2. Salle 104 et salle de spectacle
Le cœur serré et l'estomac en vrac, Eva regarda la voiture s'avancer doucement derrière une énorme BMW et pénétrer par un immense portail de fer forgé dans un parking de gravillon ceint par des haies de cyprès. Son père se gara devant un grand bâtiment ancien qui s'élevait sur deux étages. Le bâtiment n'aurait pas détonné dans un film d'horreur ou dans l'idée que se faisait Eva d'un internat anglais ultra strict.
La boule au ventre, elle descendit du véhicule, presque étonnée de ne pas voir une armée de majordome devant les portes.
_ Ça fiche les jetons hein, souffla son frère en lui tendant sa valise.
Elle hocha la tête, incapable de dire un mot. La main de son père caressa légèrement son dos et elle avança à la suite de son frère. C'était le premier jour et ils étaient déjà en retard puisqu'à part la voiture qui était arrivé juste avant eux, ils étaient seuls. Un jeune homme en costume sortit de la bâtisse et se dirigea prestement vers eux.
Il leur offrit un sourire avenant et leur désigna une porte entrouverte.
_ Bonjour, je suis monsieur Boissard, l'intendant. Vous devez être nouveaux au lycée Verlaine. Si vous êtes internes, vous pouvez déposer vos valises à la bagagerie, c'est ici. Vous les récupérerez ce soir avant d'aller dans vos chambres. Si vous voulez bien me suivre je vais vous conduire dans la cour principale, vous y trouverez les listes des classes et des surveillants pourront vous guider. Les cours n'ont pas encore commencé ne vous inquiétez pas. Des questions ?
Il avait parlé d'une traite à toute vitesse et Julian échangea un regard perplexe avec sa sœur. Leur père fut le premier à se reprendre.
_ Je vous les confie dans ce cas. Ils m'ont l'air entre de bonnes mains.
L'intendant acquiesça vigoureusement. Frédéric se tourna vers ses enfants et ouvrit largement les bras. Eva s'y jeta volontiers et le serra contre elle.
_ Tu vas t'en sortir sans nous ?
_ C'est moi l'adulte, sourit son père, c'est à moi de poser cette question. Tout va bien se passer.
Plus sobre que sa sœur, Julian se contenta d'une accolade et alla déposer leur deux valises pendant qu'Eva continuait d'étreindre leur père. Il revint juste à temps pour voir la petite Peugeot grise s'éloigner.
_ Vous me suivez ?
Le frère et la sœur se tournèrent vers monsieur Boissard et celui-ci les guida par un passage entre les haies qui débouchait sur une vaste cours plantée d'arbres, cerclée par un bâtiment en L qui, bien qu'ancien, paraissait beaucoup moins austère que celui à l'entrée du domaine.
_ Vous voyez ces panneaux d'affichages, reprit leur guide, vous y trouverez vos classes et vos salles. Je vais vous laisser maintenant, si vous avez le moindre soucis n'hésitez pas à aller voir la vie scolaire où l'accueil. Bonne rentrée jeunes gens.
Il tourna les talons et Julian échangea un regard avec sa sœur. Devant eux, une masse compacte d'adolescents se bousculaient pour apercevoir les listes affichées. Ceux qui parvenaient à trouver leur classe s'extrayaient de la masse pour pénétrer dans le bâtiment.
_ Prête ? souffla Julian à sa petite sœur.
_ Non mais j'imagine qu'on a pas le choix...
Eva s'avança et, le cœur en miettes, laissa son frère se diriger vers les listes de terminales tandis qu'elle même s'approchait des listes de premières.
Elle n'y voyait rien, elle se demandait d'ailleurs comment elle allait parvenir à trouver sa classe lorsque un groupe entier se détacha du panneau, lui laissant la possibilité de s'approcher. Elle balaya du regard les quelques feuilles avant de tomber sur la classe des littéraires. Elle y trouva aisément son nom mais elle n'avait aucune idée d'où pouvait se trouver la salle 104.
Autour d'elle, les lycéens retrouvaient leur amis, s'étreignaient, demandaient les classes avant de s'éparpiller dans un bourdonnement étourdissant. Malgré tout, parmi tous ces cris, Eva parvint à saisir le nom de la salle 104 de la bouche d'une fille à la peau matte et aux courts cheveux noirs.
Sans plus réfléchir, elle s'élança à sa suite.
_ Pardon ! Excuse-moi ! Hé !
La fille finit par se retourner et par regarder Eva, effarée, qui s'arrêta près d'elle, les cheveux ébouriffés et le souffle court.
_ On se connaît ?
Eva secoua la tête et rougit violemment. Qu'allait penser la fille devant elle ? Elle se comportait comme une folle à lui courir après ! Heureusement pour Eva, la jeune fille ne semblait ni énervée, ni méprisante, simplement curieuse et amusée.
_ Je t'ai entendu parler de la salle 104, je sais pas où c'est. Je suis nouvelle, avoua Eva en réajustant son sac.
La jeune fille face à elle froissa son nez dans une mimique amusée et ses yeux vert en amande étincelèrent.
_ Pas de soucis, c'est ma classe aussi, la seule et unique première littéraire du lycée, c'est plus des matheux par ici ! Au fait, ajouta-t-elle en se mettant en marche, moi c'est Donata, prénom de merde je sais mais les racines italiennes de mon père ont influencé mon prénom. Pas de bol !
Eva sourit et décida que cette inconnue lui plaisait. Elle la suivit volontiers.
_ Moi c'est Eva, un peu plus classique mais plus propice aux jeux de mot vaseux...
Donata réfléchit un instant puis répliqua :
_ Comme évaseline ?
_ Par exemple, s'esclaffa Eva.
La jeune fille au prénom italien rit avec elle et, lorsqu'elles arrivèrent devant la porte de leur salle, Eva remarqua que son nœud à l'estomac avait presque disparu. Donata salua quelques élèves qui patientaient et lui présenta un garçon de petite taille mais baraqué aux cheveux frisés ébouriffés.
_ Je te présente Fadi, il fait partie de la bande. Fadi je te présente Eva qui nous vient de... Tu viens d'où au fait ?
Fadi explosa de rire et claqua trois bises sonores sur les joue d'Eva qui recula au bout de la deuxième.
_ Ici c'est trois, expliqua Fadi.
_ A Bordeaux c'est deux. Je trouve ça super long trois. C'est chiant si y a dix personnes !
_ Bienvenue dans le sud chérie, s'esclaffa Donata.
Eva n'eut pas le temps de lui rétorquer que Bordeaux n'était pas vraiment dans le nord puisqu'à ce moment une femme s'avança et balaya rapidement le petit groupe face à elle. Elle finit néanmoins par ouvrir la salle et nous invita à y entrer.
Eva s'installa à une table et à sa grande surprise Donata pris place à côté d'elle. Elle murmura un « merci » du bout des lèvres auquel la jeune fille répondit par un sourire.
_ Bonjour, je m'appelle Marie Lonchamps, oui comme la marque pour les petits malins qui commencent déjà à sourire, fit-elle gaiement. Certains d'entre vous me connaissent, je suis professeure de français et je serais aussi votre prof principale pour l'année. Je vais être directe, on va se débarrasser de toutes les formalités inutiles que je suis néanmoins obligée de vous dire comme ça on passera rapidement au programme de l'année, parce que cette année mes amis, ça rigole plus !
Le reste de l'heure continua sur le même tempo et Eva se dit que, si toute l'année se passait à ce rythme, elle était bonne pour repartir en seconde. La tête pensante de la famille ça avait toujours été son frère. Elle, elle était plutôt l'élève un peu fainéante qui se contentait du minimum pour ne pas se faire écharper à chaque trimestre. Si son frère excellait de partout, elle n'était vraiment douée qu'en anglais. Et visiblement, ce lycée prônait l'excellence.
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_ Elle est géniale hein ?
Eva se tourna vers Fadi et se laissa tomber sur un banc à côté de Donata.
_ Géniale je sais pas mais elle va vite ! Même lorsqu'elle parle !
_ Tu vas t'y faire.
_ Oh ! S'écria soudain Donata. Voilà Marie, Enzo et Arthur ! Tu vas voir, tu vas les adorer Eva !
Eva tourna la tête vers un trio qui arrivaient à grandes enjambés. Après quelques minutes d'étreintes, Donata attrapa Eva par les épaules et la plaça devant elle.
_ Je vous présente Eva, elle est nouvelle, vient de Bordeaux et fait la bise comme une snob de l'Ouest. A part ça, elle est cool !
Les trois nouveaux arrivants la dévisagèrent un instant avant de la saluer et de se présenter brièvement. Marie était une blonde immense au regard atlantique plutôt réservée, Arthur était tout aussi blond, mais encore plus grand que Marie, et Enzo était un beau garçon aux cheveux blonds foncés et aux yeux rieurs.
_ Ne te fie pas à son physique, s'exclama Marie en remarquant le regard d'Eva. Il est bizarre !
_ Eh ! s'insurgea le concerné. Je suis pas bizarre, arrête de dire ça à tous les nouveaux venus, toute notre classe va finir par me regarder de travers !
_ Si tu es bizarre, s'esclaffa Arthur. Il lie des traités de physique cantique pour s'endormir, ajouta-t-il à l'intention d'Eva sur le ton de la confidence. On partage la même chambre et il en a plein sur sa table de chevet. C'est flippant !
Enzo haussa négligemment les épaules et Eva vola à son secours.
_ Mon frère s'est mis en tête de lire le dictionnaire à l'age de onze ans, il a fini par se lasser à la lettre N. Alors les choses bizarres...
Donata et Marie explosèrent de rire.
_ Bienvenue parmi nous Eva, fit l'italienne. On va bien s'entendre je sens !
Pour la première fois depuis de nombreux mois, Eva se surprit à esquisser un sourire ravie en se disant que la jeune fille avait raison. Elle se sentait bien. Et pourtant elle ne les connaissait pas. Son frère avait peut-être raison en disant que cette année allait tout changer. Elle se prit soudain à penser que le bonheur était peut-être possible. Lointain, impalpable, encore fragile. Mais possible.
Lorsque la sonnerie retentit, ses cinq nouveaux amis se levèrent dans un même mouvement mais, à la grande surprise d'Eva, tournèrent le dos au bâtiment en L.
_ Où on va ? On n'est pas censé avoir cours là-bas, ajouta-t-elle en désignant vaguement les étages.
Marie s'approcha d'elle et répondit.
_ Non, on est dispensé de cours pour les deux prochaines heures, c'est la tradition ici, on va à la cérémonie des options !
_ La cérémonie des options, répéta Eva dubitative.
Arthur souffla bruyamment.
_ Si tu dis ça comme ça elle va rien comprendre ! La cérémonie des options c'est un nom un peu pompeux pour désigner la réunion où chacun d'entre nous choisi l'option sportive ou artistique qu'il souhaite pratiquer durant les plages horaires du lundi, mercredi et jeudi spécialement réservée à ça ! C'est une tradition ici !
_ Je suis pas sûre de tout saisir...
_ C'est simple, intervint Donata. T'as remarqué le trou dans notre emplois du temps du lundi, il est réservé aux options que l'on choisit. N'écoute pas Arthur, seul le basket se déroule le jeudi et le mercredi, les autres options ça dépend. Tu vas avoir pas mal de choix mais ils vont tout t'expliquer. C'est cool comme principe, et puis ça tire le lycée vers le haut !
Eva hocha la tête pas trop rassurée à l'idée de devoir choisir une activité sur un coup de tête. Mais elle n'avait pas vraiment le choix. Ils dépassèrent le réfectoire, derrière le bâtiment aux allures de manoir et se retrouvèrent face à un autre bâtiment bien plus moderne. Enzo répondit à sa question muette :
_ Tu passes du côté obscur de la force là ! Nan, je blague, tu passes juste du côté cool du lycée. Ce que tu vois devant toi c'est le local du théâtre et la salle de spectacle. Derrière t'as les dortoirs et après le complexe sportif. C'est un truc de dingue comme installation mais tu vas pouvoir le constater par toi-même !
_ C'est immense ! Et c'est là-dedans qu'on va choisir nos options ?
_ T'as tout compris, s'écria Donata. Moi c'est les arts plastiques et Fadi c'est théâtre. Marie et Arthur c'est basket et Enzo c'est escalade. Tu vas choisir quoi toi ?
Eva écarquilla les yeux.
_ Vous connaissez déjà vos options ?
_ Ben oui, on était là l'année dernière nous.
Ils éclatèrent de rire et se joignirent à la masse d'élève pénétrant dans l'enceinte de la salle. De grands gradins de fauteuils de velours rouge formaient un arc de cercle autour d'une scène au parquet noir sur laquelle un femme en tailleur stricte se tenait droit face à un micro. En bord de scène, une longue table s'étiraient de part et d'autre et des professeur se tenaient derrière face à des piles de formulaires.
_ Je m'attendais pas à ça lorsque vous parliez de salle de spectacle ! C'est juste...
_ Démesuré, la coupa Arthur.
_ J'allais dire impressionnant, sourit Eva.
Elle suivit le petit groupe en cherchant son frère du regard. Malgré tout ces efforts, elle ne le trouva pas. Il y avait trop d'élèves. Elle se cala dans son fauteuil en bout de rangée et écouta Donata raconter les anecdotes de ses cours d'arts plastiques. Elle fut néanmoins interrompue par la directrice, Mme Robinson, qui réclama le silence d'un geste plein de majesté.
_ Jeunes gens, une nouvelle année commence pour nous tous au lycée Verlaine et cette année ne serait rien sans la traditionnelle cérémonie des options. Ce dispositif renforce l'élite de ce lycée et contribue à sa renommée. Nous visons l'excellence et quoi de mieux pour cela qu'un épanouissement physique ou artistique ? Pour les nouveaux, je rappelle que ces options sont obligatoires et que les notations sont uniquement du bonus !
Une ovation accompagna ces paroles et Eva sentit son appréhension grandir. Elle n'avait eu qu'une seule passion et elle avait arrêté. Elle ne savait tout simplement pas quoi choisir. La directrice poursuivit son discours :
_ Chaque professeur est libre de diriger son option comme il l'entend et si deux heures le lundi sont obligatoires il a ensuite tout loisir pour répartir ses heures comme il l'entend. Il se réserve aussi le droit de refuser un élève qui ne correspondrait pas à ces attentes et nul n'a à y redire. Je laisse à présent la parole à nos enseignants.
Eva écouta d'une oreille distraite les descriptions des cours d'arts, de théâtre, de chant ou de musique. Elle n'avait aucun talent particuliers pour ces disciplines et s'en portait très bien. Elle dédaigna aussi les sports collectifs comme le football, le basket, le handball et le rugby. N'écouta pas plus les sport de raquettes ou la musculation. Elle frémit en entendant la description des cours de danse, se rendormit pendant celle d'athlétisme puis tendit l'oreille pendant celles de l'escalade et de la natation.
Quand le silence redescendit sur l'amphithéâtre, elle était toujours aussi perdue. Pourtant, il lui fallait choisir. Chaque professeur appelait désormais les élèves intéressés à venir s'inscrire. Elle paniqua et balaya la foule de lycéens. Son regard finit par accrocher celui de son frère tout en haut. Il lui adressa un signe de la main auquel elle répondit par un sourire. Les lèvres de Julian formèrent le mot « courage » et elle se rasséréna.
Écouter son cœur. Sa mère le lui disait souvent. Pourtant aujourd'hui elle écouterait son esprit. Parce que lui ne lui causerait aucun soucis.
Je dois vous avouer que je suis mitigée sur ce chapitre. Quelque chose me dérange sans que je sache quoi... A vous de me dire ma foi ^^ Je vous avoue que les suivants me satisfont plus, peut être est-ce parce que j'ai eu du mal à écrire ce début, je ne sais pas haha^^ Que pensez-vous de notre héroïne pour l'instant? (Je précise que les chapitres alterneront les points de vue Julian/Eva).
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