que ça me briserait le cœur de le voir avec une autre fille mais en réalité son comportement est tellement minable que je n'ai qu'une envie c'est m'envoler dès demain pour la Colombie.
Le dimanche Gabriel me propose d'aller faire une balade autour d'un lac. Nous sommes d'accord sur le fait que la provocation de Sacha n'était pas très pertinente et que cela marque la fin de leur couple.
- On verra ce qu'il se passera quand elle reviendra. Avec eux tout est possible, bavarde Gabriel.
Lundi midi Samuel s'installe à une table pour le déjeuner.
Je le salue rapidement et attend la fin du rush pour prendre un thé avec lui.
- Bien remise de vendredi soir ? me taquine-t-il d'entrée.
Je souris mais je ne suis pas gênée.
- Tu as rejoué depuis ?
- Non je n'ai pas eu le temps.
- C'est dommage, tu sais que la musique est la meilleure thérapie du monde.
- Tu penses que j'ai besoin d'une thérapie ?
- Chacun d'entre nous devrait avoir un hobby, une passion, un espace pour s'exprimer oui.
- Il faut surtout du temps et entre nous, j'en manque.
- Tu as déjà pensé à déléguer la gestion du commerce et reprendre la musique ?
- Tu as le don pour mettre les pieds dans le plat... Non je n'ai pas les moyens de faire ça.
- Si tu en avais les moyens, tu le ferais ? Je sais que tu es attachée à cet endroit. Tu n'es pas obligé de le vendre, tu pourrais simplement recruter un chef d'établissement ou un gestionnaire.
- Et je vivrais de quoi si je suivais ta merveilleuse idée ?
- De ton art, de ton talent par exemple.
Je lui souris et redescend les pieds sur terre.
-Monsieur le professeur, vous avez un cours qui débute dans quelques minutes quant à moi humble commerçante je vais libérer Astrid et passer en mode salon de thé.
- On en reparlera plus tard Charline.
Il quitte le restaurant avec sa démarche décontractée habituelle et je le regarde s'éloigner en gardant un sourire rêveur.
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