1. Un tapis péruvien à la montagne

8 mois plus tard,

Le paysage se déroulait à une vitesse vertigineuse sous les yeux d'Eva. Accoudée à la fenêtre de la voiture, elle observait les montagnes qui grandissaient bien trop rapidement à son goût. Elle était une citadine endurcie et l'idée de devoir s'enterrer au fin fond de l'Ardèche était loin de lui plaire. Bien loin. Pourtant, elle n'avait pas vraiment le choix.

Elle poussa un énième soupir intérieur et regarda son père et son frère à l'avant. Leur deux têtes brunes oscillaient au rythme d'un morceau de rock des années soixante-dix. Elle sourit en les voyant ainsi. C'était devenu rare ces derniers temps...

Leur père semblait avoir perdu le goût de la vie et leur famille était désormais morose. Les moments de complicité s'étaient faits la malle depuis près de huit mois. Et Eva le déplorait. Même si elle savait très bien qu'enfermée dans son propre chagrin, elle ne pouvait pas faire grand chose. Elle espérait que ce déménagement serait au moins profitable à son père.

Il avait quitté son poste de comptable à Bordeaux pour se faire embaucher dans un petit village ardéchois au sein d'une entreprise de développement durable. Ils avaient donc laissé Bordeaux derrière eux pour venir emménager dans la maison de leur tante Roxanne et de son mari Jakub pendant leur absence. Ils s'étaient donnés un an pour se reconstruire. Une année complète.

C'était énorme et en même temps si peu.

Eva répondit à un message sur son téléphone et puis se replongea dans sa contemplation. Elle n'avait qu'une hâte : arriver enfin pour ne plus avoir à supporter ces virages horribles qui lui fichaient la nausée.

Devant elle, Julian, d'un an son aînée, avait également hâte d'arriver. Mais pas pour les mêmes raisons. Il avait hâte d'entamer une vie plus calme loin du bourdonnement incessant de la métropole qui avait abrité son enfance. Il avait envie de prendre un nouveau départ. Un sourire étira ses lèvres. Il sentait que la campagne leur ferait à tous un bien fou. Il le sentait au plus profond de lui.

_ Y en a encore pour longtemps ? se plaignit sa sœur le visage verdâtre.

Malgré lui, il ne put s'empêcher de sourire. Un sourire un brin moqueur mais surtout affectueux. Le même qui s'épanouit sur le visage de leur père. Ses sourires se faisaient rares et chacun d'eux était comme un rayon de soleil sur leurs cœurs embrumés.

_ Bientôt promis. Regarde sous le siège Eva, il doit y avoir un sac à vomi.

_ Je ne vomirai pas, s'insurgea-t-elle avant de se réinstaller contre la vitre.

Frédéric haussa les épaules et augmenta le volume du CD tandis que Julian se mettait à chanter. Il ne chantait pas trop mal même s'il était plus doué pour jouer.

La voiture continuait de filer sur les routes de montagne.

Bientôt, elle ralentit en arrivant dans un petit bourg avant de s'arrêter devant une bâtisse de belle taille. La maison de Roxanne et Jakub. Tous les volets étaient fermés et la voiture se gara lentement devant la porte.

_ Et voilà, on est arrivé !

Julian se tourna vers sa sœur qui bondit vers l'extérieur, ravie de pouvoir respirer de l'air frais. Elle s'ébroua comme un chien avant d'ouvrir le coffre avec vivacité pour en sortir les lourdes valises qui s'y entreposaient. La maison étant meublée, la famille Dobris n'avait pas jugé bon d'emmener leurs meubles et ceux-ci étaient restés bien sagement dans leur maison bordelaise.

Ça n'avait posé problème qu'à Eva qui devait abandonner son lit et son dressing mais sinon, personne n'avait protesté. Ils avaient donc traversé la France avec une voiture pleine à craquer et une petite remorque. Nouvelle vie, nouvelle maison. Rien de superflus n'avait été déplacé.

Comme souvent lors d'un déménagement, les bagages étaient passées au second plan et la frère et la sœur avait suivi leur père pour découvrir leur nouvelle demeure.

_ C'est vachement grand, s'exclama Julian en découvrant un immense salon-salle-à-manger avec une cuisine ouverte à l'américaine.

_ Tu l'as dit Jean-mi, renchérit Eva bouche bée.

Un panneau de plexiglas vert amande créait une sorte mini hall d'entrée mais une fois contourné, on découvrait une pièce aux tons clairs avec une table en bois massif d'un côté, un assemblage de canapé multicolore vers le centre et plus loin une cuisine moderne dans les tons vert. Une large bais vitrée illuminait la pièce et donnait sur le jardin arrière. Partout, il y avait des petits tableaux, des photos, des babioles venues des quatre coins du monde. Une porte à gauche du hall d'entrée s'ouvrait sur ce qui devait être le bureau de Jakub et en face, un escalier de bois en colimaçon grimpait vers les étages.

Avec des cris de sioux, Eva et Julian s'y précipitèrent. En haut,il y avait quatre portes. La première s'ouvrit sur une chambre qui donnait sur la rue, il y avait un grand dressing, deux petites tables de nuit et une commode. Ce devait être la chambre de leur tante et de leur oncle. Donc celle qui reviendrait à leur père.

La deuxième porte laissa voir une vaste salle de bain avec une baignoire.

_ C'est géant ! Ça me ferait presque oublier qu'on est au milieu de nul part !

_ On est pas au milieu de nul part Eva, on est à la montagne.

_ Je ne vois pas vraiment la différence, fit-elle en tirant la langue à son frère.

Il poussa un soupir et ouvrit la troisième porte. Eva fit deux pas à l'intérieur et s'écria une fraction de seconde avant son frère :

_ C'est ma chambre !

_ Hors de question, protesta-t-il.

_ Et pourquoi donc monsieur ?

_ Parce que je suis l'aîné !

Il bouscula sa sœur et fit quelques pas victorieux au milieu de la pièce. Celle-ci était immense. Un tapis péruvien recouvrait un parquet de bois clair et une grande fenêtre donnait sur le jardin une fois les volets ouverts. Un des quatre murs était peint en orange vif et un petit lit une place se calait à côté d'immense étagères. Il y avait aussi une armoire intégrée et un bureau d'architecte immaculé apposé contre le mur orange.

_ Tu sais quoi, fit Eva, j'ai une idée.

Julian fronça les sourcils mais lui fit signe qu'il écoutait. Sa sœur avait souvent des idées. Mais elles étaient rarement bonnes. Et rarement à son avantage. Il s'approcha de la fenêtre prêt à écouter la nouvelle lubie de sa sœur. Il avait hâte de s'installer dans cette pièce.

Eva en avait cependant décidé autrement.

_ Le premier qui dépose sa valise dans la chambre s'y installe ! hurla-t-elle en partant en courant.

Julian mit quelques secondes à réagir et s'élança derrière elle.

_ Je te déteste !

¤¤¤

_ C'est pour te venger que tu m'as entraînée dans cette randonnée merdique ?

Julian éclata de rire et se tourna vers sa sœur qui s'était laissée tomber sur un rocher, la tête renversée en arrière, les yeux levés vers le ciel bleu.

_ Peut-être, je la voulais vraiment cette chambre !

_ T'as qu'à faire plus de sport, tu m'aurais rattrapée !

Il s'assit à côté d'elle et observa les fleurs jaunes et les abeilles qui bourdonnaient. La nature l'apaisait.

_ Je suis un artiste moi ! Je n'ai pas le temps de faire le sport, c'est mon âme qui s'exprime, déclama-t-il d'un ton mélodramatique.

_ Et bien tu diras à ton âme qui si elle aimait courir tu aurais eu la chambre !

Julian grogna et se releva d'un bond.

_ C'est même pas vrai, tu détestes courir toi aussi ! Aller viens la sportive, on a encore deux kilomètres à faire pour terminer la boucle !

Eva soupira et saisit la main de son frère. Il repartit d'un bond pas et elle le suivit. Malgré ce qu'il disait, il avait un corps de sportif, il avait cessé l'athlétisme un an auparavant pour se consacrer entièrement à la musique mais son corps en avait gardé les traces : des épaules carrées, des jambes musclées et des tablettes de chocolats qui n'avaient pas encore totalement fondues. Il ressemblait beaucoup à son père tandis qu'Eva tenait de sa mère avec ses cheveux châtains ondulés et sa silhouette menue.

Elle courut pour rattraper son frère et celui-ci la mitrailla du regard :

_ Chut ! Tu déranges la nature avec ta démarche de pachyderme !

Elle roula des yeux et chuchota exagérément :

_ Veuillez me pardonner ô gourou des bois, quel est la suite du programme ? Pêche à la lance ? Méditation devant un grand chêne ?

Le regard courroucé de son frère la fit exploser de rire et elle le bouscula gentiment.

_ Pardon grand chef, aller boude pas !

Le sourire de Julian démontrait qu'il n'était pas réellement fâché et la ballade reprit. Il faisait chaud, même à cette altitude, et le chemin de randonnée était en plein soleil. Très vite, ils transpirèrent et durent s'arrêter pour boire. Eva dégota un coin ombragé et elle s'y laissa tomber en étendant ses jambes.

_ Deux mois sans sport ça se fait ressentir !

_ T'en fais pas, la charria Julian, tu vas bientôt t'y remettre. La semaine prochaine pour être exact.

Elle grimaça en buvant de longues gorgées d'eau fraîche.

_ Et papa ?

Julian et Eva étaient suffisamment proches pour se comprendre et se permettre des raccourcis dans la conversation.

_ J'en sais rien, avoua-t-il. J'espère qu'il sera mieux ici mais il sera seul toute la semaine et je ne sais pas comment il va s'en sortir.

_ On devrait peut être rester à la maison...

_ Et faire une heure et demi de route tous les matins et tous les soirs ? Non, ça serait intenable pour papa et de toute façon le pensionnat est déjà payé. On a pas le choix. On doit lui faire confiance.

Un nouvelle grimace déforma le visage de la jeune fille.

_ Lui faire confiance ? Julian t'es sérieux ? Tu sais comment il est depuis...

Il y eut un silence.

_ Depuis la mort de maman, compléta doucement son frère. Oui je sais. Mais on y peut rien. Nous, tout ce que l'on peut faire c'est s'adapter à notre nouvelle vie.

Eva détourna les yeux. Elle se sentait vide.

_ Je ne veux pas m'adapter, souffla-t-elle, je veux qu'elle revienne. C'est horrible de savoir qu'elle est là-bas et que nous on est ici à devoir faire comme si tout allait bien. Comment tu fais toi ? Moi je peux pas. Je pense à elle tout le temps !

Elle s'essuya rageusement les yeux. Julian saisit sa main et la serra très fort.

_ C'est normal Eva, ça ne fait que huit mois. Tu n'es pas obligé de faire comme si tout allait bien. Tu as le droit d'aller mal. Tu as le droit d'être triste.

_ Non, parce que si y en a un qui flanche on flanche tous. Pourquoi on est parti Julian ? Ici, il n'y a rien, Roxanne et Jakub sont à l'autre bout du monde, nos amis sont à l'autre bout de la France, et maman... Maman est avec eux. Pourquoi ? Dis-moi pourquoi ?

Julian caressa sa joue tendrement et répondit d'une voix douce :

_ Parce qu'ici papa ne la voit pas partout. Parce que ici il n'a pas à subir les regards plein de pitié. On sera bien Eva, je te le promets. Il suffit juste d'y croire.

Mais Eva n'y croyait pas. Eva était triste et son monde était vide. Les paroles de son frère n'y changeaient rien. Elle avait beau savoir qu'il avait raison, l'idée d'être loin de chez elle et de faire sa rentrée scolaire dans un internat, certes prestigieux mais surtout inconnu, la rendait infiniment malheureuse.

Elle se leva et regarda Julian. Elle vit l'inquiétude dans ses yeux mais il ne pouvait rien pour elle. Personne n'y pouvait rien. C'était à elle de surmonter ses démons.

_ On y va ?

Julian acquiesça et se leva à sa suite. Il se sentait impuissant. Sa famille se déchirait et il n'y pouvait rien. Enfermé dans ses doutes et ces incertitudes, il voyait son père sombrer et sa sœur s'émietter. Mais il n'y pouvait rien. La mort fait ce qu'elle veut et lorsqu'elle passe dans un tourbillon de feu elle ne laisse que désolation et destruction. Seule le temps permet d'avancer.

Lorsqu'ils rentrèrent à leur maison, la voiture avait été vidée et leur père était enfermé dans son bureau. Dans le salon il y avait des bouts de verre. Eva et Julian s'approchèrent et découvrirent un cadre dont la vitre était brisée. La photo représentaient deux jeunes femmes en bord de mer. Ils reconnurent sans peine leur mère et sa sœur. Eva détourna le visage et fonça dans sa chambre.

En passant devant le bureau elle entendit le bruit d'un sanglot.

Même la belle chambre et le tapis péruvien ne parvinrent pas à la réconforter.

NDA:
Alors ? Que pensez-vous de ce premier chapitre ? On découvre brièvement les protagonistes, pour l'instant il se contente de dresser un peu le décor de l'histoire, les ressentis des personnages etc. J'espère en tout cas qu'il vous a plu!

PS: Je me suis décidée à poster un chapitre par semaine mais si je trouve le rythme trop lent je passerai à deux.

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