Chapitre IV
Il tuerait pour un verre en compagnie d'une belle femme. Cela faisait depuis quelques temps qu'il n'était plus accompagné par ses amis. Trevor n'était pas revenu de France, Pandora étant devenue une majeure partie de sa vie. Stephan avait décidé de voyager jusqu'en Italie et Arthur était bien trop occupé avec son fils et sa femme pour venir jusqu'au club et faire une partie avec lui.
Bon Dieu, ses amis étaient presque tous mariés. Seul Sébastian et lui restaient dans la course, bien que le duc de Kent ne soit pas fiancé, contrairement à lui. Et sa fiancée justement n'était jamais revenue de son long séjour en Allemagne, il avait toujours regretté de s'être engagé avec cette femme. Lorsqu'un conflit avait éclaté entre eux, elle avait saisi l'opportunité de quitter l'Angleterre afin de poursuivre une vie excitante dans les pays de l'Europe sans jamais le revoir. En y repensant, il eut un goût amer dans la bouche. Était-ce peut-être à cause de l'alcool ? Qui sait. Non, cette femme le répugnait à présent. Pourtant, il n'avait jamais eu l'audace de se détacher d'elle.
Faisant tourner le fond de son verre dans sa coupe, bougeant légèrement son poignet, il balaya d'un regard la pièce en tentant de repérer une femme intéressante avec qui il passerait la nuit. Le comte s'était ennuyé d'Évangeline, et bien qu'il le lui ait fait comprendre, elle avait cet infime espoir qu'il revienne auprès d'elle. Se levant de son siège contre lequel il s'était affalé, Douglas posa son verre au bord de la table de jeu devant quelques hommes infidèles à leurs femmes, puis se détourna de la scène qu'ils lui offraient. Des catins de bas-étages s'exhibaient devant des nobles, leur extorquant le plus de monnaie possible sortit de leurs bourses, en ayant dans l'intention de leur donner du plaisir. Il n'avait jamais été attiré par ce genre de femmes, ni même les maladies qu'elles pourraient lui refiler.
« Vous nous quittez déjà milord ? Vous venez à peine d'arriver pourtant, lui chuchota l'une d'elle en s'accrochant à son épaule.
Il jeta un regard en arrière, voyant que c'était une belle brune portant des paires de boucles d'oreilles constitués d'un saphir à chacune d'elle.
—Si seulement vous étiez intéressante. »
Le comte se dégagea brusquement d'elle, prit son manteau et sortit de la pièce en repensant soudainement à la conversation qu'il eut avec la jeune veuve des jours plus tôt. La couleur des saphirs lui avaient fait penser aux pupilles de la jeune femme, puis de la conversation qu'ils eurent. Il n'avait jamais pris ses choses à cœur autrefois.
Qu'il soit la proie ou bien le prédateur, tout cela lui avait été égale, tant qu'une femme était à ses côtés, il se fichait de savoir ce qu'il était dans ce jeu de séduction. La seule chose qu'il savait, c'était qu'il était et serait toujours le dominant. Cependant, en se remémorant le regard méprisant qu'elle lui avait lancé, il n'était plus le même. Frustré, agacé et même troublé par cela, le comte de Linverslay avait décidé de se tenir informer de ses dernières activités. S'il était une proie comme elle le disait si bien, pourquoi ne deviendrait-elle pas son prédateur ? Il n'avait jamais usé de ses talents de séducteurs depuis son adolescence. Pour arriver à ce qu'il était aujourd'hui, il avait appris ce qu'était l'amour, le désir, la passion et les différencier les uns des autres. Le contrôle de soi-même avait toujours été une chose importante à ses yeux.
Plus loin, il aperçut son valet de pied qui siffla au cocher de venir. Celui-ci s'activa, apparaissant devant le comte qui attendait devant le seuil de la porte. Il monta silencieusement à l'intérieur, après avoir revêtu sa redingote noire. Aucun du valet ni du cocher lui firent de remarques, habituellement une femme se tenait à ses côtés, mais cette fois-ci il était seul. Et rare étaient les jours où le comte passait une nuit seule.
« Avez-vous passé une bonne soirée milord ? »
Douglas MacCarthy tendit son manteau à son majordome qui venait de le questionner. Le comte l'observa longuement, tandis que son domestique accrochait son manteau sur le porte-manteau contre le mur du couloir.
« Dites-moi, Bolton...
—Oui, milord ?
—Connaissez-vous Lady Grantham ? »
Son majordome garda le silence, mal à l'aise face à son maître. Bien que le comte lui-même ne soit pas enclin à croire aux rumeurs, celles-ci s'avéraient, pour une fois, justes. Il arrangea nerveusement les bouts de ses manches, abaissant son regard sur sa tenue.
« Non, milord...Qui est-ce ? »
Le comte de Linverslay arqua l'un de ses sourcils, il n'était pas fréquent que son majordome réagisse de cette manière. Et lorsqu'il le faisait, c'était bien parce qu'il avait quelque chose à lui cacher.
« Eleanor Grantham, la marquise de Suffolk. Êtes-vous surs de ne pas la connaître Bolton ? »
Osant relever son regard vers le comte, il remarqua que son maître avait décelé ce qu'il lui cachait. Douglas n'était pas dupe. Son majordome récoltait aisément des informations sur les personnes de son entourage, et généralement, il ne lui rapportait que ce qui était juste. Cependant, jusqu'ici, il n'avait jamais osé les lui cacher. Et le débauché voulait en savoir la raison.
« Si, milord, finit-il par lui avouer, se grattant l'arrière du crâne.
—Et bien ? »
L'écossais se détourna de son domestique, traversant le hall d'entrée, dans l'intention de se diriger vers son bureau. Il tourna à gauche, passant devant son escalier en bois ciré, et se rendit tout d'abord dans son long couloir.
« Elle est veuve milord. Depuis deux ans, lui informa Bolton, sur les talons de son maître.
Il poussa la porte à sa droite et entra dans son bureau. Douglas remarqua qu'on avait allumé un feu dans l'âtre, et qu'un paquet de livres était entreposé au bord de son bureau, rattachés entre eux à l'aide d'une fine corde.
—Mis à part cela, que peux-tu me rapporter sur cette femme ?
Refermant la porte derrière leur passage, Bolton se tourna vers le comte et se tint devant la porte d'entrée, le dos droit. Ses mains gantées se rejoignirent derrière son dos, et il fit de même avec ses pieds, relevant son menton.
—Lady Grantham est issue d'une famille de la petite aristocratie qui n'a pas obtenu de titre. Leur fortune était pourtant bien grande, et elle était la fille unique de madame et monsieur Balmont. Eleanor, connue dans l'intimité en tant que Len, a épousé le marquis de Suffolk après qu'il lui ait fait la cour durant une longue période. Elle avait connu le succès grâce à son charme naturel, mais notamment grâce à son caractère bien trempé. Une enfant indocile qui se permettait de désobéir aux règles de la bienséance...Disait-on. Ceci à cause de sa mauvaise fréquentation qui n'est autre que Victoria Armstrong.
Douglas eut un petit rire en remarquant le ton que son majordome avait pris. Très respectueux de la bienséance, son majordome avait toujours trouvé scandaleux la manière dont les femmes entachaient leurs réputations pour quelques plaisirs charnels, ou bien à cause de « vulgaires caprices », comme il le disait si bien. Bolton n'avait pourtant jamais critiqué les agissements de son maître. Il avait été témoin de la raison pour laquelle il le faisait, et il avait été compréhensif à ce sujet. Pour ce qui était de critiquer ceux de Lady Armstrong, c'était autre chose.
« Et elle est devenue veuve il y a deux ans de cela.
—Depuis que vous avez donné la mort à son époux, milord, précisa celui-ci.
Se saisissant de sa bouteille de cognac, il versa le contenu dans un verre en cristal, puis le but d'un seul trait, le reposant bruyamment sur un petit chariot mobile.
—Chercherait-elle à se remarier ? Je l'ai vu fréquenter le duc de Mormont, à plusieurs reprises du moins.
Son majordome garda le silence ce qui lui fit relever sa tête dans sa direction.
—Milord...Lady Grantham et lui...Et bien...
—Ne soyez pas si gêné, dites-moi ce qu'il se passe ?
Il demeura silencieux, ce qui l'agaça.
—Bolton ?
—Lady Grantham est la maîtresse du duc, milord. »
Douglas MacCarthy roula des yeux en entendant la nouvelle. Plaisantait-il avec lui ? C'était une blague de mauvais goût alors. Croire que cette femme deviendrait la maîtresse d'un homme ? Il ne se l'imaginait pas ! Néanmoins, son majordome avait l'air sérieusement d'y croire lui.
S'adossant au bord de son bureau, le rejoignant en quelques pas seulement, le comte se versa une seconde fois le liquide orangé dans son verre qu'il avait emporté avec lui.
« La maîtresse du duc de Mormont vous dites ?
—Depuis quelques mois, milord. Et il est dit qu'elle a accepté de le devenir pour rembourser la dette de Théodore Grantham envers le duc.
En entendant ce nom, Douglas retira le bord du verre de ses lèvres avant de revenir le poser sur la table. Il fit de même avec la bouteille puis se redressa.
—Théodore Grantham...Oui, j'avais oublié que dans toute cette histoire, le fautif n'était autre que cet enfant.
Son majordome ne fit qu'acquiescer à ses dires jusqu'à ce qu'un silence pesant ne remplace leur discussion.
—Elle prévoyait de se marier, mais ses chances sont visiblement ruinées. Personne ne voudrait d'une épouse à la réputation tachée, rajouta Bolton en se balançant sur ses talons d'avant en arrière.
—Cela va de soi. »
Mais Douglas n'était pas totalement d'accord. Peut-être que les hommes de la société ne la verrait que comme une courtisane à présent, mais elle faisait partie de la noblesse. Et en se rappelant de cela, les gentilshommes la distingueraient donc d'une vulgaire femme offrant son corps, à une femme pleine d'expérience et qui leur offrirait des merveilles. C'était du moins ce que Victoria était devenue aux yeux de la société. Non, ce que le comte pensait d'elle, c'était qu'elle deviendrait la proie de tous les hommes du monde et que pourtant, ce serait elle le prédateur. Eleanor choisirait son époux en fonction de ce qu'il lui apportera, non pas parce qu'il fera preuve de gentillesse, sera attentionné ou même beau. Non, il était sur que la marquise cherchait juste la protection d'un homme. Quelqu'un qui lui apportera la fortune qu'il lui faudrait pour ne pas être dans le besoin.
Puisqu'en ce moment même, il avait entendu dire que cette femme était ruinée depuis deux années, et en rajoutant le fait que son beau-frère doit rembourser une dette, Eleanor s'était vue dans l'obligeance de tomber dans les filets du duc de Mormont. Tout le monde connaissait la relation père-fils qu'entretenaient Théodore et monsieur Grantham. Et tout le monde savait d'ors et déjà qu'il aurait laissé son fils avec ses dettes de jeu, au lieu de les rembourser contrairement à l'ainé de la famille, qui, lui, aurait pris soin de le faire.
« Avez-vous dinés milord ? Voulez-vous que nous vous apportions-...
—...Ce ne sera pas nécessaire, le coupa Douglas en buvant son verre, gorgée après gorgée cette fois-ci.
—Bien, avait finalement répondu son majordome, avant de quitter la pièce. »
Il attendit qu'il sorte de son bureau pour se tourner vers la fenêtre de son bureau. Le comte esquissa un sourire, rapprochant son verre de ses lèvres en repensant à la jeune femme ainsi qu'à son beau-frère.
Ce qui était amusant dans la situation dans laquelle la marquise se trouvait, c'était qu'il lui suffirait qu'elle tombe entre ses bras pour qu'elle ne devienne plus qu'un pantin contrôlé par ses sentiments envers lui. Cela lui fera peut-être ravaler l'arrogance dont elle était dotée. Et son égo n'en sera que plus flatté.
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Le comte de Linverslay regarda son armoire, hésitant avec trois gilets dont la couleur de chacun d'eux n'était autre qu'un dégradé de bleu. L'un d'eux se rapprochait d'un bleu nuit qui mettrait sans doute en valeur sa tenue grâce à ses boutons en argent, et sa chaine qui pendait d'une de ses poches, néanmoins il préférait le bleu persan du second qui le rendrait plus gai. Tout compte fait, il opta pour un bleu égyptien à de fines rayures noires. Il se saisit ensuite d'une redingote au tissu léger, choisissant par la suite son pantalon qui s'accordait à la perfection avec son gilet. Arrangeant son col, il finit par coiffer ses cheveux, les rabattants en arrière de son crâne, en laissant sa fameuse mèche rebelle redescendre à l'extrémité de son front. Soudainement, la porte s'ouvrit et Bolton écarquilla des yeux, avant de froncer des sourcils.
« Milord, vous auriez du m'attendre, lui reprocha son majordome en rentrant dans la chambre du comte. »
Formellement, il avait des domestiques à sa disposition pour le vêtir, que ce soit le matin ou le soir pour se mettre en tenue de nuit, cependant Douglas avait été habitué à une certaine autonomie que ses serviteurs avaient toujours eu du mal à accepter jusqu'à aujourd'hui encore, notamment pour son majordome.
« Le fiacre est prêt ?
—Oui milord. J'étais venu pour vous le dire mais aussi vous demander de patienter jusqu'à ce que le premier valet vienne vous aider à choisir votre tenue. »
Les familles avaient toujours des règles strictes. Même au sein des domestiques il y avait une hiérarchie. Leur pays était rempli de règles, et il s'était toujours demandé comment est-ce que la société avait pu s'y conformer à la lettre depuis des siècles. Il esquissa un sourire ironique en y réfléchissant sérieusement. Bien évidemment, tout le monde, s'est, un jour ou l'autre écarté du droit chemin. Lui le premier !
« Et bien ça ne me sera plus d'aucune utilité Bolton. Allez plutôt lui apprendre à tenir sa langue. »
Le vieillard se tint le front d'une main. Que s'était-il donc passé ? Une fois de plus il avait du encore trop parler. Bon dieu, il allait jeter ce bon a rien dans une fosse si jamais il continuait. Son imprudence finirait par ternir la réputation du comte. Déjà que celui-ci n'était qu'un débauché, il suffirait à présent qu'on dise que ses domestiques ne soient plus qu'une bande d'incompétents ! Oh que non, personne n'entacherait leur réputation, ni celle du comte, ni la sienne, ni même celle de la demeure de Linverslay !
Le comte lança un regard à son majordome qui semblait désenchanté par le comportement du premier valet. Bolton avait l'habitude de s'inquiéter pour des futilités, mais c'était grâce à lui si la demeure avait été classée comme l'une des plus admirables résidences de Londres.
« Bien, je ne tarderais pas à rentrer.
Les paroles de son maitre le surprirent encore plus que son habituelle autonomie. Bolton agrandit ses yeux et observa Douglas qui se saisissait de son haut chapeau noir.
—Vous rentrerez ce soir ?
Cela amusa le débauché qui ne put s'empêcher de lui rire au nez.
—Les femmes commencent à m'ennuyer.
Il prit un temps, enfonçant sa montre à gousset au fond de sa poche de veste, avant de continuer :
—Ce n'est peut-être qu'une période passagère, espérons-le. Sinon je serais réellement bien ennuyer de ne plus m'intéresser à ses si vicieuses créatures.
—Il est bien vrai qu'elles le soient, mais pas toutes, milord. Et lorsque vous aurez trouvés l'exception à la règle, j'espère qu'elle vous mènera à l'autel !
—Ma mère serait ravie de vous entendre. "
Passant la porte de sa chambre, suivi de son majordome, il se dirigea jusqu'à la voiture qui l'emmènerait au premier bal de la saison. Trois invitations en seulement une semaine pour un seul et même événement, Douglas n'avait jamais été aussi flattée. Pourtant, ce ne fut pas cela qu'il l'avait poussé à y aller aussi affablement vêtu. C'était une chose qu'il s'était juré d'obtenir.
Le comte de Linverslay arriva au moment même où la salle se remplissait à vu d'œil. Il fut accueilli par la baronne d'Oxford qui était en charmante compagnie d'un Allemand du nom de Strauss. Elle semblait ignorer le fait qu'il était à ses côtés, ou bien, feignait-elle le fait qu'elle ne soit nullement au courant de sa présence ? Cela en avait tout l'air, mais il ne s'attarda pas sur ce sujet puisqu'il décida de grimper les escaliers à sa droite afin d'avoir une meilleure vue sur les invités depuis l'étage supérieure. Un domestique y descendait avec un plateau où plusieurs verres se succédaient, il en attrapa rapidement un puis se dirigea en direction des remparts contre lesquelles il s'appuya. En attendant sa venue, il serait ravi d'examiner les comportements de certains.
Seulement une demi-heure plus tard, il ne fut pas certain de vouloir encore l'attendre. Vu ce qu'il avait sous ses yeux, cela avait l'air de l'irriter. Cette jeune femme apparaissait toujours là où sa classe ne l'autorisait pas. Le comte leva les yeux au ciel s'apercevant qu'Evangeline avait décidé de l'ennuyer encore bien longtemps. Terminant son second verre de la soirée, Douglas se déplaça dans l'intention d'aller la rejoindre avec son nouvel amant. Qui l'aurait cru ! Lui, le débauché le plus réclamé, mis à l'écart par une vulgaire actrice qui avait préféré se jeter dans les bras d'un vicomte.
« Vous n'auriez pas pu trouver quelque chose de plus indécent ?
—N'y a-t-il seulement pas un jour où j'éviterais vos critiques sur mes tenues ?
— Si vous vous étiez habillés de manière convenable ses derniers jours, je n'aurais pas eu à le faire. »
Le comte de Linverslay reconnaissait ses voix, mais il avait du mal à savoir qui en étaient les propriétaires. Sa tête s'était tournée dans leur direction, mais il ne voyait que deux silhouettes distinctes grâce aux lueurs de la lune. Les regards se tournèrent parfois vers la fenêtre donnant sur la terrasse du jardin, dans laquelle ils étaient tous les deux, néanmoins aucun n'osait aller voir ce qu'il se passait.
« Revenez ! gronda une voix grave, qui fit sursauter les jeunes femmes regroupées près de la fenêtre. »
Celles-ci s'éloignèrent en murmurant entre elles, faisant battre leurs éventails devant leurs lèvres. Elles pensaient que les calomnies qu'elles diraient sur ce couple seraient imperceptibles aux oreilles humaines. Douglas attendit de longues minutes, avant de se décider à sortir sur la terrasse afin d'élucider le mystère sur l'identité de ce couple. La curiosité avait été attisée par ses doutes, et au lieu d'offenser sa maîtresse devant la bonne société, il était bien plus intéressé par le conflit de cette paire.
« Ne vous approchez pas, Damien. Éloignez-vous de moi.
—Oh assez !
La marquise reculait doucement, regardant s'il n'y avait pas une quelconque échappatoire. Elle avait pensé qu'il aurait décidé de rester au bal et qu'il aurait attendu qu'elle revienne d'elle-même y assister, néanmoins il l'avait suivi jusqu'à cette tonnelle en marbre blanc.
—Je n'en peux plus madame, vous le savez autant que moi que ce jour viendrait.
—Nous ne pouvons pas le faire ici, c'est absurde !
Il eut un rire sans joie à ses paroles ce qui la raidit.
—Absurde ? Je vous ai convié de nombreuses fois dans ma couche, mais vous avez refusé en m'offrant d'innombrables excuses. »
En reculant, Eleanor sentit derrière elle l'un des piliers soutenant cette tonnelle, prenant entre ses doigts les plis de sa robe, elle anticipait le moment où il s'approcherait d'elle. Courir serait le meilleur moyen de le fuir, du moins jusqu'à ce qu'elle n'atteigne l'intérieur de la salle. Brusquement, elle sentit des pressions sur ses poignets qui se resserrèrent au moment où il la plaqua brutalement contre la colonne de marbre. Elle émit un petit gémissement de douleurs, avant de mordre sa lèvre inférieure.
« Je vous veux Len. Et je vous aurais...
—Du moins, seulement pour ce soi-... »
Ses lèvres se posèrent violemment contre les siennes, et elle sentit l'une des mains du duc se saisir du tas de jupons en dessous de sa robe avant de les soulever d'un seul coup. Elle serra à ce moment-là les jambes, mais il écarta de son seul bras libre l'une d'elles pour rentrer la sienne entre ses jambes.
« Vous me voulez ainsi...Hein ? Soumise grâce à votre brutalité...lui murmura-t-elle en tournant son visage sur le côté. »
Il tenta de l'embrasser mais elle bougeait sa tête de sorte à ce que ses lèvres ne touchent plus les siennes, alors Damien décida d'embrasser son cou joliment exposé. Petit à petit, elle avait lâché prise et ne montrait plus aucun signe de résistance face à lui. C'était inutile. Il était bien plus fort qu'elle, plus grand aussi. Et plus rapide, malheureusement.
« Vous êtes ma maîtresse, vous avez accepté de n'appartenir qu'à moi, de ne vous soumettre qu'à moi, et de me laisser faire ce que je voulais de vous. »
« Plus pour très longtemps, chien. » Voulut-elle lui répondre, mais elle se garda de le faire, il serait encore plus violent qu'il ne l'était à présent.
Leur relation n'avait pas débuté avec cette jalousie monomaniaque qui engendrait souvent sa brutalité, elle avait su par son passé et sa réputation que le duc de Mormont était un homme dangereux, mais il était juste faible face à son désir. Un désir qu'il n'arrivait pas à contrôler. Celui-ci s'étant renforcé par le fait qu'elle lui résistait, et ne l'appartenait pas totalement, puisque son cœur ne battait pas pour lui.
Au moment où il la pénétra, le chignon de la jeune femme se défit et ses cheveux bruns tombèrent le long de ses épaules. Encadrant seulement ses seins nacrés, qu'il avait réussi à toucher en ouvrant son corset, déchirant par la même occasion le tissu de sa robe, les yeux de Damien ne purent se détacher de cette vision. Les lueurs de la lune éclairaient la jeune femme tandis que la pénombre de la tonnelle le couvrait d'une obscurité, il trouvait cette situation amusante, mais se garda de le lui dire. Elle trouverait certainement le moyen de lui couper son appétit bestial. Le duc ne put retenir ses grognements de plaisirs et autres bruits de enchantés, pendant que ses vas et viens devenaient plus lents et moins profonds. Il s'était fatigué à la dévêtir, à la retenir contre ce pilier et, maintenant, à lui faire l'amour. Cette femme était épuisante, mais si plaisante. Il commença dès lors à se retirer en sentant qu'il allait atteindre la jouissance, étant duc, il ne pouvait se permettre de procréer un bâtard. Il caressa doucement son sexe et elle entendit alors un grognement sourd qui la fit frissonner de dégout.
« Félicitation votre Altesse, lui avait-elle dit avec ironie et d'une voix grave à cet instant. »
Relevant son regard afin de la scruter, le duc de Mormont fut troublé en la voyant dans cet état. Si ça n'avait été lui le coupable, il aurait cru qu'on l'aurait violé...Ne l'avait-il pas fait ? Non, elle s'était finalement offerte à lui. Il voulut l'aider à se revêtir, mais elle balaya du revers de sa main la sienne et il dut reculer de quelques pas en fronçant tristement des sourcils.
« Pardonnez-moi...Je ne voulais pas...
—Cessez donc de vous excuser, le mal est fait, siffla-t-elle entre ses dents. Ce n'est pas comme si vous m'aviez violée, n'est-ce pas ?
Baissant ses jupons qu'il avait remonté après qu'il l'ait plaqué contre l'énorme pilier, elle essaya d'arranger sa coiffure qui était totalement défaite, mais en vain.
—Mais je l'ai fait et j'en ai honte...
—Avez-vous aimé ?
—Comment ?
—Avez-vous aimé me contraindre ?
Il eut du mal à s'exprimer mais il réussit à lui demander :
—Est-ce une façon de dire que...je vous ai violé ?
—Non, c'est une façon de dire que vous m'avez pris contre ce pilier comme si je n'étais qu'une vulgaire catin. »
Damien se racla la gorge, visiblement honteux. Oh que oui il pouvait l'être ! Si elle ne s'était pas abandonnée à lui, elle aurait risqué de le rendre encore plus violent durant l'acte. Eleanor faisait un énorme effort pour ne pas lui montrer qu'elle était furieuse et complètement effondrée. Qu'elle s'était sentie tellement impuissante que les larmes avaient failli jaillir de ses yeux et qu'elle aurait même éclaté en sanglots pendant l'acte, pourtant elle y avait mis toute ses forces et s'était retint. Pas devant lui, pas devant cet être infâme, c'était d'ailleurs de sa faute...Si elle avait écouté Victoria, jamais il ne se serait mis en colère et elle aurait pu le manipuler à sa guise comme sa meilleure amie le faisait si bien avec les hommes.
« Donc, j'en reviens à ce que je vous ai demandé. Avez-vous aimé me rabaisser ainsi pendant que vous le faisiez ?
—Je-...
—Bien sur, je connais déjà votre réponse.
—Seriez-vous satisfaite si je vous offrais quelque chose en retour ? Quelque chose qui exprimerait mes plus plates excuses.
Elle fut prise d'un fou rire, remettant son corset correctement.
—Vous me traitez réellement comme une catin, n'est-ce pas ? Vos excuses, vous ne les pensez guère, vous avez eu ce que vous vouliez car vous pensiez que vous en aviez eu les droits. Et jusqu'ici, vous n'en pensez pas autrement. »
Le duc de Mormont ne lui répondit pas. Il sut à son regard qu'elle avait mis fin à leur conversation, alors il décida de la laisser seule, sous cette tonnelle, tandis qu'il rejoindrait les autres dans la salle de bal.
Après qu'il l'ait quitté, elle se dépêcha de remettre en ordre sa tenue mais elle sentait encore la sensation de son sexe en elle. De cette chose ignoble qui avait glissé entre ses cuisses et s'était logé au fond de son vagin. Inconsciemment, elle savait que cet homme aurait pu commettre cet acte ignoble, mais elle avait préféré taire cette voix au fond d'elle, qui n'avait cessé de la tourmenter. Il avait été le seul à pouvoir la sauver de la ruine, c'est ce qu'elle avait pensé autrefois, jusqu'à ce qu'elle prenne conscience qu'elle ait rempli sa part de bonne action. Elle avait aidé Théodore à s'échapper de la dette qu'il avait eu envers cette brute, à présent, elle était libre de partir. Les autres partis ne l'avaient pas autant enchantés que cet homme, il était duc et l'un des plus riches d'Angleterre. Malléable mais il restait intelligent, leurs discussions étaient souvent enrichissantes, mais elle ne l'avait jamais désiré ou aimé. Alors que d'autres possédant moins de vertus que lui avaient réussis à le faire.
Quelques larmes roulèrent le long de ses joues. Elle les sentit immédiatement et commença à se les essuyer. Elle se sentait tellement pathétique. Reniflant une fois ou deux, elle ferma ses paupières et inspira un bon coup. Si elle revenait dans la salle les yeux humides, ils verraient qu'il y avait eu un problème. Cependant, elle ne put réprimer quelques sanglots traverser ses lèvres gonflées par la brutalité qu'il avait fait preuve envers elle. Cela ne dura qu'une quinzaine de minutes afin de se remettre en état et de relever fièrement son mention vers le ciel dégagé. Il fallait qu'elle se reprenne, elle l'avait voulu, elle avait accepté d'être sa maîtresse et un homme avait ses désirs, il était normal qu'il réagisse ainsi à cause de la frustration...Mais la prendre de cette manière, avec cette brutalité, ceci, elle ne l'aurait jamais imaginé.
En relevant ensuite sa tête, Len sursauta de stupeur et recula de quelques pas en voyant devant elle un homme assez grand aux larges épaules carrées, la dominant de toute sa hauteur. Il était même gigantesque. Un géant. La marquise avait manqué de trébucher mais, en glissant l'un de ses bras autour de sa taille, l'écossais avait réussi à la rattraper.
Sentant les seins de la jeune femme se presser contre son torse, il sentit une étrange sensation en bas de son ventre qu'il n'avait plus réussi à ressentir durant ses dernières semaines. En plongeant dans ses pupilles, Douglas n'osa plus y ressortir, il ne cessait de la regarder en sentant son cœur s'emballer dans sa poitrine. Était-ce le désir qui revenait au galop ? Il en était sur, c'était bien cela. Et il était certain aussi que cette femme ressentait la même chose que lui à cet instant-là. Ses seins se soulevaient au même rythme que sa respiration et ses lèvres entrouvertes semblaient réclamer les siennes. Il décida de se rapprocher alors de son visage, afin de pouvoir l'embrasser à sa guise.
Il n'était juste qu'à quelques centimètres de ses lèvres, brusquement, la main de la jeune femme partit d'elle-même et le comte ne pensa pas une seule seconde que ce serait une gifle qu'il aurait reçu d'elle, mais d'une douce caresse sur sa joue.
« Je vous ai demandé de me lâcher ! »
Il secoua rapidement de la tête et dans un grognement de mécontentement, il fit ce qu'elle lui demandait depuis quelques minutes déjà. Eleanor se dégagea de son étreinte et entreprit de placer une distance raisonnable entre eux. Nom de Dieu, qu'avaient tous ses hommes avec elle ce soir ? Lorsque l'un d'eux partait, un autre venait l'ennuyer. Elle décida de ne pas rester en sa compagnie. Ce qu'il s'était passé avec Damien ne se repasserait pas avec un autre homme. Ce n'était pas le choc qu'on l'ait forcé à le faire qui la rendait aussi irascible, mais le fait qu'il ait osé le faire. Elle se sentait tellement souillée à cet instant...Mais elle aurait du s'y attendre, elle aurait du lui donner ce qu'il voulait depuis le début et peut-être qu'il aurait cessé de la réclamer.
Cependant, en la voyant s'éloigner à grands pas de lui, il s'exclama :
« Êtes-vous certaine de vouloir continuer à jouer avec cet homme ? »
Au prochain pas qu'elle fit, Len s'arrêta, hésitante à lui répondre. La jeune femme entreprit de prendre en considération les nombreux conseils de Victoria, il fallait qu'elle ait toujours la tête haute et fasse comme si rien ne s'était passé...Oui, il le fallait.
« Autrement, avec qui d'autre pourrais-je m'amuser ?
—Avec moi.
—Vous ?
—Ce qui vous attire chez le duc n'est autre que sa fortune qui vous aide à maintenir votre domaine à neuf. Il vous assure simplement un avenir sans difficultés et vous donne l'opportunité de vous vêtir à votre gout.
A ces mots, elle se tourna avec lenteur vers lui et mit ses mains sur ses hanches. Au fond de ses yeux, étincelait une lueur moqueuse ce qui lui fit sourire.
—Tout amant pourrait me convenir. Pourquoi vous choisirai-je alors ?
—Le duc est plus haut placé et plus fortuné que les autres hommes. C'est un homme intelligent aussi, contrairement aux écervelés dont les femmes ont l'habitude d'avoir pour époux.
—Si vous l'avouez de vous-même, pourquoi choisirai-je un comte au lieu d'un duc ?
—Parce qu'il ne vous offre pas ce que je serais capable de vous offrir, « Len ».
—Que pourriez-vous m'offrir d'autre que ce je possède déjà ? Vous ne voudriez tout de même pas m'épouser ! se moqua-t-elle ouvertement.
— Non, vous ne voudriez certainement pas d'un époux infidèle, enfin à moins que vous le voudriez ?
—Non, vous avez raison.
Elle prit un temps avant de sérieusement lui demander :
—Et bien ? Que pourriez-vous donc m'offrir d'inhabituel ?
—Du plaisir. »
Eleanor s'était attendue à cette réponse. N'était-il pas le débauché le plus célèbre de Londres ? Que pourrait-il offrir d'autre à une femme que ce cadeau dont elles n'avaient pu bénéficier pendant leurs vies conjugales ? Bien évidement, du plaisir. Quelque chose qui assujettissait chaque être vivant sur terre. Et c'était la seule raison pour laquelle il était aussi célèbre. Douglas MacCarthy pouvait offrir à une femme un plaisir charnel encore jamais expérimenté, et l'un comme l'autre, sous cette tonnelle, en avait conscience.
Cet air satisfait qu'il affichait, ce sourire victorieux qui s'était dessiné sur ses lèvres, c'était bien parce qu'il pensait avoir gagné son cœur. Car une fois qu'elle accepterait, ce ne serait plus qu'une question de temps pour qu'elle tombe dans une bataille de sentiments qu'elle ne saurait échapper. Il avait néanmoins été ennuyé de la voir dans cet état après qu'il ait été témoin de l'acte ignoble qu'il s'était passé sous ses yeux...Au moment où le duc s'était retiré d'elle, Douglas venait d'arriver près de la tonnelle et avait été choqué de la manière avec laquelle Lord Declairmont avait essayé d'atténuer la chose. S'il n'avait pas vu la jeune femme pleurer, Douglas lui aurait rompu le cou. Il avait préféré lui offrir le réconfort dont elle avait besoin, que d'envoyer sa haine contre cet homme répugnant.
« J'accepte. Mais à une condition.
—Quelle est-elle ?
—Lorsque vous m'aimerez, faites en sorte de me le cacher. »
A la fin de ses paroles, elle prit le temps de lui offrir son plus beau sourire narquois, mais il ne fut pas offensé par son arrogance, avant de tourner les talons, le laissant seul. Douglas avait mis un certain temps à comprendre ce qu'il s'était passé, mais son fou rire ressortit dans la nuit. Quelle femme ! Il n'avait jamais été aussi excité par le fait de séduire une femme, mais là, ce n'était pas n'importe laquelle. C'était une prédatrice qui avait l'habitude de mettre à terre ses proies. De les dépouiller et de les dévorer avant de laisser leurs carcasses vides sur le sol. Là, il était bien forcé d'avouer qu'à ce jeu, il sortirait les armes.
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