l'appel


Dimanche matin comme d'habitude je suis la première debout. J'ignore combien de temps je vais tenir avec un rythme si soutenu.

Je repense aux mots de Samuel, à mon altercation avec Estelle et à mon agacement général.

J'ai posé un casque sur mes oreilles et je range la salle en essayant de trouver un semblant d'apaisement.

Gabriel est le premier à descendre. Il me prépare un grand thé et vient ranger les dernières chaises.

- Il t'arrive de dormir parfois Charline ?

- Non pas vraiment.

- Tu as une mine affreuse, laisse ça et remonte te coucher avec moi.

- Il y a toujours un truc à ranger, nettoyer et à penser. C'est ça la vie de commerçants.

- Oui je sais mais j'ai peur que tu t'épuises prématurément avec ce rythme intense. Le dimanche est ton seul jour de repos, lève le pied.

- J'ai l'impression que si je m'arrête c'est pire.

- Juste une heure.

Je pose mon balai et le suis jusqu'à la chambre.

Il me prend uniquement dans ses bras et me caresse les cheveux. Sa douceur ne suffit pas à calmer mon tumulte intérieur mais c'est agréable.

J'entends Estelle et Sacha prendre une douche et descendre prendre un petit déjeuner.

Je n'ai pas le courage de l'affronter ce matin, je feins m'être endormie et Gabriel reste auprès de moi.

Lorsque j'émerge il est quasiment 11h et je suis seule dans la chambre. Finalement Gabriel a raison mon corps réclame un peu de répit.

Je descends et m'aperçois qu'il a tout rangé. Le commerce est prêt pour une nouvelle semaine.

- Je pense que tu as oublié qu'on est invité chez mes parents à midi ? me questionne Gabriel.

- Oh je suis désolée, je me prépare rapidement.

Michel et Laurence les parents de Gabriel habitent Marny depuis toujours. Ils m'ont accueilli dans leur famille comme leur fille depuis l'enfance et bien qu'ils soient très occupés par leur carrière respective, contrairement à mes parents ils ont toujours fait de Gabriel leur priorité.

Michel est directeur d'un supermarché et Laurence est DRH.

Gabriel est fils unique, comme Sacha, Estelle et moi. C'est peut-être la première raison de notre grande amitié, le besoin de se connecter à un autre de son âge.

- Bonjour Charline, comment vas-tu ? me salue chaleureusement Laurence. Tu as l'air fatiguée ma pauvre.

- Un peu oui c'est vrai.

- Gabriel nous dit que tu travailles trop, ajoute Michel.

- Je n'ai pas le choix mais pour le moment je tiens bon.

Nous parlons du récent retour de Gabriel dans la région et de nos différents défis professionnels.

- Être à la tête d'un commerce de cette ampleur à ton jeune âge c'est un sacré défi Charline, déclare Michel.

- J'aurais préféré que Jean et Elisabeth soient encore là pour le gérer à ma place.

Ce demi-aveu jette un grand froid dans la conversation.

- Il nous manque à tous ma chère, sincèrement... Vous avez eu des nouvelles du concours d'Estelle ? poursuit Laurence afin de vite changer de sujet.

- Elle est en finale, je pense qu'elle va gagner sa création est bluffante, dit Gabriel.

- Cette petite a toujours eu un don, termine Michel.

Nous passons le reste de l'après-midi à nous balader près du lac et personne n'évoque le commerce.

Le soir en rentrant Gabriel me prépare un grand bain.

- Ce soir je m'occupe de tout. Tu ne bouges pas un orteil d'ici et tu te relaxes, c'est compris ?

- Je vais essayer.

Je profite que Gabriel soit descendu au restaurant pour appeler Estelle.

Elle décroche dès la première sonnerie.

- Je peux te parler ?

- Je vais sur le balcon, attends une minute.

- Tu es fâchée contre moi ?

- Non ne t'inquiète pas il en faudra plus pour me disputer avec toi. C'est juste que je ne te reconnais pas Charline.

- Je sais, je perds complètement les pédales entre la gestion du commerce, le retour de Gabriel et la présence de Samuel dans les parages. Je sens que je suis en train de devenir folle.

- Que ressens-tu pour Samuel ?

- Je ne saurais pas te le décrire précisément. La première fois que je l'ai vu j'ai été charmé mais lorsqu'il a commencé à jouer du piano j'ai été ensorcelée.

- Okay donc c'est l'artiste en lui qui t'attire ?

- Je ne sais pas.

- C'est vrai qu'il est charmant, qu'il joue bien bla bla bla mais Gabriel est l'homme le plus merveilleux sur terre. Parfois je regrette de ne pas l'avoir choisi !

- Quoi ?!

- Tu vois ce que je veux dire. Il est parfait, il fait toujours tout pour te faire plaisir, il te soutient, il t'écoute et de ce que tu me racontes c'est un super coup alors jackpot ma chérie.

J'éclate de rire et me sens tellement soulagée de pouvoir partager mes émotions avec Estelle. J'ai eu peur qu'elle me juge et qu'elle me sermonne mais au final elle réussit à détendre l'atmosphère et à me remonter le moral.

- Ne t'inquiète pas Charline, c'est normal de se sentir attirée par d'autres hommes parfois. Tu serais un robot si ce n'était pas le cas. Je crois en toi et tu sauras prendre les bonnes décisions comme tu l'as toujours fait.

- Merci Estelle.

- Je suis là pour ça, ne l'oublie jamais.

Ses paroles réconfortantes me donnent l'essor qui me manquait pour finir la semaine et en démarrer une nouvelle en beauté.

Dès le lendemain je me sens prête à relever tous les défis et je suis efficace plus que jamais.

A 10h j'ai déjà passé toutes les commandes pour la semaine, validé les contrats des artistes pour les quatre prochaines semaines et réglé la plupart des factures.

J'ai décidé de poursuivre avec Samuel tous les vendredis soir sous réserve de l'exclure indéfiniment s'il me refait une seule remarque ambiguë.

Il répond à mon e-mail en me garantissant qu'il sera irréprochable dorénavant.

La semaine défile sans l'ombre d'un problème et vendredi soir arrive avec la promesse d'une soirée réussie.

Samuel ne m'a pas parlé de la semaine et n'est pas non plus venu au commerce. On dirait que notre accord fonctionne.

Lorsqu'il arrive avec ses partitions et son micro, il me salue poliment mais n'engage pas la conversation.

Je demande à Astrid de diner avec lui. Elle s'en fait une joie et saute sur l'occasion pour essayer de lui décrocher un rencard.

En revenant au bar elle me montre son numéro enregistré dans son smartphone et me fait un clin d'œil.

Parfait, continue sur cette lancée Astrid et tu vas sans le savoir me sauver la vie, me félicité-je intérieurement.

A 20h Estelle, Gabriel et Sacha arrivent en même temps que la plupart des clients.

Je décide de rester au bar ce soir et de laisser la salle à Astrid qui prend de l'assurance semaine après semaine.

Gabriel vient me rejoindre quelques minutes après le début du rush et dépose un baiser de soutien sur mes lèvres.

Cela me touche beaucoup qu'ils continuent de venir tous les week-ends tous les trois alors que rien ne les oblige à passer leur seul temps de repos ici.

Samuel est toujours aussi brillant et plébiscité par la gent féminine. Ce soir je remarque qu'il est beaucoup plus ouvert et bavard avec les femmes qui se rapprochent de lui et viennent lui parler.

J'ai le sentiment que la boucle est bouclée et qu'il a compris que notre relation n'évoluerait aucunement vers une quelconque romance.

Je me sers un cocktail et chantonne en servant les clients qui affluent en flux continu au bar.

Il est déjà minuit et je sens les premières prémices de la fatigue, surtout que je n'ai rien mangé depuis le midi. Je fais signe à Estelle de me remplacer quelques minutes au bar le temps d'aller me restaurer rapidement.

- Pas de danse sur le bar, ma bichette ?

- Ne me tente pas, trésor !

Je me dirige vers la cuisine et demande à Fabien mon fidèle cuisinier des week-ends de me préparer un festin.

Je m'installe avec Gabriel et Sacha et leur propose de faire un tour aux thermes demain après-midi.

La soirée s'achève avec un grand sentiment de sérénité comme si la période stressante et chaotique était derrière moi.

Le lendemain nous allons nous prélasser tous les quatre aux thermes et finissons la journée par un apéritif chez Sacha quand le téléphone d'Estelle sonne.

Elle sort sur la terrasse et nous assistons à un défilé d'émotions. D'abord elle sautille en criant, ensuite elle se fige et nous regarde avec une grande émotion et enfin en raccrochant elle fond en sanglots.

Sacha la rejoint et suit une discussion houleuse à laquelle nous n'entendons que quelques mots « 8 mois », « Colombie » et « festival ».

Sacha regagne le salon sans un mot, prend ses clés et disparaît de l'appartement.

Gabriel et moi nous regardons interloqués et nous levons en même temps. Gabriel essaie de rattraper Sacha et je ramène Estelle sur le canapé.

- Qu'est ce qu'il se passe ma belle, je n'ai jamais vu Sacha aussi en colère et pourtant cela 20 ans que nous assistons à vos disputes ?

- Ernest BRUYERE m'a appelé en personne.

- C'est super, j'en conclue que tu as gagné le concours ?

- Oui, répond Estelle en sanglotant.

- C'est une super nouvelle.

- C'est la meilleure nouvelle, je devrais être aux anges ! Cette fois la colère prend le dessus et son regard noirci.

- Il t'a proposé autre chose qu'une invitation à la galerie, c'est ça ?

- Il part dans 4 mois en Colombie. Chaque année se déroule le festival international                           de la peinture dans plusieurs pays du monde. Cette année l'Amérique latine est mise à l'honneur. C'est le rendez-vous suprême des peintres, portraitistes et différents artistes. Cela ne dure que cinq jours mais c'est un concentré de rencontres avec les plus grands galeristes du monde entier !

- Okay c'est une super opportunité. Je ne comprends pas pourquoi vous êtes disputés si violemment, du coup ?

- Un de ses amis dirige une galerie d'art contemporain là-bas et il recherche un remplaçant pendant plusieurs mois car il va subir une importante opération médicale. Ernest BRUYERE lui a parlé de moi et il me propose le poste.

Je ne sais pas quoi lui répondre. C'est une opportunité en or pour sa carrière. Mais à en croire la réaction de Sacha si elle décide de partir plusieurs mois leur relation va en pâtir fortement. Je me contente de lui prendre la main et de plonger mon regard sans le sien.

- Toi tu comprends pourquoi je vais accepter ? Tu sais ce que signifie avoir un rêve, une passion, quelque chose qui te fait vibrer si fort que tu deviens accro.

Elle fait référence à mon amour passé pour le piano et l'importance qu'il avait dans ma vie.

- Bien sûr que je comprends Estelle. Je serai la dernière personne sur terre à t'en dissuader même si tu vas affreusement me manquer pendant ces longs huit mois. Laisse Sacha redescendre un peu. Il va digérer l'information et vous allez en reparler calmement.

- Il m'a dit « si tu acceptes tu prends tes affaires et tu te tires d'ici ! »

J'expire bruyamment et je secoue la tête. Je déteste lorsque Sacha se comporte de cette façon.

- Viens dormir à la maison ce soir, lui proposé-je.

- Je prends mes affaires de toute façon ça ne sert à rien d'insister, il est tellement borné quand il est en colère !

J'envoie un SMS à Gabriel pour le prévenir qu'Estelle dormira à l'étage du commerce ce soir.

Il est déjà 23h lorsque nous revenons chez moi. Elle paraît si déçue mais en même temps elle ne renoncera jamais à ses rêves pour un homme, même Sacha.

- Quand dois-tu donner ta réponse à Ernest BRUYERE ?

- Dans une semaine. On sait toutes les deux que je vais signer même si ça doit sonner la fin de ma relation avec Sacha. Non mais il se prend pour qui à vouloir dicter ma vie ? Il pense que je vais refuser une telle offre pour lui cuisiner un bon petit plat chaque soir !

- Je suis vraiment désolé qu'il agisse comme un crétin.

- Si c'était l'inverse tu crois que Gabriel t'aurait fait une scène comme ça ?

- Je ne pense pas que l'occasion se présentera de toute façon, dis-je tristement.

- Va dormir Charline, ne t'inquiète pas pour moi.

- Je sais ma belle, il en faudra plus pour t'atteindre.

Je regagne ma chambre et y retrouve Gabriel qui vient de rentrer.

- Tu as réussi à lui parler et à le raisonner, chuchoté-je afin qu'Estelle n'entende pas la conversation.

- Tu le connais, il est fier et le fait qu'Estelle décide de partir si loin pour une aventure artistique au détriment de leur relation ça il ne le l'accepte pas.

- Mais elle ne partira que 8 huit mois. Il n'est pas capable de l'attendre. Après tout ce qu'ils ont vécu toutes ces années ? On a été séparé cinq ans et on a réussi à se retrouver. Je ne comprends vraiment pas sa réaction.

- Moi je le comprends. Il a envie d'avancer, il s'apprêtait à la demander en mariage et elle part 8 mois sans lui laisser le choix. Peu importe ce qu'il lui dira elle partira quand même.

- Mais bien sûr qu'elle partira quand même, prononcé-je plus fort que je le voulais.

- Parfois il a l'impression qu'il n'est rien face à son rêve.

Je n'ai plus d'arguments. Bien évidemment ni Sacha ni Gabriel ne peuvent comprendre ce que traverse Estelle. La peinture, son art : c'est ce qui la définit, c'est marqué en elle avec une encre indélébile. Seuls ceux qui ont une passion aussi dévorante connaissent ce sentiment.

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