#7 Au-dessous de Madina
Du sommet d'une pierre en forme de croc, Eddra et Chanzi se laissent retomber au sol.
D'une marche tranquille et assurée, les deux compères passent à côté de la carcasse encore remuante du dragon-pique.
Encore un puissant prédateur incontesté il y a une minute, il ne sert dorénavant que de buffet à volonté pour les charognards volants et les oiseaux qui s'en donnent à cœur joie.
En suivant la chaîne qui va de la tête détruite du monstre jusqu'à la main grande ouverte d'Awal, ils n'ont plus qu'à se pencher pour admirer leurs élèves.
La silhouette de l'homme balafré et de la jeune femme sont contournées par les rayons du soleil, offrant un peu d'ombre à ces six jeunes gens affalés par terre.
Respirant tous fort, ils dirigent leurs regards en direction de leur maître qui dit de but en blanc :
« Alors ? Qu'avez-vous pensé de cet entraînement ? »
Surpris par cette question, tous plient leurs visages d'un mélange de frustration et d'incrédulité.
Basim est le premier à dénouer sa langue.
« Je m'attendais au pire... Et tu as fait pire que le pire... C'est dingue d'autant dépasser mes attentes d'une façon aussi négative... »
Après ces quelques mots, le jeune homme s'arrête et laisse retomber lourdement sa tête par terre.
Ne voyant aucun autre commentaire de ses apprentis arriver, Eddra se permet de reprendre la parole.
« Pour moi, ce fut tout le contraire. »
Surplombant ses élèves désabusés, il se permet de sourire et d'élever la voix avec un ton insolemment joyeux.
« De la cohésion de groupe. Voilà ce à quoi je m'attendais ! Et vous avez dépassé mes espérances ! »
Il se tourne, regardant le corps lentement dévoré par les charognards du dragon-pique.
Tout autour de la carcasse, au centre ce ce champ infini de roches semblables à des griffes, le sable s'est imbibé de son sang et est devenu rouge.
Ce qui donne un aspect presque poétique à sa mort est que, maintenant, ce sont les bêtes les plus fragiles et basses dans la chaîne alimentaire qui se repaissent de sa chair entre ses croûtes de sable.
Eddra en sourit de plus belle.
« Un dragon-pique est une armurerie vivante à lui tout seul. Rapide, puissant, résistant, intelligent... Un peu irritable... Bref, c'est la machine de mort parfaite ! Pour en tuer un, il faut au moins un bataillon entier de soldats entraînés, et une bonne partie perdra la vie pendant l'affrontement. Voyez ce que le Plasma a pu vous faire faire ! Il ne vous a fallu n'être que six utilisateurs et une bonne stratégie d'équipe pour en venir à bout ! »
En faisant un pas mécanique, il se remet à faire face aux six jeunes étalés par terre qui doivent puiser dans leurs dernières forces pour lever la tête dans sa direction.
Et pourtant, leur supérieur qui parle en premier n'est autre que Chanzi qui est située devant le grand pâle.
« Rabano Marade. Franchement, ta flexibilité m'a impressionné. Tu es vraiment aux antithèses de ce que tu étais hier ! T'as utilisé les roches pour gagner de la hauteur, tu as utilisé le sable pour aveugler la créature. Tu as su utiliser le terrain à ton avantage et t'as même réussi à t'adapter aux reliefs de son dos ! Tu t'y es accroché et t'as également réussi à bloquer sa queue ! »
Sur un ton plutôt enjoué au début, elle change rapidement et sans transition pour un autre un peu plus bas et morne.
« Mais... Hélas... Tu as été un peu lent. Trop lent. Ce n'est que sur la fin que tu t'es vraiment montré utile et décisif. De plus, de tous tes camarades, c'est toi qui a été sauvé le plus souvent. À la limite, au début de votre combat, t'as plus été un boulet qu'autre chose. Il faut vraiment que tu travailles sur ce point. »
Rabano semble presque s'enfoncer dans le sable, se prenant ces remarques comme un poids sur son corps.
« Awal... »
Cette fois, c'est Eddra qui parle et qui pointe le blondinet affalé par terre et qui ne le regarde même pas.
« T'as fait ton travail. Tu as vite compris et constaté de tes limites contre un tel adversaire. Mais tu as quand même rien lâché et tu t'es montré être une bonne aide aux autres quand ils en avaient besoin. T'as joué ton rôle avec efficacité et... Peut-être que finalement, tu feras un bon garde un jour ? Si t'en as toujours l'ambition, bien sûr. »
S'arrêtant ainsi, le grand soldat s'accroupit et attrape la chaîne du fléau d'armes d'Awal.
Rembobinant l'arme articulée jusqu'au bout et essuyant le sang sur la tête à ailettes, il la replace dans la main du blondinet avec un soupçon de respect dans son geste.
« Ton ambition déterminera ta destinée. »
Étant maintenant le seul à former un sourire sur son visage maintenant plus serein, Awal échange un bon regard avec son maître qui lui rend le geste.
Le grand homme se redresse et se met à regarder Basim et Samu et de s'accroupir à côté d'eux.
« Samu, ta capacité d'analyse m'a impressionné. Mais tu es un peu trop téméraire et je t'ai vu foncer tête baissée sans t'assurer au préalable que Basim te suive. Tu t'es parfois un peu mis inutilement en danger et c'est ça qui a mis Basim en danger. Alors, même si tu estime avoir toutes les infos sur ton adversaire... »
Il marque une pause et se penche d'avantage vers Samu et appuie ses deux tempes avec ses indexes.
« Réfléchis, Samu ! Réfléchis ! T'estimer être au parfum de toutes les capacités de ton ennemi ne te donne pas l'excuse d'éteindre ton cerveau et d'agir comme un bourrin ! D'ailleurs, je crois bien que ton frère est d'accord avec moi sur ce point. N'est-ce pas, Basim ? »
Celui aux flammes oranges ne réagit pas vraiment, mais il se met à fixer Eddra avec plus d'insistance.
« Toi aussi, tu as bien géré. Franchement, tu as su protéger ton frère avec brio et pour ce qui est de prévoir les gestes de l'animal... Tu as su peaufiner un plan qui, même en étant plutôt brouillon, expédié et imparfait, a su porter ses fruits. Par contre, ce que je n'ai pas aimé, c'est que même en admettant que Samu est parfois imprudent, toi, tu l'es peut-être un peu trop. Chanzi a critiqué la lenteur de Rabano. Mais lui, au moins, il n'a pas hésité à commencer le combat et a aider les autres pile au bon moment. En plus, tu as cette capacité à prévoir les mouvements de la bête, alors qu'est-ce qui t'empêchait d'y aller dès le début ? »
Il a droit à une réaction de la part du jeune homme : un froncement de sourcil et des yeux qui pointent tous les autres apprentis affalés autour de lui.
Eddra se redresse et conclut sur une note neutre.
« Oublie ce que je viens de dire. On va mettre ça sur le dos de la sidération et de la peur. D'accord ? »
Il laisse les deux frères tranquilles, se dirigeant maintenant vers Zana et Horias.
Il bouge un peu la tête et s'adresse précisément à Horias.
« Horias, tu as sauvé Rabano avec brio ! Mais tu as été trop imprudente et c'est à cause de ça que cette bête a pu t'attraper et ainsi causer problème à Rabano. Sois plus prudente ! Mais, je l'admets, ta persévérance est à souligner. Je ne t'ai jamais vu perdre du courage et peu importe à quel point cette bête t'effrayait, tu fonçais ! Tu m'as montré que tu es courageuse et que tu ne lâches rien, et j'apprécie ça. »
Il tourne la tête et parle maintenant à la deuxième sœur.
« Zana. Sincèrement, j'ai beaucoup aimé ta façon d'épauler ta sœur au combat. Contrairement à hier, tu as su la protéger et l'assister avec justesse. Même si, toi aussi, t'étais plutôt imprudente au début contre cette saloperie, tu as su prendre moins de risques inutiles que Horias. »
Il se redresse et pose un regard en hauteur sur tous ses disciples.
« Que ce soit toi où elle, ou tous les autres, je vois que vous faites des progrès et que votre potentiel est immense. Et surtout, je suis fier de pouvoir vous dire que je crois... »
« Vous n'avez pas honte...? »
Cette voix profonde et féminine le coupe net dans sa phrase, il reconnaît le ton de Zana et aperçoit cette dernière redresser le haut de son corps en se tenant sur ses bras.
« Que... Quoi ? »
Fait Chanzi, penseuse à la question de la jeune fille.
Un silence de mort s'installe quelques secondes avant qu'elle ne continue sa phrase.
« C'est pas comme si ce dragon-pique avait attaqué Madina ou qu'il était venu de lui-même vers nous. Cette bête n'avait rien fait... Elle vivait sa vie paisiblement en remplissant son rôle dans la chaîne alimentaire... C'est vous qui nous ont amenés ici et qui l'on réveillé ! Pourquoi vous avez fait ça ?! Pourquoi nous avoir emmené ici juste pour le plaisir d'exécuter un animal qui ne nous aurait rien fait si vous l'aviez laissé tranquille ?! Sertes, il nous voyait comme de la nourriture et n'aurait pas hésité une seconde à nous tuer nous... Mais c'est vous qui avez commencé, c'est vous qui l'avez réveillé ! Et ainsi, vous nous avez mis dans une situation qui nous a forcés à le tuer... Alors... Je vous demande juste... Pourquoi ? Pourquoi nous avoir piégés, nous et lui ? Qu'est-ce que ça vous a apporté ?! De faire de NOUS les premiers agresseurs ?! »
Les mots de Zana redonnent un peu d'énergie aux autres utilisateurs qui réussissent, eux aussi, à relever la tête.
À la vue et à l'entente de tout ce que la jeune femme a dit, Chanzi se retrouve au dépourvu, ne pouvant répondre et devant cacher son œil droit devenant rouge.
Eddra est le seul à pouvoir répondre :
« Car c'est difficile de tuer un animal. Et que ça l'est encore plus de devoir tuer un humain. »
Écarquillant les yeux, Zana et tous les autres se visualisent cette possibilité et en tremblent d'angoisse.
Le grand soldat balafré s'accroupit à nouveau, se mettant au niveau de ses apprentis.
« Le dragon-pique est un animal, mais surtout et avant tout, c'est un prédateur sans peur ni compassion, ni regret qui agit uniquement par instinct. Oui, nous l'avons réveillé. Oui, il n'a rien demandé et... Oui... Nous sommes responsables de sa mort et nous n'avons montré que du sang-froid à son sort, je vous l'admet... »
Restant dans sa position, il pointe Basim et Samu du doigt.
« Vous deux, en éveillant votre Plasma, vous avez tué un iamhtary. Un animal domestique qui menaçait une petite fille et qui, de toute façons, aurait fini à la poêle. Donc vous avez un double détachement sur ce que vous avez fait et vous n'avez rien à vous reprocher sur ce sujet. Mais qu'en serait-il si ça avait été un humain qui menaçait cet enfant ? Auriez-vous simplement oublié cette personne à qui vous auriez ôté la vie, même par accident après votre éveil au Plasma ? J'en doute. »
L'absence de réponse venant des deux frères confirme les pensées d'Eddra.
« Vous avez tué cet animal, et vous vous le reprochez. Et ça, je le comprends. Mais seul un animal de cet acabit aurait pu vous forcer à coopérer comme vous l'avez fait. Et quand la guerre sera finie, et que vous serez encore là pour voir le soleil se lever, est-ce que la pensée de tous ces hommes et femmes à qui vous aurez pris la vie en ces jours funestes ne vous fera rien ? Ça aussi, j'en doute. Ce seront des humains, qui auront peut-être essayé d'attirer votre sympathie ou de négocier avec vous pour que vous les épargniez, mais que vous aurez été obligé de tuer. Pourquoi ? Car c'est ainsi que la guerre est faite. Nous ne pouvons pas nous permettre ce genre de choses, car vous n'aurez pas le choix. Ça sera vous ou eux. »
Se remettant debout, Eddra se dirige vers la tête à peine identifiable du dragon-pique, écrasée par le fléau d'armes d'Awal.
« Voyez-le comme un sacrifice nécessaire à votre évolution. Car je ne peux pas et je ne veux pas vous imposer la charge émotionnelle d'avoir une mort humaine sur la conscience sans vous y avoir préparé. Tuer est un acte horrible que personne n'aurait à faire, et je comprends votre rancœur à mon égard... »
Il tend la main, refermant l'œil encore ouvert du monstre.
« On a tous fait des choses dont nous ne sommes pas fiers. Mais c'est justement avoir trop de fierté qui est un défaut. »
Chanzi tourne le regard, laissant enfin partir cette larme dont la simple présence la dégoûte au plus haut point.
Le maître revient au près de ses élèves.
« Retrouvez-nous demain matin à la même heure que d'habitude. On vous y attends. »
« Hein ? Mais... Et la charrette ? »
Réagit immédiatement Awal, réussissant à se tourner vers Eddra et Chanzi qui commencent déjà à s'en aller.
Le grand homme fait volte-face et lui montre la fameuse charrette et les deux dabas qui lui servent d'attelage.
Le tout est couvert de longues et fines épines venant de la queue du monstre et les deux gros lézards sont étalés au sol, tués par ces mêmes projectiles.
« Ah. Merde... »
Se disent les six jeunes à l'unisson.
« Ce sera votre dernière leçon de la journée : revenir à Madina ! »
S'exclame Chanzi avant qu'elle et Eddra ne recouvrent leurs jambes de flammes vert pomme et brun.
L'instant d'après, ils se sont mis à courir à une vitesse inhumaine à travers le champ de pierres pointues.
En quelques secondes, ils ont déjà disparu à l'horizon en laissant derrière eux deux simples traînées de feu de leurs couleurs, laissant leurs disciples sur place.
Trois heures se sont écoulées, il est déjà le milieu de l'après-midi.
Awal, Basim et Samu se sont tous les trois réfugiés à l'ombre d'une des griffes de pierre qui parsème le paysage.
Ils ont ôté la partie supérieure de leurs armures et les utilisent comme des éventails dans le but de les aider à supporter la chaleur.
« Vous n'êtes vraiment pas résistants à la chaleur, vous trois. »
Constate Zana des trois garçons avec un sourire malicieux en coin.
« Ouais, ouais... Vas-y, moque toi de nous, on ne te dira rien. »
Lui répond Basim en essorant un morceau de tissu qu'il a utilisé pour essuyer sa sueur.
Samu ne dit rien, il se contente de soupirer après que son frère ait répondu de façon un peu passive-agressive à leur camarade tout en s'essuyant le front avec son poignet.
« Et eux ? Qu'est-ce qu'ils font ? »
Un peu à l'écart des deux frères, le blondinet attire l'attention sur Rabano et Horias.
Ces deux derniers sont à genoux par terre et creusent dans le sol avec leurs mains pour outils.
Plus tôt, Rabano était très concentré en ayant l'oreille collée par terre en ayant l'air d'y chercher un son bien précis.
Depuis qu'il a fait signe à Horias de le rejoindre pour creuser, ils y sont d'arrache-pied.
Ça fait juste deux heures qu'ils y sont et qu'ils ont à remercier leur métabolisme Sorinien pour ne pas cuire au soleil.
« Sans charrette, il nous faudrait presque dix heures de marche pour retrouver Madina. Moi, Horias et Rabano pouvons le faire sans soucis. Mais comme vous ne semblez pas tenir les rayons du soleil et qu'il vaut mieux partir le plus vite possible, on a décidé de nous trouver un meilleur moyen d'arriver à Madina sans que vous ne mouriez de chaud. »
Répond Zana, avec un sincère sourire de bienveillance à l'encontre des trois garçons qui couvre son ton généralement plutôt sec et strict.
Basim se relève, mais il reste à l'ombre pour être au niveau de la blonde.
« Attends... Tu veux dire qu'ils cravachent depuis deux heures juste pour que NOUS ayons plus de confort à repartir ? »
Prenant un air penaud, celle au Plasma jaune répond tout simplement :
« En effet. Il est hors de question qu'on vous laisse là et encore plus impensable de vous faire faire la traversée. Le soleil est à son zénith, même pour nous c'est difficile à supporter. Je ne sais pas ce que vous avec exactement pour être fragiles comme ça mais... Voilà, on n'a pas besoin de se justifier pour prendre un peu soin de vous. On est une équipe, pas vrai ? Donc il faut nous serrer les coudes, peu importe les complications et les retards que ça provoque, il faut que les uns agissent pour le bien des autres et inversement. »
Elle marque son point final, commençant à se retourner pour donner un coup de main à sa sœur et au grand pâle.
« Et sinon... »
La rappelle Basim.
« À la base, la question était : en quoi un trou dans le sol nous ramènera jusqu'à Madina ?! »
En seule réponse, Zana lève sa main sans se tourner et dit à voix haute :
« Vous verrez ! On vous expliquera en chemin ! »
Laissé sur sa faim concernant des réponses, Basim s'adosse lourdement contre la paroi de pierre froide et lisse.
Là, il reçoit un coup de coude de la part de Samu.
« Tu vois ? Ils ne sont pas méchants. Tous les Soriniens ne nous regardent pas avec dégoût et ne nous jettent pas des pierres. Apprends un peu à voir le bon dans certaines personnes... »
Basim râle et donne pour seule réponse à son frère un simple mouvement de la main lui disant de se taire.
À leur droite et distancé d'environ deux mètres, Awal les écoute d'une oreille distraite, les yeux rivés sur son arme enroulée autour de sa main.
« Dis, Basim... Je peux te poser une question ? »
Commence-t-il avec une voix lourde qui semble lui arracher les dents à chaque mot.
Ayant attiré l'attention des deux à la peau foncée, il dévie son regard sur eux, n'hésitant plus à ce qu'il va sortir de sa bouche.
« Excusez ma curiosité mais... Hier, vous avez dit que votre raison première d'être ici est de retrouver quelqu'un... Vous cherchez qui, exactement ? »
Sur l'instant, les deux frères écarquillent les yeux, ne sachant pas quoi répondre.
Ils s'échangent un regard, et Samu parle en premier pour une fois.
« Des amis d'enfance. Rien de plus. »
Le blondinet hoche la tête, esquissant un sourire.
« Dites m'en plus. »
Basim est hésitant, refusant d'ouvrir la bouche en gardant sa mâchoire serrée.
À l'opposé, Samu souffle de contentement, les yeux plein d'étoiles, il ne se prive pas de parler.
« Certainement ! On les a rencontrés peu de temps après notre arrivée au refuge de Madina. Tu vois ? C'est celui qui a fermé il y a à peu près dix ans. Eux et nous, on ne se séparait jamais, dès notre premier jour avec eux, on s'était directement entendu. Wolfetsu était le genre de personne très juste quand il parlait, il ne mâchait pas ses mots et... Maintenant que j'y pense, il avait vraiment des traits de leader quand il le fallait. »
Samu s'arrête et observe les deux sœurs et le grand pâle au loin.
« D'une certaine façon... Zana me le rappelle un peu au niveau du caractère. Et Scorn, c'était ce genre de gars très calme et serein peu importe la situation... Une vraie force tranquille de la nature. »
Awal écoute attentivement, presque touché de la façon dont Samu parle sans pudeur.
« Je me souviens que Scorn n'était pas habile de ses mains. Il ne savait pas parler quand on s'est rencontré, c'est Wolfetsu qui lui a appris. Bon sang, ce qu'il était intelligent... C'est aussi lui qui nous a appris à lire et à écrire. Et devine qui c'est qui lui a appris, à lui ? »
Le blondinet hausse des épaules avec un air joyeux, de quoi rendre Samu tout aussi content.
« Lui-même ! Wolfetsu a appris à lire et à écrire tout seul ! Il est passionné d'écriture et de linguistique ! Il a appris ça tout seul ! Et pour nous, des gamins qui n'avaient rien... C'était un pur génie. C'était... Voilà. En cinq ans, ils ont toujours été là pour nous, que ce soit dans les moments les plus durs et dans les moments les plus heureux. Et c'est à ça qu'on reconnaît les vrais amis. »
Satisfait et avec de bons souvenirs plein la tête, Samu s'affaisse contre la roche, oubliant la chaleur, le voilà heureux.
« Et toi, Basim ? Tu as quelque chose à dire sur eux ? »
Invite Awal à l'autre jeune homme qui est tout le contraire de son frère, autant sur sa posture que sur son expression faciale : tordue et méconnaissable à cause des pleurs qu'il essaye tant bien que mal de contenir.
« C'est bien comme ça, Samu... C'est bien comme ça... Ça commence toujours comme ça... »
Le blond retient sa respiration et Samu s'éloigne légèrement de son jumeau.
« Il faut toujours que rien ne marche correctement... Tu veux savoir où ils sont, Awal ?! Et où nous avons été durant les dix dernières années ?! »
Sur la défense, Awal essaye aussi de s'éloigner d'un petit mètre de Basim, dont les émotions remontent comme le magma d'un volcan.
« Il a fallu que ces monstres nous les enlèvent... »
Sa main droite se crispe, formant un épais feu orange.
« Et on ne les a jamais revus ! Wolfetsu et Scorn ont été envoyés loin de nous juste car... Car... Et nous, nous avons été jetés dehors comme des malpropres ! Comme si on n'était rien ! Dix ans dans la douleur à mendier et à voler ! Oui, je l'avoue, nous sommes des voleurs ! Mais nous ne l'avons jamais fait par plaisir ! On n'avait pas le choix ! On avait que onze ans, et personne ne daignait nous regarder et nous prendre en pitié ! Nous n'existions pas à leurs yeux ! Car approuver notre existence et ce qu'on a vécu ne pourra que confirmer ce que cette société dans laquelle ils se plaisent est pourrie de l'intérieur ! Pourquoi donc aider ceux dont on ignore l'existence et qui n'existent pas aux yeux des autres ?! Évidemment, ces ordures sont les premiers à se plaire dans cette situation qui nous force à commettre des crimes ! Ainsi, ils s'en lavent les mains et nous montrent comme étant un problème à regeler sans même imaginer que nous ne sommes que les fruits de leur semence périmée ! »
Il rompt la distance entre lui et Awal, laissant un Samu incertain et volontairement isolé derrière lui.
« Tu ne sais pas ce que c'est ! Toi, petit privilégié vivant sous l'aile et le toit de sa mère bien-aimée en compagnie de ta petite sœur ! Toi, qui as toujours eu un lit douillet et de la nourriture chaude ! Regarde-moi dans les yeux et ose me dire que tu comprends. »
Awal, de ses petits yeux d'un bleu terne, se voit confronté aux grands yeux noisette et imbibés de sang de Basim, qui le regarde de haut, emplis de ressentiment.
« Je ne vais pas te mentir, Basim. Alors, non, je ne pourrais pas te dire que je comprends. Mais il y a bien une chose que je comprends. »
« Qui est ? »
« Que maintenant, je comprends ce que c'est d'être visé par la haine et la méfiance d'autrui. De ne pouvoir être vu que comme un potentiel traître prêt à... Par exemple... Vous enfoncer une lame entre les omoplates, même si vous estimez avoir tout fait pour que je vous sois redevable. C'est bien de nous autres que tu parlais, Basim. »
Passant de la colère profonde à une peur soudaine, celui aux flammes oranges perd le contact visuel avec Awal.
Pour une fois, c'est lui qui prend de la distance avec le blondinet.
« Qui... Qui t'a dit ça ? »
Demande Samu, sous le choc et voyant que son frère a perdu ses mots.
Awal tourne la tête, regardant dans le vide avec l'expression la plus neutre possible.
« Vous. J'étais caché derrière une roche. Je vous ai entendu. Et ça m'a fait mal. »
Le vent souffle, le blondinet continue.
« Pensez ce que vous voulez. Je ne peux pas ignorer ce que vous avez vécu, et je ne peux pas vous en vouloir d'avoir pensé et dit ça. D'ailleurs, ça confirme ce que j'ai toujours pensé : que notre monde est imparfait et cruel envers les miséreux, ceux qui ne rentrent pas dans le moule et surtout pour... »
Il marque une pause, et tourne la tête vers Basim et Samu.
« Les sans-patrie... »
Les deux frères subissent un choc semblable à un éclair qui se serait abattu sur eux, se sentant soudainement impuissants face au Sorinien.
Ce dernier repositionne son regard vers l'ourson où Horias, Zana et Rabano continuent de creuser de toutes leurs forces.
« C'est une autre raison pour laquelle j'ai envie de devenir garde. Quand j'étais enfant, j'ai vu un sans-patrie. Je ne me souviens plus à quoi il ressemblait mais il n'étais pas du tout humain. Il avait été trouvé en train de tabasser un mec à côté d'une jeune femme poignardée à plusieurs reprises. Il fut accusé de lui avoir fait ça et d'avoir essayé de faire de même avec l'homme. Il avait beau se défendre en proclamant qu'il avait essayé de sauver cette femme de son agresseur, personne ne l'a cru car des passants les avaient reconnus. C'était un couple marié depuis peu. Un garde est arrivé et à instantanément tué le sans-patrie d'un javelot dans la poitrine. Le pire, c'est que ce « garde » a reçu une prime et plusieurs jours de vacances pour, soit disant, service rendu à la communauté. Le soir même, après qu'elle ait été soignée, et sans qu'elle n'ait eu le temps de donner sa version des faits, on a retrouvé la femme égorgée dans son lit. Et son mari a disparu depuis ce jour, il n'a jamais été retrouvé et n'a donc jamais payé pour ses crimes. »
Il pose sa main sur son arme démesurée, la regardant avec une certaine appréhension.
« Entre cet homme et ce garde, ce sans-patrie était le plus humain. Une personne honnête qui voulait aider, mais qui fut victime d'injustice et tué sans sommation car il ne valait pas plus aux yeux des autres qu'un vulgaire animal. »
Une nouvelle fois, il tourne la tête sur la gauche, regardant les deux frères.
Ceux-ci aperçoivent dans les yeux du blondinet qu'il les regarde tous les deux, comme n'importe qui regarderait n'importe quel autre être humain.
« Ce jour-là, j'ai appris une chose : une vie humaine est une vie humaine, peu importe qui la détient. Que ce soit une personne normale comme moi, un miséreux où un sans-patrie, nous sommes tous pareils. Il y a du bien et du mal dans tous les côtés et en toute gens. Mais le mal ne naît pas, il est créé. Et même si ce mal doit être arrêté, il mérite d'être compris pour être définitivement stoppé. En devenant garde, j'aurais l'unique chance d'améliorer le système de l'intérieur et ainsi m'attaquer aux origines du mal à sa propre source. »
Perdus et stupéfaits, les deux frères ne savent pas quoi dire, ils sont juste bouché bée devant ce jeune homme si ambitieux.
Soudainement, une voix vient les sortir de leur transe.
« HEY !!! LES GARS !!! VENEZ !!! »
C'est Horias, du sable rêche des plaines d'Almajarif plein l'armure et les cheveux, elle ne paraît pourtant presque pas fatiguée.
Toute contente, elle appelle les trois garçons en levant la main en l'air.
Répondant seulement en se revêtant de son armure, Awal se relève en premier.
« Pour ce qui est de Zana, Horias et Rabano, souvenez-vous qu'ils ont dit ne plus avoir de foyer à cause de Sarkonge. Donc ils ne viennent pas de Madina. Si ça se trouve, ils ne savent même pas ce qu'est un sans-patrie. Donnez-leur une chance, d'accord ? »
Les deux frères hochent la tête et remettent, eux aussi, leurs armures de cuir renforcées de plaques d'acier qui écrase leurs poitrines.
Le petit groupe sort de la zone d'ombre, de prenant en un instant une puissante vague de chaleur et les rayons plombants du soleil qui les écrasent.
Le tout sans compter le vent du sud qui arrive dans leurs dos, de quoi encore plus leur faire ressentir la sensation d'être du pain dans un four.
Après une petite vingtaine de mètres dans cette fournaise, les trois jeunes hommes atteignent Zana et Horias qui les attendent autour du trou.
Ils croient halluciner en voyant le vrai diamètre de cette cavité faite à la main : presque trois mètres.
Tout au fond, Rabano y est à genoux, continuant de gratter le sol et retirant des centimètres entiers de ce fin gravier rugueux avec ses seuls ongles.
« Sinon... »
Commence Samu.
« Zana ne nous a pas tout dit. En quoi ce trou va nous aider à retrouver Madina ? »
La jeune fille s'est entendue être mentionnée et se rend compte de son oublie.
Voulant réparer son erreur, elle se prépare à parler, mais elle se fait interrompre par sa jumelle.
« Oh, homme de peu de foi. Fais donc confiance à notre cher Rabano ! Ici, c'est lui qui connaît le mieux le désert ! »
Tous se taisent le temps que le grand pâle se redresse, contemplant avec fierté ce qui semble être un plateau de calcaire.
« Ta-da ! »
Fait-il en sublimant cette carrière de caillasse d'un petit mouvement de ses deux mains.
Encadrés par Zana et Horias qui sont tout aussi contentes que Rabano, les trois autres garçons tirent une tête d'enterrement en pensant que le quatrième a perdu la sienne.
« Euh... T'as chopé un coup de soleil ? Parce que là, c'est du calcaire que tu nous montre. »
S'inquiète Awal en pointant la plaque de roche minérale.
Lui ricanant à la face, le pâle s'agenouille et prépare son poing droit à frapper le sol tout en l'englobant de flammes de couleur bronze.
Ne comprenant pas ce qu'il compte faire, Basim et Samu commencent à reculer mais ils se font stopper par Zana et Horias qui abordent de grands sourires.
Étendant son feu marron sur tout son avant-bras, Rabano y cumule le plus de force possible et frappe.
Son coup-de-poing traverse la roche qui est, en réalité, bien plus fine et fragile qu'elle n'en a l'air.
Depuis le trou par lequel le poing de Rabano passe, une fissure se forme et se propage sur toute la partie déterrée de la source de calcaire jusqu'au-dessous du sable sur lequel ses camarades sont debout.
Les trois garçons envoient un regard circonspect au jeune homme au teint maladif qui retire sa main du trou, le visage et les doigts tordus de douleur.
« Note à moi-même : ne plus JAMAIS ouvrir une rivière à mains nues... »
« Ouvrir une quoi ? »
Demandent Awal, Basim et Samu.
L'instant d'après le sable sous leurs pieds s'affaisse.
L'instant d'après, avant que quiconque ne puisse réagir de quelconque façon, le sol s'écroule et tous tombent dans une large crevasse.
Basim hurle à pleins poumons dans cette chute libre à l'intérieur d'un nuage composé de sable en chute libre.
Dans le même état de panique que lui, Samu attrape et sert son frère contre lui.
À côté d'eux, Horias et Zana sont tranquilles et se laissent tomber tranquillement malgré un léger stress qu'elles ne peuvent ignorer.
Pour ce qui est de Rabano, la seule chose qui le préoccupe, c'est sa main endolorie et un détail qu'il a omis de dire :
« Fermez les yeux ! Ce sable arrache la rétine, croyez moi ! Ouille... Ma main... »
« TU CROIS VRAIMENT QUE C'EST ÇA QUI NOUS INQUIÈTE LE PLUS ?!!! »
Crie Awal qui passe à côté de lui dans sa décente dans laquelle il ne peut s'empêcher de tourner sur lui-même en position d'étoile.
Rabano réfléchit, prenant un air penseur avec ses cheveux dressés vers le haut pendant qu'il continue à tomber.
« Non, je crois que c'est tout. Vraiment. »
Au final, ça n'aura pas duré plus de cinq secondes.
Awal est le premier à attendre le fond de cette crevasse dévoilée par Rabano.
Et en touchant le fond, il entend un bruit que personne n'entend très souvent sur Sorina.
« PLOUF »
Ayant fermé les yeux par la peur de s'écraser contre une roche, c'est sous un mètre de flotte qu'il les rouvres.
De l'eau, il n'en avait pas vu en si grande quantité depuis longtemps, très longtemps.
Paniquant davantage, il crache tout l'air qu'il avait emmagasiné qui part sous la forme de grosses bulles au-dessus de sa tête jusqu'à la surface.
Awal ne sait logiquement pas nager, mais il arrive à remonter sa tête à la surface en bougeant instinctivement ses bras.
« Au secours... »
Fait-il difficilement en peinant à tenir sa tête à la surface pour respirer.
« Attrape ça ! »
Il entend la voix d'une des deux sœurs, l'extrémité de la hampe de bois d'un de leurs fauchards.
S'y accrochant avec force, le blondinet se fait tirer jusqu'à un endroit où il retrouve pieds tout en ayant encore l'eau jusqu'aux genoux.
« Agréable baignade ? »
Lui demande Horias, toute trompée mais souriante en posant sa question moqueuse à Awal.
« Mais vous êtes des malades... »
Lui répond il en se tenant à quatre pattes.
Se relevant sur ses membres tremblants, il se tient la tête à cause d'une montée d'émotion.
« Bordel de merde... Vous auriez pu nous prévenir ! J'ai failli faire un infarctus avant d'être à deux doigts de me noyer ! »
La voix plus grave de Rabano attire son attention vers derrière lui.
« En fait, je ne pensais pas que ça serait aussi profond. »
Lui et Zana tiennent Basim et Samu qui refusent de se lâcher, encore sous le choc de ce qu'il vient de se produire.
« Je pensais qu'on aurait que trois mètres de chute et que l'eau n'irait pas plus haut que nos genoux. Je n'ai pas dû écouter le son du creux correctement. »
Il pose les deux frères là où la flotte ne monte pas au-dessus de dix centimètres.
« On peut savoir où on est, exactement ? »
Questionne Awal avant de lever la tête pour voir, dix mètres plus haut, la crevasse par laquelle le soleil leur offre un bon éclairage et visibilité sur leur environnement.
Ils sont tous sur le côté de ce qui paraît être un large conduit d'eau plus ou moins circulaire.
Rabano prend des airs de professeur de géographie et présente l'endroit.
« Nous sommes dans l'une des rivières souterraines qui sert de réseau circulatoire à la planète. Dans les pôles et leurs environs, il pleut énormément. Toute cette eau ruisselle et creuse des rivières à la surface de la terre avant de s'enfoncer de plus en plus dans le sol avec la distance. Formant alors ces immenses galeries de calcaire avec tous les minéraux qu'elle récolte en rongeant les minéraux dans son chemin. Toutes ces rivières finissent par se rejoindre et à former des immenses nappes phréatiques sur lesquelles sont bâties nos villes. C'est comme ça que nous sommes alimentés en eau, voilà ! Les architectes qui ont bâti nos villes et villages ne sont pas idiots, hein ? »
« Cartographe, zoologiste, géographe, spéléologue... Plombier. Les femmes doivent se l'arracher. »
Plaisante Zana, de quoi faire largement surfiler Horias.
Le grand pâle continue en s'adressant plus particulièrement à Basim, Samu et Awal.
« Et la sauce sur le ragoût est que, ici, on est protégés du soleil et il fait frais ! Donc, personne ne va mourir de chaud ! »
Basim a quitté l'étreinte de son frère et s'invite à la conversation.
« Et comment on va faire pour retrouver Madina, gros malin ? Tout se ressemble, ici ! C'est littéralement un labyrinthe et on ne peut pas faire marche arrière ! »
Le grand pâle ne prononce pas un mot le temps qu'il se saisisse d'une de ses dagues, pointant dans la direction où l'eau coule.
« J'ai dit que les rivières se réunissent pour former des nappes phréatiques sur lesquelles les villes sont bâties. On a croisé ni ville, ni village pendant notre trajet jusqu'aux plaines d'Almajarif. Donc, logiquement, en suivant l'eau, on trouvera la nappe Madina et la ville de Madina juste au-dessus. Apprends à écouter avant de traiter les autres de gros malins, Monsieur le Paranoïaque. »
Basim est cassé, immobilisé par la remarque de son camarade.
C'est sans en dire plus que Rabano commence à marcher en suivant le cour de l'eau.
Le suivant de près, Horias allume une flamme rouge sur sa main gauche afin d'éclairer le chemin.
Laissé derrière, Basim se fait limite narguer par Samu.
« T'as plus rien à répondre quand tu te prends tes quatre vérités dans la figure. Hein ? »
« Ta gueule. »
Awal arrive aussitôt, les deux frères lui disent :
« C'est vraiment à eux que tu veux qu'on donne une chance ? À qui on doit donner notre confiance ? »
Insiste celui au Plasma orange, de quoi arrêter le blondinet dans sa marche.
« D'accord, ils sont un peu fous, mais la folie est humaine. Je dirais même que parfois, les gens les plus fous, sont souvent les plus tristes. N'oubliez pas que, eux non plus, nous ne les connaissons que mal. Alors oui, laissez leur une chance. »
Il s'arrête un instant et ajoute :
« Et moi ? Vous me faites confiance ? »
Les deux frères s'échangent un regard, et Samu répond :
« Entre ce que tu nous a dit et ce que tu nous a démontré... Honnêtement, on ne sait pas. Laisse-nous un peu de temps, d'accord ? Ce n'est pas en une après-midi qu'on oublie dix ans de rancoeur. »
Un peu déçu, Awal baisse la tête un instant, soupirant.
« Tout à fait. Je comprends. Je saurais me montrer digne du début de confiance, même infime, que vous avez à mon égard. Je suis un garde, c'est important que j'aie la confiance de ceux que je veux protéger. »
Basim et Samu n'ajoutent rien, ils se contentent de hocher la tête au blondinet et qu'ils se mettent à suivre les trois Soriniens dans ce dédale humide de calcaire.
Au bout d'une demi-heure, la fatigue commence à se faire ressentir.
Épargnés par la chaleur du désert, ils n'ont aucune réelle raison de se plaindre même si leurs forces commencent à les abandonner.
Patauger avec l'eau jusqu'aux genoux est déjà une épreuve en soit, mais en plus avec l'épuisement causé par leur combat contre le dragon-pique, plus ils avancent, plus ça devient pénible pour eux de garder un certain rythme.
Dans leurs têtes, Basim, Samu et Awal se disent que si ils avaient fait rien que la moitié de ce qu'ils viennent de faire ici, ils seraient déjà morts, cuits par le soleil.
Même l'intrépide Rabano commence à sentir ses jambes lâcher.
Après quelques kilomètres épuisants pendant lesquels ils ont cru que leurs jambes allaient s'arracher de leurs corps, ils arrivent dans une artère où l'eau ne va pas plus haut que leurs chevilles.
Il était temps, le trajet semble un peu moins difficile maintenant.
« Quand je pense qu'on a ni mangé ni bu depuis ce matin... Je crois que je vais m'évanouir... »
Se plaint Horias qui commence à utiliser sa lance comme cane, et ce même si le chemin est moins épuisant qu'avant.
« Je suis d'accord avec toi... C'est inhumain ! Eddra aura intérêt à nous donner une bonne explication quand on le retrouvera ! »
D'abord contente que sa sœur soit de son avis, la jeune fille jette un œil à l'arrière et voit bien l'état des trois jeunes hommes intolérant à la chaleur qui les suivent dans la douleur.
Puis elle redirige son regard vers l'avant, voyant Rabano qui fait de son mieux pour rester à l'avant sans tressaillir et sa sœur qui s'affaiblît à petit feu, elle se dit qu'elle aurait mieux fait de se taire.
Ou que, au contraire, elle devrait continuer à parler, mais d'une autre façon.
La blonde relève sa lance, la tenant correctement.
« Et alors ? Au fond, on est censés être inhumains ! »
Ses paroles attirent l'attention sur elle et tous s'aperçoivent qu'elle commence à accélérer le pas.
« Eddra nous l'a bien fait comprendre ! À nous seuls, on a abattu un dragon-pique ! Chose qui, normalement, demande un bataillon entier qui comptera quand même de nombreuses pertes ! Et pourtant, regardez ! On est encore là pour en parler ! Et c'est un peu de flotte et un centre qui gargouille qui va nous stopper ?! Je ne crois pas ! »
Saignant du nez, elle arrive à refaire apparaître son feu rouge pétant.
« Restez à l'arrière si c'est ce que vous voulez, bande de petites précieuses, moi, je compte bien utiliser mon Plasma, et ce jusqu'au bout ! Montrons à quel point nous pouvons aller loin pour affronter cette raclure de balais à chiotte que sont Sarkonge et ses hommes ! Surpassons-nous ! »
Ne cherchant pas à attendre ses accompagnants, elle passe devant tout le monde.
Courant à une vitesse trois fois supérieure à celle que peut attendre un être humain ordinaire à son maximum, elle éclaire tout le chemin d'une lueur rouge vif.
« Et pis quoi encore...? »
Commence Zana.
« Te laisse t'aventurer toute seule dans ce dédale ?! Jamais moi vivante ! »
Elle ressent une abominable douleur semblable à un coup de couteau à l'abdomen alors qu'elle puise ses dernières forces en imitant sa jumelle.
Elle aussi, elle passe sans problème devant Rabano.
« Alors, messieurs ?! Vous comptez vraiment rester là à traîner la patte comme des vieux collés à leurs cannes ?! »
La lumière jaune émanant de son corps fait dix fois le résultat d'une puissante torche, à la limite d'éblouir les garçons qu'elle arrête d'attendre pour rejoindre sa sœur.
Laissés à l'arrière et voyant les deux lueurs de couleur chaude s'éloigner de plus en plus, les quatre jeunes hommes ont bien l'air idiot et bien l'air faible aussi.
« On peut dire qu'elles savent être motivantes ! »
S'exprime Samu, ressentant un soudain regain de force.
Rabano, qui garde le regard collé dans la direction où Zana et Horias sont parties, acquiesce.
« Je suis d'accord. Surtout Horias. Cette fille est une réelle source d'énergie à elle toute seule. Du dynamisme ! De la volonté ! De la spontanéité ! De la persévérance ! Elle est vraiment magnifique... »
Il se retourne vivement, hochant une tête exprimant la détermination en plus d'une grande résurgence d'énergie.
Awal, Basim et Samu lui font « oui » de la tête.
Tous contractent leurs muscles des pieds à la tête et inspirent profondément.
Bloqués dans leur prise d'oxygène par leurs maudits plastrons, les deux frères se les arrachent du corps et se voient être les premiers à allumer leurs flammes.
Bleu clair d'Awal, brun de Rabano, rose de Samu et Orange de Basim se mélangent dans un puissant éclairage paraissant presque divin.
Soulevant l'eau derrière eux à chaque pas et laissant de longues traînées de feu derrière eux, ils rattrapent Zana et Horias au bout de quelques secondes.
Celles-ci ne peuvent s'empêcher de sourire jusqu'aux oreilles à la vue des garçons qui semblent avoir pris exemple sur eux.
Dans une montée d'adrénaline sans égale, ils filent à travers les tunnels de calcaire en l'illuminant sur des kilomètres des flammes qui viennent de leurs corps.
Au bout d'un moment, avec toute cette satisfaction qu'ils ressentent avec leurs prouesses physiques, leurs corps semblent agir d'eux-mêmes.
Bien qu'envahis par la fatigue, ils continuent dans ce rythme effréné, ils ne peuvent s'arrêter dans leur état d'euphorie.
C'est à la vitesse de soixante kilomètres par heure qu'ils suivent le ruissellement dans les tunnels.
Bondissant à l'unisson par-dessus des crevasses, contournant et évitant les obstacles minéraux, rien ne peut stopper leur progression.
Ils ne font pas attention à la large mâchoire d'un gigantesque prédateur souterrain unidentifiable, passant entre ses dents sans la moindre peur.
Tout ce que cette bête a pu avoir dans sa bouche, ce sont de fins filets de feu de différentes couleurs.
Les jeunes gens laissant ça derrière sans y prêter plus d'attention, ils prennent plus d'élan à la vue d'un immense gouffre.
Au point où l'eau tombe en une petite cascade, le groupe saute et survole une distance de presque trente mètres avant d'atterrir cinq mètres plus bas pour entrer dans un nouveau boyau de calcaire dans lequel l'eau continue son chemin.
Il est par la suite impressionnant de voir la vitesse à laquelle ils stoppent leur course en dérapant sur une longue distance pour s'arrêter.
« On y est ! »
S'exclame Rabano, à bout de souffle, mais toujours empli de cette énergie surnaturelle qui l'a alimenté tout ce temps.
Ils sont devant une immense grotte contenant un aquifère similaire à un grand lac dans lequel l'eau qu'ils ont suivi se jette.
Jamais de toute leur vie de Sorinien, ils n'avaient vu une si grande étendue d'eau.
À perte de vue, l'eau est présente en milliers de mètres cubes.
« La nappe phréatique... On est juste au-dessous de Madina, c'est ça ? »
Questionne Samu.
« Exactement ! »
Lui répond Horias avec joie avant qu'elle ne sente une main lui tapoter le dos.
« En tout cas, tu es une championne pour remotiver les troupes ! Eddra aurait eu bien des compliments à te faire ! »
C'est le grand pâle.
« Tout à fait d'accord. »
S'invite Zana.
« Il faut admettre que sans toi, on serait encore loin d'être ici. Même si Eddra n'est pas là, tu peux être sûre que moi, je suis clairement fière de toi ! »
Cette petite pause se termine par Rabano qui reprend la parole.
« Très bien ! Maintenant, on a plus qu'à grimper pour faire un trou au plafond. C'est la que les parois sont les moins épaisses. Et tout le sable qui est au-dessus tombera pour nous laisser passer ! »
« Et comment tu compte grimper ? »
L'interroge Basim.
Le grand pâle sourit avec ses yeux cernés et détache la ceinture de son armure de cuir, ensuite, il pointe du regard un grand pilier de calcaire.
« On va utiliser nos ceintures comme des cordes pour grimper cette colonne et je vais casser le plafond comme je l'ai fait tout à l'heure ! Bon, ce coup ci, je vais utiliser le pommeau de mon couteau... J'ai pas envie de me casser les phalanges. En temps de guerre ce serait vraiment con. »
Une quinzaine de minutes plus tard, du sable disparaît sous un sol paraissant bleu par l'absence de soleil.
« J'espère qu'on ne se tape pas l'incruste chez des gens ! »
« Impossible, il y aurait du plancher sinon. »
Disent deux voix dans le sol avant qu'une première main pâle ne sorte et prenne appui pour dévoiler le reste du corps de Rabano qui tient ses deux couteaux tactiques entre ses dents.
Se dépêchant de sortir du trou et de remettre son armure pour y placer ses petites armes, il tend la main pour aider Samu à sortir.
Ce sont ensuite Basim, Awal, Zana et Horias qui ont suivi et sortent tous les uns après les autres avec leurs armes en main.
« On a passé combien de temps à courir, au juste ? »
Se demandent ils tous à l'unisson en voyant la raison d'absence du soleil : il fait nuit.
Visiblement, ils ont passé bien plus de temps dans ce labyrinthe de calcaire qu'ils ne le pensaient.
Et le point le plus important est qu'ils ne sont pas dans les rues de Madina.
« Une seconde... On était sur les bordures du lac souterrain donc on est en fait... »
Le grand pâle regarde bien au loin, voyant les lumières allumées dans la ville.
« À environ deux ou trois kilomètres de la ville, en fait... Hehehehe... »
Souriant nerveusement, il tombe à genoux.
À nouveau, Horias lui passe devant.
« Ça va ! Franchement, après ce qu'on a fait, ce n'est pas quelques... Milliers de mètres qui vont nous... Nous tuer... »
Même elle a visiblement trop tiré sur la corde.
Après tous ces abus sur leurs forces qu'ils ont faits en si peu de temps, ils ne semblent maintenant et sans aucune transition, complètement à bout.
Si près du but, ils s'écroulent comme des pantins sans fils.
Et c'est le cas pour tous.
Basim, Samu, Awal, Rabano, Zana et même l'énergique Horias ne tiennent pas longtemps.
Tous se sont endormis contre leur gré sous les quatre lunes de Sorina.
À leur point de départ, dans les plaines d'Almajarif, trois dragon-piques ont été abattus.
Entre les trois cadavres ensanglantés et méconnaissables de ses animaux surpuissants : Nyslam.
Le jeune homme à la tête de son fléau d'armes couverte de sang.
« Tu me croyais vraiment assez faible pour avoir peur de ces petites bêtes, Serpent-Mal-Embouché ? »
Le crotale argenté a gagné une bonne dizaine de mètres d'avance sur son jeune poursuivant.
Exténué de ramper depuis maintenant plus d'une journée entière, il commence à douter que ce jeune garçon qui le poursuit soit vraiment humain.
Car ce dernier ne montre aucune fatigue, faim ou soif, et recommence à courir après le serpent sans avoir rien perdu en vitesse.
Sans le savoir, ces deux derniers se dirigent droit vers la position des élèves d'Eddra.
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