#3 L'armée

Le noir... C'est la seule chose qu'ils voient en se réveillant, ils sont assis dans le vide et ne voient rien d'autre que le noir.
Au loin, ils voient quatre petites lumières qui se rapprochent lentement.
Une fois près d'eux les deux jeunes hommes distinguent les deux silhouettes aux yeux verts et bleus, mais ils semblent plus petits.
Attachés à un mur blanc et paraissent être en train de... Pleurer un liquide noir ?
Les garçons sont terrifiés, mais ils ne peuvent pas bouger comme s'ils étaient cloués au sol.
Ils regardent les quatre lueurs dans les yeux durant quelques secondes qui semblent devenir des heures, puis ce sont les silhouettes qui prennent la parole d'un ton d'agonie.
« On a... On a tellement mal. »

Suite à ces mots, le vide devient une cave dont les murs sont couverts de sang bleu et rouge, les deux frères ne peuvent toujours pas bouger, coincés en position assise.
Retournant leurs regards, ils voient les deux ombres ayant repris leur forme et leurs talle habituelle, ils s'approchent.
Ces abominations monstrueuses et démesurées dominent les deux frères de toute leur masse et crient avec une voix mélangeant douleur et rage :
« C'EST DE VOTRE FAUTE ! »
Aussi brûlant que les mots prononcés par les ombres, l'air de la pièce chauffe.
Elle se remplie de flamme prête à les consumer semblable à l'enfer dans lequel ils vivent de toutes façons.
Pas réellement terrifiés, ils entendent un chuchotement alors que les flammes les touchent.
« Nous vous retrouverons. »

C'est avec un hurlement que les jumeaux se réveillent avec un habituel et énorme mal de tête suivant toujours leurs « rêves fiévreux ».
« Ce n'était qu'un cauchemar. »
Se rassura Samu alors qu'il sent comme une sensation d'empoignement sur ses deux poignets.
Basim le remarque aussi et il voit également qu'ils sont assis sur des chaises en vieux bois.
Ils constatent tous les deux qu'ils ont été liés aux poignets, ils ne peuvent plus bouger les bras.
« Bon sang dans quelle situation tu nous as encore fourrés, Samu ?! »
Se plaint Basim en s'adressant à son frère qui se trouve à sa gauche.
« Parce que c'est ma faute ? C'est toi qui n'as pas bien couvert mes arrières ! Ça aurait dû être toi que cette gamine aurait dû interpeller, mais non, alors tais toi ! »
Leur dispute camoufle en fait une énorme crainte, que font ils dans cette salle sombre ?
Qui les a amenés ici ?

Il ne leur a pas fallu attendre longtemps dans l'obscurité avant que quelqu'un ne produise le moindre son en-dehors de la pièce.
C'est des bruits de pas qui se rapprochent de plus en plus.
Une phrase se répète dans l'esprit des deux frères tétanisés.
« On ne veut pas mourir. »
Seuls leurs yeux tremblent alors que la porte en bois s'ouvre en râpant le sol en grès et laissant apparaître la jeune femme aux cheveux gris mi-longs et hirsutes suivie du grand homme bien plus imposant qu'elle.
Barbu, aux cheveux noirs et avec le visage couvert de balafre, il a plus l'air d'un barbare que d'un garde, c'est Eddra.
Toujours vêtus de son armure, Chanzi s'assied en face d'eux, prend une inspiration et commence à parler.
« Je sais que vous êtes inquiet. Mais vous n'avez aucune raison d'avoir peur. »
Basim est agacé par la situation, il a toujours été plus prévoyant que Samu et il se méfie toujours des imprévus et des inconnus.
« C'est ça ! Vous nous poursuivez, vous nous assommez et ensuite, vous nous dites la bouche en cœur que nous n'avons rien à craindre !? »

La femme jette un regard vers son collège qui se tien debout derrière elle, il lui fait un hochement de tête puis elle se retourne pour faire de nouveau face aux garçons avec un visage qui semble se forcer à être détendu.
« Bien ! Déjà, on va se calmer. D'accord ? Moi, c'est Chanzi, et je suis juste là pour répondre à vos questions. Si vous êtes menottés, c'est pour des raisons de sécurité. »
Basim ne change pas sa façon de regarder ses interlocuteurs avec méfiance alors que Samu les regarde avec un regard rempli de question.
« Mais... Qu'est-ce qu'on fait là alors ? »
Demande il timidement en essayant de garder un visage neutre.
« Vous ne vous souvenez donc pas ? »
Reprend Chanzi en faisant appel à leurs souvenirs.

C'est alors qu'ils se souviennent de cette petite fille et de ce qu'ils ont fait plus tôt avec le Iamhtary et ces genres de... De flammes ?
« Si ! Si ! On s'en rappelle de ses espèces de flammes qui ont dupliqué nos forces ! Heureusement d'ailleurs... Ça fait deux jours qu'on n'a rien mangé. »
Eddra les corrige sur-le-champ.
« Ce n'était pas des flammes, mais vos Plasmas. »
« Nos quoi ? »
Demandent les jeunes hommes en levant un sourcil, même Basim semble enfin s'intéresser.

C'est Chanzi qui se charge de répondre à leurs questions.
« Le Plasma, c'est une énergie biologique à l'origine inconnue. Une fois maîtrisée par un entraînement ou un élément déclencheur, ce qui est votre cas, il augmente intensément la force et la vitesse de son utilisateur. »
Maintenant, Basim et Samu croient commencer à comprendre.
Leurs Plasmas c'étaient dévoilés pour sauver cet enfant.
Ça et autre chose, une voix.
Si le temps semblait s'être arrêté ce serait en fait car c'était eux qui allaient vite.
« Oui. On en sait quelque chose. »
Répondent ils en s'adressant à Chanzi.

« Et lui ? Qui c'est ? »
Ajoute Basim en montrant l'homme avec ses yeux.
La jeune femme prend une inspiration pour parler, mais elle se fait arrêter dans sa course par l'homme qui prend la parole à sa place.
« Moi, c'est Eddra, je forme les nouvelles recrues pour l'armée. Si ça vous intéresse, je pourrai vous apprendre à mieux maîtriser vos Plasmas. Et aussi, vous pourriez... Vous pourriez... »
De façon inexplicable, il s'arrête comme s'il hésitait, c'est finalement Chanzi qui reprend là où il s'est arrêté.
« Et vous pourriez rejoindre notre nouvelle élite usant du Plasma pour prendre part à la bataille contre l'armée de Sarkonge. »
Elle a parlé d'une façon très calme bien qu'un peu tendu.
De chaque côté, il y a deux êtres qui se font confiance, de l'autre, ils sont ou bien terrorisés ou bien hésitant.

Les deux garçons n'ont jamais été aussi confus de toute leur vie, ce matin encore, ils ne savaient même pas ce qu'était le plasma.
Mais maintenant, ils ont un nouveau mal de crâne d'information.
Et surtout, ils n'avaient jamais entendu parler d'un soit disant Sarkonge.
« Qui est Sarkonge ? Et on a jamais entendu parler d'une armée ces derniers temps. Mais, bon, les bruits ne courent pas vraiment dans les ruelles.»
Disent ils toujours aussi intrigués.
C'est Eddra qui se charge de leur réponde.
« Sarkonge et sa bande de mécréants, des barbares surpuissants maîtrisant le Plasma. Ils sont arrivés de nulle part et ils ont commencé leur carnage à conquérir villages et villes. Ils ont encore subi aucune perte dans leur camp et aucun de nos hommes ne les ont encore rencontrés. Et le plus beau, c'est que d'après les dires des trois seuls survivants, ils auraient apparemment pour projet d'attaquer la capitale d'ici un mois. Et le problème, c'est qu'à chaque fois qu'ils attaquent un endroit : ça fait des centaines de morts innocentes ! Ils ne font aucun compromis et tuent sans distinction ! Pour le moment, on arrive à garder cette affaire secrète... Mais ça ne durera pas... Ce sera le chaos quand la population apprendra ce dont sont capables ces barbares qui ont pour projet de nous massacrer dans notre capitale tout en sachant qu'aucun de nos soldats ne maîtrisent le Plasma. »

C'est au tour de Chanzi qui se lève de sa chaise pour s'exprimer plus sûre que jamais.
« Et c'est là que vous entrez en scène ! En formant un bataillon d'élite entièrement constitué de personnes utilisant le Plasma, nous sommes sûrs de pouvoir les vaincre ou du moins les repousser ! Bon, vous ne serez que six si vous nous rejoignez... Mais il y a un début à tout ! »
Elle semble devenir hystérique à l'idée de vaincre cette mystérieuse armée.
« Alors... vous ne savez pas qu'elles sont leurs intentions ? »
Demande Basim en faisant changer l'humeur de Chanzi, la faisant passer de la joie à l'inquiétude.
« Non, nous ne savons pas pourquoi ils veulent nous envahir. Skale, notre espion, est parti les observer et en apprendre plus à leur sujet, mais... Notre ami n'est toujours pas revenu. »

Suite à cette information, un silence gênant s'installe dans la salle et perdure durant une longue minute, puis Basim tente de s'excuser.
« Oh... Désolé... Mais il n'est peut-être pas... Heu... »
Seulement, il se fait interrompre par Eddra au milieu de sa phrase.
« Bon ! Ça n'est pas en se lamentant sur notre sort qu'on arrangera les choses ! Si on ne récupère pas nos territoires, Skale sera peut-être mort pour rien ! Alors on a qu'une question à vous poser : voulez-vous nous rejoindre et vous battre au péril de votre vie pour une bonne cause ? Où vous pouvez retourner dans votre ruelle en attendant le marché une fois par semaine en priant pour que vous surviviez au massacre. »
L'homme marque une pause et s'approche des deux frères.
« Vous croyez qu'on ne vous a pas vu ? Vous n'êtes pas d'ici, et le fait de rejoindre l'armée pourrait vous offrir une meilleure situation. »
Les deux frères font un ricanement en pensant à leur petite ruelle et à leur vielle habitude de vol.
En vrai, cette planète n'a pas vraiment joué dans la faveur de Basim et Samu.
Leurs deux seuls amis disparaissent, leur « maison » ferme en les mettant à la rue, tout ça à cause de leur couleur de peau et maintenant, ils vont devoir se battre au péril de leur vie pour elle ?
Mais s'ils survivent, s'ils battent l'armée de Sarkonge, ils seront des héros...
Et ils auraient la possibilité de découvrir où est Prat et d'ainsi retrouver Wolfetsu et Scorn !

« Nous acceptons ! »
Disent ils fièrement, n'ayant que leurs deux amis en tête avant et après leur prise de décision.
Eddra prend une grande inspiration et fait jaillir son Plasma de couleur bronze de tout son corps.
Chanzi fait de même et sort un Plasma de couleur vert jaunâtre comme une pomme qui l'entoure intégralement.
Samu, suivit par Basim se lèvent des chaises en poussant uniquement sur leurs deux jambes rachitiques mais fortes.
Les mains toujours nouées, ils poussent un grand cri d'effort et au bout de plusieurs secondes, ils réussissent à faire apparaître à leur tour leurs propres Plasmas.
Basim de couleur orange.
Samu de couleur rose.
Avec leur force décuplée, ils réussissent à détruire leurs liens et à lever les bras en signe de victoire.
« On ne comprend pas bien vos histoires. Mais si vous nous promettez qu'on aura plus jamais à vivre comme des animaux, on vous suit ! »
Prévient Basim qui a soudainement perdu toutes ses forces et ses flammes.
« Nous nous appelons Basim et Samu... Euuuh... Pas-De-Nom-De-Famille. »

Les deux frères ont fait bonne impression l'espace d'un instant.
Pourtant, la disparition soudaine du Plasma qui les animait les remet à l'état affamé et faible qu'ils avaient encore avant la course-poursuite.
Venant de leurs estomacs, une douleur due à la faim les faits tordre sur eux-mêmes.
Samu est sur le point de s'écrouler alors que Chanzi le rattrape et l'aide à tenir debout.
« Basim, Samu, bienvenue dans l'armée. Mais d'abord, un bon repas ne vous fera pas de mal. »
Basim se rassoit sur sa chaise de tout son poids plume d'un air un peu déçu.
« Aie... Pourquoi on a été si fort tout à l'heure... Et qu'on est si faible maintenant ? »
Demande il en essayant de ne pas penser à la faim par humilité.
Eddra lui tend sa main bien taillée et le regarde droit dans les yeux.
« Le Plasma arrive souvent à un moment de mort imminente, il a donc puisé dans vos dernières forces pour arrêter cet animal. Donc, évidemment, vous avez usé du peu qui vous restait en une seule fois. Et... Honnêtement, vous n'aviez pas besoin d'en faire usage pour vous détacher. »
Le jeune homme accepte l'aide du grand homme et se redresse sur ses pattes chétives.

« On ne risque pas d'être des poids pour vous ? On n'est pas encore prêt à suivre un entraînement quel qu'il soit... »
Se lamente Basim une fois face à Chanzi.
Celle-ci pousse un ricanement indiscret.
« Ne vous inquiétez pas. Le Plasma permet une reprise de force plus rapide, un repas et une bonne nuit de sommeil et vous serez d'aplomb ! Et de toutes façons vous serez plus en forme que l'une de nos autres recrues... Le pauvre jeune homme doit avoir une sacré maladie pour avoir ce teint... »
La jeune femme ouvre la porte de nouveau et les deux frères prennent une pouffé d'air frais du couloir éclairé par des flambeaux.
« Mais... Où est-ce qu'on est ? »
Se questionne Samu à voix haute, il se fait évidemment répondre par Chanzi.
« Et bien... On est dans les geôles. Désolée, mais c'est là que se trouve nos salles d'interrogatoires. »

Une minute, ils sont dans la prison ?
Se retournant face à Chanzi, Basim demande :
« Ça veut dire que... Si on avait refusé... »
Eddra sent que la femme veut qu'il réponde à sa place en adoptant un ton de second degré utilisé pour le premier.
« Et bien, vu que vous avez volé, blessé jusqu'au sang un honnête marchand, refusé d'obtempérer et fuis deux hauts placés de l'armée du roi. Si vous aviez refusé, on vous aurait coupé vos mains dominantes et vous auriez été jetés dans une cellule avec des psychopathes et des meurtriers. »
Presque amusé par ses sentences, il prend un temps pour admirer les visages déformés d'inconfort des deux jeunes hommes.
« Je sais que personne n'a envie de respecter les règles instaurées il y a plus d'un siècle, mais c'est la loi ! »
Là, le grand homme marque une nouvelle pause en voyant les nouveaux visages de Basim et Samu.
« La loi ? Celle qui n'a rien fait pour nous ? Celle qui a envoyé nos seuls amis là où on ne les reverra jamais ? Celle-la même qui est responsable de notre situation actuelle ? »
Un silence gênant s'installe et l'air en personne semble prendre du poids sur les épaules de gens présents.

« Hum... On leur dit ? »
Demande Chanzi en posant sa main sur l'épaule d'Eddra qui la repousse d'un revers de sa main à lui.
« Bon, dans tous les cas, il vous faudrait un peu de nourriture. Et on est livrés en seau d'eau chaude, allez vous décrasser un peu. »
Dit le grand homme sans vraiment répondre à Chanzi et en mettant le sujet des lois Sorinienes de côté.
« Oui, vous avez raison. Mais... Nous avons un endroit pour ça ? »
Demande Samu.
« Bien sûr. Nous avons un camp d'entraînement avec de dortoir. Et comme vous êtes des soldats exceptionnels, vous ne serez pas dans le même que les autres soldats ordinaires. Vous rencontrerez vous cinq camarades demain. »
Répond Eddra d'une intonation plus calme avant qu'un soldat n'arrive.
« Il s'appelle Yrshad. C'est lui qui va vous mener à votre foyer pour les prochains jours. »
Intervient Chanzi alors que le garde venu de nulle part dirige les deux frères dehors.
« Tout va bien se passer... »
Espère la jeune femme aux cheveux gris en voyant Basim et Samu.
Leurs silhouettes tranchent la lumière du soleil couchant et ils disparaissent derrière la porte en bois menant dehors.

« Tien ? Ils me donnent une impression de déjà vu ces gamins... Le côté droit de leurs visages m'en donne l'impression. »
Se questionne Eddra sans vraiment attirer l'attention de Chanzi qui a déjà commencé à avancer dans le couloir.
« Ce qui est sûr, c'est qu'ils méritent mieux que la prison ou la rue. Ce sont juste deux enfants qui n'ont rien demandé. J'espère qu'ils ne mourront pas à la première bataille. »
Lui dit la jeune femme quand son compagnon l'a enfin rejoint.
« Non. Aucun de nos hommes, élite ou non n'est de la chair à canon ou de vulgaires objets. Ils ont tous des noms, des histoires, des rêves... Et c'est pour ça qu'on doit arrêter ces mécréants. Et je te rappelle qu'ils maîtrisent le Plasma d'après les jumelles... »
Chanzi regarde le sol d'une légère empathie pour les événements présent.
« C'est justement pour ça que le reste de l'armée doit l'apprendre. Qadim n'est pas en santé d'enseigner des choses aussi physiques. Et nous, nous avons juste eu la chance de rencontrer Skale qui le maîtrisait déjà. »
À l'entendre, Eddra lève les bras et hausse le ton d'agacement.
« Et évidemment comme on vit sur un monde de merde qui a fait un pacte de neutralité, on est coincé ici. Et Skale ne pouvais pas sortir à la vue de tout le monde ! Et je suis sûr que c'est à cause de ça que toute l'armée n'est pas enflammée de Plasma à l'heure qu'il est ! Putains... Skale... »

Skale, Skale, Skale...
Toujours Skale qui revient dans leurs discussions.
« Il doit être en vie. Skale, quoi qu'il t'est arrivé, reste en vie. »
Des larmes épaisses et bouillantes commencent à sortir de l'œil droit rougissant de Chanzi.
« C'est pas vrai, ça recommence ! »
Elle s'empresse de sécher cette vilaine larme d'un mouvement mécanique du pouce.
« Ne t'en fais pas. Il est fort et tu le connais, jamais il ne nous trahira ou ne nous abandonnera. Et puis... Tu sais qu'on pourra changer ces choses, plus tard. En attendant, il va falloir attendre la fin de cette pseudo-guerre. »
Ils continuent à marcher sans regarder derrière eux.
La lueur des flambeaux qui se reflètent sur les parois découpe leurs silhouettes noires de la lumière orangée.

Yrshad est avec les deux frères dans les rues de Madina, le soleil commence à se coucher.
« Combien de temps on a été inconscient ? »
Questionne Samu, intrigué par la position de l'étoile qu'on ne voit que le jour.
Le soldat qui se caractérise par de longs cheveux châtains paraît se moquer des garçons en les regardants d'un œil narquois.
« Je vous ai vus vous sauver de la place de la ville, c'était hilarant ! Et dire que je me plaignais de mon travail du jour ! »
Son instant de folie était terminé, il reprend un aspect toujours jovial mais toutefois moins moqueur.
« Oh ! Excusez-moi... Vous êtes restés inconscient toute la journée. Mais bon, des élites exceptionnelles comme vous, vous avez droit à des dortoirs personnels ! Petits salopards... J'aurais tant aimé avoir un flambeau en guise de corps, moi aussi ! »
La spontanéité de ce soldat amuse Samu, mais Basim lui fait un signe de ne pas lui répondre.
« Non. À te connaître, on est parti pour un festival si tu te mets à parler avec cet hurluberlu. »

Ils continuent à marcher un moment et finissent dans une espèce de camp près de la sortie de la ville.
Ce bivouac de haute qualité est entouré d'une muraille en grès sculpté et lui donne un périmètre de quinze mètres sur vingt.
Tout cet espace, en oubliant celle du bâtiment ayant l'air plutôt cosy bien sûr.
« C'est donc là que nous allons résider ? »
Pointant le petit bâtiment du doigt, Samu attire l'attention de Yrshad.
« Eh oui. C'est qu'une petite ferme qui a été aménagée, mais croyez moi, vous avez toujours de meilleurs locaux que moi. »
Comparaison intéressante, et aussi étrange, Basim demande donc :
« Vous êtes si mal-logés que ça ? »
En première réponse, l'homme aux longs cheveux se plie le dos.
« M'en parle pas. Je suis content d'avoir mon chez-moi pour rentrer pioncer. Les lits sont tellement rigides que j'ai l'impression de dormir sur des briques. Vous avez du bot, les Plasmateux. »

Quelques instants plus tard, le garde ouvre la porte semblant être toute neuve et dévoile l'intérieur du petit bâtiment.
Le dortoir.
D'une seule pièce vraiment confortable avec six lits superposés avec d'épais matelas, trois de chaque côté alignés l'un derrière l'autre en partant de la porte.
Au bout du petit bâtiment, une grande table rectangulaire en bois avec une douzaine de chaises.
Pour égayer, un seul tapis de sol brodé de couleurs vives faisant toute la longueur du dortoir et une unique fenêtre vers le milieu de la longueur de la pièce.
« À la base, on espérait que vous seriez au moins douze et que vous dormiriez à deux dans le même lit. Mais pas de bol, vous n'êtes que six. »
« Six pour combattre une armée ? Yrshad, tu te moques de nous, là. »
S'interroge Basim à voix haute et pour une fois, c'est Samu qui lui apprend une chose.
« Non. On est juste une élite. On combat avec les autres à la seule différence qu'ils sont moins forts et plus remplaçables que nous. Ne le prends pas mal Yrshad ! »
« Oh, c'est bon, j'ai l'habitude. Et j'ai pas l'attention de crever ! J'ai ma belle Sadiq qui m'attend chez son abominable mère avant que cette guéguerre ne soit terminée. »
Les deux frères rient nerveusement, n'osant pas imaginer la vie privée de cet individu.

Samu découvre une petite pièce dotée d'un siphon cachée par des rideaux noirs.
Apercevant des seaux d'eau, les jumeaux font remonter certains souvenirs doux-amers.
« Les douches. Comme au refuge. »
Il l'a dit assez bas, pas même son frère ne l'a entendu.
Yrshad forme un rictus et repart dehors, la porte en main avant de la fermer.
« Bon, je vous laisse les petites torches ! Vos camarades arriveront sûrement pendant la nuit. On se reverra sûrement sur le champ de bataille. Essayez de ne pas mourir ! »
Il ferme la porte, disparaissant dans un silence contrastant avec son libre parler presque humoristique.
Et pour les deux frères, c'est l'incompréhension.
Ils sont là dans ce petit bâtiment qui paraît presque trop vaste.
Habillés de leurs vêtements en lambeaux, ils ont bien l'air misérable.

Et en les surprenants tous les deux, la porte se rouvre et laisse apparaître Yrshad de nouveau.
« J'ai failli oublier ! Il y a des vêtements propres sous votre couchette. On les a mis là après votre... Folle escapade. »
Basim forme une expression surprise et regarde sous le lit à sa droite, des chemises noires, des pantalons beige et des chaussures en cuir les attendent.
Il en a presque les larmes aux yeux.
Yrshad n'y prend pas attention et pose une question qui sort instantanément les deux jumeaux de leur transe.
« Et c'est quoi le problème avec votre peau ? C'est un truc d'utilisateur de Plasma d'avoir une peau trop claire ou trop foncée ? Vous serez trois dans ce cas. »
Les deux frères écarquillent les yeux, ils regardent le garde profondément qui recule sous le poids de ces regards.
« Hum... Excusez-moi. Je m'en vais. »
La porte se referme, pour de bons cette fois.
Une douche avec des seaux remplis, des sacs de légumes et des de la viande sèche sur la table, et des lits confortables incluant des nouveaux vêtements.
C'en est trop, les deux jeunes hommes tombent à genoux, les larmes aux yeux, ils forment un sourire nerveux.

« Basim et Samu Pas-De-Nom-De-Famille. Les pauvres, à croupir dans la rue comme de vulgaires rats. »
Un homme de grand âge dégarni possédant une élégante petite barbiche au menton a rempli le dossier des deux frères.
Eddra est en face de lui, les bras croisés.
« En effet. En plus, ils semblent être de bons gamins. Je veillerais personnellement à ce qu'ils soient logés comme il se doit après la guerre. Il faudrait juste qu'ils se trouvent un nom de famille. Car le mien... »
Le vieil homme lève la tête de la table et de ses papiers.
« Eddra, tu ne peux pas renier toute ta lignée. Tu en fais partie et quand tu auras remplacé ton père, ton nom de famille à toi et à ta sœur ne sera plus un synonyme de mauvaises choses. Tu ne peux pas en vouloir au peuple d'être conditionné... »
Le grand homme décroise les bras et se retourne.
« Je ne te remercierais jamais assez pour ce que tu as fait. Mais pour le moment, je dois me concentrer sur mes troupes, on commence demain. Quand la guerre sera finie et que Sarkonge aura craché le morceau pour ses actes, je ferais enfin ce que je dois faire. Sur ce, je te laisse vaquer à tes obligations de général. »
Il s'en va, laissant l'homme tout seul au-dessus de toutes les feuilles d'identité pour chacun des soldats.
Les six plus en évidence des autres sont : Samu, Basim, Rabano, Zana, Horias, Awal.

Dans les douches du dortoir, de l'eau froide tombe aux pieds des deux garçons.
De l'eau froide mais aussi un peu douce qui va de pair avec leur situation.
« Wolfetsu, Scorn... Si on survit cette guerre, on pourra peut-être vous retrouver. »
Murmurent ils en se débarrassant de toute la crasse qui est la dernière témoin de la vie qu'ils avaient encore ce matin.
L'espoir de retrouver le loup et le scorpion.
L'émotion les ébahit assez pour que des larmes se mélangent à l'eau qui disparaît dans le siphon.

Le vieil homme a rempli son classeur des feuilles avec toutes les informations sur les nouvelles recrues.
Soigneusement rangées dans les étagères, ses affaires ne lui accaparent plus son esprit.
Le général décide donc de sortir de son bureau ironiquement situé dans les geôles.
« Aaaah... Quelle belle journée. Dommage que ça a demandé une guerre pour que j'en profite réellement. Quelle ironie... »
Son crâne chauve reflète les derniers rayons du soleil de Sorina.
En face de lui, des dizaines de soldats au garde-à-vous, Alfaris, Al, Faz et Yrshad sont présents au milieu d'autres hommes et femmes en armures de plaques.
« Général Qadim ? Vous maîtrisez le Plasma. Pourquoi vous ne pouvez pas nous l'enseigner ? »
« Tais-toi idiot ! Il a autre chose à faire que de répondre à tes questions ! »
À demandé Yrshad avant de se faire taire par Al.

Qadim garde une expression calme et décide quand même de répondre au garde châtain.
« Hélas, Yrshad. À plus de soixante ans, je ne suis plus vraiment apte à me battre ou à enseigner. Je suis bien plus à l'aise au commandement d'un bataillon qu'au front. »
Il commence à marcher en avant, à l'exception d'un arrêt en face d'Al et Yrshad.
« Al. Tu me feras le plaisir de mieux répondre à tes camarades. Si tu veux le respect des autres, tu dois apprendre à les respecter aussi. »
Au désarroi de l'archer, son supérieur continue sa course jusqu'à un petit groupe dirigé par une jeune femme.
Elle et ses hommes sont affublés des fameuses armures de cuir renforcé d'acier.
« Aljasu. Toi et tes hommes, vous partez juste pour une observation et vous revenez au bout d'une journée. Si vous vous faites repérer, fuyez. Vous ne faites pas le poids face à ces barbares. »
Ses mots attentionnés combinés à son physique lui donne plus l'air d'un gentil grand-père que d'un général.

La jeune femme s'incline un moment et répond :
« À vos ordres. On doit en avoir pour deux jours à dos de dabas. On aura toutes les informations dont vous aurez besoin. »
Elle se redresse et part en étant suivie de ses hommes.
« Al, Faz, Alfaris. Vous commanderez les soldats postés sur la muraille. Yrshad, je te laisse ton rôle de garde, et tu obéiras à mes ordres. »
Continue le vieil homme en s'adressant à ses autres bataillons qui s'exécutent sans rechigner et partant immédiatement.
Le garde châtain se sépare des trois autres qui forment un grand groupe.
« Pitié, faites qu'ils s'en sortiront tous... »
Prie Qadim en regardant toute cette troupe s'en aller, dans l'espoir de tous les revoir un jour.

Perdu dans ses pensées, il n'entend pas les bruits des pas se reprocher de lui.
« Tiens, bonjour Qadim ! »
Le général se retourne et voit Chanzi le saluer.
« *soupir* Tu as encore utilisé mon Plasma pour me retrouver ? »
« Exactement. Ne m'en veux pas de te déranger pendant que tu gères tes troupes. »
S'excuse elle avec un regard sur les soldats qui s'éloignent.
« Oh, ne t'en fais pas. Tu veux me demander quelque chose ? »
Demande le vieil homme sans altérer son visage qui exprime juste du calme.
Passant sa main droite dans ses cheveux gris hirsutes, Chanzi paraît ennuyée.
« Et bien... Je sais qu'Eddra est venu te parler alors je voulais savoir s'il t'as parlé de... »
Elle ne peut terminer que Qadim l'interrompt.
« Écoute. C'est pour te protéger que ton frère te laisse à l'écart. Tu n'as ni les épaules, ni le moral pour ces choses. Tu l'aideras, mais ça sera à lui de mettre votre plan à exécution. Attends juste qu'il te donne le signal et ça sera réglé. Ni moi ni Eddra n'ayons envie que tu souffres de la situation. »
L'homme dégarni s'éloigne en faisant signe d'au revoir à la jeune femme qui reste sans voix.
Cette dernière soupire avant de remarquer qu'elle pleure encore de l'œil droit.

« Chanzi... »
Rumine le général après avoir retourné le regard et avoir vu les larmes de la jeune femme.
« J'en ai assez d'être émotive. C'est pour ça que je suis une bonne à rien ? »
« Mais non. Tu as juste un peu de mal à gérer tes émotions. C'est rien du tout, je connais beaucoup de personnes comme toi. »
Répond le général à la question indiscrète de Chanzi.
« Tu as raison, je vais essayer de me calmer. Et surtout, je vais essayer de me vider la tête. »
Sans en dire plus, elle part enfin dans les rues.
« Ce monde, ces guerres... Il ne manquerait plus qu'il y en ait au-dessus de nos têtes. »
Concluant par un petit dialogue mental, Qadim entre de nouveau dans son bâtiment dans les geôles froides et inhospitalières.

Le soleil de Sorina a enfin disparu dans l'horizon.
Brillant, le ciel est dorénavant étoilé de mille petites lumières.
Puis... Plus que neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf.
Basim et Samu ont fermé les yeux, ils sont bien propres et sont confortablement allongés dans des lits douillets.
Il fait froid une fois la nuit tombée sur Sorina.
Une nuit laisse toujours place à une nouvelle journée, et puisse-t-elle être chaude.

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