#11 Cendres
« Alors, tu t'en vas ? »
Demanda cette petite fille que Basim et Samu sauveront bientôt du iamhtary.
Assise sur son lit drapé vert, elle vouait une admiration démesurée pour son grand frère qui s'était engagé hier.
« Et ouais, Freya. Mais ne t'en fais pas. Dès que ça sera fini, je serais de retour. Tu ne remarqueras même pas que j'ai été absent, tu verras ! »
Awal éteignit le feu bleu qui le recouvrait, il s'exerçait à le maintenir le plus longtemps possible.
S'approchant de sa petite sœur, il avança une main vers elle.
« Sois honnête. C'est moi qui vais te manquer ? Ou ça ? »
Entre ses doigts, des étincelles provenant de son Plasma apparaissaient avant de laisser leur place à une réelle flamme réconfortante.
« Hihi... Les deux ! »
Ricana Freya en saisissant le bras de son frère qui la souleva le plus haut possible à l'aide du renforcement due à son feu bleu.
Étant prise d'un fou rire, la petite fait rayonner son grand frère qui ne peut s'empêcher de couvrir son corps entier de Plasma pour l'émerveiller encore plus.
« Tu sais, grâce au Plasma, je serais capable d'aider notre monde à être plus beau ! Plus personne n'aura peur ou ne vivra dans la misère ! Et sans vouloir me venter, je crois que je serais l'un des plus grands de ce monde quand ce jour arrivera ! »
« Mais t'es déjà grand, Awal ! »
Flatté, le blondinet à élève sa sœur encore plus haut, elle pouvait presque toucher le plafond avec sa tête.
« Et bien, je serais encore plus grand ! Tellement grand qu'il faudra écarter les étoiles quand je marcherais ! »
Radieux et plein d'espoir mêlée à une pure ambition, le blondinet reposa sa sœur sur son lit.
Passant sa main sur la petite tête blonde de sa sœur, Awal lui dit d'une voix moqueuse :
« Tu ne feras pas de bêtise pendant que moi et papa ne sont pas à la maison. Hein ? »
« Oui, Awal. »
Le soir même, Awal Man Yamut a quitté son logis, se rendant d'un pas fier vers le camp d'entraînement qu'Eddra et Chanzi lui avaient montré le jour d'avant.
Il était très tard quand il y est arrivé, son livre sous le bras et la tête emplie d'inquiétude.
Plus tôt, dans la fin de matinée, sa sœur s'était perdue et à failli finir sous les sabots d'un iamhtary.
Cette nouvelle l'a entièrement retourné quand il a vu sa mère rentrer en tenant Freya dans ses bras.
Si il avait été là, ça ne se serait jamais passé.
Du moins, c'est ce qu'il n'arrêtait pas de se ressasser dans son esprit, culpabilisant pour une chose dont il n'est pas responsable.
« Ce monde part vraiment en vrille... »
Et surtout, il y a une chose qui lui titillait le lobe frontal, le fait que sa sœur n'ait vraisemblablement eu aucune peur face à cet animal.
Elle avait même l'air ravie de ce qui venait de lui arriver, il n'a pas réussi à comprendre pourquoi et Freya aussi n'a su dire pourquoi.
Sans oublier sa mère, elle a refusé de lui parler des sauveurs de la petite sans qu'il ne réussisse à avoir une réponse de cette dernière.
Doucement, en essayant d'ignorer ses questions, il a ouvert la porte du dortoir plongé dans l'obscurité.
Cette pièce unique lui fait tout de même une bonne première impression.
Ces six lits superposés alignés trois par trois en partant de la porte semblaient bien plus confortables qu'il ne s'imaginait.
Fatigué, il ne perdit pas de temps à examiner en détail cet endroit et se dirigea instinctivement vers le premier lit qu'il a vu.
Diminué par la fatigue, il a failli s'étaler sur Basim qui dormait tranquillement comme un nourrisson en dessous de son jumeau qui était dans le même état de semi-hibernation.
Étant dans le noir, il lui a fallu un petit moment pour se rendre compte de la couleur de la peau des deux frères.
« Mais ce sont des... Des sans-patrie... »
D'un pas le plus léger qu'il le pouvait, il s'éloigna du jeune homme pour éviter de le réveiller.
L'expression sur son visage montrait de l'émerveillement mélangé à de l'anxiété.
D'un simple regard, il s'est aperçu que ces deux garçons visiblement tout juste un peu plus vieux que lui on une façon étrange de dormir.
Surtout celui qui dormait en bas, Basim.
Il était tout sauf apaisé, donnant l'impression d'encore être sur ses gardes même en plein sommeil.
« Bon sang, qu'avez-vous bien pu vivre... Vous êtes là, engagés dans une armée ayant pour but de protéger le peuple qui vous a négligé... Incroyable. Si tel est le cas, vous devez réellement être des gens en or ! Quel honte c'est de mépriser et laisser dans la misère de tels gens... Mais, puisque vous êtes là, peut-être m'aideriez vous a créer un monde meilleur ! Vous êtes les mieux placés pour savoir ce qu'il faut changer, et ce bien mieux que moi. Oh ! Et, vous savez quoi ? Je crois que ce sera vous qui améliorerez notre monde ! Pas moi, pas Eddra, ce sera vous ! J'en suis certain ! »
Radieux, il partit se coucher dans un lit libre.
« Ravi de vous rencontrer, j'ai hâte que nous fassions connaissance ! »
Avec son ambitieuse bonhomie habituelle, il ferma ses yeux en attente du jour où il rencontrera ses compagnons.
Depuis ce jour, il ne s'en est écoulé que deux.
À l'aube du troisième, quand le soleil ne s'est levé que depuis une petite heure et demie, de petits yeux bleus s'ouvrent.
Levant sa tête blonde hérissée de son oreiller après une nuit agitée, Freya s'est réveillée à cause d'un bruit familier venant du rez-de-chaussée.
Quelqu'un a frappé à la porte.
« Awal ? »
Se dit-elle innocemment en bondissant de son lit puis en sortant de sa chambre au pas de course dans sa chemise de nuit.
Elle se rue dans les escaliers, observant sa mère approcher nonchalamment de la porte d'entrée.
Thani Man Yamut ouvre le loquet et tire la lourde porte de bois sculpté à elle.
Dans la seconde, son logis de la classe supérieure est envahi par la chaleur extérieure accompagnant les rayons du soleil aussi étouffant qu'éblouissant.
Deux silhouettes noires comme le suaire de la mort sont nettement mis en valeur par la lumière du soleil dans leur dos.
« Je vous connais... »
Fait Thani pendant que ses yeux commencent à discerner les visages obscurcis à contre-jour.
Chanzi et Eddra sont face à elle, le grand homme a le chignon couvert de cendre.
Lamentablement effondrés contre le mur à côté de la porte extérieure, Zana, Horias, Rabano, Basim et Samu ne veulent pas être vus par la mère d'Awal.
« C'est bon, je me souviens. C'est vous qui avez enrôlé Awal. Que faites-vous là ? Mon fils a un problème ? »
Cette unique phrase venant de la femme en début de quarantaine est suffisante pour faire passer le visage de Chanzi au rouge.
Sans explication, elle s'éloigne et disparaît de la vue de la mère de famille.
Eddra est le seul à rester stoïque en se penchant pour attraper et porter un bien macabre fardeau.
Thani aperçoit cette vague forme humaine sous un drap blanc taché d'une épaisse matière rouge noircissant.
Son visage se décompose, n'apercevant aucun trait facial sous le sang sec qui couvre une partie du linceul de tissu.
Freya a aussi un bon aperçu de ce que Eddra tient péniblement à bout de bras.
Elle ne comprend pas ce que c'est, l'idée qu'il soit arrivé malheur à son puissant frère manieur de feu ne lui traverse pas l'esprit une seule seconde.
Pour ce qui est de sa mère, cette dernière ne se berce pas d'illusion en dépit de son déni apparent.
D'une main tremblante, elle saisit le bout du tissu gorgé de sang pourrissant.
Gélatineux, froid, ce fluide biologique dont la simple présence ne signifie rien de bon retourne l'estomac de Thani au toucher.
Ses yeux s'emplissent de larmes, elle révèle l'horreur qui se cache sous ce drap blanc.
Son cri perçant de détresse résonne dans toute la ville et dans les oreilles de la petite Freya qui aperçoit les macabres restes de son grand frère adulé.
Le soir venu, personne ne peut voir les étoiles en cette nuit au milieu du désert.
À une centaine de mètres de Madina, un bûcher brûle sans discontinuer depuis une heure déjà.
Au centre d'un immense cercle de pierres sableuses de plus d'une centaine de mètres de diamètre, le corps défiguré d'Awal brûle.
Les quelques cheveux blonds qui lui restaient ont disparu en premier, sa peau a fondu, ses os noircissent tel du charbon, il ne reste déjà pratiquement plus rien du blondinet.
Il est coutume dans cette région de Sorina d'incinérer les corps, l'état de cendre est vu comme étant le moyen de s'approcher le plus possible du sable parsemant les paysages désertiques.
Ainsi, le corps et l'âme du défunt feront à jamais parti du désert, lui permettant de veiller sur ses proches et descendants pour l'éternité.
Poétique, mais si peu rationnel, tout le monde sait que ce ne sont que des histoires pour délester un peu la douleur du deuil.
Thani, obligée de voir la disparition de son fils dans la fumée, serre sa fille dans ses bras pour qu'elle soit épargnée de cette vision.
Étrangement, à part elles, il n'y a aucune autre famille d'Awal à sa crémation.
Pas de cousin, de tante, d'oncle ou de grands-parents.
Même le père est absent, et pourtant, Eddra et ses élèves sont persuadés que le blondinet a mentionné au moins une fois son père.
Car oui, le grand soldat, Chanzi et tous ceux qui ont partagé le dernier jour du jeune homme, à l'exception de Skale, sont également présents.
Zana et Horias sont debout, face aux flammes et au squelette qui s'affaisse dans une nuée d'étincelles.
Elles se tiennent la main, reconnaissant que l'une est encore là à l'autre.
Rabano est juste derrière elles, tenant ses genoux contre lui, ruminant tout seul.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé... Comment ça a pu arriver... »
Fait Horias, presque tremblante.
Voulant être honnête avec sa jumelle, Zana commence :
« C'est hélas à ça qu'on s'est engagées. Si ça se trouve, il ne sera pas le seul à finir ainsi... Peut-être que nous aussi, on finira... »
Elle se fait légèrement gifler par Horias.
« Aïe ! Mais t'es malade ou quoi ?! »
« Et toi ?! Qu'est-ce qu'il te prend d'être aussi défaitiste, ma pauvre ?! Ou elle est la Zana qui n'avait peur de rien et qui était prête à tout pour faire ce qui est juste ?! »
« Ça n'a rien à voir, Horias ! Je ne dis pas que j'ai peur... Je dis juste qu'il faut peut-être penser au fait que... Peut-être qu'on ne s'en sortira pas tous... »
Sans ménagement, celle aux flammes rouges la saisit par les épaules.
« Sors-toi cette idée de la tête ! Nous ne mourrons pas ! Compris ?! Nous ne mourrons pas, un point c'est tout ! Il suffit d'y croire et tout se passera bien ! »
Zana recule d'un pas, voulant croire les paroles de sa sœur de tout son cœur, elle n'y parvient malheureusement pas tellement la crainte l'envahît.
« Puisses-tu dire vrai... Puisses-tu dire vrai... »
Rabano observe son couteau que Skale lui a rendu, ayant sauvé la vie du serpent après que le grand pâle l'ait perdu contre Nyslam.
C'est alors que la scène où le moment où lui et les sœurs ont cédé aux provocations du jeune barbare lui revient en tête.
« PUTAIN !!! C'EST DE NOTRE FAUTE !!! »
Rugit-il à en pleurer en se relevant brusquement.
Zana et Horias l'ont largement entendu et se sont tournées dans sa direction pendant qu'il continue d'extérioriser sa rage.
« Si on ne s'était pas jetés sur lui comme des imbéciles et qu'on avait écouté Skale, peut-être qu'il serait encore en vie ! Si on était resté dans le groupe au lieu d'agir comme des demeurés, on aurait largement gagné contre lui ! Ni lui, ni Awal ne seraient morts ! Si on en est là, c'est car je n'ai pas su m'adapter à la situation... »
Il s'arrête, à court de souffle et n'ayant plus aucun argument contre lui.
« Que mon besoin de justice ne pouvait trouver satisfaction que sur l'immédiat et de la pire des façons... »
Ajoute Zana.
« Et mon obsession à en finir avec ce conflit a pris le dessus, m'empêchant de réfléchir... »
Conclut Horias.
Cette dernière et Rabano baissent la tête, n'osant plus regarder dans n'importe quelle direction.
La seule à rester ferme et droite, c'est Zana.
Elle qui était la première à perdre le moral il y a encore si peu de temps, elle semble maintenant être la plus solide des trois.
Elle tend les bras, saisissant sa sœur et le grand pâle par les épaules, les rapprochant à elle dans une étreinte collective pour se réconforter les uns les autres.
De quoi leur rappeler des souvenirs doux-amers de leur village natal.
Sur ce, celle au Plasma jaune pose un œil plus attentif à sa sœur et son ami blafard et remarque sans surprise qu'ils se tiennent fortement la main, de quoi la faire sincèrement sourire.
S'estimant être de trop, elle se retire et laisse Rabano et Horias se serrer l'un contre l'autre en oubliant ce qu'il se passe autour dans un simple moment de tendresse.
Et ça fait du bien à Zana de voir sa sœur ainsi, de quoi lui redonner un peu de baume au cœur.
« Nous sommes désolés, Awal... »
Basim et Samu sont assis en tailleur, dangereusement près des flammes.
Depuis des heures, les derniers mots du blondinet résonnent dans leurs têtes, encore et encore.
« Je voulais devenir un garde... Et j'en suis devenu un... Et vous ? Avez-vous exhaussé vos rêves ? »
La larme aux yeux, ils ne peuvent pas répondre positivement à cette question.
En regardant les derniers os rougis se fissurer et se disperser sur le bois servant à incinérer le mort, Samu se met à penser à d'autres personnes.
« Wolfetsu... Scorn... Vous vous rendez compte ? Aujourd'hui, un Sorinien s'est sacrifié pour nous sauver... Il s'appelait Awal... Il savait pour nous, qu'on est des sans-patrie... Mais il ne nous a jamais vus autrement que comme ses semblables... La preuve vivante que, au fond, la bonté humaine existe sur Sorina... Et maintenant, il est mort. Pour nous... Putain... »
Ecrasé par ses propres mots, celui au Plasma rose se penche au maximum comme pour se prosterner en se tenant sur ses mains.
« On aurait manqué à personne, sombre crétin... Pourquoi est-ce que tu as donné ta vie pour les nôtres ? »
Sentant la main de Basim se poser sur son dos, il s'arrête de se lamenter, laissant la parole à son frère.
« Car c'est ce qu'il voulait faire. Son rêve était d'être un garde et de protéger tout le monde. Et c'est ce qu'il a fait. Il est mort en exhauçant son rêve... Sans le moindre regret... »
Une nuée d'étincelles se rapproche d'eux, ils ne font que fermer les yeux pendant le passage de ces petites particules ardentes.
« On ne peut hélas pas en dire autant pour tous ceux qui ont péri aujourd'hui... »
Basim et Samu rouvrent les yeux, voyant celui qui vient de dire ça : Eddra.
Le grand soldat a pris place et s'est assis à côté de ses deux apprentis.
« De qui est-ce que tu parles ? »
Questionne Samu, incrédule.
Le grand soldat inspire profondément, fixant le feu devant lui qui consume les quelques restes d'Awal.
« Je parle de ce garçon à qui vous avez ôté la vie. Je parle de Nyslam. »
S'emportant à la simple mention du jeune barbare, Samu se redresse et n'hésite pas à monter la voix.
« IL A TUÉ AWAL !!! ET IL ALLAIT TE TUER, TOI !!! T'as dit qu'on en reparlerait, mais où est-ce qu'il y a matière à débattre ?! C'était toi ou lui ! T'aurais préféré que ce soit toi ?! »
Aux mots surprenamment juste du jeune homme, c'est la boule au ventre que son instructeur prononce sèchement avec un peu d'hésitation :
« Peut-être. »
Eddra saisit une poignée de sable qu'il laisse s'échapper de sa main.
« Il ne faisait que ce qu'on lui demandait de faire. Il ne voulait pas ça, il ne l'a jamais voulu. Ce n'était qu'un enfant qu'on a endoctriné pour faire ce qu'on attendait de lui... Il ne pensait pas ce qu'il faisait. Et je suis sûr qu'il cachait en lui la culpabilité d'avoir tué des gens. Pour ce qui est d'Awal, je suis certain que ça ne lui était pas indifférent malgré ce qu'il voulait nous faire croire. Tout ce qu'il voulait, c'était que quelqu'un l'écoute pendant qu'il se livre à cœur ouvert, au lieu d'être forcé à écouter et à adhérer à ce que lui dit un autre. Et il est mort pour les crimes d'un autre. Car cette guerre n'est pas de sa faute, il en est juste une conséquence, rien de plus. »
Il marque une pause pour reprendre une profonde inspiration qui l'aide à se concentrer.
« Moi, durant toute ma vie, j'ai été libre de mes choix, de mes décisions et j'ai assumé les conséquences de mes erreurs. Si Chanzi et moi étions restés avec vous pendant que vous retourniez jusqu'à Madina, c'est certain qu'Awal serait encore en vie. On aurait capturé Nyslam sans problème et ils seraient tous les deux encore en vie. Tandis que Nyslam, ce fut tout l'inverse. Jamais il n'a pensé par et pour lui-même, jamais il a été libre de ses actions et de ses pensées, ne faisant que suivre l'endoctrinement de son père et ses oncles... Et pourtant, c'est lui qui a assumé leurs erreurs, comme c'est Awal qui a assumé pour la mienne... »
Samu s'est rassis à côté de son frère, tous deux étant des plus attentifs aux paroles d'Eddra.
Bien que cela leur fait du mal d'entendre tout ça, ils restent attentifs.
« Au final, voici le cercle vicieux qu'est la haine. La haine ne peut rien créer, elle ne peut que détruire. Le peuple de Sarkonge éprouve une haine infinie pour nous, et même si elle est justifiée, elle ne justifie pas les actes qu'elle les a poussés à faire. Nyslam a tué Awal par haine, et vous, vous avez tué Nyslam par haine. »
« Non ! On voulait te sauver ! Et c'est ce qu'on a fait ! »
Proteste Basim, cachant très mal l'insondable chagrin qui l'envahi un peu plus à chaque mots de son instructeur qui finit de l'achever en disant :
« Et il n'y avait pas d'autres moyens que de le tuer ? Le saisir par l'arrière ? Essayer de l'assommer ? Juste le distraire pour qu'il baisse son emprise sur moi ? Ou bien, dans les extrêmes, lui couper la main au lieu de la tête ? J'étais bien plus fort que lui, il aurait suffi qu'il lâche ma gorge, et j'aurais récupéré toutes mes capacités que me confère mon Plasma. Ainsi, je l'aurais maîtrisé sans trop de problèmes. Puis, avec un peu de temps, j'aurais pu le raisonner et le sauver par la même occasion. Alors arrêtez de vous mentir et acceptez cette vérité qui est légitimement difficile à admettre : si vous avez tué Nyslam, c'est avant tout par haine. »
Les deux frères ont le souffle coupé, pas par leurs plastrons, c'est ce que leur dit Eddra qui les fige de honte.
Restant de marbre face à l'homme au chignon, ils font comprendre à ce dernier qu'il en a assez dit.
« Allez. Ne vous torturez pas avec ça. On est en guerre après tout. Et Nyslam était seul, donc il était le seul qu'on aurait éventuellement réussi à sauver. Sur un champ de bataille, en situation réelle, on n'aura pas le choix, il faudra tuer. Pour les autres, on ne pourra pas se permettre une telle compassion. »
Il se relève et donne une petite tape bienveillante dans le dos des deux jeunes hommes.
« Je suis désolé que vous ayez dû faire ça. Ne vous reprochez rien, car ça n'est pas de votre faute. »
Concluant ainsi, il les laisse tranquilles et s'en va, il n'y a plus rien à voir.
Comme Nyslam avant lui, Awal n'est maintenant plus qu'un tas de cendres que l'air chaud du feu font s'envoler et disparaître au loin par le vent.
Sous la prison de Madina, dans le bureau de Qadim, Skale s'est maladroitement assis sur une chaise en bois.
Ayant enroulé le bas de son corps sur le siège en laissant le bout de sa queue traîner au sol, il perd tout son aspect intimidant dans une telle position.
Derrière lui, une grande tunique à capuche pend sur un crocher au mur.
Derrière lui, la porte s'ouvre, l'invitant à tourner la tête en arrière pour se retrouver face à face avec celui qui fait irruption dans la pièce.
Ce n'est nul autre que le vieux bonhomme à la barbiche qui reste immobile un instant devant le serpent.
« C'est donc vrai... Tu t'en es tiré ! »
Il s'approche de ce dernier d'un pas lent avant de lui saisir la main, comme pour s'assurer que le reptile anthropomorphe est bel est bien là.
« Skale, mon garçon. Oh, je suis si désolé de t'avoir incité à aller là-bas seul. Quel général enverrait un soldat seul à une telle mission... Oh, je... »
« T'inquiète, Qadim. Je me suis porté volontaire, c'est moi qui ait eu l'idée d'y aller. Et on est pas là pour ça, je dois vite te faire mon rapport. »
Les mots de Skale font revenir le vieux général sur ses priorités.
Après avoir lâché le reptile, il se rue derrière son bureau, saisissant un papyrus et une plume trempée dans l'ancre.
« Oui, oui. Tout à fait. Excuse-moi de divaguer. Je suis un monsieur sensible. »
Pendant qu'il dit ça, sa main s'enflamme de Plasma.
Son Plasma est d'un gris terne et fané tout en ayant d'étincelants éclat argentés, lui influant une certaine grâce.
Accélérant les mouvements de sa main au maximum, il rédige les formalités du rapport confidentiel à destination de l'armée Soriniene en seulement quelques secondes.
N'étant plus taillé pour le combat à son âge, Qadim fait néanmoins un excellent rédacteur pour les dossiers officiels et autre archive lorsqu'il n'a pas de bataille à organiser.
« Voilà, mon garçon. Je suis prêt à t'écouter. Dis-moi tout ce que tu sais sur eux. »
Skale joint ses mains prenant le temps de sonder ses souvenirs en détail, ne voulant rien négliger.
« D'abord, ce qu'on pensait sur leur campement c'est avéré vrai. Le dernier village qu'ils ont assiégé, Derui, est devenu leur repaire. »
« Ça m'aurait étonné qu'ils fassent autrement. Un village de mineurs a tous les outils nécessaire à leur armement et à leur préparation. Par conséquent, j'imagine qu'ils préparent une stratégie pour nous attaquer. N'est-ce pas ? »
« De ce que j'ai vu pendant ma captivité, ils ne semblent pas encore fixés sur la stratégie à prendre pour attaquer Madina. Mais ça a peut-être changé depuis que je me suis échappé... Les choses pour lesquelles je suis sûr, c'est leur organisation, leur hiérarchie et ceux qui risquent de nous poser nettement plus de problèmes que les autres. Enfin... En reconnaissant que tous les soldats de Sarkonge maîtrisent au moins aussi bien le Plasma que ces gamins qu'Eddra a recruté... Ça nous met clairement dans une situation inconfortable, nos soldats devront tenir tête à des surhommes ! Tu te rends compte ? Franchement, j'ai du mal à croire que ce sont ces gosses qui vont faire une différence, surtout que l'un d'entre eux a déjà trouvé la mort... On est mal... »
Il s'arrête un instant, pensif, et un peu pessimiste.
Un beau contraste se met en place entre lui et le vieil homme assis de l'autre côté du bureau.
« Ne crains rien, Skale. Tu connais Eddra, et tu me connais aussi ! Nous trouverons un moyen de mettre toutes les chances de notre côté ! »
Appréciant la réaction de Qadim, Skale imite un sourire avec ses yeux, soupirant en tournant la tête sur le côté.
« Ouais, tu vois, finalement, c'est moi digresse... *soupir* Leur armée est constituée d'environ sept-cent soldats armés jusqu'aux dents et maîtrisant tous le Plasma. »
« Bien, maintenant, nous connaissons à peu près leur nombre. À tout hasard, est-ce que tu aurais entendu dire qu'ils ont l'ambition d'attaquer une autre ville avant Madina ? Ou nous sommes leur prochaine cible ? »
« Aucun doute sur le fait qu'ils vont directement venir ici. Ils ont bien compris que si Madina tombe, c'est tout Sorina qui tombera. Et ils sont loin d'être complètement idiots, ils savent bien que c'est cette ville et ses environs qui font économiquement et militairement vivre les autres. »
« Bien. Donc je ne vais pas perdre de temps. Il nous faut dépêcher tous les soldats et garde des villes et villages aux alentours pour que notre force armée soit la plus importante possible ! »
Le dossier se remplit, le serpent continue.
« Et pour finir, je vais te parler des beaux lascars que j'ai eu l'occasion de rencontrer durant mon séjour à Derui. Ce sont les plus forts, les plus fous, et les plus redoutables de l'armée de Sarkonge. »
Captant toute l'intention du vieux général assis face à lui, Skale passe enfin au plus gros de ce qu'il a appris durant sa captivité.
« Je vais te parler des généraux et des lieutenants, six personnes au total. On les reconnaît aux ornements ayant une couleur bien précise sur les armures qu'ils portent. Les fantassins sans réel grade n'ont que leurs armures sur le dos, aucun ornement de couleur. »
Sans trop réfléchir, il parle du premier qui lui vient à l'esprit :
« En premier, le lieutenant Alkoren qu'on reconnaît à son pagne et à des épines d'un gris foncé sur ses spalières... Ainsi qu'à sa tête d'alcoolo. C'est l'un des meilleurs guerriers dans le lot. Il est brutal, imprévisible et est un escrimeur émérite en plus d'être un tricheur prêt à tout pour l'emporter. Si je peux donner mon avis, il est le deuxième à abattre en priorité. »
Des images de ce fameux Alkoren reviennent dans son esprit, c'est lui à qui Nyslam s'est adressé la nuit de son escapade.
Qadim suit d'une oreille attentive, registrant chaque information qu'il reçoit sans en perdre la moindre lettre.
« Le deuxième ? »
Demande-t-il, intrigué.
« Oui, car il y en a un qui est nettement pire. »
Ajoute Skale.
« Il s'agit du Général Kraft. C'est lui LE combattant le plus puissant sans conteste de Sarkonge. Là où Alkoren est dépassé par les trois généraux, Kraft est le plus fort parmi eux, ce qui le rend presque imprenable ! C'est une montagne ! Ce type est immense ! Contrairement à Alkoren, il n'a pas de pagne gris, à la place, il porte une peau de dragon-pique et son armure est décorée d'ossements de la même bébête peints en gris ! Le général Kraft est la définition du guerrier. Mais contrairement à Alkoren, il a une faille. Je l'ai souvent entendu l'engueuler car il n'a, selon lui, pas de sens de l'honneur. Ce qui voudrait dire qu'il n'est pas du genre à faire des coups bas contrairement à ce dernier. »
« Ces armures, et leurs armes ne peuvent pas venir de nulle part. Ils se les sont procurées ou ils les ont faites eux-mêmes ? Si tel est le cas, ils doivent avoir des forgerons, non ? »
Questionne Qadim, sans lever les yeux de son papyrus, toujours aussi attentif à ses écrits.
Le serpent argenté remercie le vieux général, sans sa remarque, il aurait probablement oublié de mentionner deux personnes.
« En effet ! Ils ont un forgeronne qui s'appellerait Samed. C'est elle qui a forgé tout leur équipement. Du plus grand marteau de guerre à la moindre pointe de flèche, c'est elle. Du moins, c'est ce que j'ai constaté. Je n'ai pas eu l'occasion de la voir, je ne saurais même pas dire quelle tête elle a car elle passe ses journées entières à se consacrer à sa tâche. Surtout qu'elle est visiblement seule pour armer toute cette armée... Donc je ne peux rien dire de plus sur elle. »
Ôtant ses yeux de ses écrits, Qadim pose encore une question :
« Aucun de ceux que tu m'as décrit ne semble avoir le rôle de sentinelle... Et je ne pense pas que ce soit un simple soldat qui t'a repéré, maîtrisé et emprisonné. Ce ne serait pas l'un d'entre eux qui t'a repéré et emprisonné ? »
« Exactement ! Il s'agissait de Baera, la sœur de Kraft, qui est aussi au grade de général. Il est facile de la reconnaître grâce au long manteau bleu sombre qu'elle porte par-dessus son armure. Elle a l'air d'être la tueuse à gage de l'armée, et elle est tout sauf nul au combat. J'ai eu le temps d'engager le combat contre elle, et je n'ai vu aucun de ses coups venir jusqu'à moi... Quelques instants lui a suffi pour me vaincre sans la moindre difficulté... Je n'ai même pas réussi à la toucher tellement elle était rapide... Et elle était tellement discrète que je ne l'ai pas senti arriver derrière moi... Une vraie assassine à ne pas prendre à la légère... »
Il marque une pause, repensant à un autre visage qui lui est presque sorti de l'esprit.
« Et elle n'est pas la seule dans cette fonction. Il y a aussi Rask le bleu, le lieutenant spadassin de Sarkonge. Contrairement à sa supérieure, je ne l'ai pas vu en action. Mais il est logique de penser qu'il est, lui aussi, un excellent assassin dont la discrétion et la versatilité n'est pas à sous-estimer. »
À l'instant où Skale a terminé sa description du lieutenant bleu, il s'arrête, écarquillant les yeux avant de reprendre :
« Et pour finir, le pire de tous, Pisker le général blanc. Frère de Kraft et Baera, il est visiblement le cerveau de sa fratrie. C'est le premier stratège de l'armée de Sarkonge, sans aucun doute qu'il réfléchit à une stratégie à l'heure où on parle... Durant toute ma captivité, il a essayé de me tirer les vers du nez, il a essayé de m'enrôler, de me tirer des informations... Mais j'ai tenu bon et je ne lui ai rien dit. C'est un combattant expérimenté, formant lui-même les soldats à l'art du combat avec une main de fer, n'ayant aucune tolérance à quelconque forme d'échec. Samed fourni les armes, il s'occupe de faire en sorte que ses hommes soient aptes à les maîtriser au mieux ! Tu sais quoi ? Oublie ce que j'ai dit sur Kraft, car celui à éliminer en priorité après Sarkonge c'est bien Pisker ! On le reconnaît à la queue-de-pie qui lui sert de pagne blanc et ses épines sont nettement plus longues et fines que tous les autres. Visiblement, il a quelque chose à compenser... »
Qadim, après avoir noté toutes les données sur Pisker, pose une question délicate :
« Vraiment ? Plus encore que Trakt ? »
Le serpent redresse la tête, visiblement perdu.
« Hein ? Oh bon sang, comment j'ai fait pour l'oublier celui-là ?... »
Se tenant le haut du crâne de ses griffes, l'image d'un être imposant à l'aura malsaine lui revient à l'esprit.
« Trakt... Le frère et second aux commandes de Sarkonge. C'est à peine si j'ai eu le temps de le voir du coin de l'œil... Il m'a souri quand il avait vu que je pouvais le voir, et l'aspect de son visage, quand il l'a vu... Il avait déjà cet air froid avant, mais vu comment il a changé depuis la dernière fois, j'imagine que Sarkonge est devenu tout aussi monstrueux ! »
Faisant une pause pour reprendre son souffle, Skale se dépêche de reprendre après avoir profondément inspiré et repris ses esprits.
« Il est le second de Sarkonge, je ne sais rien d'autre sur lui, mais en effet, tu as raison. Oublie Pisker et Kraft, la cible principale après Sarkonge n'est autre que son frère ! Aucun doute qu'il sera capable de réformer une armée s'il survit ! »
« Je vois, je vois. Merci pour toutes ces informations, Skale. Tu as bien travaillé. On en a fini ? »
Demande Qadim avec son dossier qu'il a rempli des informations de Skale grâce à sa plume encrée et à son Plasma qui dupliquait sa vitesse d'écriture.
Le serpent voudrait que ce soit le cas, mais malheureusement, ils ne vivent pas dans le bon plan de réalité.
« *soupir* Non. Ces troufions ne font pas que maîtriser le Plasma. Il y a autre chose, une chose que j'ai bien eu le temps de constater chez eux. À savoir, ils semblent ne rien ressentir et n'avoir besoin de rien. Celui qui a tué Awal a subi plusieurs attaques et blessures qui auraient dû le faire se tordre de douleur, mais il n'en était rien. Il a d'ailleurs dit que la douleur ne fait plus partie de leurs problèmes. Il m'a poursuivi pendant deux jours et deux nuits entières au pas de course dans le désert, et contrairement à moi, il ne montrait aucun signe de fatigue. Sertes, il s'est endormi pendant qu'il me surveillait dans ma détention, mais j'imagine qu'il s'était endormi plus par ennui que par réelle fatigue... Pareil pour tous les autres. En les observant, je me suis rendu compte qu'ils font certaines choses plus par réflexe que par réel besoin. Dormir, par exemple, ils sont capables de le faire, mais je doute qu'ils en aient vraiment besoin. J'en ai vu manger, mais il n'y avait aucune satisfaction ou impression de satiété sur leurs visages. Et ce pendant que j'en voyais ne rien toucher d'alimentaire ou dormir pendant des jours entiers. Moi, c'est grâce à mon métabolique que je peux faire ce genre de prouesses, mais des Soriniens, même avec le Plasma, n'en seraient pas capable. La preuve : Eddra et Chanzi, même toi avez besoin de satisfaire vos besoins. J'ai l'intime conviction que concernant ces barbares, il y a plus que le Plasma, il y a autre chose et j'en suis certain ! »
Les petites flammèches au sommet des bougies qu'elles ont à moitié consumées par leur chaleur se mettent étrangement à vaciller.
Étant responsable de l'éclairage de ce lieu sous terrain, cette anomalie attire l'attention des deux interlocuteurs un instant.
N'y prêtant pas attention plus que ça, le vieux général évoque un sujet un peu plus complexe.
« Je vois... Tu as mentionné le jeune Nyslam. Celui qui a tué Awal Man Yamut et qui fut tué par Basim et Samu pendant qu'il attentait à la vie d'Eddra, c'est ça ? »
« Oui. Précisément. Et honnêtement, j'aurais aimé que ça se termine autrement. Je m'étais mis en tête de le tuer au départ quand j'étais seul contre lui avec les jeunes recrues... Mais à l'arrivée de Chanzi et Eddra, je m'étais mis en tête qu'on trouverait une meilleure conclusion pour ce garçon. C'est en le voyant finalement mourir devant moi qui j'ai commencé à ressentir des remords pour lui... Il était une victime, comme nous. Ils ne faisait que ce qu'on lui demandait sans réellement comprendre pourquoi il se battait... Il ne méritait pas son sort... »
Qadim observe le serpent argenté avec empathie, n'était pas la lors de ce triste événement, il ne peut que se fier aux témoignages et comprendre ce que ressentent ceux qui les lui donnent.
« Je vois... Mais ça n'était pas vraiment ça que je demandais. »
En disant ça, il attire l'attention plus attentive que jamais de Skale.
« En fait, tu m'as dit que seuls les lieutenants et généraux de Sarkonge avaient des signes distinctifs de couleur précise sur leurs armures ainsi que leurs pagnes. Et d'après ce que m'a dit Chanzi, Nyslam avait des épines et un pagne rouge. Donc il n'était pas qu'un simple soldat, il devait être soit un lieutenant, soit un général. N'est-ce pas ? »
Maintenant que son supérieur évoque ce détail, le serpent se rend compte qu'il n'y avait pas réellement prêté attention contrairement à toutes les autres informations qu'il a pu glaner.
« Pour être franc... Je ne sais pas. Je n'ai pas vu d'auge barbare avoir la couleur rouge. Et rien chez lui ne le rendait réellement spécial... Et je ne l'ai aussi jamais vu avoir une réelle fonction dans l'armée. Donc, pour ce qui est de son cas, c'est un mystère. Et maintenant je peux le dire en tout assurance : Tu en sais autant que moi sur le sujet. Nous avons terminé. »
À cette révélation plus personne ne dit un mot pansant que Qadim rédige sa dernière feuille qu'il se dépêche de ranger dans une espèce d'enveloppe scellée.
« Voilà. Merci de tous ces renseignements, Skale. Je ferais en sorte que ton séjour en cage chez eux n'ai pas été inutile. Va te reposer, tu l'as bien mérité. »
Skale se lève de sa chaise, perdant cet image de maladroit assis aussitôt qu'il se retrouve bien droit sur le sol.
« Passe une bonne soirée, mon ami. »
Dit il en se dirigeant vers la porte derrière lui.
Ayant saisit la poignée, il lui vient l'envie de dire une dernière chose au vieil homme :
« Encore merci, Qadim. Sans toi, j'aurais péri à Prat, comme tous les autres. Toi, Chanzi, Eddra... Vous êtes des colombes dans ce nid de sangsues... Grâce à vous, je sais que je ne suis pas seul sur ce monde de fous. »
Sans en ajouter plus, sous le regard humain de Qadim, il quitte le bâtiment.
Maintenant seul avec son dossier officiel, le général se surprend de penser à Prat.
Surtout sur un fait qu'il avait lui-même classifié il y a quelques années et qui lui titille l'esprit depuis l'instant où Skale y a fait mention.
Pour lui, cet endroit où furent envoyés les sans-patrie n'a aucun secret, en partie car il fut chargé de répertorier ceux qui s'y sont rendus.
En-dehors des périodes de guerre, il s'avère être un excellent secrétaire d'État.
Curieux de se rafraîchir la mémoire, il fouille dans ses vieux papiers, il est certain d'y avoir appris une chose importante.
Quelques instants de recherche acharnée lui suffit à mettre la main sur ce document secret qu'il a rédigé.
Ce dit document est constitué d'une lettre et de deux papyrus.
« Je les avais presque oubliés, ces deux-là... »
Fait-il la remarque à deux croquis dessinés à la main en encre noire sur les feuilles beiges.
« Maintenant que j'y pense, d'après les témoignages... Il est fort possible que, comme Skale, ils maîtrisaient le Plasma. »
Se grattant la barbiche de façon pensif, il repose les deux feuilles pour se concentrer davantage sur le dossier.
Ainsi, il laisse les deux portraits manuscrits être dévoilé par la lumière des bougies.
Les traits sont souvent grossiers, et aucune couleur n'est présente sur les dessins.
Par contre, on peut très clairement distinguer ce qui y est représenté.
Le premier est un loup avec une longue crinière, une queue épaisse, se tenant sur ses deux jambes digitigrade et avec des mains humaines.
L'autre représente ce qui ressemble à un immense scorpion au long thorax imitant la posture d'un buste humain.
Au centre du cercle de roches ravaleuses, le bûcher s'est éteint, seuls de fins traits de fumée s'en dégagent encore.
Tous sont repartis vaquer à leurs occupations en cette nuit ou plus rien de physique ne reste d'Awal Man Yamut si ce n'est des petits tas de cendres dispersés dans tout le désert.
Rabano, Zana et Horias sont repartis au dortoir, mais Basim et Samu errent encore dans les rues.
D'un pas lourd et vide de tout sens, ils arpentent tous ces endroits de grès froid qui les ont vu grandir dans les pires conditions possibles.
Par contre, ils n'y prêtent pas attention, tout ce qui leur vient en tête sont les derniers mots du blondinet ainsi qu'une parole d'Eddra à leur égard.
« Et vous ? Avez-vous exhaussé vos rêves ? »
« La haine ne peut rien créer, elle ne peut que détruire. »
Ce ne sont pas les seules choses à apparaître dans leur subconscient, ils revoient Nyslam et les prouesses dont il était capable.
Lui, un gosse et pourtant si puissant a mis en échec tout le bataillon « d'élite » que leur maître se démène tant à former...
« C'est sans espoir... On va crever... »
Soupire Basim, tombant à genoux tout en laissant tomber son épée au sol.
Samu essaye d'argumenter pour lui remonter le moral.
« Arrête, ne dis pas ça ! Qui sait, peut-être que... »
« Peut-être que quoi ?! À nous six, on a vaincu un putain de dragon-pique, le plus grand prédateur de notre monde, chose qui demande normalement une vingtaine de soldats entraînés ! Et Nyslam a été plus fort, plus rapide et surtout plus mortel que cette créature ! À lui seul il aurait bel et bien soumis tous les soldats que notre armée dispose ! Au diable le fait qu'Eddra et Chanzi étaient plus puissants que lui, ils ne seraient que deux contre une centaine ! Ils doivent arrêter de se bercer d'illusions, c'est peine perdue ! On ne fait pas le poids ! »
L'aspect pessimiste de Basim suffit à faire aussi baisser les bras à Samu qui réussit néanmoins à rester debout et à poser une question piquante :
« Alors ? Qu'est-ce qu'on fait dans ce cas ? Ne me dis pas que tu proposes qu'on rejoigne Sarkonge ? »
« Certainement pas ! »
Lui répond instinctivement son jumeau.
« Plutôt crever que de rejoindre les rangs d'un malade génocidaire ! Tu as aussi bien que moi la preuve que tous les Soriniens ne sont pas des ordures ! L'un d'entre eux c'est sacrifié pour nous ! Et de toutes façons, n'est pas la solution. »
À nouveau, un silence lourd s'installe entre eux, les laissant dans l'incertitude la plus inconfortable possible.
Restant placés là tels des roches vides de vie, c'est tout juste si ils réussissent à voir deux choses bouger devant eux.
Deux ombres épaisses et légèrement brillantes.
Comme attirés par ces apparitions, ils relèvent le regard et ont juste le temps de voir ces deux masses informes entrer dans une étroite ruelle.
Après qu'ils aient échangé un regard plein d'hésitation et de crainte, les deux frères se mettent en tête de suivre ces... Choses.
Au pas de course et sans dire un seul mot ou faire le moindre appel à ce qu'ils suivent, ils s'introduisent dans la même ruelle.
Celle-ci ressemble beaucoup à celle dans laquelle ils ont vécu si longtemps, juste avant de faire la rencontre d'Eddra.
Au bout, ils y voient une sorte de lumière suivie d'une chaleur nostalgique.
Devant eux, couvert de sable et de poussière, le refuge où ils ont partagé leur vie avec Wolfetsu et Scorn...
C'est la première fois qu'ils revoient ce vieux bâtiment depuis qu'ils en ont été expulsés, c'est incroyable comment il semble petit maintenant.
C'est ainsi qu'un souvenir leur revient en tête, et en détail.
C'était il y a seize ans, à cette époque, ils étaient les seuls à avoir une différence physique avec les autres enfants du refuge.
C'était en se promenant dans un couloir qu'ils furent submergés par des dizaines d'enfants apeurés qui couraient à contresens des deux frères.
Avant qu'ils ne comprennent le pourquoi du comment, ils furent plaqués au sol par une étrange créature : un loup vêtu de guenilles.
Avec ses grands yeux jaunes évoquant une profonde folie meurtrière, son pelage argenté, sa crinière noire et rouge et surtout ses grandes dents qui laissent couler des filets de bave, il était clairement une vision cauchemardesque.
Basim et Samu ont appelé à l'aide une dizaine de fois, mais personne n'est venu.
Exception faire d'un dard crochu violet qui s'était enfoncé dans la nuque du loup, le calmant instantanément.
Ils n'avaient que cinq ans à l'époque, une telle chose leur tombant dessus ne pouvais que les tétaniser.
Au-dessus d'eux, l'animal avait beau être calmé, ils n'osaient pas bouger d'un pouce.
Tremblant l'un contre l'autre, avec les yeux emplis de larmes de peur, c'est à cet instant que le loup a montré sa part humaine en disant quelques mots.
« Je... Quoi...? Où... »
Derrière lui sont apparus deux grosses pinces qui l'ont saisi par les épaules et l'ont délicatement éloigné des deux garçons.
Une fois libérés de l'emprise de la créature, les enfants à la peau brune ont levé la tête pour voir cette créature accroupie qui leur tendait une de ses mains griffues mais pleinement humaines.
Basim, sans prendre le temps d'en voir plus, s'est levé en premier et s'est empressé de prendre Samu par la main et de s'éloigner le plus vite possible au pas de course.
Une fois assez éloignés, ils se sont caché derrière une porte, jetant quand même un œil au couloir pour s'assurer qu'ils n'étaient pas poursuivis.
Ce qu'ils ont vu à ce moment-là les a tout simplement bouleversés.
Le petit loup gris se tenait misérablement par terre avec ses jambes rachitiques repliées derrière lui tout en tremblant à cause de sa faible masse musculaire.
Son visage était tout à fait expressif, tordu par une profonde tristesse avec des yeux rougis par les pleurs.
Derrière lui, le scorpion faisait de son mieux, se contentant de caresser le dos de son ami avec l'une des grosses tenailles qui lui servent de mains.
C'était avec ces mêmes pinces qu'il a délicatement aidé le loup à se redresser et ainsi, ils ont commencé à repartir, l'un blotti contre l'autre.
Sans savoir que Basim et Samu les observaient, il a quand même tourner sa tête en arrière pour dire assez haut avec sa petite voix en Sorinien parfait :
« Je suis désolé... »
Ayant douloureusement accepté leur sort, ils avaient débuté leur retour à un endroit l'abri regards.
Avançant d'un pas lent, aucune de ces deux étranges créatures ne s'attendaient à se sentir retenus.
Après s'être encore retourné, il a vu Basim face à lui qui lui donnait un regard empli de compréhension, vide de toute animosité.
À côté, Samu à prudemment pris contact visuel avec le scorpion dont les yeux s'étaient mis à briller.
« Nous sommes désolés. »
Ont-ils dit aux deux enfants à forme bestiale.
Sans que ceux-ci n'aient pu avoir le temps de réagir, Basim et Samu les ont doucement enlacés.
Après un peu d'hésitation, ils ont refermé l'étreinte sur les petits garçons et ont commencé à éclater en sanglots tellement leur joie fut immense.
Enfin, ils avaient droit à un peu de bonheur et que quelqu'un les touche sans être terrorisé.
Tous les quatre se voyaient comme ce qu'ils étaient avant tout : de simples enfants demandant un peu d'acceptation et de joie.
C'est ce jour où l'amitié de Basim et Samu avec Wolfetsu et Scorn commença et qu'elle ne s'arrêtera jamais quoi qu'il arrive.
Ce doux souvenir a permis à Basim et Samu de retrouver un réel sourire face à ce vieux bâtiment de Madina.
Ayant les larmes qui leurs sont déjà montées aux yeux depuis longtemps, le sol a leurs pieds est déjà humidifié par leurs pleurs de joie.
Étant maintenant dans une zone sans bâtiment et sans le bûcher cachant le ciel par sa lumière, ils sont éclairés par l'apaisante lumière des quatre lunes de Sorina.
Ce quatuor de satellites a reçu un surnom bien précis de la part des deux frères, du loup et du scorpion « les Quatre Frères ».
Elles n'ont pas de nom officiel, les Soriniens prêtent très peu d'importance à l'astrologie.
Parfois, les quatre orphelins passaient des nuits entières à les admirer, rêvant de ce qui pouvait se cacher au-delà de ces splendides astres.
C'est donc avec le cœur empli de nostalgie qu'ils les contemplent à nouveau en cette triste soirée.
« Ne vous en faites pas. On vous retrouvera, c'est promis. Wolfetsu, Scorn, soyez juste un peu patient, nous arrivons. »
Se promettent ils, tel un mantra.
Soudainement, sans aucune raison, un étrange sentiment qu'ils n'avaient jamais ressenti avant leur hérisse les poils.
Une sorte d'instinct qui les forcerait à veiller dans toutes les directions, ils se sentent observés mais ils sont incapables de dire quoi.
Dans la plus grande des incompréhensions, ils se mettent dos à dos, l'un couvrant les arrières de l'autre.
Guidé par un instinct primaire, Samu dégaine son épée en premier.
« Tu sens ça, toi aussi ? »
Ils n'ont pas à le commander pour que leurs Plasmas les immolent, lui aussi a l'air d'avoir sa volonté de les protéger.
« Ouais. Ça m'est inconnu, mais j'ai l'impression que ça n'est pas la première fois... »
Basim lève la tête, examinant ce qui pourrait éventuellement venir d'en haut.
Horrifié, il s'aperçoit que les quatre lunes perdent tout l'éclat qu'elles émettaient encore harmonieusement il y a quelques secondes.
C'est une sorte d'ombre brumeuse qui se met en recouvrir les astres qui finissent par totalement disparaître, plongeant les jumeaux dans les ténèbres.
Tout a disparu autour d'eux, plus rien n'est distinguable ou entendu.
Seule leur respiration fortement saccadée peut les faire comprendre qu'ils ont encore l'usage de leurs sens.
« Tu es encore là ? »
« Oui, je suis là. Ne t'en fais pas. »
Terrorisés à l'idée de se perdre l'autre ou de disparaître, ils se tiennent par la main renforcée de Plasma.
Pesant, le néant qui les entoure laisse peu à peu quelques sons venant d'une distance imperceptible : les échos de lourds bruits de pas.
Dirigeant leur attention dans cette direction précise, ils les voient s'approcher, et se voient tétanisés comme à chaque fois.
Ce qu'ils aperçoivent en premier sont quatre petites sources de lumière dessinant deux épaisses ombres grotesquement abstraites.
Chacune de ces deux masses obscures possède de grands yeux aussi brillants que les lunes cachées, ils sont verts et bleus.
« Putain de merde... »
Soufflent les deux frères.
« Et bien, et bien... Vous n'êtes pas ravis de nous revoir ? Après tout ce temps... »
Fait l'ombre bleue.
S'approchant de Basim et Samu, les apparitions prônent fièrement leurs splendides mirettes tandis que celle ayant les siens d'un splendide vert émeraude parle à son tour :
« Ça fait longtemps. Plus de dix ans si je ne m'abuse... »
« Onze. »
Le corrige Samu, en proie à une paralysante frayeur due à la simple présence de son interlocuteur.
« Onze ? »
Continue l'ombre aux yeux verts, visiblement surpris.
« Onze ans sans nous voir. Onze ans sans penser à nous ? Onze ans sans RÊVER de nous ?! »
Sous la pression émise par ces personnifications des ténèbres, Basim craque et répond :
« Wolfetsu et Scorn nous donnaient déjà des conseils pour arrêter de vous voir ! Après leur départ, on n'a fait que de continuer à suivre leurs conseils... »
Les spectres tournent autour d'eux tel des vautours de la façon la plus menaçante possible.
Dans un mouvement indescriptible, les yeux bleus pose une question venimeuse :
« Ça vous a réussi, visiblement. Alors comment expliquez-vous que nous sommes là, aujourd'hui ? Maintenant que vous êtes de grands et puissants adultes ? »
Ça a l'effet d'un électrochoc, aucun des deux jeunes hommes ne peut y répondre, coincés entre l'incompréhension et la lucidité.
Les yeux verts en rajoute sur un ton mesquin :
« Fut un temps, nous n'étions rien d'autre que des images représentant une peur infantile et primaire. Maintenant, nous sommes bien plus que ça. Nous sommes vos doutes, nous sommes votre déni. »
Ça a l'effet de les faire réagir, au moins pour que leurs yeux s'ouvrent davantage et leurs langues se dénouent.
« Quoi ? Le doute de quoi ? Quel déni ? »
Dit Basim, réussissant, lui aussi, à faire parler l'ombre aux yeux de saphir.
« Tu oses poser cette question après tout ce que tu as dit à ton frère pour qu'il continue de se méfier des Soriniens et en particulier ceux avec que vous côtoyez depuis deux jours ? »
Voyant le garçon se figer, elle décide de continuer plus profondément.
« Vous doutez de ce que va arriver après tout ce bazar. Même si vous avez rencontré ce fameux Skaletalus Catalinen, vous ne savez rien de lui, de ses conditions de vie, ou même de si il n'est pas tout simplement endoctriné. Peut-être que Nyslam avait raison, on en sait rien. »
« Non ! Ce sont des meurtriers ! Ils n'ont donc pas raison ! Et Eddra et Chanzi semblent réellement ressentir de vrais sentiments envers Skale ! Ce n'est pas du faux ! »
Objecte Samu sans perturber l'ombre ne serait-ce qu'un peu.
« Pour un animal de compagnie aussi, on peut ressentir de vrais sentiments. Et être un tueur ne fait pas de vous un ignare sur notre société. Qu'est-ce qui vous dit qu'ils ne vous ont pris que pour votre Plasma pour les aider à sauver les miches de ce peuple qui vous renie ? Qu'est-ce qui vous dit qu'une fois cette guéguerre terminée, ils ne vous jetteront pas dehors ? »
À nouveau, elle se met à braquer Basim de la plus vile des méthodes en l'empoisonnant de ses mots :
« Et toi, ose me dire que je ne dis pas tout haut ce que tu pense tout bas et que tu as déjà dit ça à ton propre frère pas plus tard qu'hier matin ! »
Dans leur esprit, cette fameuse conversation qu'ils ont eu, concernant leur nouvelle devise et le fait qu'ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes.
Cependant, ils ont un argument contre tout ça, un nom bien précis.
« Awal ! »
Commence Samu en osant s'approcher de ces figures obscures.
« Il était au courant pour nous ! Pourtant, il nous a toujours traités comme ses amis, et il s'est sacrifié pour nous ! Ça, vous trouvez que ça n'est pas de la sincérité ?! »
Basim n'a pas daigné dire un mot à ce sujet, laissant la silhouette aux yeux d'émeraude lui répondre :
« T'es tellement naïf, mon pauvre. Un seul Sorinien vous a traité comme son semblable sur des milliers. C'est vrai que ça change la donne. Et il est mort maintenant. Pour ce qui est de vos autres compagnons, ce sont visiblement des provinciaux qui n'ont jamais vu de sans-patrie de leur vie ! Et regarde Rabano, il est blanc comme un linge, c'est sûr qu'il doit croire que vous avez le même problème que lui ! Et si il a défendu Skale, c'est uniquement grâce à la situation, il l'a juste défendu qu'il ne faisait pas partie des rangs de Sarkonge, c'est tout. »
« LA FERME !!! »
Finit par hurler Samu, donnant un coup avec son épée sur la vilaine silhouette qui n'a aucune réaction au métal qui la traverse.
« Tu ne sais rien de ce que tu dis. Tu ne sais que ce que nous savons nous, alors tais-toi ! »
« Excusez-nous de simplement mettre en parole ce que vous pensez. »
Pour la première fois, cette apparition prend un air de condescendance mêlé à de l'insolence.
En ayant assez, Samu se met à lui tourner le dos et commence à s'éloigner sans réellement savoir dans quelle direction il va car étant encore dans le noir total.
« Si tel est le cas, nous n'avons qu'à en avoir le cœur net ! On n'a qu'à leur poser ces questions et le problème sera réglé ! On aura plus le moindre doute, et vous disparaîtrez ! »
Basim ne le suit pas, ayant déjà anticipé la méprisable réponse de la créature :
« Une marionnette ne peut que parler en faveur de celui qui la manipule, pauvre idiot. Tu crois vraiment qu'ils vont se discréditer juste parce que vous leur demandez ? »
Samu s'arrête, inspirant et expirant à rythme inconstant le temps de profondément réfléchir.
S'approchant de lui, l'ombre bleue le nargue d'une vilaine voix.
« Mais vous voilà à ce statu quo plus qu'inconfortable. Combattre au risque de votre vie pour un peuple qui n'en a que faire de vous contre un autre de maniaques homicidaires qui auraient peut-être pu vous accorder un place parmi eux... D'un côté, vous voulez être accepté mais vous ne pouvez vous abaisser à leurs méthodes, de l'autre, vous n'avez aucune confirmation d'avenir. Et si nous avons raison, on reconnaîtra au moins que Eddra et Chanzi sont d'excellents acteurs, n'est-ce pas. Hehehe. »
Finalement, il se retourne, n'hésitant pas à fixer profondément les choses droit dans leurs yeux éclatants.
« Nyslam a tout de suite vu que nous n'étions pas Soriniens. Donc son peuple sait ce que sont les sans-patrie. »
Basim, stupéfait, retrouve un peu de vivacité en se tournant vers son frère.
« Samu, je te l'ai déjà dit : il est hors de question que... »
« LAISSE-MOI FINIR !!! »
Ça n'était jamais arrivé avant, que Samu prenne l'ascendant sur Basim.
Il faut reconnaître que cette fois, celui qui se retrouve dans l'incapacité de répondre ou de simplement être lucide, c'est bien lui.
Sans quitter son état d'esprit misérable, il réussit à ressentir une grande fierté pour son frère et le laisse continuer.
« Nyslam ne voulait pas écouter Eddra car il l'était. Visiblement, leur haine les empêche d'être ouverts à quelconque conversation. Ils ont déjà envoyé des négociateurs qui ne sont jamais revenus, si ça se trouve, ils les ont tués avant même que les négociations ne commencent ! À voir comment Nyslam était agressif, ça ne m'étonnerait pas ! Pour ce qui est de Skale, il n'était pas négociant, il était espion. Donc évidemment que le courant ne soit pas passé entre eux. Mais pourtant, ils ne lui ont rien fait. Vous ne trouvez pas ça étrange ? »
Il continue de marcher en avant, se reflétant dans les yeux de Basim qui aperçoit des changements dans l'environnement à chaque pas de son frère.
Au fur et à mesure qu'il s'approche des deux ombres, un peu de la lumière lunaire réapparaît, éclairant petit à petit leur milieu.
« Au final, c'est peut-être ça la solution à cette folie qui a déjà fait assez de morts innocentes. Nous ne sommes pas Soriniens et nous connaissons certainement mieux que tout le monde les problèmes de cette société. »
Basim surgit de derrière lui, posant sa main approbatrice sur son épaule tandis qu'il termine :
« Nous allons essayer de leur parler. Nous, par notre nature de sans-patrie qui a toujours été une faiblesse pour nous, va devenir notre plus grande force ! Nous allons essayer de sauver les deux camps en réglant le problème par le dialogue et la diplomatie. Leur montrer que ça n'est pas par le sang et la violence qu'on règle un problème aussi grand soit-il ! Ainsi, Awal et Nyslam seront les dernières victime de ce chaos insensé ! »
Les quatre lunes réapparaissent, dissipant les deux ombres qui disparaissent enfin.
« Hey ! Hey les deux machins ! Jartez de là ! C'est mon coin pour faire la manche ! »
Basim et Samu se réveillent en sursaut, le dos et les cheveux plein de sable.
« Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Demande Basim, surpris de ne plus être dans cette espèce de pièce obscure.
Celui qui les a réveillés, un vieux clodo, pointe le toit du refuge.
« Vous fixiez la lune comme deux ahuris et une tuile vous est tombée dessus. Ce bâtiment tombe vraiment en ruine. »
Il leur faut cette information pour sentir leur douleur à la tête et apercevoir les morceaux de grès éparpillés un peu partout autour d'eux.
« Ah. Je me disais aussi qu'il nous fallait un sacré coup à la tête pour que je sois plus réfléchis que Basim... »
Se dit Samu avant que les deux frères ne se relèvent et filent dans les rues de Madina.
Passant par leur camp d'entraînement, ils n'y entrent pas, ils se contentent d'observer.
Depuis l'intérieur du petit bâtiment, une légère lueur chaude et tamisée de bougie s'échappe, les confortant dans l'idée que Rabano, Zana et Horias y sont déjà rentrés.
C'est mieux, car si ils les rencontraient dans les rues, il y aurait des chances qu'ils veuillent les suivre, chose qui risque de faire échouer leur plan de négociation.
Le moindre Sorinien qui arriverait juste après eux serait obligatoirement vu comme un signe de trahison et toutes les chances qu'ils auraient d'apaiser les esprits seraient voués à l'échec.
Fouillant quelques instants, ils finissent par retrouver deux petites lames de lancer.
« Toujours avoir un surin dans la manche. »
Se disent ils en les cachant dans leurs gantelets d'armure.
Ils sortent du bivouac, traversant toutes les rues de Madina jusqu'à arriver à la grande porte qu'ils n'utilisent que pour la deuxième fois de leur vie pour sortir de la ville.
Au pas de course, ils ont rejoint le lieu de leur affrontement contre Nyslam.
Rien n'a bougé, tous les grains de sable sont toujours au même endroit que la veille.
Ainsi, ils retrouvent un point de repère précis : le trou par lequel ils sont remontés de la nappe phréatique avec tous les autres.
Samu se rappelle bien de leur emplacement à l'apparition du jeune barbare et retrouvent ses empreintes toujours aussi nettes dans le sol.
C'est pratique d'être encore aussi loin de la saison des pluies, car aucun vent violent ne peut faire disparaître ces traces, comme si elles venaient d'être faites.
Tenant le pommeau de leurs épées pour se donner un dernier élan de courage, ils se mettent à suivre les empreintes de Nyslam, sachant qu'elles les mèneront jusqu'à là d'où ils viennent.
Ce qu'ils ne peuvent pas savoir, c'est que les deux petits yeux d'un reptile particulièrement soucieux les observent partir au loin.
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