#5 Épées
Après une nuit fraîche et longue, les rayons argentés des quatre lunes de Sorina finissent par disparaître au loin.
Les maîtres de la nuit, les charognards volants et les oiseaux noir et blanc, reprennent leur envol pour regagner les toits plats des bâtiments.
Maintenant à l'abri pour la journée à venir, ces deux animaux n'ont plus qu'à attendre à peu près sereinement la venue du jour.
Rapidement, les premiers rayons divins du soleil apparaissent et se reflètent sur les parois de gré des bâtiments de Madina qui sont les premiers à en profiter.
Apportant la chaleur avec eux, les rais de lumière dorée se répandent et atteignent la fenêtre unique du dortoir où logent de jeunes utilisateurs de Plasma.
Dormant tous les deux sur le côté faisant face à la fenêtre, Basim et Zana sont les premiers à se réveiller.
Hier soir, ils ont tous eu l'idée saugrenue de dormir tout habillés pour gagner du temps sur le levé.
Ébloui, Basim se redresse très vite et se cogne contre les lattes de la couchette, réveillant au passage Samu.
« Salut, tout le monde ! »
S'exclame joyeusement celui aux flammes roses, se levant d'un bond et se dirigeant vite vers la table pour manger rapidement avant de démarrer la journée.
« Bien le bonjour, tout le monde. »
Dit calmement Zana en se levant tandis que Horias descend de son lit superposé à celui de sa sœur.
Au même instant, Rabano émerge au dessus de là où dort encore profondément « Awal le conteur d'histoire » comme ils le surnomment depuis hier soir.
« Salut Basim, Samu, Zana, Horias... »
Il s'apprêtait aussi à saluer le blondinet mais il s'avère que cette larve n'est pas encore tout-à-fait prêt à émerger.
« Vous avez bien dormi, j'espère. »
Dans la pure intention de vouloir être affectueux envers ces gens qu'il connaît que très peu, Rabano s'avance pour serrer cordialement la main de Basim.
Ce dernier est un peu méfiant, à tort, il est conscient que sa méfiance naturelle peut parfois être un peu abusive.
Et en voyant le fin sourire donnant réellement l'image d'une émotion sincèrement bienveillante et sans animosité sous ses yeux entourés de cernes noires.
Basim, convaincu, sourit aussi et saisit la main du grand pâle.
« Merci. Et oui, on peut dire que j'aurais bien dormi si seulement Samu n'avait pas passer la nuit à ronfler. »
« Moi ? Je ronfle ?! »
Intervient Samu, indigné avec un morceau de viande à la main alors qu'il est assis sur la table au fond du dortoir.
Horias lui répond avec un soupçon de malice :
« Comme un iamhtary qui se ferait enculer par un dragon-pique qui aurait couvert sa bite de gravier ! »
« Holà ! Voilà un langage bien moche pour une fille si jolie ! »
S'exclame Rabano, esquissant un nouveau sourire à l'attention de la jeune demoiselle.
Celle-ci ne prend pas la peine de voir la réaction de Samu et préfère se tourner pour faire face au grand pâle.
« Ah bon ? »
En seulement deux mots anodins, elle a fait s'effacer l'expression joyeuse du jeune homme qui recule en mettant ses mains devant lui.
« Euh... Ouais ! Je veux dire que... Ben, ça fait contraste. Tu vois ce que je veux dire, hein ? »
Gêné, il se retourne et fait en sorte d'être caché par Basim avant de s'asseoir sur le lit de ce dernier.
Pendant ce temps, Zana secoue frénétiquement Awal, qui, encore dans un sommeil profond, ne réagit pas à la tentative de la jeune fille de le faire réagir.
« Lève-toi, Awal ! Tu n'auras pas le temps de manger si tu traînes ! Tu ne voudrais pas t'entraîner avec l'estomac vide ! »
C'est surnaturel, le blondinet semble fixé à son matelas.
« Non ! J'men fous, je dors ! »
Se plaint le jeune homme en seule réponse à celle qui se démène pour réveil.
Commençant à s'énerver, Zana tire la couverture du traînard.
« Mais laisse-moi dormir ! Fous le camp ! »
Les yeux habituellement bruns de Zana changent pour se remplir de sang et devenir rouges.
« Erreur fatale, Awal... »
Souffle Horias.
« T'aurais pas dû... Sombre crétin... »
Bruisse Rabano, sachant ce qui attend le blondinet.
Sans avoir à utiliser ses flammes de couleur dorées, elle glisse ses doigts fins sous le matelas sur lequel est encore affalé Awal.
S'accroupissant, elle concentre toute sa force dans ses deux jambes déjà très musclées.
Et, en un mouvement sec et sous les yeux admiratifs de Basim et Samu et ceux qui étaient certains de ce qui allait arriver pour Horias et Rabano, Zana retourne le matelas du blondinet, le faisant finir face contre les lattes de son lit et écrasé par la paillasse.
« C'est bon... Je me lève... »
Dit fébrilement Awal avant de se glisser hors de sa prison autrefois si confortable.
Les quatre témoins ne peuvent faire autre que de taper des mains, à la fois intimidés et admiratifs.
« Ne me forcez pas à faire de même avec vous à l'avenir. »
Dit Zana avec plaisanterie.
« PROMIS !!! »
Font instantanément tous les autres.
Quelques minutes plus tard, quelques mètres devant la porte, Eddra n'est pas tout seul cette fois-ci.
Chanzi l'accompagne.
Tous deux bien droit sur une surface plate, il est plus facile de constater la taille imposante du grand soldat qui frôle les deux mètres.
« Quelle heure est-il ? »
Questionne le balafré à la jeune femme aux cheveux gris.
Elle tourne la tête et fixe rapidement un cadran solaire qu'elle a dessiné autour d'un bâton qu'elle a planté dans le sable.
« Il est six heures dans quelques instants... »
Eddra hoche la tête et se remet à attendre.
Entre eux deux, il y a une certaine distance comme si quelqu'un d'autre devrait être présent avec eux à cet instant.
« Plus que quelques secondes... »
Souffle Chanzi, regardant discrètement le cadrant encore une fois.
À six heures tapantes, la porte s'ouvre et dévoile en premier lieu Basim et Samu qui sortent en premier.
Bien que surpris de voir Chanzi, ils n'y réagissent pas et restent droit l'un à côté de l'autre.
Ils sont vite rejoint par Rabano et Awal qui se mettent à côté des deux frères.
Zana et Horias sont les dernières à sortir et alors que la première entre dans le rang sans rien dire comme la veille, la deuxième est soudainement prise d'une montée émotionnelle en voyant la jeune femme aux cheveux gris.
« Chanzi ! Je suis contente de te voir ! Comment ça... »
Toute joyeuse, elle subit un bel ascenseur émotionnel en voyant l'air glacial qui l'entoure elle et Eddra.
Au final, tout le monde est bien aligné l'un à côté de l'autre comme hier, attendant que leur maître ne parle en premier.
Avant que quiconque ne dise quoi que ce soit, Chanzi regarde une dernière fois son cadran solaire.
« Pile à l'heure... On se calme... Tout va bien... »
Elle inspire intensément, expire doucement et s'adresse à trois des six recrues en particulier.
« Rabano, Zana, Horias. D'après vous, nous avons bel et bien un mois entier de sursis avant qu'ils ne tentent un premier assaut contre Madina ? »
Stupéfait sur l'instant, Awal, Basim et Samu devient leurs regards en direction de leurs compagnons.
Le grand pâle s'avance de quelques pas et dit d'une voix solennelle et un peu inquiète :
« Oui. C'est ce qu'on a entendu de leurs bouches. Mais à part ça, on ne sait rien et ce qu'on sait est à prendre avec des pincettes... »
« Exactement ! Avec des pincettes ! »
Le coupe net Eddra.
« Voilà pourquoi il est temps pour nous de passer à la vitesse supérieure ! »
Lui et Chanzi se décalent, dévoilant six coffres de taille moyenne.
Et encore derrière, tirée par deux dabas, de gros reptiles servant de monture et d'attelage, une grande charrette de bois emplie d'armes de tout genre.
« Chacune de ces boîtes contiennent vos armures. Elles ont été faites sur mesure pour vous uniquement alors vous avez intérêt à en prendre soin. »
« Sur mesure ? »
Se questionne Basim en voyant tous ses camarades aller sur l'instant en direction des différents coffres sur lesquels sont écrits leurs noms.
Incrédule, le jeune homme suit son frère jusqu'à sa caisse qu'il ouvre en compagnie de Samu.
Une fois les deux caisses ouvertes, ils découvrent avec surprise les deux armures de cuir épais qu'ils saisissent par les épaulières d'acier.
Exactement le même modèle que celles que Eddra et Chanzi portent.
Avec intérêt, ils observent le système de sangles de cuir qui permettent de faire tenir les différentes pièces au corps.
L'épais cuir de iamhtary offre une bonne protection avec son poids très léger tout en offrant une mobilité quasiment parfaite.
Un revêtement en lin venant des pôles à l'intérieur ajoute une excellente conservation de la fraîcheur et aide à résister au climat ardent de Sorina.
Et pour ajouter de la protection, une plaque d'acier au plastron en plus des épaulières.
Les jambes ne sont pas en reste, en plus des pièces se mettant aux jambes et les bottes blindées, un flancart sert à donner une deuxième couche de protection.
Les gantelets sans doigts aussi possèdent une fine couche d'acier, mais le total de métal utilisé dans cette armure n'est qu'un bonus de protection par-dessus le cuir qui reste le principal matériau à l'armure.
Le temps de qu'ils examinent ces résistantes tenues destinées à les protéger à l'avenir, ils se sont rendu compte que tout le monde a déjà eu le temps de s'en vêtir.
C'est donc en quatrième vitesse qu'ils enfilent d'abord les bottes et les gantelets dont l'intérieur semble avoir directement été formé à partir des membres des deux frères.
« Comment vous avez fait ? On a jamais pris nos mesures à nous. »
À la demande de Basim, Chanzi passe sa main derrière sa tête en signe d'inconfort, mais elle ne peut laisser le jeune homme dans l'ignorance.
« Après l'épisode avec le iamhtary, on vous a assommé juste après. Et on a profité de votre inconscience pour prendre vos mesures. On se disait que ça ferait gagner du temps. »
« D'accord... »
Pensent les deux frères à l'unisson en répondant à la jeune femme juste avec un regard montrant une légère gêne.
Après avoir installé la totalité de leurs cuirassés, il ne leur reste plus qu'à faire passer leur plastron par-dessus leurs têtes pour les mettre en place entre les deux épaulières de type spalière.
Ce fait, ils ont plus qu'à serrer le système de sangles pour que leur armure soit parfaitement intégrale et à son plein potentiel défensif.
Réglées sur la position la moins serrée, ils sentent tout de même une certaine pression sur leurs sternums et voient leur respiration être ainsi affectée.
Rien d'insupportable, mais ils doivent respirer plus profondément et plus longuement avant de retrouver un souffle stable.
Inquiet, Basim demande à Eddra :
« C'est normal que nos armures soient si serrées ? C'est pas insupportable, mais ça sera difficile de nous battre si on meurt d'asphyxie. »
Ayant entendu la complainte du jeune homme à la peau foncée, le grand soldat s'approche de lui.
« Levez les bras. Je vais y jeter un œil. »
Avec une bonne visibilité sur le système d'accrochage du plastron, Eddra n'y voit étrangement aucun problème de serrage.
« C'est normal que vous ayez une sensation d'étouffement. Vous n'êtes pas encore habitué à vos armures. Ce sont des cuirasses, donc forcément, on a l'impression de mal respirer au début, mais on s'y fait vite, ne vous en faites pas. »
Les deux frères baissent les bras, retrouvant lentement une respiration soutenue et normale.
« Très bien, si tu le dis. Je vais bien finir par apprendre à faire avec. Il suffit de trouver le truc. »
Répond Samu, un brin suspicieux.
« Et si on ne s'y fait pas ? »
Ajoute Basim, avec sa méfiance habituelle.
En seule réponse, Eddra dit d'un ton très sec qui ne lui ressemble pas :
« Vous vous y ferez, croyez-moi. Sur Sorina, on finit toujours par se faire à tout... »
« Très bien... Je crois... »
Souffle Basim alors que son maître s'éloigne pour s'adresser à nouveau à ses six élèves.
« Maintenant que vous êtes au top niveau défense, même si vous allez devoir vous habituer aux armures... Ce qui est pénible pour tout nouveau soldat, ne vous en faites pas. »
Il marque une pause, et pendant cet instant, les deux frères s'aperçoivent qu'ils ne sont pas seuls à avoir des soucis avec leurs armures.
Rabano semble aussi avoir un peu de mal à respirer et Awal, Zana et Horias semblent gênés par le poids des cuirasses car étant seulement habitués aux légers vêtements traditionnels.
Eddra reprend :
« Maintenant, il est temps de passer à l'offense. »
Lui et Chanzi présentent plus clairement la charrette emplie à raz bord d'armes blanches typiques de l'armée Soriniene.
« Servez-vous. Trouvez votre bonheur dans une arme qui vous convient, elle sera votre partenaire sur le champ de bataille et c'est à elle que vous devrez la vie. Alors choisissez bien. »
« Mais avant ça... »
Ajoute Chanzi en s'avançant avec une sacoche de vieux cuir qui fait un sacré boucan.
Avec un son de multiples maillons d'une chaîne d'acier qui s'entrechoquent et se frottent les uns contre les autres, le sac a été jeté en direction du blondinet.
Ce dernier attrape la besace.
« Ta mère a apporté ça hier soir. Apparemment, c'est important. »
Continue elle avant que le garçon blond ne forme un large sourire en plongeant la main dans le sac.
« Qu'est-ce que c'est ? »
Questionne Horias, prise d'une subite curiosité.
« L'arme familiale... »
Lui répond Awal avec un grand sourire.
D'un mouvement prudent mais rapide, il sort en premier un petit manche de bois entouré de bandes de cuir neuves du sac.
Après, c'est plusieurs mètres de chaîne emmêlée reliant le manche à une tête de masse à neuf ailettes qui tombe au sol.
Un fléau d'armes mêlant élégance et létalité, flambant neuf et forgé avec d'une main de maître.
Fièrement, Awal tient l'âme par le manche et le milieu de la chaîne pour la tendre et la rendre droite tout le long de son envergure en laissant tomber la tête de l'arme au sol.
« Un fléau d'armes ?! »
S'exclame Eddra, comme méfiant en voyant un tel outil de mort entre les mains du blondinet.
Apeuré par cette arme articulée trop longue comparée à celle qu'elle ne voit que très rarement entre les mains des soldats, elle fait prudemment un pas vers Awal.
« D'accord... Tu vas me rendre ce truc immédiatement ! »
Voyant la jeune femme aux cheveux gris s'approcher, le blond proteste :
« Pourquoi ? On a le choix de nos armes, non ? »
Ses compagnons s'éloignent, aucun d'entre eux ne veut avoir à faire affaire avec Chanzi qui, de son point de vue, essaye de raisonner Awal.
« Selon l'annexe militaire du code Sorinien, le fléau d'arme... En plus que le tien est trois fois trop grand... Est une arme bien trop dangereuse et complexe d'utilisation pour laisser un soldat débutant... »
Elle ne peut terminer sa phrase, la chaîne et le boulet à ailettes passe entre elle et Eddra, qui, stupéfaits, assistent à une véritable démonstration de maîtrise du fléau d'armes.
Derrière eux, la tête de l'arme fouette violemment le sol avant d'être instantanément attirée vers son utilisateur qui, avec seulement le manche, semble contrôler toute la chaîne.
Horias, Zana, Samu, Basim et Rabano n'en reviennent pas en voyant le boulet revenir vers Awal qui tend son bras armé en donnant un coup sec vers le bas avec le manche avant d'ouvrir légèrement la main.
Et à la vitesse d'un battement de cil, la chaîne dans son intégralité s'enroule autour des doigts tenant le petit bâton de bois entouré de cuir avant de se stopper net.
Maintenant, la tête de masse à ailettes du fléau pend haut au dessus du sol, environ au niveau des hanches d'Awal.
De façon satisfaisante et parfaite, en seulement un geste, le blondinet tient l'intégralité de la chaîne enroulée et réduit la portée de son arme à seulement quelques centimètres, la rendant parfaitement sécurisée pour son entourage.
« C'est l'arme traditionnelle de la famille Man Yamut ! De père en fils, nous manions cette arme pour représenter notre blason avec fierté depuis des générations ! Depuis mes cinq ans que je m'entraîne pour l'utiliser à la perfection et seule mon ambition m'a permis d'atteindre ce niveau ! »
S'affiche fièrement le blondinet.
Impressionnés, Horias et Samu applaudissent alors que les autres restent de marbre par sûreté.
Eddra est juste stupéfait, regardant pour la première fois Awal avec respect.
« D'accord... Garde cette arme ! Si ce que tu dis est vrai, tu es en droit ! »
Visiblement surprise par les mots d'Eddra, Chanzi proteste :
« Tu es fou ? On n'a pas le droit de le laisser se promener avec une arme de ce type sans lui faire passer un test de capacité ! Conformément à l'annexe militaire du... »
« Non ! »
Coupe sec le grand homme, s'exprimant avec une voix forte.
« On n'a pas le temps pour ça ! Et en théorie, juste en faisant notre propre bataillon constitué de surhommes, nous ne rentrons pas dans la législation ! Alors, les règles inscrites dans un livre que personne n'a lu, on s'en branle. »
Sans argument, la jeune femme aux cheveux gris tourne la tête, cachant son œil droit devant soudainement humide.
Le balafré continue.
« Allez, les autres ! Arrêtez de perdre du temps et allez tout de suite vous trouver des armes et que ça saute ! »
Personne n'a envie de faire attendre Eddra d'avantage, les cinq apprentis utilisateurs de Plasma se ruent autour de la charrette attachée aux deux gros reptiles impassibles et paisibles.
Rabano est le premier arrivé et se met à chercher méticuleusement, il faut croire qu'il sait ce qu'il veut.
Vu sa carrure, tout le monde s'attend à le voir s'équiper d'un marteau de guerre ou d'une hallebarde.
Mais à la place, deux grands couteaux de chasseur en acier aux lames à double tranchant.
Un trou de l'épaisseur d'un doigt au bout du manche des deux courtes armes leur offre un aspect de couteaux tactique.
Pour lui, il y a juste un problème :
« Pourquoi tout semble avoir déjà été utilisé ? Ces couteaux, on dirait qu'ils en ont déjà vu des difficiles. »
Avec un peu d'embarras, Chanzi lui répond :
« Hélas, on n'a pas pu vous trouver des armes neuves. En vue de la situation, les forgerons sont débordés pour équiper les soldats et... Disons qu'ils ne croient pas vraiment en vous. Normalement, on équipe les nouvelles recrues au bout d'une semaine entière d'entraînement, et non pas au bout de seulement un jour. »
« Magnifique... »
Souffle Rabano avant de s'éloigner pour s'acclimater à ses deux armes.
Ayant, elles aussi, entendu les explications de Chanzi concernant l'état des armes mises à leur disposition, les deux sœurs n'en sont pas pour autant découragées.
« Qu'importe ! C'est la façon dont on les utilise qui compte. Pas l'état. »
S'exclame Horias avec un optimisme un peu trop élevé pendant que Zana semble avoir trouvé leur bonheur.
« Ça aide quand même un peu. Mais bon... Au moins, nos armures ont l'air à peu près neuves. C'est déjà ça. »
Elle tend le bras et saisit une lance de type fauchard, une longue lame à double tranchant au bout d'un long manche en bois qui paraît être en assez bon état.
Horias en trouve une autre identique pour elle et sourit à sa sœur qui lui renvoie le geste.
De l'autre côté, Basim et Samu cherchent encore en quête d'une arme qui leur conviendrait.
Celui aux flammes roses se remémore avec amusement de la prestation d'Awal.
« Je voudrais bien la même arme que Awal... Ça serait incroyable qu'il nous apprenne à faire la même chose que lui. Bon sang, je ne l'aurais jamais cru aussi habile... »
Basim souffle, navré pour son frère avant de poser sa main sur l'épaule de Samu.
« Samu... Même pas en rêve ! Tu entends ? Même pas en rêve ! Et t'as pas entendu Chanzi ?! Awal est un cas particulier, il nous faut valider un test. Alors mets-toi en tête quelque chose qui sera dans nos compétences. »
Déçu, Samu baisse les yeux.
« Ouais... C'est nul... »
C'est peut-être grâce à ce geste dû à la déception qu'il a la possibilité de repérer une certaine et bien belle découverte.
Une lumière reflétée tape dans l'œil de Samu.
Attiré, c'est ainsi qu'il les trouve.
Basim, suivant le regard de son frère, les aperçoit lui aussi.
Posées à la hate au milieu d'autres armes de tout type, deux courtes épées.
Les deux frères tendent les bras et les saisissent toutes les deux par des manches en bois entouré par des lanières de cuir.
Des épées moyennement longues sans gardes avec une lame droite et pointue à un seul tranchant, le côté tranchant est plus long que celui qui le l'est pas.
Dans leur composition générale, rien n'est a souligné à une exception près : le métal qui compose la lame.
Ce n'est pas de l'acier mais un autre métal argenté beaucoup trop léger pour en être.
En plus, elles ont l'air d'avoir été bâclée par le forgeron qui en est à l'origine à certains endroit et elles ont l'air d'avoir déjà servi.
Malgré tous ces défauts, ces deux épées de type scramasaxe attirent de façon irrésistible les deux frères.
Résignés et ne voyant rien d'autre dans le tas d'armes qui les intéressent, ils les adoptent en les glissant sous la ceinture qui entoure la braconnière de leurs armures.
Maintenant armé et sûr de lui, Samu commence à partir pour rejoindre ses camarades en caressant au passage l'un des deux dabas.
Seulement, il n'a pas le temps de faire un pas de plus que Basim ne l'attrape par le gantelet, lui tenant un petit couteau de lancé dans l'autre main.
« Tel est ma devise : Toujours avoir un surin dans la manche. Ou dans ce cas, un couteau dans le gantelet. »
« Ah oui, tu as raison, j'avais presque oublié ton petit mantra. »
Souriant innocemment à son frère, Samu commence à s'en aller après avoir dissimulé la petite lame dans son gantelet gauche.
Reprenant un léger élan pour enfin s'en aller, il se rend compte que Basim le tien encore fermement.
« Et maintenant, j'ai une nouvelle devise... »
Cette parole venant de son frère fait instantanément entrer Samu dans un étrange sentiment de crainte.
Avec une voix froide et profonde, Basim dit :
« Tu ne peux pas être poignardé dans le dos si tu y as toi-même déjà caché ton propre couteau. »
« Qu'est-ce que tu racontes ? »
S'inquiète Samu avant de recevoir un regard noir de la part de son frère.
« Nous sommes des sans-patrie, Samu ! Ne l'oublie pas. Eux, ils ne le sont pas. Et je trouve ça étrange qu'ils ne semblent pas le remarquer. J'ai même l'impression qu'ils ne nous regardent pas par moments ! Donc, ma conclusion est qu'ils ne savent pas vraiment ce que nous sommes, notre apparence humaine nous camoufle ! C'est pour ça que nous n'avons pas été envoyés à Prat avec Wolfetsu et Scorn ! »
Recouvrant son avant-bras d'un feu rose, Samu arrive à se libérer de l'emprise de Basim.
« Eddra et Chanzi ne sont pas comme ça ! La preuve : ils nous considèrent au même niveau que les autres et ils nous ont offert un semblant de foyer... »
« À quel prix, Samu ? Nous voilà engagés dans une guerre et on va devoir risquer nos vies pour sauver les culs pourris de Soriniens qui nous auraient regardé crever de faim dans les rues sans lever le petit doigt ! Et, maintenant que j'y penses... »
Il matérialise une flamme orange de sa main droite.
« Tu vois ça ? Si on ne l'avait pas, tu crois qu'il se serait passé quoi ? Et même avec, Eddra nous a bien dit ce qu'il se serait passé si on avait refusé son offre ! On aurait une main en moins et on serait en taule ! »
« Pourquoi on serait en taule ? Ça n'était pas notre premier vol, je te signale ! »
« Et pourquoi on devait voler ?! Hein ?! Car on a été jeté à la rue comme des mouchoirs sales et que rien ni personne ne nous a jamais aidé ! Voilà pourquoi ! »
Samu baisse la tête, n'osant pas regarder Basim dans les yeux à nouveau.
Son regard s'arrête sur un groupe formé d'Eddra, Chanzi, Zana, Horias, Rabano et Awal, tous discutent à propos de leurs armes sans faire attention à l'absence des deux frères.
« Rien ne te dit qu'ils nous trahirons si ils apprennent la vérité... »
« Et rien ne nous dis qu'ils ne le feront pas, Samu ! On a passé UNE soirée avec eux pendant laquelle on a lu un livre ! »
Voyant l'état de son jumeau, il pose sa main sur son épaule avec une légère pression bienveillante.
« Nos amis, ils sont à Prat. Wolfetsu et Scorn nous y attendent et on pourra les tirer de là si on en finit avec cette stupide guéguerre et qu'on y survit. Mais en attendant, on ne peut compter que sur nous-mêmes. »
Il voit bien que Samu ne le regarde pas, et qu'il commence à avoir les yeux qui s'embrument.
Celui aux flammes oranges souffle et reprend d'une voix plus douce :
« Je sais... Je n'ai pas la science infuse et je ne te dis pas que j'ai raison sur tous les points. Mais... J'essaie juste d'être le plus prévoyant et le plus prudent possible... »
Samu reprend contact visuel avec lui.
« Et que ce soit toi ou moi, on a encore beaucoup à apprendre. »
Les deux frères se remettent de leurs émotions et se mettent rapidement à marcher vers leurs camarades.
A leur grande surprise, accompagnés par Chanzi et Eddra, c'est eux qui les rejoignent.
« Vous avez pris votre temps, hein ? »
Plaisante le balafré d'un ton mesquin dont seul Yrshad a le secret.
Avant que l'un des deux jumeaux ne puisse lui répondre, lui et la jeune femme grimpent dans la charrette et ils la vident de toutes les armes qui la remplissent.
Vite fait, la grosse carriole est vidée et prête à accueillir des gens en toute sécurité.
« Allez, tout le monde à bord ! Il est temps pour vous de découvrir ce que votre Plasma peut vous faire faire ! »
Appelle Chanzi avant qu'elle et Eddra n'aillent s'asseoir au banc à l'avant du véhicule en bois pour diriger les deux dabas à l'attelage
Horias n'hésite pas, elle saute en première dans le véhicule de bois.
« Alors ? Qu'est-ce que vous attendez ? »
Avec sa lance fauchard en main, elle s'assied sur l'une des places et attend en gardant deux places à côté d'elle avec ses mains.
Rabano et Zana échangent un regard, hochent les épaules et suivent la jeune fille.
Awal les suit de près.
« J'ai un mauvais pressentiment... »
Susurre Basim, suivant Samu dans la grande carriole.
Voyant que tout le monde est installé, Eddra fait démarrer les deux gros lézards avec un coup sec sur les deux cordes qui les retiennent.
Sentant une légère poussée, les six jeunes gens sentent la charrette démarrer, tirée par les deux dabas.
Étant encore très tôt le matin, les rues de Madina sont presque désertes de toute vie.
Par contre, ça n'empêche pas Awal de garder un œil sur les rues pavées de grès maculé de sable encore frais de la nuit.
L'un des deux jeunes garçons à la peau brune lui adresse la parole.
« Tu espères voir quelqu'un ? »
« Ouais... Mais j'imagine que ma petite sœur n'est pas encore levée. Elle n'a que dix ans alors elle a tendance à courir partout... Ça m'aurait rassuré de la voir avant de partir pour je ne sais où. »
Il lâche la rue du regard, préférant prendre contact avec son acolyte.
« Et sinon, Basim, tu as une idée de ce qui peut bien nous attendre ? »
Celui avec qui il échange le dévisage.
« Euh... Moi, c'est Samu. »
Le visage d'Awal se décompose, il se penche et aperçoit Basim grimacer de consternation à la vue du blondinet.
« Oh putain mais c'était sûr que ça devait arriver un jour... En plus il a fallu que vous choisissiez les mêmes armes ! »
Au moins, ses lamentations ont le mérite d'animer un minimum les rues encore vides, ainsi que de divertir les oiseaux noir et blanc et les charognards volants.
« Hehehe. Ils ont l'air de bien s'amuser. »
S'amusent Eddra et Chanzi, avec chacun un grand sourire aux lèvres sans quitter l'attelage du regard.
À l'arrière, le blondinet continue devant les yeux moqueurs de ses camarades qui ne bougent pas de leurs places.
« Sérieux, quoi ! Vous avez la même tête ! Basim et Samu, vous avez EXACTEMENT la même tête au cheveu près ! Et comme si ça ne suffisait pas, Zana et Horias aussi ! Il y avait une promotion sur les jumeaux ?! J'en ai jamais croisé de ma vie, et dès que je m'engage dans l'armée, il y en a quatre en même temps ! »
Calmé, le blondinet souffle un coup et se met à regarder le sol bougeant au fil des perturbations que rencontrent les roues de bois de la carriole.
« Tu finiras pas t'y faire, ne t'en fais pas. »
Le rassure Rabano.
« Ah oui ? Car t'arrives à faire la différence ? »
« Bien sûr ! T'as juste à regarder les yeux. L'éclat qui en sort n'est pas le même, regarde bien. »
Le grand pâle montre les deux sœurs à sa droite.
« Les yeux de Zana sont inquisiteurs, lucides, précis, objectifs sur les dilemmes qu'ils rencontrent ! Ceux d'Horias sont plus... Comment dire... »
À la vue de la deuxième jumelle, il semble plus chercher ses mots qu'avec la première.
« Ils sont plus... Posés, calmes tout en projetant bien plus d'énergie ! Du dynamisme ! De la volonté ! De la spontanéité... »
Il s'arrête en voyant que celle aux flammes rouges le regarde avec un grand sourire en tenant sa tête avec ses deux mains en utilisant ses jambes pour y appuyer le tout.
Et surtout, celle avec les flammes jaunes tend son fauchard jusqu'à ce que le côté tranchant de la lame soit à quelques millimètres de l'œsophage du grand pâle.
« Je rêve, ou tu dragues ma sœur devant moi ? »
Louchant sur le tranchant, Rabano recule la tête et lève les mains en l'air.
« Euh... Peut-être, oui... L'un d'entre vous pourrait me sauver au cas où... »
L'arme s'éloigne et retourne à côté de Zana.
« Tu es honnête, ça me plaît. Si tu avais menti et dit non, je t'aurais fait perdre ce qui fait de toi un homme. »
Riant nerveusement, le jeune homme cerné ne sait, honnêtement, plus trop où se mettre.
Regardant devant lui, il voit les trois autres jeunes hommes le regarder intensément avec, eux aussi, un grand sourire aux lèvres.
« Eh bien, Rab ? Tu as quelque chose à nous dire ? »
Commence Awal, se faisant instantanément stoppé par son auditeur.
« LA FERME !!! »
« Les jeunes... »
S'amuse Chanzi, attentive à tout ce qu'il se passe à l'arrière.
« Rabano a bientôt vingt-quatre ans, je te rappelle. Donc tu n'as pas plus de trois ans que lui. »
Lui signale Eddra avant que la charrette n'entre dans une large zone d'ombre encore aussi fraîche que la nuit.
Tous ont une vue imprenable de la grande porte de Madina.
De ses dix mètres de haut, cette porte arquée faite de bois des pôles pesant plusieurs tonnes est la seule façon d'entrer à Madina qui est entourée et protégée par ses immenses murailles.
Sentant une sensation de vertige à cause du gigantisme de cette structure, Basim et Samu se rappellent qu'ils ne s'en sont jamais tant approché.
Et surtout, jamais avant ils ne sont sortis de la capitale.
Tous restent dans un silence de mort jusqu'à ce que Chanzi hausse la voix.
« Yrshad ! Ouvre-nous la porte ! »
À entendre ce nom, Samu sourit légèrement.
Du haut de la muraille dans laquelle la porte est incorporée, le soldat aux longs cheveux châtains apparaît avec une expression gênée à peine cachée derrière un sourie forcé.
« Ah ? Salut Chanzi... Eddra ? Basim et Samu, ravis de vous revoir... »
Il ne porte pas le haut de son armure et semble se vêtir en urgence de la partie inférieure.
« Ne me dis pas qu'il a... »
Les craintes d'Eddra sont fondées, une jeune femme à l'aspect tout aussi gêné apparaît derrière le soldat qui est de corvée de garde de la porte.
« La fameuse Sadiq... »
Murmure Samu en se retenant d'éclater de rire.
La jeune femme disparaît en reculant, laissant le soldat seul face à ses supérieurs.
Surtout Chanzi qui le fixe avec un regard noir.
« T'es au courant que tu peux être pénalisé pour ça ?! »
Elle pince le haut de son nez avec son index et son pouce.
« Juste... Ouvre-nous cette putain de porte et que ça saute ! »
Yrshad ne dit rien et se rue vers un levier de bois qu'il tire de toutes ses forces pour faire fonctionner le mécanisme le plus rapidement possible.
Dans un boucan produit par le mécanisme d'ouverture à l'intérieur du grand mur, les deux moitiés de la porte s'ouvrent et laissent les rayons du soleil passer et éclairer cette petite zone.
Malgré le bruit et les mouvements de cette imposante construction, les deux dabas restent dociles et paisibles alors que la lumière du jour commence à les toucher.
« On peut savoir où est-ce que vous nous emmenez, au juste ? »
Demande Basim, tandis que la porte finit par être totalement ouverte.
Edda et Chanzi ne regardent pas les élèves derrière eux, ils forment juste un grand sourire et le balafré répond sur le ton de la plaisanterie :
« Ceux qui pensent que Sorina n'est qu'un désert feraient mieux de sortir de leur grotte. »
Avec un coup vif sur les cordes reliées à l'attelage reptilien, celui-ci se remet en marche et pénètre dans le grand désert entourant Madina.
En quelques secondes seulement, les voilà dehors, au milieu d'un océan de sable sous un soleil de bomb.
Aucun des six jeunes gens ne sait à quoi s'attendre.
Horias ne se fait aucun soucis, au contraire, elle paraît ravie.
Awal se dit pour lui-même que ce qu'ils vont faire fait partie du programme et qu'ils n'y risquent rien.
Rabano, Zana et Samu appréhendent sans savoir qui penser.
Pour ce qui est de Basim, il réfléchit à tout ce qui pourrait arriver, pensent à toutes les éventualités avec méfiance en gardant un œil sur son frère.
Derrière eux, la porte de Madina se referme, les voilà enfin en dehors de la ville, pour la toute première fois.
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