Chapitre XV
Se tenir éloigné de Londres l'avait conforté dans son idée puisque depuis son retour à la campagne, il avait séjourné durant quelques jours ici. Reprendre ses recherches et développer ses théories sur l'évolution le rendaient beaucoup plus vivant et lui prenaient une grosse partie de son temps. Il était après tout un naturaliste qui cherchait à faire avancer son époque vers de nouvelles découvertes. Douglas fut d'abord heureux de retrouver sa serre dans laquelle il avait érigé une pièce où il acheminait ses travaux. Puis, il s'inquiéta que son père ait pu y jeter un coup d'œil. Ce vétéran réactionnaire avait du mal à accepter que la société évolue et que le monde fasse de même. Et enfin, en retrouvant ses ouvrages comme il les avait laissés, un léger poids se retira de sa poitrine.
Pendant une matinée entière, il ne sortit de son repaire. Ce ne fut qu'à l'heure du midi où sa mère avait préféré aller à sa rencontre pour l'extirper de là qu'il les rejoignit pour déjeuner. Les manches de sa chemise remontée, pleine de terres et d'autres saletés, les mains gantées qu'il retira rapidement, le pantalon, remonté grâce à des bretelles, était enfoui dans ses grosses bottes en cuir marron. L'apparence négligée de son fils l'avait amusé. Il était, à vrai dire, dans son élément. Cependant, sa mère lui avait demandé d'aller se changer afin de ne pas rebuter les domestiques en voyant son accoutrement. Il avait repris ses vieilles habitudes.
Aussitôt, il redescendit dans une tenue guindée, dans laquelle un gilet brodé de couleur bleu ajustait sa corpulence. De plus, il possédait un devant classique à six boutons qui lui permit de ne pas s'encombrer d'une veste. Douglas s'était revêtu d'un simple pantalon noir en regrettant très vite celui à bretelles russes. Il passa deux doigts au niveau de son col l'arrangeant comme il le pouvait tout en offrant une grimace au majordome qui traversa le salon, portant une cloche argentée. Le comte s'amusa du regard qu'il eut en guise de réponse avant de le suivre jusqu'à la salle à manger.
En prenant place en face de sa mère, et à la droite de son père, sur cette gigantesque table en bois ovale, Douglas les salua tous les deux d'un léger signe du menton et remercia l'une des domestiques qui lui versa une rasade de vin dans sa coupe.
Dans un raclement de gorge qui retenu l'attention des trois individus attablés, le majordome ouvrit le couvercle et remit le Times au vieil homme qui, le prenant d'une main, envoya une petite tape affectueuse sur la main de son épouse de l'autre. Un rituel qu'il avait toujours eu l'habitude d'assister, enfant jusqu'à maintenant. Et sa mère eut un petit sourire, sans changer.
« Veuillez commencer à servir, ordonna-t-elle d'une voix douce en posant ses pupilles noisette sur une autre femme, plus jeune que la dernière qui avait servi Douglas. »
Elles disparurent, elle et la seconde servante, avant de réapparaître des minutes plus tard des plats en mains. Après avoir déposé les plats sur la table, puis servi, elles restèrent en retraits afin de les laisser manger en paix.
« Comptes-tu rester ici ? demanda sa mère, piquant sa fourchette dans de la viande blanche.
--Peut-être.
--Peut-être ? N'as-tu pas des obligations qui t'attendent à Londres ? ajouta son père qui baissa son journal, ne laissant entrevoir que ses yeux avant de le remonter.
--Qu'entendez-vous par obligation ? renchérit Douglas, en esquissant un petit sourire. »
Sa mère était tellement concentrée sur la dégustation de son plat qu'elle ne fit plus aucunes attentions à ce qu'il se racontait autour d'elle. Elle en était même absorbée. Chose étrange que Douglas ne lui reprochait pas, puisqu'il avait compris que de temps en temps, il lui prenait de se mettre à cuisiner. La campagne pouvait devenir un endroit ennuyant si l'on restait une longue période sans accomplir diverses activités.
« Tu es comte, va donc chercher une jolie Lady à présenter à ta mère et moi. »
Il y en avait peut-être une qu'il aimerait leur présenter. Cela faisait une quinzaine de jours qu'il s'était absenté, il ne l'avait laissé qu'avec un mensonge qui allait être difficile à démentir lorsqu'elle verra la vérité en face. Il n'était pas non plus certain qu'elle veuille de lui. Depuis qu'il l'avait connu, il avait eu du mal à voir la vérité en face. Trevor et lui avaient plus en commun que ce qu'il en avait pensé lorsque son ami s'était marié. Peut-être que lui aussi il désirait se marier. En toute honnêteté, il y réfléchissait lorsqu'il partagea la couche d'Eleanor
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L'humiliation qu'elle avait subit la veille l'avait complètement retournée. En ayant décidé brusquement de se balader à Green Park, accompagnée de Victoria qui avait semblé être ailleurs durant une bonne partie de leur discussion, elles avaient croisé Lady Bennet. Heureusement pour Len, ce ne fut pas la fiancée en fuite du comte de Linverslay mais simplement sa mère. Une connaissance, apparemment, de son amie.
Prise de court, Lady Bennet dût répondre à la question que lui avait posée la marquise de Suffolk, curieuse.
« Pourquoi votre fille a-t-elle mis un terme à ses fiançailles avec le comte de Linverslay ? »
La vieille femme s'était essuyée le front, tout en sueur, à l'aide de l'un de ses mouchoirs et lui avait répondu que Lilian avait apparemment surpris le comte accompagné d'une dame de joie lors d'une soirée déguisée. Qu'il l'avait permise de se pavaner accrochée à son bras prétendant qu'elle n'était pas qu'une simple amie à ses yeux. Furieuse de son débordement, et humiliée face à la société, la jeune fille avait demandé à l'un de ses amis de l'aider à dissiper ce malentendu en lui faisant croire qu'elle-même avait un amant. Ainsi ils auraient paru aux yeux de tous comme un couple libertin à qui l'engagement ne réclamait pas nécessairement le besoin de renoncer à certains désirs...
Eleanor comprit par la suite que le malheureux Théodore avait été l'une des victimes du plan de Lilian, et que Douglas en fut le second à en pâtir.
« Il l'avait bien cherché, n'est-ce pas ? »
Victoria en avait ri à l'écoute de ce récit. Plus qu'elle en tout cas, mais si cela pouvait lui recoller ce sourire espiègle sur son visage, Eleanor aurait préféré que Lady Bennet reste encore un peu plus longtemps en leur compagnie. Néanmoins, celle-ci avait des courses à faire, sa fille reviendrait d'ici quelques jours à Londres au bras de son époux et elle organisait justement un diner à son honneur. Elles étaient bien entendues invitées.
La marquise aurait bien voulu décliné. Mais en entendant que sur la liste des invités se présentaient également les parents de Douglas, cela l'avait légèrement agité.
« L'on m'a informé que l'un des parents du comte était mourant, êtes-vous surs qu'ils viendront tous les deux ?
--Mourant ? Et qui ça ? Ce vieil écossais a encore toute sa tête et doit dépérir dans son fauteuil tandis que sa femme lui fait la morale sur le comportement à avoir en société ! avait-elle plaisanté, en lui informant qu'elle leur avait rendu visite en bonne et due forme pour les inviter elle-même. »
Ils sont proches, et ce, depuis belles lurettes !
Ce fut ce qu'elle y lut au fond des yeux de Victoria. Elle n'avait surement pas voulu le lui dire lorsque la mère de Lilian fut présente. Après son départ, son amie lui avait expliqué que leurs familles étaient liées entre elle grâce à un mariage d'amour que le frère du précédent comte de Linverslay avait eu avec la sœur de Lady Bennet. Que cette information n'était un secret pour personne et que de ce fait, les deux familles étaient assez proches. D'ailleurs, leurs domaines en campagne se jouxtaient.
Après leur promenade, elle était rentrée, une boule au ventre en pensant que Douglas s'était joué d'elle.
Alors, c'était ainsi qu'il mettait un terme à ses relations avec ses maîtresses ? Il s'éloignait d'elle en leur offrant de méprisables excuses afin d'éviter qu'elles ne réclament son attention...
Len ne l'aurait jamais dérangé pour des puérilités, de plus, il avait été celui qui lui avait proposé de devenir sa maîtresse. S'était-il déjà lassé ?
En se réveillant ce matin, elle n'avait pas quitté son lit à baldaquin. La chambre dans laquelle elle avait passé la nuit était bien celle dans laquelle Raphaël et elle avaient partagé leurs nuits depuis le début de leur mariage. Eleanor n'avait jamais imaginé que dormir sur ce lit l'apaiserait puisque son esprit avait été troublé par toutes sortes de pensées. En étant restée une bonne partie de la matinée à moisir sous ces couvertures, la jeune femme avait songé à une chose qu'autrefois, elle n'aurait jamais pu décider de faire sans que Douglas ne l'y oblige.
Si monseigneur le comte avait préféré la fuite au lieu de prendre ses responsabilités pour lui avouer qu'elle n'était plus à son goût. De son côté, Eleanor prendra son courage à deux mains et irait réclamer un homme qui pourrait s'occuper d'elle comme elle l'avait toujours souhaité depuis la mort de son époux.
Le seul homme qu'elle voyait n'était autre que ce cher duc de Mormont. Les autres craignaient beaucoup trop Damien pour se permettre de la toucher ou de lui promettre un engagement. Douglas avait été le seul à lui tenir tête en sachant pertinemment que celui-ci n'aurait jamais eu l'audace de lui proposer un duel. Il aurait perdu. Comme ceux qui avaient perdu face à Douglas.
Plusieurs fois, elle s'était retournée sur son lit en imaginant bien l'enchantement de cet ignoble duc. Elle le méprisait peut-être, mais il avait une fortune colossale et...il la désirait. Ce qui l'avait étonné lorsqu'il avait reconnu n'avoir jamais touché aucunes autres femmes qu'elle depuis qu'il l'avait rencontré. Bien évidemment, ce pouvait être un cruel mensonge, comme une tendre vérité.
Elle s'obligea à reconnaître qu'elle n'avait plus vraiment de choix qui s'offraient à elle. Sa fierté en prendrait un coup. Vivre avec un toit sous la tête lui importait plus que son orgueil. C'était un fait qu'elle ne pouvait négliger.
La marquise de Suffolk irait donc retrouver Damien DeClairmont pour s'excuser de son impertinence et le supplier, s'il le fallait, de la prendre en tant que maîtresse. Les dents serrés, Eleanor se trouva bien pathétique. Elle, d'un titre honorable, retrouvée à jouer les catins pour pouvoir vivre dans une maison. Son toit, qui plus est.
Pourquoi n'avait-elle pas choisi de devenir institutrice pour des débutantes ? Ou encore, gouvernante ? Même si son titre en aurait souffert, elle aurait eu l'argent nécessaire à l'entretien de sa demeure.
Dans son cas, s'inquiéter n'était plus une option. Elle avait passé la nuit à se reprocher sa propre stupidité. Et elle avait maudit ce séducteur invétéré...Qu'aurait fait Victoria ?
Ce n'était pas le moment de penser à sa meilleure amie qui se retrouvait dans un cas bien plus désolant qu'elle.
En se redressant sur ses coudes, une boule au fond de sa gorge, incapable même de prononcer un seul son, elle décida de s'extirper de son lit en veillant à ne pas faire trop de bruits. Elle ne souhaitait en aucun cas que Rachel ou une autre de ses servantes ne se proposent pour l'aider à se vêtir. Elle comptait même aller dans cet accoutrement jusqu'à son boudoir après s'être nettoyé. Il fallait qu'elle se mette à penser à autre chose. Douglas n'était plus sa priorité bien qu'elle l'ait pensé il y a quelques temps.
Après son brin de toilette, Eleanor avança ses pieds nus sur le plancher de sa chambre et entrouvrit sa porte. Jetant un coup d'œil dans les couloirs, elle n'y aperçut personne et ce fut à ce moment-là qu'elle décida de se mettre à courir rapidement pour rejoindre son antre. Malheureusement pour elle, son maudit châle tomba au milieu du couloir menant jusqu'à la porte d'entrée, et, le ramassant, elle se mit à hurler sur le coup de la surprise.
Elle ne s'était pas attendue à voir Rachel apparaître aussi brusquement en débouchant d'un autre couloir, un panier de linge en main. Elle ne chercha pas à savoir le contenu qu'il y avait à l'intérieur, de plus, ce fut se domestique qui s'enquit vers elle :
« Que faites-vous ici, ma Lady ? Et vous n'êtes pas du tout habillés !
Il est vrai que sa robe de chambre ne cachait pas grande chose de sa nudité. Elle était au moins heureuse qu'elle ne soit pas aussi transparente que celles qu'elle avait déjà eu à porter.
--Je...vous cherchais ! mentit Eleanor en cherchant une raison pour laquelle elle la cherchait.
--Vraiment...mais...Pourquoi ?
--Par..ce que...hum...
La marquise prit un temps de pause, laissant son regard fureter de droite à gauche, s'interrogeant toujours.
--Il faut que je vois Thomas dans une demi-heure, j'ai besoin qu'il transmette un message pour moi.
Ce n'était pas un mensonge cette fois-ci, elle enverrait une lettre à Damien afin de lui informer de sa venue subite dans la soirée. Sa servante opina de la tête avant de lui proposer :
--Voudriez-vous que je vous aide à vous vêtir correctement ? »
Si elle s'était adressée à une autre personne qu'Eleanor, la jeune fille se serait faite réprimandée pour cette remarque inconvenante, pourtant la marquise avait trouvé cela bien audacieux de sa part. Et puis, elle irait tôt ou tard se changer, alors pourquoi pas maintenant ?
« Bien, allons-y maintenant, lui avait-elle finalement commandé.
--Mais...et le linge ?
--Il n'est pas encore trop tard pour le pendre dehors, ne vous inquiétez pas. »
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