Chapitre IV (Partie II)



Le duc de Wayland fut irrité par la présence de sa maîtresse en ses lieux. D'aussi bon matin, l'entendre hurler à en faire fuir même le diable, cela ne lui plaisait guère. Que se passait-il donc pour qu'Annabelle soit d'aussi mauvaise humeur ? Emrick n'avait pas osé le réveiller. Néanmoins, après l'esclandre qu'il s'était passé dans son salon, le majordome n'avait pu attendre une minute de plus pour aller réveiller son maître, ne sachant quoi faire dans cette situation. L'incapacité de son majordome à gérer ce genre de situation rendit son humeur maussade.

« Quand est-elle arrivée ? Grogna Trevor, boutonnant sa chemise après avoir enfilé le pantalon de la veille.

— Il y a une quinzaine de minutes, milord. »

Quinze minutes ! Quinze petites minutes et son majordome n'en avait, il en était certain, pas tenu une seule. Ce devait être son chef cuisinier qui avait dû sortir de sa cuisine afin d'aller prêter main forte au majordome, n'étant qu'un néophyte, face à la comtesse.

« Allez l'informer de m'attendre dans mon bureau. »

Posant son regard sur Emrick qui le regardait toujours sans s'exécuter, le duc leva les yeux au ciel. Il ne savait comment son choix fut porté sur lui. Cet enfant était incompétent, à comparer du majordome du comte d'Hempton, c'en était presque désolant.

« Qu'attendez-vous ? », gronda le duc de Wayland, légèrement agacé.

A ces mots, Emrick avait détalé comme un lapin, confus. Cela ne servait à rien de s'énerver, il le savait, mais le fait que le cerveau de son majordome ne reçoive que bien après ces informations, cela lui sortait par les yeux.

Une fois habillé, Trevor se mit à marcher dans les couloirs de sa demeure, en se demandant la raison de la soudaine venue d'Annabelle. Que lui prenait sa maitresse de débarquer à pas d'heure, un dimanche matin, sans même envoyer un message l'informant de sa visite. Poussant la porte de son bureau, il pénétra dans la pièce en la balayant d'un regard. Le duc de Wayland haussa un sourcil en l'observant fouiller dans sa bibliothèque, était-elle intéressée par les livres ? Depuis quand ?

A chacune de ses rencontres avec la jeune femme, il trouvait une certaine satisfaction à découvrir un nouveau côté chez elle. Elle n'était pas vraiment femme à s'ouvrir aux autres, bien que réservée à leurs premières rencontres, elle n'avait pas hésité à vouloir le prendre en tant qu'amant. Il semblerait que son mari ne lui avait jamais procuré autant de plaisirs que ses caresses, et qu'elle n'avait, malheureusement, connu que ce vieillard simplet.

Trevor s'adossa contre la porte de son bureau et croisa ses bras devant son torse, curieux de savoir si la jeune femme avait senti sa présence. Elle était tellement concentrée à sa tâche qu'Annabelle n'avait pas remarqué que le duc l'observait depuis une dizaine de minutes, attendant patiemment qu'elle relève la tête et sache qu'il était enfin présent. Lorsque ce fut fait, la jeune femme empoigna ses jupons et marcha jusqu'à lui, affichant un sourire étonnement large, qui le surprit.

« Nous pouvons partir ! »

Le duc de Wayland cligna plusieurs fois des paupières avant de lui répondre :

« Partir ?

— Mais oui, rappelle-toi ! »

Elle resta un moment devant lui, les lèvres scellées, pensant qu'il allait lui donner la réponse qu'elle attendait de lui mais Trevor ne semblait réellement pas comprendre le sous-entendu dont elle lui faisait part.

« Cornouailles ! Tu avais dit que nous partirions dans ta maison de campagne lorsque mon époux m'aurait donné son accord. »

Se redressant brusquement, il fronça des sourcils ne se rappelant pas d'avoir eu cette conversation avec elle. Surtout que la maison de campagne en Cornouailles n'était plus la sienne, elle était sous le nom des Fortune. Son père avait doté Pandora de leur propre maison de campagne, n'en sachant la véritable raison.

« Annabelle, je ne peux me permettre de partir durant cette période de l'année.

— Comment ? s'exclama-t-elle, en colère.

— J'ai des affaires importantes à régler, et tu le sais.

— Ta femme pourra bien attendre. Elle t'a fui pendant deux années entières, ce n'est pas une semaine qui changera grand-chose.

Doucement, elle s'était pressée contre lui et avait passé ses bras autour de son cou, un sourire ne quittant pas ses lèvres.

—Dis oui... » Souffla-t-elle entre ses lèvres, fixant celles du duc.

Annabelle resta un moment à les regarder, le désir voilant ses yeux, elle ne se rendit pas compte que Trevor n'était pas d'humeur aujourd'hui. Détachant ses bras de son cou, il repoussa la jeune femme, agacé et s'éloigna d'elle à grands pas. Atteignant son bureau, il s'y adossa contre et l'observa au loin.

« Je ne changerai pas d'avis, Annabelle, je ne peux pas quitter Londres maintenant. »

La jeune femme fronça légèrement des sourcils, elle paraissait dans l'incompréhension la plus totale. Le duc de Wayland ne lui avait jamais montré ce côté si sérieux autrefois, était-ce le problème avec son épouse qui lui posait problème ? Quelque chose le tracassait ?

« Pourquoi...Pourquoi est-ce que tu ne veux pas y aller ? Est-ce à cause de ton épouse ? T'a-t-elle communiqué un message t'informant de son retour à Londres ? »

Annabelle se tourna vers le duc, tentant de lire dans ses pensées mais le duc ne laissait rien entrevoir. Son visage était inexpressif et ses yeux bleus ne communiquaient rien de plus que de la froideur. C'est ce qui l'effraya. Etait-il las d'elle ? N'était-elle plus intéressante à ses yeux ? Que lui fallait-il de plus ?

Lorsqu'elle commença à lui parler de Pandora, Trevor s'était mis à réfléchir à la situation. Son regard se fixa sur un point vide, droit devant lui, puis se remémora la scène de la veille. Qui l'aurait cru ? Lui, marié à la plus belle femme qu'il n'avait pu rencontrer jusqu'ici, une Italienne qui avait un fort tempérament et était aussi indépendante que lui. Trevor s'était toujours promis de ne prendre qu'une femme qui dépendrait de sa personne afin qu'elle ne puisse voir ailleurs, cela lui éviterait de le fuir comme l'avait fait sa mère avec son père. Mais Pandora s'avérait être un défi de taille.

« Je suis revenue à Londres afin de réclamer l'annulation de notre mariage. »

Cette femme avait une certaine assurance. Réclamer d'elle-même l'annulation de leur mariage sans même en avoir discuté avec lui, cela l'avait frustré, encore plus lorsqu'elle lui rapporta le fait qu'elle choisirait par la suite son époux durant cette saison. Un autre que lui ! Qui pouvait-elle trouver de mieux que lui ? Financièrement, il pouvait subvenir à tous ses besoins, socialement, elle serait duchesse et obtiendrait les faveurs de tous les nobles de la société anglaise ou même étrangère ! Et enfin, il était prêt à assurer son avenir ainsi qu'à celui de sa sœur dans le cas où leur père se trouverait dans une fâcheuse posture. Que demandait-elle de plus ?

« M'aimes-tu ? »

La voix forte et féminine d'Annabelle résonna dans la pièce mais il eut quelques minutes de réflexions à ce propos. De l'amour. Etait-ce ce dont voulait Pandora Fortune ? De l'amour. De l'affection, il pouvait lui en apporter peut-être, mais de l'amour...Il n'en était pas certain. Du plaisir, sans doute ! Il n'était pas considéré comme le plus remarquable amant sur Terre pour rien, les femmes habituées à ce genre de frivolités lui avaient même faits des compliments.

« Il serait temps pour toi de rejoindre ton époux, Annabelle. »

Trevor aperçut les yeux embués de larmes de la jeune femme, mais il n'eut aucun remords, lorsqu'elle sortit précipitamment de la pièce, retenant tant bien que mal ses pleurs. Il avait toujours instauré ses règles lorsqu'elles acceptaient d'être ses maitresses.

La première : La discrétion. Même s'il finissait toujours par apparaître dans un scandale, Trevor Maynfield détestait se donner en spectacle devant la haute société.

La seconde : Une rupture sans conflits. Lorsque Trevor finirait par se lasser, il serait en droit de cesser leurs entrevues, faisant part à sa partenaire de sa décision avant cela.
La dernière : L'amour. Sa maîtresse ne devra avoir que du désir pour lui, autrement, il ne pourrait lui apporter ce qu'elle attendait de lui.

Peut-être qu'en effet, Pandora cherchait l'amour d'un mari envers son épouse. Et pas un homme frivole, qui imposerait sa maîtresse dans leur couple afin de combler son appétit sexuel bestial. La main plongeant dans sa chevelure brune, le duc de Wayland prit un temps avant de soupirer longuement, toujours aussi frustré. Il n'était pas prêt à offrir à Pandora ce dont elle voulait de lui. Un autre homme ferait surement parfaitement l'affaire, néanmoins, il n'était pas prêt à lui offrir son cœur.

Il savait que les femmes étaient cruelles. La preuve avait été sous ses yeux des minutes plus tôt. Annabelle n'avait pas caché devant son mari, fou d'amour pour elle, qu'elle avait un amant et qu'elle ne désirait plus qu'annuler leur mariage. Et sa mère ? Elle avait préféré trahir son père et abandonner ses enfants que de rester près d'eux, à les éduquer dans le respect et dans la bienséance, n'était-ce pas le rôle d'une mère ? Alors pourquoi lui avait-il clairement dit qu'elle resterait à lui ? D'une part, Trevor voulait la posséder, d'autre part, il hésitait à la laisser connaître le bonheur dans les bras d'un autre homme que lui. Si ce n'était lui qui finissait par se lasser, ce serait elle, et si jamais cela se faisait, Pandora finirait par mettre au monde des enfants dont elle ne s'occuperait que par obligation.

Se redressant de son bureau, il se dirigea dans la cuisine de la demeure afin d'aller prendre son petit déjeuner. Ayant passé la nuit à boire et à jouer, au lieu de rencontrer les bras de Morphée, il était rentré bien tard dans la soirée et s'était directement endormi, nu comme un vers, dans son lit. A présent bien réveillé, il était prêt à revoir certaines conditions en rapport avec son union, avec la jeune Italienne, qui n'avait de cesse de le tourmenter. N'avait-elle pas voulu prendre que Lucky et sa maison de campagne en Cornouailles ? S'il lui donnait ce qu'elle voulait, alors l'affaire serait terminée. Cependant, il ne voulait voir un sourire de triomphe s'afficher sur le visage de Pandora Fortune. Bien qu'il soit amusé du comportement qu'elle eut envers lui et de la façon qu'elle avait eu de le traiter, le duc de Wayland voulait qu'elle sache combien il valait.

Blessé dans son orgueil, Trevor était aussi frustré de la manière qu'elle avait eu à le rejeter aussi franchement. Elle l'avait même regardé avec du dégout ! Si ça n'avait été pour ces regards, le duc aurait accepté d'annuler leur contrat de mariage. Il n'a même pas été consommé, et ce serait une raison de l'annuler. Pandora aurait cette bonne raison de le faire. Reprocher le fait qu'il préfère la couche d'autres femmes que la sienne, c'était peut-être le meilleur moyen pour elle de l'annuler. Et le pire dans tout cela, c'était qu'il n'aurait rien à dire pour sa défense puisque pendant ses deux dernières années, il n'avait fait que cela. Cependant, et s'il se protégeait sur le fait qu'il n'avait pu la retrouver avant...Les scandales ne le ruineraient pas autant, surtout qu'il était maintenant en âge de se marier et de continuer sa lignée. Si jamais cela alimentait les ragots, il serait juste mal en point.

****

« Ne voyez-vous donc pas que ce jeune homme ne fait que de vous regarder ? » lui dit Pandora à voix basse, en esquissant un sourire en coin.

Clarissa battit des cils, surprise, avant de se racler la gorge, gênée. Elle essaya de se concentrer sur l'encas qu'elle avait dans les mains, néanmoins se sentir observer la mettait mal à l'aise. Finalement, Clarissa reposa son encas dans le panier pique-nique et lissa les plis de sa robe en essayant de paraître la plus naturelle possible. Néanmoins ses gestes mécaniques firent le contraire, et la rendirent comique. Quant à l'Italienne, cela l'amusa tellement qu'elle en rit.

« Dora ! Ne vois-tu donc pas que tu la mets mal à l'aise ? » gronda Faith en la fusillant du regard.

Pandora reposa son regard sur l'amie de sa sœur et voulut en rire à se remarque. Cette femme n'était pas mal à l'aise, mais le surjouait plutôt.

« Est-ce réellement en raison de mes paroles ou plutôt des regards appuyés du jeune homme au loin ? » Répondit-elle sur un ton moqueur, croquant dans une fraise bien mure.

Sa sœur cadette jeta un regard à l'homme auquel Pandora faisait allusion puis baissa brusquement la tête, confuse. Elle en vint à balbutier son nom avec une certaine difficulté.

« Qu'y a-t-il ? demanda Pandora en la regardant, les sourcils froncés.

— C'est...C'est le marquis de Sommerset ! siffla-t-elle entre ses dents, la tête baissée sur la couverture de pique-nique.

— Nome di Dio, vraiment ? Est-ce bien lui ? s'exclama Pandora, faisant mine d'être à la fois surprise et gênée. Les imitant de manière à se moquer d'elles.

— Qui est-ce ? » Reprit-elle d'un ton nonchalant, prenant une seconde fraise.

Pandora ne comprenait vraisemblablement pas pourquoi elles se mettaient dans ce genre d'état pour un homme possédant seulement un titre, bien qu'il soit séduisant. Etait-il intelligent ? Avait-il de la conversation ? Se montrait-il aussi arrogant que ce duc ? Rien qu'en pensant à cet homme, la jeune femme se raidit.

« Il est l'un des partis le plus convoité de Londres. Non seulement, il est beau et riche. Mais il est intelligent ! Il s'intéresse à l'art, et se montre tout à fait courtois avec toutes les genres de personnes, même celles désagréables. On dit même qu'il a un parent qui est le conseiller du roi, lui-même. », l'informa à voix basse Clarissa, qui avait manqué de s'étouffer des minutes plus tôt, en entendant son titre, avec sa collation. Une chose lui avait fait lever les yeux au ciel.

« Alors allez-y ! Faites-lui les yeux doux et faites en sorte qu'il vous demande en mariage à la fin de la saison.

—Mais...N'aviez-vous pas dit que...Le duc...Et bien... », fit-elle, confuse.

Pandora esquissa un sourire. Bien que la jeune fille se soit bien renseignée sur les différents bons partis de Londres, elle était seulement concentrée sur le duc depuis qu'elle lui avait proposé son aide. Viserait-elle donc le duc à présent ?

« Pensez-vous que le duc s'intéresserait à vous si vous ne lui montreriez pas un minimum de résistance ? S'il voit que vous n'avez aucun intérêt pour sa personne, sa fierté en sera blessée et il fera en sorte que vous vous souveniez de lui. »

Clarissa ne voyait pas du tout cela sous cet angle. Un homme avait-il une aussi grande fierté que cela ? Si jamais l'homme auquel elle était intéressée se détournait d'elle pour s'intéresser à une autre, elle finirait par abandonner. Courir après un homme qui ne partagerait pas les mêmes objectifs qu'elle, cela, Clarissa ne se le permettrait pas.

Sa sœur cadette posa son regard sur elle, abasourdie. Pandora savait que lorsqu'elles rentreraient à la maison, Faith voudrait une explication. Elle devait se demander pourquoi sa sœur ainée avait tant besoin de pousser Clarissa dans les bras de ce libertin... Ou même pourquoi l'envisageait-elle seulement ?

« Mesdames. »

Pandora sentit son cœur manquer un bond, elle se tourna avec lenteur, pensant que ce devait être le duc, et poussa un soupir de soulagement en ne voyant que ce n'était que le marquis de Sommerset.

« Milord », répondirent-elles par la suite.

Lorsqu'elle surprit sa sœur, les joues légèrement rosies et Clarissa, concentrée sur les collations disposées sur la couverture de pique-nique, Pandora leva les yeux au ciel. Son regard se posa par la suite sur le marquis, qui avait les yeux posés justement sur elle, un sourire amusé aux lèvres, ayant remarqué aussi leurs comportements.

« Eh bien, avez-vous besoin de la compagnie de demoiselles pour votre promenade ? »

Ses yeux noisette ne se détachèrent pas des siens, ce qui la perturba. Qu'avait-il ?

« Je n'ai besoin de la compagnie que d'une certaine femme », répondit celui-ci, un sourire aux lèvres.

Une mèche blonde retomba devant son front lorsqu'il se pencha vers elle, tendant sa main dans sa direction.

« Ma sœur sera ravie de vous accompagner durant cette promenade, qu'en dis-tu Faith ? »

Il fut légèrement confus, et se redressa avec lenteur, retirant sa main en même temps. Il n'avait pas vraiment prévu qu'elle le rejette indirectement. Pandora le voyait très bien dans ses yeux, néanmoins, elle s'était bien vite aperçu que sa sœur était attirée par ce jeune homme. Ils avaient le même âge et, malgré le fait qu'il aurait pu peut-être, oui, peut-être l'intéresser, Pandora ne se serait pas aventuré dans ses eaux troubles. Si Faith pouvait connaître l'amour avec cet homme qui semblait innocent, alors elle favoriserait son bonheur que le sien.

« Euh...Oui...Bien sur ! » hoqueta-t-elle, sur le coup.

Cela amusa sa sœur qui se mordit l'intérieur de sa joue afin de ne pas en rire. Tandis que Clarissa, elle était restée à observer la scène silencieusement. Ce fut un drôle de retournement de situation pour elles. Qui aurait cru que le marquis avait posé son regard sur Pandora ? Et non sur elle ? Qui avait même pensé que Faith réagirait ainsi face à ce jeune homme ? Elle ne le lui en avait jamais parlé, et elle attendait des explications venant de sa meilleure amie. Sa sœur ainée l'avait deviné avant elle, ce qui aurait été normal si elles étaient aussi proches qu'on aurait pu le penser, cependant on voyait bien qu'un fossé avait été creusé entre ses deux jeunes femmes. Eh bien, que Pandora essaye de couvrir de terre ce fossé, Faith s'éloignait déjà, apeurée. Mais effrayée par quoi ?

Se levant par la même occasion, Faith Fortune essuya ses jupons et arrangea sa coiffure, mettant derrière ses oreilles ses quelques mèches rebelles avant de prendre le bras du jeune homme. Sachant qu'au retour, Faith n'aurait pas la liberté de parler de son rendez-vous galant avec le marquis à Clarissa, tant qu'elle serait présente, Pandora avait décidé de se retirer.

« Je pense que vous avez eu une bonne idée de prendre un chapeau avec vous, Lady Brighton. Je commence à avoir un mal de tête et il vaudrait mieux que je vous quitte avant que je ne me sente encore plus mal.

— Peut-être qu'il serait mieux pour vous trois de rentrer, je peux sans doute vous escorter jusque chez vous ? » proposa le marquis en se tournant vers l'Italienne, jouant superbement la comédie.

Pandora se tint le front et se le massa longuement, elle cligna plusieurs fois des yeux avant de les plisser, montrant combien elle ne se sentait pas au mieux de sa forme. En voyant cela, le marquis se détacha de Faith et s'approcha d'un pas vif afin de savoir si Pandora pourrait marcher.

« Oh ne vous inquiétez pas, profitez de cette belle journée ! » s'exclama celle-ci en lui souriant avant de lui tapoter le dos, le poussant près de sa sœur qui ne savait où se mettre.

Alors que Clarissa demeurait muette et sans réaction, observant toujours la scène telle une spectatrice, Pandora lui demanda subitement :

« Nous avions prévu de rentrer en fin d'après-midi, par conséquent notre attelage arrivera bien tard. Le vôtre serait-il disponible ?

— Bien évidemment. »

Elle le vit se tourner vers un homme beaucoup plus jeune que lui, lui faisant un signe de la main, celui-ci courut jusqu'au portail qu'ils pouvaient entrevoir de l'endroit où ils étaient, avant de revenir jusqu'à eux, essoufflé.

« Vot' carrosse m'sieur...Il est là, m'sieur. »

Pandora remarqua que le marquis avait donné une pièce au garçon, puis, pensant qu'il aurait eu la liberté de la raccompagner jusqu'à son propre attelage, il s'était tournée vers Pandora cependant celle-ci l'anticipa et lui dit :

« Voudriez-vous bien m'accompagner jusqu'à l'attelage de votre maître, mon garçon ?

— B'sur m'dame, c'est comme si c'était fait m'dame ! Oh et je m'appelle Simon m'dame ! » dit le jeune garçon portant un bonnet sur la tête et un long manteau, d'où des bouts de tissus de différentes couleurs avaient été cousus pour combler les trous de son habit.

Simon portait des gants libérant seulement le bout de ses doigts, ses chaussures correspondaient à celles usées qu'avaient les enfants de rues, et il avait un pantalon assez court, de couleur grise, et qui semblait être un peu trop petit pour lui.

« Veuillez bien escorter la demoiselle, Simon, intervint le marquis, l'interrompant dans son analyse.

— Ne rentrez pas tard mesdames, je compte sur vous pour me raconter votre fin d'après-midi... », lança Pandora, pleine de sous-entendus avant de s'éloigner à grands pas, suivant le jeune garçon qui lui souriait à pleine dents.

« Dites-moi Simon, travaillez-vous pour le marquis ?

— Oh non m'dame ! Je travaille pour tout le monde m'dame.

— C'est-à-dire ?

— Je suis au parc tous les jours et je rends service m'dame, c'est comme ça que je récolte de la monnaie. »

Pandora hocha alors de la tête, comprenant bien au vu de l'état de ses habits et de la manière dont il parlait, que Simon était prêt à tout pour survivre dans cette société hiérarchisée. Elle réfléchit pendant quelques longues minutes avant de lui proposer, l'ayant observé de haut en bas :

« Que dis-tu, de travailler seulement pour moi ?

— Oh m'dame...Je suis très bien payé quand je viens au parc...Les gens remplis, parlant des nobles, me donnent beaucoup juste parce que je leur trouve des attelages en dehors du parc.

— Je te paierais le double de ce que tu gagnes, répliqua-t-elle, un sourire au coin des lèvres.

— Mais c'est mon chez moi m'dame ! s'exclama celui-ci, en la regardant.

— Ton chez « toi » ? Mais où vis-tu exactement ? »

Simon la regarda avant de baisser la tête. Ils marchèrent dans le silence pendant un long moment avant qu'il ne mette un coup de pied à une pierre, l'envoyant vers les pieds d'un vieillard qui lui jeta un regard méprisant que seule Pandora aperçut. Donc elle avait vu juste, Simon vivait bien aux alentours du parc, dans la rue ou peut-être même dans un bordel qui sait, offrant ses services aux prostituées ou même à leurs clients.

« M'dame...Est-ce que je serais bien payé ?

— Tu seras même éduqué et auras de nouveaux vêtements ! expliqua celle-ci, élargissant petit à petit son sourire.

— Vraiment ? Comme le Lord là-bas ? Et je saurais même lire et écrire ?

— Seulement si tu travailles pour moi. »

Il se tut brusquement, pesant visiblement le pour et le contre jusqu'à la fin du chemin, où ils atterrirent devant l'attelage du marquis, arborant le sceau de sa famille.

« J'accepte !

— Alors monte avec moi. »

Le valet de pied le fusilla du regard, le défiant de faire un seul pas dans la voiture du marquis, alors le garçon recula de quelques pas en balbutiant que ce ne serait pas la peine. Néanmoins lorsque Pandora le transperça de son regard, il fut troublé et baissa sa tête, le regard rivé sur ses pieds joints. Ouvrant la porte de l'attelage, le valet de pied laissa monter Pandora et lui expliqua alors :

« Je ne peux laisser un roturier salir les sièges de mon maître, madame.

— Je ne vois pas de saleté sur lui, vous devriez vous acheter des verres. Maintenant monte Simon, je commence réellement à avoir mal à la tête à cause de certaines personnes ici... », fit-elle, en ne détachant pas de son regard, le valet qui hésitait visiblement à lui répondre.

Simon monta par la suite, à la fois confus et apeuré. Il avait déjà vu des roturiers se faire battre par les domestiques d'un noble pour avoir osé profaner leur domaine, ou même pour s'être mis en travers de leurs chemins. Ce fut horrible à ses yeux et depuis, il s'était toujours bien comporté avec tout le monde afin de ne pas connaître le même sort que certains qui finissaient dans les fossés avec le tas de cadavres.

Pendant la moitié du chemin, Pandora fut ravie d'écouter Simon. Il était intéressant pour elle de savoir comment il avait parvenu à survivre dans cette société hiérarchisée à un si jeune âge. En effet, à douze ans, vivre dans la rue était certainement difficile. Une chose à laquelle elle avait échappé de peu si son père ne s'était pas remis à gérer leur fortune correctement.

« Regardez milady ! Regardez comme c'est amusant ! », fit-il remarquer en pointant du doigt plusieurs toupies en bois avec lesquelles de jeunes enfants semblaient s'amuser avec en plein milieu des rues.

La jeune femme resta à les observer puis posa son regard sur Simon qui semblait hypnotisé. Elle détourna par la suite son regard et le porta sur la fenêtre de droite de l'attelage. Il circulait entre les rues bondées de Londres, avec bien du mal en cette heure-ci. Elle pouvait entendre les marchands crier leurs prix exorbitants pour certains, et des femmes rire entre elles. D'un coup sur le toit à l'aide de sa main, la jeune femme fit arrêter l'engin qui prit place sur le bord de la rue, laissant les autres attelages passer avant de descendre de celui-ci avec un sourire aux lèvres.

« Reste ici, ne bouge surtout pas ! » commanda-t-elle gentiment à l'enfant, qui la regardait avec des yeux ronds.

Pandora se fraya un chemin entre les individus de toutes classes et atterrit des minutes plus tard à l'entrée d'une petite boutique.

« Milady, que puis-je donc faire pour vous ? »

Le regard empli de joie et le sourire au coin des lèvres, la vieille femme frêle, aux cheveux roux rattachés en un chignon sévère, s'était précipitée jusqu'à elle lorsqu'elle était rentrée à l'intérieur de sa boutique.

« Auriez-vous... »

Pandora chercha des yeux dans la boutique le petit jouet en bois que les enfants avaient eu des minutes plus tôt, puis elle pointa du doigt celui-ci qui était blanc.

« Vous avez fait un bon choix ! C'est le dernier. C'est l'une de mes meilleures ventes, ma chère. Est-ce pour votre enfant ? »

La jeune femme eut un sourire forcé et hocha de la tête ce qui passa inaperçu auprès de la vieille femme, s'étant déjà dépêchée d'aller prendre le jouet pour le lui remettre en main propre, dans un sac. Pandora lui donna quelques pièces qu'elle sortit de sa bourse, et vit repartir la gérante de la boutique jusqu'à sa caisse. Attendant qu'elle trouve le nombre exact de pièces à lui rendre, Pandora observa sa boutique dans les moindres recoins. Lorsqu'elle posa son regard sur une poupée au loin qui ressemblait trait pour trait à Amanda, sa fille, la jeune femme avait baissé tristement son regard sur le sol. Elle avait été si belle...Si ressemblante...Sa belle Amanda. Puisqu'en restant dans cette boutique, cela lui fit remonter dans ses souvenirs, elle décida de la quitter en s'excusant auprès de la vieille femme qui n'avait pas eu le temps de la retenir.

Ce fut comme si on l'avait étouffé à l'intérieur. Depuis qu'elle avait posé ses yeux sur la poupée en porcelaine aux cheveux noirs, elle avait été incapable de respirer correctement. Pandora avait senti ses jambes vaciller sous elle en se rappelant de toutes les horribles choses qu'elle avait dû subir pour en arriver là et avait pris ses jambes à son cou.

« Lady Fortune ? interpela une voix d'homme qu'elle ne put reconnaitre entre toutes celles qui s'y mélangeait. Lady Pandora Fortune ! Est-ce bien vous ? »

Pandora avait hésité à se retourner pour faire face à la personne qui l'appelait, mais tout compte fait, elle avait continué sa marche jusqu'à ce qu'elle sente une poigne à son bras gauche. Se tournant brusquement, elle écarquilla des yeux en voyant le duc de Wayland afficher son plus beau et séduisant sourire.

« Quelle chance de vous voir ici. Êtes-vous accompagnée ? demanda-t-il en regardant autour de la jeune femme. »

Il perdit son sourire en voyant qu'elle errait toute seule dans les rues de Londres, sans même un domestique à ses côtés. Pandora avait insisté auprès du valet de pied pour qu'il surveille l'enfant au lieu de l'accompagner, bien qu'il y ait eu le cocher pour le faire. Avant qu'il ne puisse émettre un son, elle lui décocha son plus beau regard noir et se dégagea de lui en s'exclamant :

« Veuillez m'excusez, je dois m'occuper d'affaires importantes !

Il darda son regard sur elle et finit par s'apercevoir du sac qu'elle tenait dans l'une de ses mains.

« Est-ce d'emplettes dont vous parlez ?

— Puisque vous le voyez, vous devez savoir que je n'ai pas de temps à perdre avec vous. »

Il retira le chapeau qu'il portait et le tint entre ses mains qui n'étaient nullement gantées, contrairement aux autres gentilshommes de la société. Elle remarqua que les lignes de ses mains étaient bien soulignées et qu'elle n'en avait pas vu d'aussi...Grandes.

— Ne pouvez-vous donc pas m'accorder...

— Mais que vois-je là ! N'est-ce pas le duc de Wayland ? » s'écria une jeune femme dont le décolleté faisait ressortir ses seins énormes et bien nacrés.

Elle tirait derrière elle un homme qui devait avoir dans la quarantaine et n'avait pas perdu de sa musculature, généralement, à l'arrivée de la quarantaine, les hommes se laissaient aller. Avant même qu'elle ne puisse se présenter, Pandora saisit cette occasion pour fuir le duc et arriver jusqu'à l'attelage saine et sauve.

Le duc de Wayland, malheureusement pour lui, n'avait pu la retenir à temps, elle s'était superbement bien faufilée dans la foule. Malgré le nombre de personnes attroupées autour d'eux, il n'avait pu détacher ses yeux de sa fine silhouette élancée et des belles formes que sa robe soulignait. En voyant la lumière du soleil éclairer son beau visage ovale, le duc avait ressenti l'envie de caresser son visage afin d'en connaître la douceur. Si seulement la baronne d'Oxford ne l'avait pas interrompu, il aurait sans doute pu arranger un rendez-vous avec sa belle Italienne. Cependant, c'était comme si le Seigneur se rangeait aux côtés de Pandora Fortune. Du moins, pour cette fois-ci.

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