Neige teintée de rouge
Claudia sentit sa colère faiblir et laisser place à la crainte lorsqu'elle se retrouva devant la grande porte des appartements du maître des lieux. Imposante, froide et ornée de symboles mortuaires. Elle avait peur elle le savait. Mais elle ne pouvait pas y céder ! Sa colère prit le dessus sur la peur et elle frappa à la porte, un coup sourd et puissant. Il n'y eut aucune réponse.
Alors elle l’ouvrit doucement et s'avança dans la grande pièce. Les rideaux étaient tirés, la seule lumière existante étant celle des chandelles qui finissaient de se consumer. Il n’y avait personne. Curieuse, la jeune femme contempla le mobilier. Les bois rares des armoires et des commodes côtoyaient les dorures des miroirs, un immense lit à baldaquin aux boiseries soigneusement ouvragées trônait au milieu de la pièce, couvert de soie et autres tissus précieux.
Tout à coup, son regard fut attiré par une douce lueur émeraude provenant d'un coin de la pièce. Sur un petit guéridon en marbre, sous une cloche de cristal finement décorée, une magnifique rose écarlate semblait suspendue dans les airs au-dessus de quelques pétales fanés. Elle s'approcha et, sans faire attention, fit tomber quelque chose du guéridon. Elle se pencha et ramassa un livre à la lourde reliure de cuir et d'or, un livre splendide. Un livre... Ce pourquoi son père et elle se retrouvait séparés... Qu'est-ce que ces livres avaient de si précieux aux yeux de son hôte ? Avec un geste rapide, elle souleva la couverture.
Mais à peine les premières pages tournées, une longue bande lumineuse défila devant ses yeux, révélant des images si réelles que la jeune femme, d’abord effrayée, fut fascinée. Un homme aux traits fins, habillés comme un noble, montait à cheval en compagnie d'autres personnes, un sourire radieux aux lèvres. Mais avant qu’elle n’ait pu en voir d’avantage, une main referma l’ouvrage et la silhouette élancée la toisait d'un regard empli de haine. Claudia comprit tout de suite sa bêtise.
-Qu’est-ce que vous faites ici... gronda la voix du maître des lieux, trop calme pour l'être réellement.
-Je...je ne...bredouilla la jeune femme, effrayée de lire tant de haine dans ses yeux.
-Sortez... TOUT DE SUITE !!!
Il avait, non pas crié, mais hurlé ces mots. Terrifiée, Claudia s'enfuit de la chambre et descendit les marches en courant, manquant de trébucher à plusieurs reprises, avant d'attraper sa cape sous les regards effarés des domestiques qui avaient interrompu leurs tâches en entendant la voix de leur maître.
-Mademoiselle ! s’exclama Sebastian.
-Je romps ma promesses, trembla Claudia en se dirigeant vers la sortie. Je ne resterai pas une minute de plus dans cette demeure !
-Attendez ! tenta de la retenir Hannah.
Mais déjà la jeune femme était dehors et s'enfuyait à travers la forêt, sous les bourrasques de vent et le blizzard.
Dans le grand manoir sombre qui dominait le village, le souper se passait dans le silence le plus total. Étant rentré tard de sa partie de chasse, Cédric regardait la cheminée flamber, les flammes danser devant ses yeux, pensif. Puis son père rompit le trop long silence qui emplissait la pièce.
-Tu sembles soucieux, Cédric, fit-il en levant les yeux. Est-ce à propos de cette jeune femme ?
Son fils eut l'air embarrassé.
-Un peu, avoua-t-il en sentant une point de colère en lui. Elle est plus têtue que son imbécile de père.
-N’est-ce pas ce que tu apprécies chez elle ?
-Si. Mais elle semble avoir disparue depuis hier.
-Comment ça ?
Cédric ne répondit pas. Il reprit un verre de vin et se souvint des paroles du marchand.
-Y a-t-il quelque chose au-delà de la forêt ? demanda-t-il soudainement.
-Voilà une question bien surprenante. Et...très difficile à satisfaire d'une réponse...
-C’est-à-dire ? s'impatienta son fils.
-Certain prétende qu’il y a une demeure qui serait habitée par la Mort elle-même, maudite pour avoir méprisé la Vie.
-C'est absurde !
-Alors quelle réponse attendais-tu de moi ?
Le blond, agacé, finit par se lever et monta se coucher. Néanmoins, le doute s'insinua dans son esprit. Ce vieux fou l’était-il réellement ?
******
Elle avait froid, elle avait peur et elle était perdue. Claudia regretta de s'être enfuie à pied si rapidement. Elle ne savait pas du tout où elle était et elle ne savait même plus depuis combien de temps elle errait ainsi dans le blizzard et les bois. Elle tenta de se repérer mais un hurlement la fit sursauter.
Un loup. Puis deux et toute une meute était à quelques mètres d'elle, attendant un instant, comme s'ils voulaient savoir si la chasse serait intéressante. Ils s’avancèrent doucement et la jeune femme terrifiée recula. Mais son dos heurta le tronc d'un arbre. Les bêtes, satisfaites, avancèrent encore, ravies de voir leur proie prise au piège. Et l'un deux bondit. Claudia ferma les yeux et laissa échapper un petit cri. Mais il ne se passa rien. Ou plutôt, il ne lui arriva rien. Une haute silhouette se tenait devant elle, le loup gisant plus loin, ensanglanté.
-Ne bougez pas, ordonna durement le maître du château à la jeune femme.
Il sembla juger les loups du regard et, lorsque l'un d’eux se précipita sur lui, il l’évita d'un mouvement souple. Mais l'animal revint à la charge et lui lacéra le bras avec ses griffes avant de se faire envoyer contre une pierre. Voyant leur deux semblables ainsi les autres s'enfuirent en courant, avec un dernier hurlement de dépit. Le silence revint dans les bois. Claudia n'osait pas bouger ou dire un mot. Elle était impressionnée et...rassurée ?
-Vous voulez toujours partir par une tempête pareil ? l’interrogea-t-il en plongeant son regard dans le sien, mécontent.
-Disons que je n'ai pas envie de me faire égorger pour avoir ouvert un livre, répliqua Claudia sur le même ton.
L'autre ne dit rien et se tourna vers les deux cadavres ensanglantés des loups.
-Pourquoi faut-il que la Mort s'enchaîne à moi ?
La jeune femme ne comprit pas ses paroles. Mais elle sentait qu'il avait quelque chose sur le coeur. Et s’il avait voulu sa mort, il l'aurait laissée se faire dévorer par les loups. Le blizzard redoublant d'intensité et elle frissonna lorsque sa cape se fit emporter dans le vent. La neige lui fouetta le visage et acheva de la frigorifier. Le maître du château la vit tenter vainement de se réchauffer.
-Vous feriez mieux de revenir au château, dit-il d'une voix calme. Venez. Lorsque la tempête sera passée, vous pourrez repartir en sécurité.
Sans la laisser protester, il la prit dans ses bras et la conduisit chez lui. Épuisée, elle finit par s'endormir. Il la regarda un moment et pensa à ce que Sarivan lui avait dit il y a longtemps. Avec un long soupir, il continua son chemin. Il ne l'aurait avoué pour rien au monde mais il était soulagé qu'elle soit saine et sauve.
******
La première chose que Claudia apprécia en se réveillant, ce fut le contact chaud des draps et de l'oreiller de plumes. Elle s'adossa contre ce dernier et regarda par la fenêtre. La neige tombait toujours mais le soleil matinal perçait à travers les nuages éparpillés dans le ciel gris. Elle se souvint de la nuit dernière, consciente de son inconscience.
Honteuse, elle se leva doucement mais à peine eut-elle mit un pied hors du lit que Mey-Lin entrait dans la chambre, des vêtements à la main. En la voyant réveillée, Claudia sentit sa honte redoubler d'intensité.
-Je suis désolée pour cette nuit, commença la jeune femme en se recroquevillant sur elle-même. Je...
-Ce n’est pas à vous de vous excuser, l’interrompit Mey-Lin en souriant. Le maître a tendance à oublier ses défaut et n'aime pas reconnaître ses torts. Il n'avait pas à s'emporter comme ça.
-Mais c’est moi qui suis allée dans l’aile Ouest, reprit piteusement Claudia. Claude m'avait prévenu et...
-Claude est incorrigible ! s'exclama Hannah en entrant à son tour. Quel abruti ! Je lui ai déjà dit de se calmer et d'être plus sympathique avec les gens ! Diable de majordome peut-être, mais la politesse passe en second plan !
Devant son air révolté et sa colère, Claudia ne put se retenir, elle éclata de rire. Les deux servantes la regardèrent sans comprendre. Puis elles se joignirent à elle tout en l'aidant à se préparer pour le petit-déjeuner.
Lorsque la jeune femme descendit, elle trouva les deux majordome au garde-à-vous non loin de la table parfaitement dressée. Claude semblait bien mal à l'aise mais l’invitée lui fit un éclatant sourire qui le fit se détendre un peu. Mais un détail attira l’attention de Claudia.
-Votre maître ne déjeune pas ? s'enquit-elle auprès de Sebastian.
-Non...avoua-t-il un peu surpris. La plupart du temps il préfère rester dans ses appartements et... où allez-vous ?
Déjà elle se dirigeait vos l’aile Ouest.
-Elle n’a pas l'air de beaucoup tenir à sa vie, ne put s'empêcher de faire remarquer Claude.
La jeune femme monta rapidement les marches et arriva à la porte de la chambre. Elle toqua trois coups avant d'entrer lorsqu'une voix fatiguée l'y autorisa. Elle le trouva assis sur son lit, l'air pensif. Il ne semblait pas avoir dormi de la nuit. Lorsqu'il la reconnut, il se leva précipitamment, surpris, et tenta de bredouiller une phrase.
-Je...vous...
-Vous ne mangez rien le matin ? demanda-t-elle simplement.
-Et en quoi ça vous regarde ? fit-il sur la défensive en s'éloignant.
-C'est le repas le plus important de la journée, continua la jeune femme en le sermonnant comme une mère le ferait avec un enfant. Donc vous allez descendre et prendre votre petit-déjeuner en respectant le travail fourni par vos domestiques, d’accord ?
Interloqué, il ne sut quoi dire et la regarda fixement. Alors elle s'approcha et commença à lui prendre le bras pour l'entraîner dehors mais il recula brusquement en s'éloignant un peu plus.
-Ne faites pas l'enfant ! Je ne vais pas vous...
Elle s’interrompit brusquement et regarda sa main. Un épais liquide vermeille goutta le long de ses doigts. En baissant les yeux vers la manche de son hôte, elle vit le sang qui la maculait.
-Vous êtes blessé ! s’horrifia-t-elle.
-Non ça va...
-Arrêtez de mentir et asseyez-vous, je vais...
-Ça ira je n’ai pas besoin d'aide.
-VOUS ALLEZ VOUS ASSEOIR ET VOUS VOUS TAISEZ !
Silence. Devant son air décidé et sa fureur, il choisit de se taire et obéit. Elle sortit un instant et revint avec un mouchoir imbibé d'alcool. Puis elle s'assit à côté de lui et attrapa son bras. Il voulut dire quelque chose mais s'abstient en apercevant son regard noir. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant qu'elle ne rompt le silence.
-Pourquoi vous n'avez pas appelez quelqu’un ? Je sais que c’est à cause d’hier, ne le niez pas !
-Je ne voulais embêter personne...
-Mais on parle de votre santé ! Si ça avait été plus grave, vous auriez pu mourir à...à cause de...de...
Le « moi » resta coincé au fond de sa gorge. C'était sa faute, si elle n'avait pas été dans la forêt seule en pleine nuit, ça ne serait pas arrivé ! La culpabilité écrasa son coeur.
-C'est ma faute, pas la votre.
Surprise, elle leva les yeux vers lui mais elle n'y trouva pas de colère, juste de la douceur.
-Je n'avais pas à m'emporter comme ça pour une Lanterne Ci...un livre. Veuillez me pardonner.
-Une Lanterne ? Ce sont les bandes lumineuses qui se sont échappées du livre ?
Sa curiosité prit le dessus. Elle regretta aussitôt sa question, se trouvant bête et inconvenante.
-Oui...Mais ces ouvrages sont précieux et...je n'avais pas à les laisser traîner. Désolé.
Le silence qui s'installa dura longtemps, puis la jeune femme se leva et se dirigea vers la sortie.
-Reposez-vous, murmura-t-elle la gorge nouée.
Elle allait passer la porte lorsque la voix de son hôte résonna dans son dos.
-Adrian.
Surprise, elle se retourna. Embarrassé, il baissa la tête.
-C'est mon nom.
-Claudia... c’est mon nom également.
Avec un simple sourire, elle sortit en refermant soigneusement la porte. Elle avait le sentiment que quelque chose n'allait pas, qu'un détail lui échappait. Pourquoi semblait-il se ficher de sa propre existence ? Avec un soupir, elle remarqua que la neige avait cessé de tomber. Mais elle était moins déterminée à s'en aller que la veille. De toute façon, elle n'avait plus de monture et elle ne se voyait pas du tout refaire le voyage à pied dans une direction inconnue. Était-ce une vrai raison ou cherchait-elle juste un prétexte ?
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