3. Le ridicule ne tue pas
Les mains refermées sur son crâne, Eva se maudissait en silence. Qu'est-ce qu'il lui avait pris ? Pourquoi avait-elle fait ça ? Elle savait que prendre des décisions sur un coup de tête n'était jamais top, pourtant, voilà qu'elle avait inscrit son nom sur la liste de la natation. Elle qui ne nageait que l'été, et encore, elle se contentait de quelques brasses dans la piscine-nager dans l'océan était inenvisageable.
Avec cette signature au bas de la feuille, elle venait de signer son arrêt de mort. Elle l'avait compris en voyant les autres élèves s'inscrire. De grandes perches aux dos musclés et aux jambes fuselées. Il n'avait pas été dur pour elle de comprendre que les élèves de la section natation étaient des nageurs. Des vrais. Pas des adolescents perdus qui envisageaient de faire trempette entre deux heures de français.
D'ailleurs, ses nouveaux amis l'avaient confortée dans cette idée. Donata l'avait enfoncée en riant tandis qu'Arthur s'était contenté de relever que son physique n'était pas vraiment adapté.
Butée de nature, elle avait affirmée qu'elle s'en tirerait bien. D'aucun diraient qu'Eva était un peu susceptible. Elle refusait complètement de l'admettre. Elle n'était pas susceptible, simplement têtue...
Et pour cela, elle passerait la sélection. A vrai dire, si elle échouait elle ne saurait pas trop où aller..
_ Alors ? Prête ?
Eva sursauta et tourna la tête vers son frère. Il la regardait avec un sourire amusé aux lèvres. Eva et Julian ne s'étaient croisés qu'à la pause de midi. Si le jeune homme avait haussé un sourcil en apprenant que sa sœur avait choisi natation, Eva n'avait pas été surprise de le voir partir dans la musique. Son frère était un vrai prodige. Elle l'avait toujours su.
_ Pas vraiment, grommela-t-elle. J'ai peur d'entrer. C'est immense ce complexe.
La plupart des élèves avaient déjà passé le portique qui donnait sur les installations sportives et seuls quelques retardataires traînaient encore. Dont Eva.
_ Aller, vas-y ! Si en plus d'être nulle t'es en retard ça va pas le faire.
Elle se retourna d'un bond et fusilla son aîné du regard. De quel droit se permettait-il ? Il éclata de rire et Eva fut bien obligée d'admettre qu'elle était moins stressée.
_ Tu ne reconnais jamais mes talents Julian, c'est lassant, fit-elle d'un ton affreusement prétentieux.
Celui-ci esquissa une grimace et se détourna avec un sourire aux lèvres. Il avait à peine parcouru dix mètres lorsqu'il lâcha avec un grand sourire dans la voix :
_ J'espère que tu as pensé à prendre un maillot de bain, ô grande nageuse olympique !
Eva blêmit et lâcha un juron tandis que Julian explosait de rire.
_ Putain, souffla-t-elle pour elle-même, comment j'ai pu être aussi conne !
Rouge de honte, elle s'élança vers la piscine. Il n'y avait personne devant. Elle était plus qu'en retard et elle se doutait que l'entraîneur ne serait pas ravi. Elle l'avait entrevu lors de son inscription et son discours avait été passionné ; cependant, l'homme semblait être extrêmement exigeant. Et une personne exigeante prônait la ponctualité. Eva s'y connaissait avec l'exigence. Elle avait offert tant d'années de sa vie à l'exigence pour viser la perfection.
Le hall était désert et les vestiaires aussi. Les sacs de ses camarades étaient pendus au mur. Elle déposa le sien, ôta ses chaussures et, affreusement gênée, elle s'avança vers le bassin. Celui-ci était immense. Comme tout dans ce lycée à vrai dire. L'entraîneur, un homme robuste aux cheveux poivre et sel, haranguait une trentaine d'élèves tous en maillots de bain. A côté de lui, un garçon de leur âge, en t-shirt et short de bain tenait un registre. Eva l'avait vu au stand même si elle ne savait pas réellement à quoi il servait. Elle n'eut pas le temps de se le demander puisque l'entraîneur se tourna soudainement vers elle.
_ Voilà notre petite retardataire, j'ai horreur du retard mais je m'attendais au moins à te voir en tenue, fit-il un sourcil levé.
Durant sa scolarité, on avait souvent reproché à Eva son impertinence. Peut-être est-ce pour cela qu'elle lança innocemment :
_ Excusez-moi, je m'attendais à un cours naturiste, je n'ai rien pour nager.
Les élèves pouffèrent et le garçon en t-shirt leva les yeux, l'ombre d'un sourire amusé planant sur ses lèvres. L'entraîneur fronça les sourcils et gronda :
_ J'ai du mal avec l'ironie déplacée, surtout lorsqu'elle est pratiqué par une jeune présomptueuse. Aïtor, ajouta-t-il en direction du garçon, donne à cette charmante demoiselle le maillot que tu as retrouvé ce matin.
_ Mais Hector, il est...
_ Immédiatement, insista l'entraîneur le regard sombre.
Il se leva de sa chaise pendant que le dénommé Aïtor disparaissait derrière une porte.
_ Comment t'appelles-tu jeune fille ?
_ Eva monsieur.
_ Et bien Eva, je peux te dire que tu pars avec un sérieux désavantage pour intégrer cette option.
Sans réfléchir Eva lança :
_ J'ai toujours aimé les défis.
Un sourire amusé éclaira les lèvres de l'entraîneur et il lui donna le bout de tissus qu'avait ramené son assistant.
_ Et bien voilà ton premier défi Eva, dans trois minutes tu es devant moi ou je me ferais un plaisir de te regarder faire des longueurs pendant deux heures.
Il se détourna et Eva déglutit. Elle attrapa le vêtement et s'élança vers les vestiaires. Elle pesta lorsque le pédiluve éclaboussa son jean tandis que des rires éclataient derrière elle. Rires vite taris par un ordre cinglant d'Hector.
Elle enleva pêle-mêle ses vêtements puis examina le maillot de bain. C'était un deux pièces de natation rose pâle que seule une gamine de douze ans aurait pu enfiler. Et encore, une gamine mince...
_ Et merde, soupira Eva.
Tout allait toujours de travers avec elle. Pourquoi faisait-elle toujours des choses foncièrement stupides ? Elle enfila tant bien que mal le bas, heureuse d'être parfaitement épilée. Le tissus était tellement serré qu'il créait des bourrelets sur ses fesses. Elle passa ensuite le haut pour arriver à un résultat similaire. Le peu de poitrine qu'elle avait était comprimé et menaçait de déborder à tout instant.
Elle ne prit pas le temps de s'observer mais si elle l'avait fait, elle aurait compris qu'elle ressemblait à un rôti bien ficelé... Plusieurs élèves étouffèrent un rire en la voyant arriver et l'un d'eux, charitable, lui tendit un bonnet de bain.
_ Comme si je n'étais pas assez ridicule, grommela-t-elle en l'enfilant malgré tout.
Sa remarque décrocha de nouveaux rires puis la sélection commença.
_ Vous êtes trente-deux, conclut Hector après un long discours. Dans une heure trente, vous serez quinze. Je vous donnerai votre classement à la toute fin et vous pourrez pleurer chez Mme Robinson pour vous trouver une autre option !
¤¤¤
Les premières épreuves furent plutôt faciles. Pompes, abdominaux, gainage. Rien qui ne soit véritablement en rapport avec l'eau et donc rien qui ne mit Eva en difficulté. Ce n'était pas le cas de tout le monde. Dix d'entre eux, des secondes qui n'avaient sûrement jamais fait de musculation, haletaient fortement.
La suite s'avéra plus complexe. Les plongeons furent un grand moment de liesse. Certains étaient extrêmement doués et leurs plongeons tirèrent une moue satisfaite à l'entraîneur. Ce n'était pas le cas d'Eva. Son premier plat lui valut une douleur cuisante au ventre et une honte tout autant foudroyante. Heureusement, les suivants furent moins catastrophiques.
Son véritable moment de ridicule intervint pendant les dernières longueurs.
_ Je veux cinq colonnes bien propres c'est si compliqué ? hurla l'entraîneur.
Eva, mal placée, fut projetée à la tête d'une colonne au milieu de quatre garçons aux épaules larges. Elle déglutit, prévoyant que la suite n'allait pas lui plaire. Elle ne fut pas déçue.
_ Cet exercice est une course. Ce sera le dernier test. Départ plongeon, nage en crawl. Le dernier arrivé de chaque ligne me fera cinquante pompes.
Eva soupira. Elle envisagea un instant de s'économiser pour avoir suffisamment de force pour les pompes avant de réaliser que ce scénario l'éliminerait d'office de l'option. Le cri d'Hector la tira soudain de ses pensées et elle vit ses quatre camarades s'élancer dans le bassin.
Elle eut un regard de poule effarouchée et se jeta à l'eau. Son plongeon fut à l'image de son maillot de bain. Ridicule. Elle se brûla le ventre, tenta de remonter à la surface, y parvint et cracha l'eau avalée. Dix mètres devant elle, les trois garçons avaient déjà entamé un crawl vigoureux. Elle songea qu'une course mixte était stupide puis se mit à nager.
Elle réussit à se reprendre et termina la course sinon avec réussite au moins avec dignité. Lorsqu'elle regagna le sol, essoufflée, Hector la dévisagea longuement et échangea deux mots avec son assistant. Celui-ci ne disait pas grand chose depuis le début de l'entraînement mais ses longs regards attentifs montrait qu'il s'y connaissait.
Eva se laissa tomber sur un banc et accepta avec plaisir la gourde que lui tendait un de ses compagnons de course. Lorsqu'elle dut s'aligner devant Hector avec cinq autres élèves pendant que les autres partaient se doucher, elle comprit que s'en était fini. Elle allait pouvoir se chercher une autre option. Cependant, avant cela, elle effectuerait ces pompes avec toute sa dignité. Elle était comme ça, partir la tête haute, même avec un maillot rose trop petit.
_ Ceux qui s'écroulent peuvent déjà se considérer virés c'est clair ?
Les élèves hochèrent la tête de concert et Hector lança le top départ. Les dix premières pompes parurent faciles à Eva. Puis l'entraînement qu'ils venaient de subir se fit ressentir. A la vingtième, elle serra les dents. A la vingt-cinquième, deux s'écroulèrent. A la trentième, elle se mordait la lèvre jusqu'au sang. Dix de plus et il n'était plus que trois. Non, deux, une fille vient de s'effondrer à sa droite. Une autre pompe et le dernier garçon se roulait au sol en gémissant. Eva avait l'impression que ses bras étaient en feu. Les trois dernières pompes semblèrent être au dessus de ses forces pourtant elle se hissa courageusement et, quand elle atteignit les cinquante, l'entraîneur déclara :
_ C'est bon.
Eva s'effondra au sol en gémissant et en massant ses bras endoloris. Ses abdos criaient grâce et elle était incapable de bouger. Pour cette raison et parce qu'elle lui tournait le dos, elle ne vit pas l'étincelle de plaisir dans l'œil de l'entraîneur.
Les autres élèves revinrent peu à peu et Hector se dressa devant eux. Eva s'assit au sol et serra ses bras autour d'elle. Elle n'avait pas non plus de serviette...
_ Bon, je dois avouer être surpris parce que cette année j'ai eu face à moi des recrues moins pitoyables que les autres années. Je vais maintenant vous lister ceux qui font désormais partie de l'équipe. Huit garçons et sept filles cette année ! Sans surprise, en haut du classement, Damien ! Encore une année avec toi jeune homme.
Un garçon aux cheveux blonds ébouriffés et au sourire charmeur se leva et serra la main du coach. Eva n'écouta pas les autres prénoms, pressée d'aller enfin se sécher. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle entendit :
_ Et à la dernière place, notre retardataire, Eva.
La jeune fille écarquilla les yeux et secoua ses cheveux châtains.
_ Moi ?
Hector se contenta de hocher la tête. Sous le choc, Eva s'approcha et lui serra la main. Sa poignée de main était ferme. Eva avait toujours détesté les poignées de mains molles, qui étaient pour elle le symbole d'une mollesse de caractère.
_ A tous ceux qui sont maintenant dans l'équipe, je vous veux demain dix-huit heure quinze ici ! Bonne soirée jeunes gens !
Tous s'éparpillèrent vers les vestiaires et Eva se frotta le crâne. Elle avait besoin de comprendre. Elle se précipita à la suite de son entraîneur et lui attrapa le poignet :
_ Pourquoi j'ai été sélectionnée ?
Il se tourna vers elle, interloqué.
_ Tu doutes de mon choix ?
_ Franchement ? Oui. Je suis nulle, j'ai jamais fait de natation de ma vie et j'ai pris cette option sur un coup de tête. Je n'ai aucun maillot et je plonge comme une patate. Y a mieux comme recrues quand même, avouez-le !
_ Oui, il y a mieux, avoua Hector. Mais il y a pire aussi. Je suis sûr que tu as une très bonne raison pour avoir choisi cette section. Je sais jauger les corps, tu n'as aucune technique et pas vraiment le physique de l'emploi mais tu as un corps de sportive et tu as le mental qui va avec. On peut apprendre à nager. On ne peut pas apprendre la volonté. Le meilleur des nageurs avec une volonté de légume bouilli ne m'intéresse pas. Toi, tu m'intéresses. Maintenant, va te changer avant d'attraper la crève et débrouille-toi pour te trouver un maillot décent d'ici demain.
Eva le regarda un long moment. Sa tirade faisait écho en elle. Elle se sentait bien. Presque heureuse.
_ Merci, souffla-t-elle avant de s'élancer vers les vestiaires.
Sans grande surprise, ceux-ci étaient vides, excepté un sac noir dans un coin. Elle fila sous la douche mais se rendit vite compte qu'elle n'avait pas de serviette. Avec un juron elle enfila ses sous-vêtements et s'ébroua pour sécher.
_ Je peux savoir ce que tu fais ici ?
Elle se retourna en criant puis hurla de nouveau en voyant la silhouette de l'assistant dans l'encadrement de la porte. Elle se couvrit de ses bras et rétorqua au comble de la gêne :
_ Et toi ?
Il eut un petit rire et s'assit près du sac noir.
_ Et bien, railla-t-il. Je venais récupérer mon sac. Dans le vestiaire. Le vestiaire masculin.
Eva ouvrit grand la bouche, la referma. Ferma les yeux. Elle sentit ses joues s'enflammer. Elle n'avait pas pu faire ça ? C'était impossible. Personne ne pouvait cumuler autant de gaffes en moins de deux heures. C'était humainement impossible.
_ Je... Enfin, je...
Elle se tut et se recroquevilla sur le banc.
_ Tiens, sèche-toi, fit le jeune homme ne lui lançant une serviette un grand sourire aux lèvres.
Consciente que si le ridicule tuait vraiment elle serait déjà morte, Eva s'enveloppa dans la serviette et dissimula son visage derrière ses cheveux.
_ Je suis désolée. Vraiment. Je suis nulle c'est incroyable. D'habitude j'ai pas autant la poisse mais la je cumule hein ? D'abord j'arrive sans rien, après le coup du maillot rose, mon plongeon ridicule et maintenant ça. Je suis pathétique !
_ Un peu, admit le jeune homme en renfilant ses baskets. Mais moins que tu le crois. T'as du potentiel tu sais. Sinon tu serais pas ici. Enfin ici au sens large hein parce que dans le vestiaire des gars normalement tu devrais pas y être du tout.
Il s'esclaffa et Eva enfouit de nouveau son visage dans ses mains. Puis sans prévenir elle se leva, empoigna ses affaires et sortit en trombe.
_ Je te rends ta serviette demain !
Elle s'engouffra dans le vestiaire en face et claqua la porte. Puis elle se laissa tomber au sol.
_ Eva, ma fille, murmura-t-elle, tu es la dernière des imbéciles.
Puis, sans prévenir, elle se mit à rire. Son sac lui tomba des mains et elle continua à s'esclaffer dans un vestiaire désert qui sentait le déodorant à la vanille.
Hey! Voilà un nouveau chapitre, j'avoue que j'ai adoré l'écrire! N'hésitez pas à me laisser vos impressions ^^
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