#10 Il s'en souviendra
C'était il y a quatre jours, il était encore en vie à cette époque pourtant si proche.
Awal se tenait fièrement contre un mur de grès appartenant à une caserne militaire, sachant parfaitement ce qu'il attendait.
Au détour d'une rue, il aperçoit Rabano, Zana et Horias pour la toute première fois.
Tous les trois ont une expression de déterré et ont l'air exténué, désabusé.
Ensuite, ce sont Chanzi et Eddra qui apparaissent.
« Voilà, vous savez tout maintenant. J'espère que vous prendrez la bonne décision. On a besoin de gens comme vous. »
Dit le grand soldat balafré en serrant la main à chacun des trois jeunes gens, Chanzi fit de même.
« On va y réfléchir, vous serez les premiers au courant. »
Conclut Rabano.
Silencieusement, ils sont tous les trois partis et se sont évaporés dans les ruelles sombres.
« D'où ils viennent pour être dans cet état ? »
Se questionna Awal au vu de leur état.
« Jeune homme... »
L'appela sèchement Chanzi, le sortant de ses délibérations.
Dans ses fins vêtements de bourgeois, il parait bien insignifiant face aux armures de cuir qui les revêt.
« Veuillez quitter cet endroit. Les citoyens n'ont pas le droit de rôder aux alentours des bâtiments dédiés à l'armée. »
Maladroitement, Awal s'est incliné face aux deux haut gradés.
« Excusez-moi... C'est juste que... Je... Je... Je voudrais me joindra à... »
Eddra l'interrompit avec une voix forte.
« Je t'arrête tout de suite, gamin. On est en temps de guerre ! Ce ne sont pas de bonnes attentions qui nous sortira de cette situation, et nous n'avons certainement pas le temps de former et entraîner de nouvelles recrues ! »
L'homme au chignon s'approche et posa sa main sévère mais bienveillante sur l'épaule du blondinet.
« T'as une famille. Vu comment t'es fringué, tu ne vas pas me faire croire que t'es un orphelin mendiant. Alors rends-moi un service, gamin. Rentre chez toi et défends ta famille. Car elle, elle a besoin de toi. Nous, on pourra s'en sortir sans toi. »
Insistant, Awal pointa son doigt dans la direction par laquelle Rabano, Zana et Horias ont disparu.
« Mais... Vous avez dit que vous avez besoin de gens comme eux ! »
« Tu n'es pas comme eux. »
Lui coupa Eddra sans défaire sa main de l'épaule du blondinet.
« Eux, ce sont des cas particuliers, tu ne peux pas comprendre. Toi, tu n'es qu'un jeune homme parmi tant d'autres. Ne te lance pas dans ce que tu ne connais pas. Tu n'as pas à culpabiliser ou à t'inquiéter, on s'en sortira tout aussi bien sans toi. »
N'ayant rien à dire, le blondinet baisse la tête, semblant enfin se soumettre aux paroles strictes mais compatissantes des soldats.
Eddra reconnaît que la ténacité d'Awal lui plaît à lui et sa camarade, mais de bonnes ambitions ne font pas tout.
Pour eux, c'était plus qu'évident qu'Awal ne serait d'aucune utilité face à ceux qui les menacent.
À savoir, une armée entière maîtrisant le Plasma.
Un garçon ordinaire et sans expérience comme lui ne pourrait que...
Sans pouvoir expliquer pourquoi, le grand soldat sentit sa main être comme repoussée par l'épaule d'Awal.
Lui et Chanzi l'observèrent d'un œil plus attentif, voyant d'espèces de petites étincelles bleu clair si caractéristiques s'échapper de son corps.
Reculant par instinct, le grand homme se voit être stupéfait de ce qu'il y a devant lui.
« C'est de cette particularité dont vous parliez ? »
Dit-il avec triomphe en levant ses bras induits de son feu personnel avant de l'éteindre tout aussi rapidement qu'il ne l'avait allumé.
Eddra et Chanzi s'échangent un regard, ahuris de ce que vient de faire ce jeune homme.
Restant sans voix un long moment, ils ont fini par demander :
« D'où... D'où maîtrises-tu le Plasma ? »
Prenant un air songeur et matérialisant une flamme dans sa main droite, Awal répond simplement :
« Je ne saurais pas vous dire. C'est comme ça. Je le maîtrise depuis le jour de mes neuf ans, et je me suis toujours rendu compte des prouesses physiques que j'accomplis depuis ce jour... Alors, s'il vous plaît ! Laissez-moi vous rejoindre ! »
Ce gamin a su se montrer assez persuasif, et sa maîtrise du Plasma est justement ce que recherchaient Eddra et Chanzi.
« Il peut utiliser le Plasma depuis ses neuf ans ? Sans aucun entraînement au préalable ? Son potentiel doit être immense... »
Se dirent ils, presque intimidés par ce que leur décrit Awal.
Finalement, Eddra s'est mis en marche vers le blondinet en induisant son corps d'une fine couche de flammes couleur bronze.
« Si c'est ce que tu souhaites, nous acceptons de t'inclure dans les rangs de notre nouveau bataillon d'élite maîtrisant le Plasma. L'entraînement commence dans deux jours, c'est compris ? »
Il a tendu sa main qui se fit instantanément saisir par celle d'Awal pour débuter une poignée de main enflammée.
« J'ai compris ! Je suis avec vous ! »
Un large sourire de satisfaction s'était manifesté sur son visage, insouciant de son triste destin.
Quatre jours plus tard, au temps présent, Awal n'est plus qu'un cadavre sans crâne dans son linceul de cuir brûlant au soleil.
Son meurtrier, Nyslam, n'est que quelques mètres plus loin et un chouia plus haut.
Celui-ci est face à Eddra et Chanzi qui sont horrifiés par la situation.
« Qu'est-ce que tu as fait à nos élèves...? »
Commence la jeune femme pendant que des flammes de son vert jaunâtre si particulier.
Le jeune barbare se contente de la regarder de travers.
« QU'EST-CE QUE TU AS FAIT ?!!! »
Insiste-t-elle en brûlant comme du gaz en fusion.
Devant elle, celui aux plaques de métal dans le front tend sa chaîne devant lui en signe de provocation.
« J'ai fait ce que je devais faire. Des Soriniens comme vous méritent juste de crever la gueule grande ouverte ! Et après vous avoir massacré à votre tour, je me ferais une joie de tuer tous les habitants de votre belle ville corrompue, Madina ! »
Chanzi sent une sincère rage monter en elle, son œil droit commence à pleurer abondamment.
Eddra ne peut s'empêcher de garder ses yeux braqués sur le fléau dégoulinant de sang tenu par Nyslam.
À l'intérieur de lui, une boule de tristesse se forme à la vue de ce garçon si jeune et pourtant déjà plongé dans une horrible déchéance.
« Comment as-tu pu tomber si bas...? »
Sanglote-t-il à voix basse, refusant de croire en ce qui se profile devant ses yeux ébahis.
Empreint d'une volonté de ne pas faire de mal au petit barbare, il lâche son glaive, une longue arme ressemblant à une lance dont la lame fait la moitié de la taille de la hampe.
L'arme lourde se couche sur le sol de grains dorés, et elle ne finit pas seule.
Chanzi a, elle aussi, lâchée son glaive identique à celui d'Eddra et s'est approchée de l'oreille de ce dernier pour lui dire d'un ton monotone :
« Je m'occupe de lui, ne t'en fais pas pour moi, je ne risque rien. »
« Je ne m'en fais pas. Vas-y, mais ne le blesse pas, ce n'est qu'un gamin. Il ne devrait pas être là. »
Ayant acquiescé d'un simple hochement de tête, la jeune femme induit son corps de son Plasma et s'avance de quelques pas vers Nyslam qui n'en montre que du ravissement.
« Toute seule ? Sans arme ? Contre moi ? Ahah ! Vous avez mangé trop de sable, les gars ! »
Son feu d'un noir intense est tout aussi puissant qu'au début de tous ses combats contre Skale, Awal et les autres, le combat risque d'être tout autant sanglant voire plus.
« Tu vas crever la gueule ouverte, sombre merde Soriniene ! »
Savourant une victoire qu'il n'a pas encore gagnée, il envoie joyeusement son arme sur Chanzi, avec le double de la puissance qu'il a utilisé pour tuer Awal.
À la seule exception que là, c'est lui qui se prend un coup.
Il n'a rien vu venir, en un battement de cil, la jeune femme est arrivée pile à côté de lui et lui a frappé la base de la gorge avec le tranchant de la main.
Avec la force cumulée de dix iamhtary dans son trapèze gauche, ce simple coup l'étale au sol comme si il avait été pris sous une masse de plusieurs tonnes.
Sa main lâche toute seule son fléau d'armes, le Plasma qui le recouvre n'y change rien.
« Que... Quoi... Qu'est-ce qu'elle vient de faire ? »
N'ayant rien ressenti de cette calme attaque cataclysmique, il ne comprend pas ce qu'il vient de lui arriver.
Se relevant le plus vite qu'il le peut dans son brasier noir, il se prend aussitôt un nouveau coup à l'arrière de son crâne.
Chanzi a parfaitement bien jaugé la force dont elle a besoin pour assommer ce jeune homme dégingandé.
La douleur n'était pas un facteur obligatoire, Nyslam s'écroule à nouveau au sol, parfaitement inconscient.
« On me la fait pas à moi, tu n'aurais pas pu prendre la ville à toi tout seul, t'es bien trop faible. »
Dit elle dans la plus grande des indifférences.
Quelques minutes s'écoulent.
Zana et Horias ont froid, ayant seulement la présence de l'autre comme seule source de chaleur réconfortante.
« Zana ! Horias ! »
Entendent-elles, blotties l'une contre l'autre dans un espace vide ou aucune lumière ne peut les atteindre.
Horias commença à trembler d'effroi, Zana la tient de plus en plus fermement dans ses bras pour essayer de la rassurer.
De l'eau se met à venir du sol, montant progressivement et atteignant leurs poitrines.
Sans diminuer le volume de l'eau, un rai de lumière se forme et devient de plus épais à l'image d'une double porte qui s'ouvrirait pour dévoiler une pièce faiblement éclairée de quelques vielles bougies.
Deux vieilles mains calleuses surgissent de cette ouverture et les saisissent horriblement au cou en les étranglant.
« Zana. Horias. »
Elles se réveillent avec des larmes aux yeux, transpirant horriblement, elles semblent tout juste sortir de l'horreur.
« Holà, holà... On se calme... »
Les grandes mains dures mais chaudes d'Eddra saisissent celles des deux sœurs et réussi ainsi à les réconforter.
« Tout va bien, vous n'avez plus rien à craindre... »
Ses mots prononcés très bas ont un effet calmant, permettant à Zana de retrouver ses esprits en première.
« Horias... »
C'est la première chose qu'elle dit avant de saisir sa jumelle par les épaules et de l'inspecter minutieusement.
« Tu n'es pas blessée j'espère ! Dis-moi que tu n'as rien ! »
Celle au Plasma rouge reconnaît bien là sa sœur, lui adressant un fin sourire avec les yeux fermés.
« Oui, ne t'en fais pas... »
Sentant les larmes couler, Zana ne peut s'empêcher d'étreindre sa sœur, qui peut ainsi bien voir ce qu'il y a derrière elle.
« Et Rabano ? Il va bien ? »
Touché par cette délicate attention, le grand soldat tourne ses yeux pour diriger le regard de la jeune fille.
Elle aperçoit Rabano, assis en tailleur sur le sol avec le regard dirigé vers ce dernier en ayant l'air de pleurer.
Ne comprenant pas ce qui met le grand pâle dans cet état, en tournant la tête, elle aperçoit un quelque chose caché sous un drap blanc.
Au sommet de cette forme de taille humaine, l'objet devient rouge écarlate tout en retombant au sol.
« Qu'est-ce que c'est ? »
Demande-t-elle en pointant de son doigt l'intrigante forme cachée par le tissu.
En seule réponse, Eddra baisse lui aussi la tête en disant.
« On avait rien d'autre que ce drap pour lui... »
« Pour qui ? »
Insiste Horias.
Elle attend une raiponce, mais elle n'en reçoit aucune de son entraîneur.
« Regarde... »
Lui dit soudainement Zana en pointant derrière elle.
Là, elles ont Basim et Samu en visuel, assis en face de Chanzi qui leur retire le plus de sang possible avec un mouchoir.
Aucun des deux frères n'a de réaction, ils attendent juste de ne plus avoir ce liquide visqueux en état de séchage sur leurs visages.
Ayant des yeux intégralement vides, il est évident que ce qu'ils ont vu les a profondément choqué.
Zana et Horias s'échangent un regard inquiet, se décidant à se diriger vers ce drap blanc et rouge.
En se rapprochant, elles distinguent de mieux en mieux les formes humaines qui s'y trouvent, cachées.
Il y a juste un problème : il manque les formes du visage de ce qui s'y trouve enfouis.
Celle au Plasma jaune s'avance, saisir le bout rougit du linceul et le soulève avec une main tremblante.
Une odeur atroce lui monte au nez et la prend à la gorge à l'instant où le drap est levé.
Des filets de sang presque sec le retiennent en provenant de la mâchoire déboîtée de ce qui était autrefois Awal Man Yamut.
Tout ce qu'il y a au-dessus de sa mandibule a disparu, laissant que sa mâchoire, ses dents du bas mises à vif et sa langue sèche.
Les quelques cheveux blonds restant sur le bas de ses rouflaquettes confirment son identité aux deux sœurs qui lâchent immédiatement ce suaire collant.
Après un cri d'horreur, Zana se tient le ventre et finit par vomir tout le contenu de son estomac.
Rabano s'est levé, et sans un mot, il a laissé Horias l'enlacer.
La tenant au niveau de la taille, il fixe le corps à nouveau caché dans son suaire.
Témoin de cette scène, Nyslam a depuis longtemps recouvré ses esprits.
Saucissonné des pieds à la tête avec la chaîne de sa propre arme, il ne peut pas faire le moindre mouvement et son Plasma ne l'aidera pas si il ne peut pas bouger.
À partir de maintenant, il ne peut qu'observer ce qu'il reste de ce petit groupe se rassembler.
Voyant les trois Soriniens se réconforter les uns les autres de la mort d'Awal, il lui vient une méchante impression de déjà vu.
Par contre, il se refuse de ressentir le moindre sentiment, allant jusqu'à détourner le regard.
« Non... Ils ne peuvent pas... Ils ne savent pas ce qu'est la souffrance... Non, ils ne le savent pas... »
Plongé dans ses griefs, il se rend compte de la présence de Rabano qu'en entendant sa voix amplifiée par la rage.
« T'AS CE QUE TU MÉRITES ESPÈCE DE SALE ENFOIRÉ !!! »
En tournant la tête en direction du son, il voit le grand pâle le frapper à grands coups de pied dans l'abdomen.
Normalement, même avec son armure, de tels chocs à cet endroit devaient le faire vomir de douleur.
À la place, il se contente d'observer les atteintes faites à son corps avec des yeux d'une totale indifférence mélangée avec un peu de peine pour ce gaillard qui s'acharne pour rien.
Surgissant de nulle part, Zana l'attrape par l'arrière et l'éloigne de Nyslam.
« Arrête espèce de cinglé ! Il est déjà à terre ! »
Surpris de cette intervention, celui aux plaques frontales prend la peine d'écouter ce qu'ils se disent.
« Arrêter ?! Ce salaud à tué tous ceux que j'aimais et tu voudrais que je nie ses crimes ?! »
« Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit, Rabano ! Je dis juste qu'il est déjà vaincu, tu as déjà eu ta revanche. Regarde-le, il est déjà à terre et hors d'état de nuire à qui que ce soit, maintenant ! Alors trouve-toi un meilleur moyen de décompresser, espèce de brute ! »
Ses mots portent ses fruits.
Après un dernier regard sur le barbare attaché, le jeune homme cerné aux yeux encore plus noircis par la haine finit par laisser tomber.
« Très bien. Lâche-moi, maintenant... »
Libérant Rabano qui va immédiatement rejoindre Horias, Zana reste un moment face à Nyslam.
Après quelques secondes de blanc, la jeune fille prend la parole.
« Tu pourrais au moins me remercier ? »
À ça, tout ce que Nyslam fait, c'est de lui rire au nez et de reprendre ses paroles cinglantes.
« Je crois que t'as raté une information, mais comment t'en vouloir ? Après tout, je t'avais défoncé avant que tout le monde ne s'en rende compte. Je ne ressens pas la douleur, ni la faim, ni la soif, ni la fatigue même si il m'arrive encore de dormir de temps en temps... Donc je ne te remercierai de rien car tu ne m'as soulagé de rien du tout. Après tout, t'es une Soriniene, et les gens comme toi ne peuvent rien soulager. Ils ne font que prendre et utiliser de belles paroles pour faire passer leurs actes égoïstes pour légitimes ! Moi, ma famille et mes amis, nous comptons soulager un monde entier en vous rayant de la carte ! »
Contrairement à ce à quoi il s'attendait, Zana ne bronche pas, au contraire, elle se permet de lui parler de haut.
« Fut un temps, je pensais comme toi. Mais un jour, il faut grandir et comprendre que rien n'est ni tout blanc ni tout noir. Il suffit juste de bien regarder les nuances de l'un et de l'autre. »
Il s'en souviendra.
N'en ayant pas plus à dire, Zana abandonne Nyslam à son tour.
Le garçon n'y montre que de l'indifférence et tourne ses yeux pour regarder les autres membres de ce groupe qui a réussi à le vaincre.
Skale lui est enfin visible, se tenant bien droit face à la carcasse cachée d'Awal, donnant l'impression qu'il se recueille si ce n'est pas ce qu'il fait sincèrement.
« Tu as été un bon combattant, Awal Man Yamut... C'est avec mon respect que tu quittes ce plan de la réalité pour un nouveau plus spirituel. »
Utilisant les griffes qu'il a au bout des doigts, il soulève le drap et remet la tête mutilée du blondinet à l'air libre.
Tout en restant face à lui, il entoure le corps avec sa queue, croise les bras et sort ses crochets avec lesquels il fait jaillir tout son venin jusqu'à la dernière goutte.
Brûlant les plaies ouvertes, ce liquide corrosif stoppe tout saignement du corps et lui donne un aspect plus propre et moins détruit.
Suite à quoi, avec sa voix sifflante, il murmure :
« Mogase unra gyan... Rnikanmem atku'um berimumem rahatisti n'da maïankeda adiab. »
Cela ressemblait à une prière dans une langue que Nyslam ne peut pas connaître.
« Offrir une cérémonie funéraire et une prière à l'un des membres de l'espèce qui l'a brutalisé ?! Serpent-Mal-Embouché est tombé bien bas... »
L'ayant aussi vu faire, les trois Soriniens retrouvent le crotale argenté.
« Hey... »
Commence Rabano avec une voix la plus paisible et pacifique possible.
Néanmoins, il a effroyablement surpris Skale qui se retourne si vite qu'il a été à un cheveu de griffer le grand pâle en plein visage.
« Oh, pardon... Je... J'ai tendance à être un peu nerveux... »
S'excuse il face Rabano qui a reculé sa tête par instinct.
« Aucun souci, ne t'en fait pas... »
À se demander comment Eddra a eu ses cicatrises, en fin de compte...
Retrouvant leur calme, le grand garçon cerné, Horias et Zana s'agenouillent face au serpent qui se tient droit comme un homme.
Ils parlent tous les trois en cœur.
« Nous tenons à nous excuser pour l'accueil que nous vous avons fait. On a succombé à la peur et nous vous avons menacé sans la moindre bonne raison. Pardon, Skaletalus Catalinen... »
« ILS S'EXCUSENT FACE À UN SANS-PATRIE ?!!! C'EST QUOI CE DÉLIRE ?!!! C'EST PAS DES SORINIENS, ÇA !!! »
Touché, Skale lève ses paupières inférieures et baisse la tête pour donner l'impression qu'il forme un sourire.
« Ne t'en fais pas pour ça, j'ai l'habitude. C'est vous qui, au contraire, ne l'avez pas. Donc je ne peux pas vous en vouloir. Et oubliez Skaletalus, appelez-moi simplement Skale, d'accord ? »
À la manière d'Eddra, il pose sa main griffue à trois doigts sur les épaules de chacun des trois Soriniens.
« Ça fait du bien de se recueillir devant les morts. C'est toujours une bonne façon de leur dire au revoir sans avoir l'air obséquieux. Allez, ne vous faites pas de bile, je vous laisse tranquille. »
Commençant à s'en aller, il peut les entendre sangloter tout en restant sur place dans leur position de soumission.
En relevant enfin la tête, ils appréhendent la vue du corps d'Awal, quel est leur surprise en voyant Skale de retour face à eux.
Rabano surtout, qui voit son deuxième couteau de combat tenu par le serpent argenté.
« Je crois que je dois te le rendre. Honnêtement, je crois que si tu ne l'avais pas perdu, je serais mort. Donc sache qu'à partir de maintenant, j'ai une dette envers toi. »
Reprenant fébrilement son arme par le manche, le cerné ne peut pas placer un seul mot avant que Skale ne parte pour de bon.
Tenant son arme contre lui, Rabano laisse les larmes monter et tomber sur le sol de sable.
« Ah ! Je le savais ! Ce serpent est complètement soumis aux Soriniens ! Ils lui ont lavé le cerveau et l'ont rendu docile comme un daba ! Je le savais ! Et l'autre ne s'est agenouillé que pour récupérer son arme ! Un acte obséquieux qui en dit bien sûr lui et son espèce ! On ne me la fais pas à moi, tout ce qu'ils font n'est que mensonge ! Ils profitent que je suis là et que je ne peux plus rien faire pour me donner une bonne impression, mais ça ne marchera pas ! Vous n'êtes tous que des vermines insensibles, menteuses et hypocrites ! »
« Et voilà... »
Fait Chanzi en rangeant son morceau de tissu devenu rouge bordeau tellement le sang séché s'y est accumulé.
Devant elle, Basim et Samu n'ont aucune réaction au travail accompli de la jeune femme.
Voyant tous les sentiments négatifs dans les deux de ceux-ci, elle se contente de leur donner une simple tape sur l'épaule et de les laisser tranquilles.
Sans que Nyslam ne le sache, ils se mettent à l'observer intensément.
Dans leur tête, ils revoient encore et encore la mort d'Awal sans qu'ils ne puissent faire disparaître cette vision de ce visage se faisant écraser par le boulet d'un fléau d'armes.
Un acte de pur sang-froid, fait sans hésitation.
Même dans les ruelles les plus malfamées de Madina, ils n'ont jamais vu une scène comparable.
Basim tourne légèrement ses yeux pour voir son frère jumeau qui ne se concentre que sur le jeune barbare.
Si de telles personnes prêtes à tuer si facilement existent, où pourraient-ils être en sécurité sur ce monde de fou ?
En-tout-cas, il ne laissera pas Nyslam vivre sur le même monde que Samu tant qu'il vivra, il en fait le serment.
De son côté, Chanzi a marché sur quelques mètres avant de se stopper net en se retrouvant face à Skale.
Eddra se trouve aussi à peu près à son niveau et aucun d'entre eux n'ose bouger pendant un moment.
Tous les deux sont visiblement en train de contenir une multitude d'émotions fortes qui les envahissent rapidement à la vue du serpent argenté.
Ce fameux crotale laisse échapper un soupir de soulagement en mimant un sourire du mieux qu'il peut à la vue de ses deux amis de longue date.
L'homme balafré réussi à rester stoïque sans pour autant s'empêcher de toucher la cicatrice sur le bas de sa mâchoire du bout des doigts.
N'arrivant pas à faire les mêmes prouesses qu'Eddra, Chanzi a beau essayer, tout ce qu'elle arrive à faire est de trembler en accélérant le rythme d'écoulement de ses larmes.
Cette fois, c'est un rire nerveux que fait Skale.
« Vous n'avez vraiment pas changé. Vous m'avez tellement manqué tous les deux... »
Les yeux brillants d'une joie immensurable qui brûle en lui, il écarte chaleureusement ses deux bras.
Chanzi craque, éclatant en sanglots en se ruant vers le serpent avec impatience.
Enlaçant ce dernier, elle ne pourrait pas mieux ressentir sa réconfortante présence qu'en l'ayant dans ses bras.
« T'AS PAS INTÉRÊT À NOUS REFAIRE UN COUP PAREIL !!! Tu entends...? »
Rien ne fait plus chaud au cœur de ce reptile à sang froid que les montées émotives de la jeune femme.
« Je te le promets ! »
Lui répond-il en refermant son doucement son étreinte sur l'armure de cuir et d'acier de celle qui le serre dix fois plus fort que lui ne la serre.
Eddra surgit depuis sa gauche de Skale, enroulant son bras autour du cou de celui-ci.
« Je suis content de te revoir. Au moins, ça nous fait une bonne nouvelle pour aujourd'hui... »
Jetant un froid sans réellement le vouloir, l'attention du trio est réorientée sur le sujet du trépas du jeune Awal Man Yamut.
N'ayant pas l'envie de constater de l'état du corps à nouveau, l'homme au chignon garde son attention rivée sur Chanzi et le crotale sans hochet.
Tous les deux baissent la tête, surtout la jeune femme qui donne l'impression d'être emplie de regrets.
« Si seulement nous étions arrivés plus tôt, on aurait peut-être... »
Eddra la coupe avec une bonne attention de la réconforter.
« Ne dis pas ça, Chanzi. Si tu n'avais pas détecté Skale et ce petit barbare au préalable, on aurait certainement pas perdu que Awal. Pense au fait que si tous les autres sont encore en vie, c'est grâce à toi et à tes talents de détections. »
« Il est vrai qu'en y repensant, c'est toi qui nous as tous sauvés. »
Ajoute le serpent argenté d'un ton réconfortant pendant que Chanzi se défet de leur enlacement.
« Ouais, voyons le bon côté des choses... Ça aurait pu être pire... »
Relativisant cette citation du mieux qu'ils le peuvent, ce n'est hélas pas ça qui remonte réellement le moral à qui que ce soit.
Basim et Samu n'ont pas bougé d'un pouce, à l'exception de leurs épées qu'ils tiennent fermement.
Rabano, Zana et Horias sont, eux aussi, comme figés dans la position où Skale les a abandonnés.
Réduit à l'état de cadavre, Awal, certes protégé par son linceul, commence à attirer des insectes venant se repaitre du sang noircissant qui le recouvre.
Et le dernier dont il faut compter la présence n'est nul autre que Nyslam qui a, au cours du temps, retrouvé un sourire impossible à ignorer.
« ALLEZ, TOUT LE MONDE !!! ON PART D'ICI !!! »
Ordonne Eddra, sortant immédiatement tous ses élèves de leurs pensées.
« Est-ce que quelqu'un se porte volontaire pour... Euh... »
Pas le temps pour lui de donner un deuxième ordre que Zana et Horias se ruent sur ce qu'il reste d'Awal.
La première saisit le corps par les épaules, la seconde le prend par les pieds.
Contrairement aux autres, elles ont l'habitude de voir des cadavres, chose dont elles ne sont pas fier et préfèrent ne pas crier sous les toits.
Et cette fois, c'est quelqu'un qu'elles connaissent e dont elles s'étaient un peu attachées.
« Il avait de la famille, je crois. Vous savez où il habitait ? »
Demande celle au Plasma rouge à Eddra qui soupire en se retournant.
« Oui. Je vous mènerais jusqu'à sa maison. Ses parents et sa petite sœur méritent de savoir, on n'a pas à leur cacher ou leur à mentir. »
Ce dit, il s'éloigne du groupe.
Nyslam, observant tout ce qu'il se passe depuis le début, voit sa vision obstruée par une large jambe couverte d'une armure de cuir.
« Peux-tu te lever ? »
Lui demande une grosse voix venant de bien au-dessus de cette jambe.
Celui aux plaques frontales détourne le regard, évitant au maximum de rencontrer celui de l'homme qui se tient bien droit face à lui.
Ne voulant pas perdre de temps à aller par quatre-chemins, Eddra attrape Nyslam par les cheveux avec suffisamment de force pour le redresser sur ses genoux à moitié enfoncés dans le sable.
L'action du balafré fut brutale, n'importe qui aurait crié de douleur après ça, sauf le jeune barbare ne fait que le fixer sans aucune réaction visible.
« C'est donc vrai que vous ne ressentez plus rien. C'est intéressant. »
Il lâche la tête du garçon qui reste docilement droit.
Eddra s'accroupît, se mettant à la hauteur de son auditeur tout en paraissant nettement moins intimidant.
Restant aussi impassible qu'il le peut, Nyslam ne réagit pas quand le balafré pose délicatement sa main sur son épaule protégée par la spalière épineuse.
Ayant réussi à créer un minimum de lien entre lui et le jeune garçon, Eddra commence à parler d'une voix étonnamment très calme et posée.
« Nyslam, comment as-tu pu tomber aussi bas ? »
Sa première phrase ne fait pas réagir le garçon aux épines rouges, il a d'ailleurs pu apprendre son nom à n'importe quel moment de ses élèves.
C'est la deuxième parole du grand homme qui le fait réagir :
« Dis-moi, comment vont tes terreurs nocturnes ? »
Immobilisé dans la chaîne, il aurait plus que bondit de surprise si il pouvait bouger.
Toutes ses émotions se réunissent, se mélangent pour finalement n'en faire plus qu'une que Nyslam ne peut pas exprimer.
« Comment... Comment il sait ça ?! »
Toute sa vie, il a été terrorisé chaque nuit.
Bébé, il ne dormait que très mal, obligeant son père de veiller auprès de lui tous les soirs quitte à être épuisé pendant la journée qui s'ensuivait.
À part lui et ses oncles, personne n'est au courant de ses cauchemars chroniques.
Quelle honte c'est pour lui de toujours avoir peur avant de dormir à son âge, d'appartenir à un groupe de grands guerriers avec un tel défaut.
À part le soir où Skale s'est échappé, Nyslam n'a dormi que douze fois pendant les quatre derniers mois, et elles furent cependant les pires de toutes.
À chaque fois, c'est la même vision d'horreur dont il est témoin dans l'obscurité de sa torpeur.
Il se voit tomber dans un vide obscur, n'ayant rien pour se rattraper, personne pour lui tendre la main.
Dans ce néant, une chose l'attend : une immense main de squelette s'ouvre impatiemment, voulant qu'il la rejoigne.
Quand sa chute se finit, il a beau crier, aucun son ne sort de sa bouche et la main décharnée se referme lentement sur lui telles les serres d'un rapace affamé.
Puis, plus rien, seule la solitude dans l'inanité.
Haletant ardemment face à Eddra, c'est à peine si Nyslam arrive à aligner deux mots.
« Comment... Je... Je ne l'ai jamais dit... Comment tu peux savoir...? »
Le grand homme inspire profondément, voulant créer un climat un minimum calme entre lui et celui qui a tué son élève.
« Car je te connais, Nyslam. Tu étais trop jeune pour t'en rappeler, mais j'ai connu ton père. »
Celui au Plasma noir ne dit rien, il ne fait que respirer encore plus fortement, refusant de croire ce que lui dit son orateur.
« Mon garçon, tu n'es pas obligé de faire ça. Je sais qu'au fond de toi, tu ne veux pas faire ça. »
« Si, je le veux ! »
« Tu ne sais pas ce que c'est de vouloir quelque chose. Car tout ce que tu fais, c'est ce que les autres veulent ! »
« Qu'est-ce que tu insinues ?! »
« On t'a tellement rabâché que tuer tout le monde était la juste chose à faire que tu as perdu tout sens du discernement ! »
« Tais-toi ! C'est mon père qui m'a tout dit ! C'est lui qui m'a appris ce que vous êtes ! Et ce que vous nous avez fait ! Vous méritez de disparaître ! »
Eddra ne flanche pas, restant tout aussi calme mais aussi inflexible et terre-à-terre.
« Je sais, Nyslam. Je sais que mon peuple a commis des choses horribles. Je sais que, toi aussi, tu as sûrement des raisons personnelles de nous en vouloir. Mais ce n'est pas une excuse pour semer la mort et la ruine ! »
« Pour vous faire souffrir ! Voilà pourquoi on le fait ! »
« Mais pourquoi vous voulez nous faire souffrir ? »
« Parce que... Parce que... »
« Parce que vous voulez juste que nous souffrions autant que vous. Mais vous vous vengez en faisant du mal à plus faible que vous ! Des gens qui n'ont rien demandé et qui n'y sont pour rien ! La vengeance est la pire des voies ! »
Il s'en souviendra.
« Si ! Tous auraient pu faire quelque chose ! Eux aussi, ce sont des pourritures ! »
« Justement ! En faisant ça, vous vous comportez encore plus mal qu'eux ! C'est vous qui passez pour les mauvais dans l'histoire ! Vous êtes trop aveuglés par votre haine pour voir que vous êtes en train de vous enfoncer dans l'erreur ! »
« NON, C'EST PAS VRAI !!! TAIS-TOI !!! »
Noircissant ses yeux en laissant monter des larmes de déni, Nyslam déchaîne son splendide feu noir qui recouvre Eddra.
Une forte onde se dégage du garçon aux plaques frontales, personne ne peut s'en approcher.
Tout ce qu'ils peuvent faire, c'est se protéger les yeux des projections de sable.
À l'épicentre de ce chaos, le balafré tien le coup, ne fléchissant pas un instant dans sa position accroupie.
Face à lui, une rage indomptable a pris possession de Nyslam.
« TU VEUX ME TOURNER CONTRE MON PÈRE, C'EST ÇA ?!!! ET TU CROIS M'AVOIR AVEC TES HISTOIRES À DOMIR DEBOUT ?!!! »
Malgré tout, il fait de son mieux pour garder contact avec lui, restant le plus inoffensif possible pour peut-être le calmer.
« Je ne veux te retourner contre personne ! Je veux juste que tu utilises ta conscience ! Je sais qu'au fond de toi, tu t'en veux pour ce que tu as fait ! »
Ne voulant pas écouter, celui à la mèche en corne secoue la tête en grimassent d'effort tout en essayant de se libérer.
Nyslam ne veut pas continuer à entendre Eddra, tous ces mots qui lui sont adressés lui font mal sans qu'il ne puisse comprendre pourquoi.
Accumulant toutes ses forces croissantes au profit de sa tentative d'évasion, ses biceps se déchirent et se broient sous la chaîne qu'il essaye de faire sauter.
Eddra s'aperçoit de cette boucherie, horrifié.
Faisant de son mieux dans l'espoir de calmer Nyslam, il essaye de prendre un ton plus bas.
« Nyslam, je comprends que tu aimes ton père et tu refuses de le décevoir, mais tu dois comprendre que, lui aussi, il est dans l'erreur. Au lieu d'éteindre le feu quitte à prendre le risque de se brûler, vous ne faites que l'attiser ! »
Commençant à tenir le sans-douleur avec plus de fermeté, l'homme rapproche son visage du sien.
« Mais maintenant, nous avons une chance d'au moins calmer ce feu qui blesse tout le monde. Et cet agent extincteur, c'est toi, Nyslam. Unissons-nous pour un monde meilleur ! »
La pyramide de feu rapetisse, réintégrant le fin corps du petit barbare avant de provoquer une nouvelle onde de choc d'une puissance cataclysmique.
Cette nouvelle émission d'énergie surprend tous les témoins aux pourparlers qui se protégeaient les yeux avant ça.
Le corps d'Awal avec Zana et Horias, Rabano, Skale, tous sont envoyés en arrière en accompagnant les grains de sable au lieu de s'en protéger.
Même Chanzi qui a une puissance dix fois supérieure à celle de Nyslam est projetée en arrière.
Eddra a tenu le coup, faisant encore face à cette furie enragée qui, en plus du métal qui couvre son front, a le visage rougi par toutes ses larmes de colère pure qui viennent de toute la rancœur qu'il se force à ressentir envers son adversaire.
« UN MONDE MEILLEUR ?!!! C'EST DONC ÇA QUE TU AS RÉUSSIS À FOURRER DANS LE CRÂNE DE SERPENT-MAL-EMBOUCHÉ ?!!! TU COMPTES M'UTILISER POUR REPRODUIRE CE QUE VOUS AVEZ DÉJÀ FAIT AUX MIENS ?!!! TES MENSONGES NE PRENDRONT PAS, SALE MONSTRE !!! »
Une nuée de maillons métalliques et de sang étonnement froid fuse sur Eddra qui se retrouve avec une nouvelle entaille sous l'œil droit.
Pris au dépourvu, il perd toute la force qui le maintenant en position accroupie jusque-là.
Sans Plasma, il se fait rapidement dominer par Nyslam qui le force à s'écraser en arrière.
Des mains d'enfant accrochées à des bras meurtris se mettent à lui écraser la gorge, l'étranglant avec une force monstrueuse.
« UN MONDE MEILLEUR NE L'EST PAS TOUJOURS POUR TOUT LE MONDE !!! À LA PREMIÈRE OCCASION, VOUS NOUS REFEREZ VIVRE LES MÊMES HORREURS !!! ALORS NON, ÇA NE PEUT ÊTRE QU'EN AGISSANT SEULS SUR UN MONDE VIDE QUE NOUS POURRONS EN CRÉER UN MEILLEUR !!! »
Recevant du sang en plein visage tout en étant empêché d'inspirer, Eddra réussi néanmoins à dire :
« Mais vous n'êtes pas seuls... Tu dois me croire... Je... Je ne te veux aucun mal... Je sais que la paix est encore possible... Il te suffit de me croire... »
Nyslam veut croire toutes ces belles paroles, mais il ne le peut pas, c'est comme un blocage dans sa tête qui l'empêche d'écouter ou de voir un autre point de vue que le sien.
Les larmes aux yeux, il serre de plus en plus la gorge d'Eddra jusqu'à enfin le faire taire.
Montrant qu'un visage blême cachant extrêmement mal son hésitation, l'escogriffe se saisit d'un de ses maillons brisés qu'il tient comme une bague d'autodéfense.
Les parties létales de sa petite arme de fortune ne sont pas impressionnantes, mais largement suffisantes pour ouvrir la gorge du grand homme à sa merci.
Voyant très bien les yeux dépourvus d'animosité de ce dernier, Nyslam lui accorde une dernière parole :
« Depuis l'au-delà, puisses-tu me voir créer un monde meilleur. »
Contractant son bras, il commence enfin le geste pour en finir avec son adversaire, il ne lui faudra qu'une seconde.
« EDDRA !!! »
S'esclaffent Chanzi et Skale, se remettant tout juste de l'onde de choc provoquée par Nyslam, ils n'ont pas la possibilité de sauver l'homme à temps.
Zana, Horias et Rabano sont dans la même situation, obligés d'assister impuissant à ce qui va bientôt arriver.
Et pour ainsi dire, Eddra aussi ne peut être qu'un spectateur face à deux épées à tranchant unique surgissant de nulle part formant une paire de ciseaux autour de la gorge dépourvue d'armure du jeune escogriffe.
Sur ces lames argentées, du feu orange et du feu rose danse doucement et fait briller le métal qui les compose.
Un dixième de seconde plus tard, sans que la gorge du balafré n'ait été en contact avec le maillon coupé, une épaisse giclée de sang apparaît devant lui.
N'ayant plus qu'une main qui lui écrase le cou, il réussi à faire entendre sa voix à nouveau.
« NYSLAM !!! »
« Pourquoi il crie mon nom ? Qu'est-ce qu'il lui prend ? Et... Comment il peut le faire ? Il ne peut plus parler, je l'étrangle ! J'imagine que je dois à nouveau le faire taire. »
Le sans-douleur a l'habitude de ne pas sentir son corps, mais il sait parfaitement l'utiliser et est conscient de tous ses mouvements.
« Qu'est-ce qu'il se passe...? »
Son corps ne répond pas à sa demande, le mettant dans un profond état d'interrogations.
Du moins, jusqu'à ce qu'il remarque tout ce sang qui vient de sous son regard et qui éclabousse le visage d'Eddra.
« Et ça ? D'où est-ce que ça vient ? »
De son point de vue, le monde pivote sur la droite, sans qu'il n'ait demandé à sa tête de bouger.
« Je... Je ne peux plus contrôler mon corps... Je... Ce n'est pas normal... Que m'arrive-t-il ? »
Tout ce qu'il perçoit après n'est qu'une large image floue dont il ne peut rien discerner dans cet embrouillamini de formes et couleurs se mélangeant.
Après quelques secondes, il n'a plus que deux couleurs venant encore et encore : le bleu du ciel, et le beige doré du sable.
Visiblement, il ne fait que rouler depuis tout ce temps, sans pouvoir utiliser ni bras ni jambe pour ralentir ou stopper ce calvaire.
Continuant sur quelques mètres supplémentaires en ralentissant progressivement, il arrive enfin à retrouver le nord.
Sa tête est couchée sur le côté gauche, ses yeux exorbités montrent à quel point il est désorienté.
Il aurait peut-être préféré ne pas retrouver une vision scénique de l'endroit où il se trouvait.
Ou du moins, où se trouve encore la majeure partie de son anatomie.
S'il le pouvait, il soupirerait de stupeur.
N'ayant plus accès à l'air nécessaire pour émettre sa voix, il ne peut que penser :
« Ils... Ils m'ont tranché la tête ? »
Rabano, si on lui avait demandé, aurait certainement répondu qu'il aurait aimé voir ça et aurait pris du plaisir à voir la mort du bourreau de sa famille.
Mais maintenant, il se rend compte que, au fond de lui, ce n'est certainement pas ce qu'il voulait.
Également pour Horias, qui est juste choquée par ce qu'il vient de se passer.
S'imaginant, au départ, regarder la mort de ses ennemis avec le sourire aux lèvres, elle se rend compte que ça ne se passe pas comme elle l'avait imaginée.
« Ça n'est pas pareil... Ça n'est pas pareil... »
Rumine Zana en attirant l'attention de sa jumelle.
Chanzi pose sa main sur sa bouche, cachant son expression horrifiée et son haut-le-cœur.
Skale en tombe à la renverse, ne trouvant aucun mot ou pensée adéquat à la situation.
Eddra n'a pas bougé, toujours sous Nyslam qui lui tient encore la gorge d'une seule main.
La seule différence, c'est l'absence de la force qui le maintenait dans cette position ainsi que la fontaine de sang humain qui s'écoule sur lui.
Juste à sa droite, Basim et Samu, figés comme des statues dans une position courbée avec leurs bras en arrière et avec les jambes fléchies, signe de leur dernier mouvement en date.
Tandis que Nyslam s'apprêtait à porter le coup fatal à Eddra, ils ont subitement émergé de la droite, plaçant leurs armes telles une paire de ciseaux autour du cou du jeune barbare.
C'est en fermant instinctivement cette immense cisaille qu'ils ont fait chuter la caboche de celui ayant les cheveux en corne.
L'action fut si rapide que tout ce que Eddra a pu voir, ce sont deux traits de lumière orange et rose précédant toute cette hémoglobine qui lui est tombée en pleine face.
Le saignement se stoppe quand le cœur cesse de battre pour de bon, permettant au grand soldat de retrouver ses esprits pour faire tomber le cadavre sur le côté en se relevant.
« Qu'est-ce que vous avez fait ? »
Demande il, médusé.
« Putain... Non ! Ça ne peut pas être ça ! Je dois encore faire un cauchemar, c'est pas possible ! Pas comme ça, pitié ! »
La tête coupée peut encore faire monter ses larmes à la vue de son triste sort.
« Je ne veux pas mourir... Je vous en supplie... Que quelqu'un m'aide... Père... Oncle Trakt... Kraft... Pisker... Baera... Je vous en supplie... Ne me laissez pas là... Ne m'abandonnez pas... Pas encore, s'il vous plaît... »
Devant lui, ignorant complètement qu'il est encore à peu près vivant, Basim et Samu répondent à leur maître avec le visage couvert de larmes chaudes.
« IL A TUÉ AWAL !!! ET IL ALLAIT TE TUER AUSSI !!! TU CROIS QU'ON AVAIT LE CHOIX ?!!! »
Eddra baisse les yeux, il hésite à répondre ou pas.
« On en reparlera... »
Puis il se retourne et fait bien face au cadavre.
Rapidement, il est rejoint par Chanzi et Skale.
« Putain... Non... Ça va être ça, mon dernier souvenir avant de disparaître ? Mes ennemis et un traître qui ne sait pas ce qu'il dit se réjouir de mon trépas ?! Non ! Pourquoi est-ce qu'il a fallu que ça se passe comme ça...? Pitié... Je ne veux pas... »
« Est-ce que tu peux m'entendre ? »
C'est la voix de Skale, il la reconnaît.
« Je ne sais pas si tu peux m'entendre... »
« Oh que oui, que je peux t'entendre, Serpent-Mal-Embouché ! Qu'est-ce que t'as à me dire, sale traître ?! »
« Je suis désolé. »
Nyslam croit halluciner, il est mort maintenant, alors pourquoi est-ce qu'ils continuent leurs belles paroles ?
Chanzi s'ajoute, disant avec regret :
« Tout ce que tu voulais, c'était la validation de tes proches. Ça ne pardonne pas ce que tu as fait, mais je comprends bien ce que tu ressentais. Tout ce dont tu avais besoin, c'était l'amour qu'on n'a pas pu te donner quand tu en avais besoin. »
« Mais je suis mort... Pourquoi vous dites ça...? Pourquoi faites-vous comme si vous en aviez quelque chose à faire de moi...? À moins que... »
Pour finir, c'est Eddra qui s'exprime.
Et il fait la dernière chose que Nyslam s'attendait à voir : il lui tient la main.
« Nyslam, aujourd'hui, tu es délivré de tes cauchemars. J'espère que tu trouveras la paix éternelle et que des magnifiques rêves remplaceront les horreurs que tu voyais en fermant les yeux. Pars la continence tranquille, ne t'en fais pas pour tes amis et ta famille. Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour éviter le carnage. Et si je perds la vie dans cette guerre, je te promets de te retrouver et de te présenter mes excuses. »
Aucune belle parole, juste une confession sincère pour l'accompagner paisiblement dans la mort.
« Tu n'en auras pas besoin... C'est déjà fait... »
Pense la pauvre petite tête tranchée sur le sable humidifié par ses pleurs.
« Je comprends maintenant... Bon sang, qu'est-ce que j'ai fait ? Ceux que j'ai tués, ils me suppliaient de les épargner, mais je ne les entendais pas. En fait, si, je les entendais, mais je refusais de les écouter... Et après les avoir tués, je les ai comptés et gravés sur mon armure, comme si ce n'était qu'un jeu ! Ils étaient dans la même situation que moi, et je les ai à peine regardés ! C'est moi, le monstre ! Et j'ose supplier à mon tour qu'on m'épargne ? C'est indigne... Non ! Hypocrite ! Je ne suis qu'un hypocrite ! Je ne mérite pas le pardon, la perche m'était tendue et je n'ai pas su l'attraper tellement j'étais aveuglé par la haine... Finalement, je crois que j'accepte mon sort... »
Le tapis de sable détrempé sur lequel repose sa tête redevient immédiatement sec, tout le sang qu'il a laissé dans son sillage se solidifie et s'effrite à une vitesse déconcertante.
Dans la main d'Eddra, la sienne se dessèche, sa peau se craquelle et part en petites paillettes grises à l'aspect brûlé qui disparaissent en étant portées par le vent.
« Que... Qu'est-ce qu'il se passe ?! »
S'exclame le grand soldat en apercevant ce phénomène.
Skale et Chanzi s'en rendent également compte, reculant par sécurité.
Se faisant, Eddra décroche le bras maintenant squelettique de Nyslam qui continue sa dégradation jusqu'à n'être plus qu'un petit tas de cendres dans le creux de sa main.
Tout ce sang sur son visage fait de même en s'effritant et en partant porté par le vent.
Sous leurs yeux, le corps entier se désintègre sous forme de petites cendres comme si il était brûlé sans avoir besoin de feu.
Ça ne touche pas seulement les parties biologiques du jeune barbare, son pagne, son armure épineuse, et même son fléau d'armes détruit subissent pareil.
Le tissu rouge disparaît rapidement sous la forme d'une fine poussière.
L'entièreté du métal rougit, sifflant pendant sa fusion qui précède sa disparition dans une gerbe d'étincelles.
Au bout de quelques secondes seulement, il n'y a plus rien, juste la silhouette de Nyslam gravée dans le sable.
Pour ce qui est de la tête encore consciente, tout ce qui est du bas du nez à la plaie béante qui est le point de section avec son ancien corps se sont évaporés.
Seule reste la partie supérieure, l'exact opposé des vestiges d'Awal Man Yamut.
« Papa... Oncle Trakt... Ce que vous m'avez dit... Ce que vous m'avez appris... C'est ça, qui m'a construit. Je croyais m'élever et prendre mon envol dans cette voie que je croyais juste... Mais vous avez fait de moi un tueur... Pourquoi...? Pourquoi avez-vous fait ça...? »
La mort cendreuse se repend, réduisant toute la peau de son reste de tête a l'état de poussière jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un œil dans une moitié de crâne sec gisant au sol.
« Tout ce temps, tout ce que j'ai fait, c'était pour que tu sois fier de moi, Papa... Parce que j'étais fier que tu sois mon père... Parce que je t'aime... Et toi ? Est-ce que tu m'aime vraiment...? »
Les derniers morceaux d'os s'envolent, ne laissant aucune trace derrière eux.
« Papa...? Papa... »
Une brise délicate disperse les dernières cendres de Nyslam, concluant sa disparition de ce monde pour un autre.
Mais, quoi qu'il arrive à son âme, il se souviendra de ce jour.
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