Chapitre VII




            Ses yeux l'examinèrent de haut en bas. Comme à son habitude, Victoria avait du mal à afficher une expression faciale. Toujours aussi inexpressive, Len l'enviait parfois. On lui avait toujours reproché qu'elle était très expressive du visage, qu'il était facile de savoir à quoi elle pensait et ce qu'elle pensait de telle ou telle chose. Si ça n'avait été grâce à sa meilleure amie, Eleanor n'aurait jamais pu faire en sorte que le duc de Mormont soit aussi épris d'elle aujourd'hui. Et si Lady Armstrong ne lui avait pas enseigné les trois règles les plus importantes en matière de séduction, Douglas MacCarthy aurait été heureux d'apprendre qu'Eleanor Grantham le désirait autant que lui. Une chose qu'elle avait promis à son amie de ne pas révéler afin de pouvoir tendre un piège au débauché.

Du côté de la séductrice, Victoria savait qu'un homme, arrivant à attiser le désir d'une femme, prenait moins de plaisir à la séduire. Les femmes les plus complexes représentaient un défi de taille pour les mâles. Leur fierté était touchée. Une fois leurs fiertés touchées, il fallait toucher leurs esprits. Et c'était grâce à la vivacité d'esprit que les femmes y arrivaient. Enfin, en espérant qu'elles ne ressemblent en rien à la plupart des femmes de la société. Niaises et fades. Heureusement pour Victoria, Eleanor n'était ni niaise, ni fade ! Sinon, elles ne seraient pas amies à l'heure qu'il est.

« Quel bon vent t'amènes chez moi ? déclara brusquement la jeune femme, en se saisissant de la bouteille d'alcool qui trainait dans la bibliothèque. »

Eleanor esquissa un sourire. Elle n'était qu'en milieu de matinée, et pourtant, sa meilleure amie ne semblait pas être prête à s'y contraindre. Seulement, elle s'était au moins vêtue d'une robe d'intérieur, quelque chose qui était inhabituel chez cette vieille fille.

« J'étais venue te trouver pour te demander de m'accompagner pour faire ma nouvelle garde-robe ?

—Le duc t'a finalement offert une belle somme d'argent à dépenser ? Ou est-ce l'impétueux écossais ?

Sa meilleure amie voulut se verser une rasade dans une coupe vide, mais il semblerait qu'il n'y restait déjà plus grand-chose à l'intérieur.

—Ni l'un, ni l'autre. J'ai encore mes quelques économies. »

Dans un soupir, elle s'adossa brusquement contre le bureau de la bibliothèque, à l'angle d'un mur, puis lui répondit :

« Et bien, allons-y. Je ne comptais, de toute manière, pas rester ici. Alexis m'aurait encore fait la leçon s'il m'avait vu arpenter les pièces de la maison en quête d'une chose à faire. »

Pour une fois qu'Eleanor était d'accord avec son frère. Malgré sa mauvaise conduite, et son intention d'ouvrir un casino dans le lieu le plus malfamé de Londres, Alexis avait du bon sens. Depuis que sa mère lui avait rendu visite, Victoria semait le trouble au sein de leur famille. Leur relation n'avait jamais été stable, ni avec sa mère, ni même avec son père. Seuls ses frères arrivaient au moins à la retenir de se lancer dans des projets déraisonnables. Le seul pourtant dont elle craignait les réprobations n'était autre que Jared. Souvent en mer, travaillant pour la couronne en tant que corsaire, il venait deux à trois fois dans l'année pour finalement se rendre compte que sa sœur était infernale. Non seulement pour la société, mais pour leur famille aussi.

« Je t'attends ici ?

—Ma maison est tienne. Je ne serais pas longue. »

À ces mots, elle quitta la pièce d'une façon théâtrale ce qui amusa la marquise. Sa meilleure amie avait forgé un caractère hors du commun depuis que la vérité sur sa naissance avait éclaté. Décidant de l'attendre dans son salon, elle eut la surprise de la voir, une dizaine de minutes plus tard, dans une robe ocre en soie dentelée et au décolleté criard. Eleanor était sure et certaine que lorsqu'ils les verraient faire les magasins, le long d'Oxford Street, ils découvriraient très certainement la différence entre le jour et la nuit. Ils n'allaient pas manquer de le remarquer puisque de son côté, la marquise de Suffolk avait opté pour une robe de couleur crème à l'encolure remontée, et dont le bas de sa jupe n'était orné que de simples rubans blancs.

« Je ne pensais pas te revoir aussi vite.

—Je te l'ai dis, je comptais m'en aller avant qu'Alexis ne se libère. »

Le fiacre fut animé par les nombreuses conversations des jeunes femmes, jusqu'à ce qu'il atterrisse dans la rue commerçante de Londres. Elles prirent, chacune leur tour, le temps de descendre, puis la marquise indiqua au cocher de revenir dans deux ou trois heures puisqu'elles aimaient marcher le long des rues parfois avant de revenir sur le lieu vers lequel le fiacre les attendrait. Une fois cela fait, Victoria lui prit le bras afin de la mener jusqu'à l'une des meilleures couturières du pays. C'était là où les plus grandes femmes, ayant marqué l'histoire, eurent l'opportunité d'obtenir leur garde-robe. Enfin, c'était ce que Victoria n'avait cessé de lui répéter depuis qu'elles avaient quitté la demeure de la jeune femme.

« Peut-être que l'extravagance te plait, Victoria, mais je n'aime pas qu'on ait les yeux posés sur moi.

—Tu as tord de penser ainsi. Tu es une belle et jeune créature pleine d'énergie, ne sois pas fermée aux mondes extérieurs.

—Et si je ne te connaissais pas assez bien, je ne serais surement pas en train de penser que tes paroles font en sorte de me détourner de mon objectif final.

Victoria lui sourit malicieusement. C'était triste à dire, mais ses yeux étaient aussi froids que de la glace, pensa Eleanor en la regardant.

—Quel objectif ? Je ne pensais pas que la marquise de Suffolk aurait un but précis. Plus depuis qu'elle a fait en sorte d'avoir l'âme charitable, au point de rembourser la dette de son beau-frère. N'a-t-il pas chamboulé ton projet de mariage avec un protecteur fortuné ?

—Tu serais ravie d'apprendre que mon but a été détourné une fois de plus par ce débauché. »

Et par ce débauché, Victoria était certaine d'entendre par là, le comte de Linverslay. Il jouait, elle et lui, sur les mêmes tableaux et il ne s'était croisé qu'en de rares occasions. Ni lui, ni elle, n'avaient été intéressés par une guerre puisque ni l'un ni l'autre n'auraient entrepris de la perdre. Ils se seraient lassés mutuellement et aucuns des deux n'auraient fini vainqueurs de celle-ci. En somme, ils n'avaient jamais éprouvés de désirs pour l'un ou pour l'autre. Quand un homme vous ressemblait, vous savez pertinemment quelles sont ses faiblesses, puisque ce sont les mêmes que les vôtres. Et dans ce cas-là, Lady Armstrong était ravie d'apporter son aide à la marquise puisqu'elle savait comment faire plier le comte.

« Qu'a-t-il bien pu faire pour te détourner de ton projet matrimonial ? »

Entrant dans une boutique, Eleanor attendit qu'elles soient toutes les deux à l'intérieur pour qu'elle puisse lui expliquer le pourquoi du comment de la situation dans laquelle elle figurait.

« Je suis devenue son objectif.

—As-tu accepté d'être sa proie ? »

La marquise vit apparaître une couturière qui se précipitait vers elles, apparemment, elles étaient ses seules clientes pour l'instant. Ou bien, avait-elle parlé trop vite ? Voici que Georgina Sparks pénétrait dans la boutique. Nom de Dieu, et voilà qu'une seconde commère arrivait pour prendre place à ses côtés, sur le seuil de la porte.

« Mesdames, que puis-je faire pour vous ? »

Avant même qu'Eleanor ne puisse lui répondre, une voix retentit dans la pièce ce qui la fit se raidir sur place. Elle qui avait toujours évité de se tenir en compagnie de cette femme, ce n'était pas les hypocrites qu'elle détestait le plus, contrairement à sa meilleure amie, mais les commères.

« Cela fait tellement longtemps que vous nous faites part de votre absence, Lady Grantham. Depuis la mort de votre époux...Que Dieu ait son âme. »

Eleanor leva les yeux au ciel. Que devait-elle répondre à cela ? Oh oui, au lieu de l'aider, Victoria préférait s'éloigner des jeunes femmes afin de se jeter sur les dernières nouveautés de la saison. Quel soutien ! Se plaignit la petite voix au fond d'elle.

« Je compte bien changer cela.

—Ah bon ? Et de quelle manière milady ?

—N'y a-t-il pas un bal dans deux jours ? Que votre mère organise...

—Vous viendrez ? Vraiment ? Mère sera heureuse de vous recevoir ! »

L'excitation qui se lisait dans ses yeux ne lui prédisait rien de bon. Soit Georgina attendait, avec impatience, ce qu'elle pourrait inventer de nouveaux sur la marquise, lorsqu'elle assisterait à ce bal, soit elle confirmerait les rumeurs qui courraient déjà sur celle-ci.

« Quant à moi, je suis heureuse qu'elle m'ait envoyée une invitation. »

Heureuse, peut-être pas. C'était seulement à cause du comte qu'elle venait, il lui avait explicitement informé qu'il serait celui qui la prendrait dans la soirée et la ramènerait ensuite chez elle. Le comte ne viendrait que pour être sur qu'en la forçant à y aller avec lui, les rumeurs s'avérant qu'elle était sa maîtresse, seraient justes et qu'elle lui appartenait déjà lors de leurs confirmations.

Tel un trophée qu'il exhiberait devant une assemblée. Les hommes avaient cette mauvaise habitude de les considérer comme des objets, en conclut-elle.

Ses yeux se détournèrent de la tignasse blonde que possédait Georgina, afin de se poser sur celle brune de son amie, qui faisait preuve d'une timidité déconcertante.

« Est-ce vrai ? intervint-elle soudainement, ce qui surprit la marquise. Elle qui pensait qu'elle n'aurait pas pris part à la conversation !

—Quoi donc ?

—Et bien...Mère me dit souvent de garder mes lèvres sceller, cependant... »

La marquise savait où elle en voulait en venir, mais feindre l'ignorance lui éviterait de répondre à d'innombrables questions ennuyeuses.

« Gardez-les sceller dans ce cas, surgit une voix forte, derrière le groupe de jeunes femmes. »

Victoria arriva, accompagnée de la couturière qui tenait plusieurs robes, de couleurs différentes, sur ses bras.

« J'ai besoin que tu essayes ces robes. »

Georgina roula des yeux, en voyant arriver Lady Armstrong. Rien qu'en lui parlant, certaines avaient la réputation tachée disait-on, mais elle n'aurait jamais cru que la marquise serait amie avec elle.

« Je...Euh...Veuillez m'excuser. »

Sans l'ombre d'un doute, ce n'était pas l'aura dont Victoria détenait qui la faisait fuir, mais bien la réputation que la jeune femme avait volontairement collé à sa peau.

« Je pense que je sortirais plus souvent avec toi, souffla-t-elle immédiatement, après qu'elle ait vu la jeune fille sortir de la boutique, la tête basse, suivi de son amie. Celle-ci, s'éloignant à grands pas d'elles.

—Contente que je te sois utile. D'une quelconque manière surtout.

Eleanor rit du ton ironique qu'elle utilisa pour lui répondre, mais il fut vite interrompu par le regard que posa Victoria sur elle.

—Mais regarde-toi, tes frères ont raison, soit la société te fuit, soit elle t'accapare. Dans les deux cas, ceci est du à ton comportement.

—Que mon comportement les fasse fuir, j'en suis heureuse, qu'ils fassent en sorte de me monopoliser, en cela je le déteste.

—Et bien arrête donc de te comporter de manière puérile et fais ce qu'on attend de toi.

Pour l'une des rares fois qu'elle l'ait vu dans cet état, la marquise fut surprise de déceler de la colère au fond des pupilles bleutés de sa meilleure amie.

—Comportement puérile ? Ne me fais aucune leçon sur mon comportement, ne reproduis-tu pas le même que le mien ? »

Eleanor dut garder le silence. Elle avait raison, ce qu'elle faisait était similaire à ce que Lady Armstrong avait l'habitude de faire. Sélectionnant ses proies, elle faisait en sorte de les faire tomber à ses pieds, avant de se délecter de sa victoire en les délaissant, n'y trouvant plus aucun plaisir à les voir s'amouracher d'elle. Lady Grantham avait l'impression d'être l'élève qui apprenait du maître en ce moment-même.

« Bien évidemment que c'est le cas ! »

Voilà que cette maudite voix revenait à la charge.

Eleanor culpabilisa subitement, elle était alors mal placée pour lui faire la leçon, et quand bien même elle aurait essayé, Victoria ne l'aurait pas écouté.

« Essayes donc la lavande. Je suis certaine qu'elle t'ira à ravir.

Au moins, la colère de Victoria se dissipait assez rapidement, vint-elle à penser, se détendant petit à petit.

—Bien, mais tu devrais t'en prendre une.

—Je n'ai plus aucun plaisir à me vêtir. »

Eleanor écarquilla des yeux en l'entendant. Victoria Armstrong ? La femme la plus coquette qu'elle n'ait jamais vue sur Terre, n'avait plus aucun plaisir à se vêtir ? Nom de Dieu, que se passait-il pour qu'il y ait un tel revirement de situation ? Elle s'apprêtait à lui poser des centaines de questions, voulant comprendre cet air détaché qu'elle prit soudainement, mais elle finit par se diriger derrière un paravent dans l'intention d'essayer les robes qu'elle lui dictait d'essayer. La marquise savait que sa meilleure amie se refermerait sur elle-même, alors elle préférait s'en tenir à la. Enfin pour l'instant...

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