Duel avec la Mort
Les domestiques surent que quelque chose n’allait pas lorsque la monture arriva au galop dans la cour, sans la moindre trace de sa cavalière. Leur impression se confirma lorsqu'ils aperçurent le grand étalon noir et l’homme qui en descendit, tenant fermement la jeune femme par le bras. Dans le salon, Hannah, qui avait vu ces personnages arriver, raccompagna Loukas dans sa chambre avant de rejoindre les deux majordomes et la bonne sur le perron. Cédric, en les remarquant, eut un mauvais sourire et s’adressa à Claudia.
-Tes amis sont des domestiques ? Tu es tombée bien bas.
Elle les implora du regard et, sans un bruit, Cédric se retrouva avec une lame sous la gorge, tenue par Sebastian. Le blond ne se démonta pas et regarda son interlocuteur dans les yeux.
-Je me demande si la vie de vos collègues vous importe.
Derrière lui, un villageois attrapa un mousquet et tira sur Claude. Ce dernier ne fit que pencher la tête et, en colère, laissa apparaître deux pupilles carmin fendues comme celles des chats. Mey attrapa un pistolet accroché à sa cuisse et tira à son tour, ne manquant l’homme que de quelques centimètres, juste assez pour l’effrayer.
-Ça suffit !
La voix autoritaire claqua comme un fouet, faisant se tourner toutes les têtes vers la porte. Une silhouette d’une maigreur squelettique se tenait dans l’embrasure, ses yeux d'un vert froid balayant l'assemblée. Lorsqu’il reconnut son amie, il ne cacha pas sa surprise et son inquiétude.
-Claudia ?
La jeune femme resta d’abord de marbre avant de croiser ce regard émeraude et empli de tristesse qu’elle connaissait par coeur.
-Adrian...je suis désolée...je...
Pour la faire taire, Cédric accentua la pression sur son poignet, la faisant gémir de douleur.
-Lâchez-la, ordonna Adrian en foudroyant le blond du regard. Tout de suite.
-Je ne crois pas non, ricana le chasseur. J’ai l’intention d’épouser cette charmante demoiselle, donc... si vous avez la prétention de l'aimer, il va falloir me tuer.
D'un mouvement beaucoup trop rapide pour être suivit par un oeil humain, le maître des lieux se retrouva devant son interlocuteur, laissant Sebastian reculer et se placer à côté de ses collègues.
-Vous cherchez vraiment à mourir ?
-Eh bien l’on dit que cette demeure est habitée par la Mort en personne, ricana de nouveau Cédric. Maudite pour avoir méprisée la Vie. Un conte populaire assez ancien, très intéressant et très révélateur.
Il poussa la jeune femme dans les bras d’un autre noble qui la retint à son tour, une dague sous la gorge. Adrian sentit la colère monter en lui.
-Ce n’est qu'un simple duel ! s’exclama le chasseur, un sourire cruel aux lèvres.
Il s’approcha ensuite de son adversaire et murmura des mots que seul lui pouvait entendre, sans cesser de le défier du regard.
-Si vous ne vous battez pas, elle meurt. En revanche, si vous êtes réellement la Mort, vous gagnerez ce duel. Mais qui pourrait ensuite aimer un faucheur d’âmes sans coeur ?
Un profond malaise s'insinua dans le coeur d’Adrian. Son choix était simple. Mais les conséquences qui en découlaient... Ce type était un vrai chasseur. Trouver une proie, la poursuivre, l’acculer pour ne lui laisser aucune échappatoire.
-Fort bien, céda Adrian. Un duel en bonne et due forme. La salle d’entraînement fera l’affaire, si vous voulez vous donnez la peine d’entrer.
Le jeune noble ne se fit pas prier et toute l’assemblée se rendit dans ladite salle, grande et dallée de marbre resplendissant à la lueur d’un lustre de cristal. Les villageois et les domestiques se mirent contre les murs, laissant les deux adversaires choisir une rapière. Puis ils se mirent face à face, et se jugèrent du regard. Soudain, Cédric attaqua le premier, visant directement le coeur. Adrian évita amplement la lame et riposta avec une pique à l’épaule, en guise d’avertissement. Le noble en ricana avant de se redresser.
-Ce n’est pas une séance d’escrime, c’est un duel ! clama le blond en chargeant de nouveau mais en feintant à droite.
Adrian s’y laissa prendre et la lame lui entailla légèrement l’avant-bras, laissant un mince filet de sang couler sur le sol. Claudia ne put retenir un hoquet d’angoisse en voyant les gouttes vermeille. Le chasseur s'en aperçut et une lueur de folie passa dans ses yeux.
-Oh...allez ! Vous allez faire pleurer une Lady, c’est très impoli !
Il évita une attaque et riposta. La lame passa à quelques centimètre de la gorge et sectionna une mèche. Le duel s’éternisa ainsi et Adrian faiblissait à vue d’oeil. Jamais il n’avait autant souffert d'un manque de sommeil, esquivant à peine les assauts, se retranchant dans sa défense.
Cédric, lui, jubilait. En traître, il passa dans le dos de son adversaire et lui asséna un coup sur l’omoplate avec la garde de sa rapière. Déséquilibré, il tituba un instant avant de se retrouver parterre, une lame appuyée contre sa jugulaire.
-Je suis un peu... déçu, fit Cédric sans cesser de tenir son ennemi en respect. Je croyais que la Mort était un peu plus coriace.
Les villageois se mirent à rigoler tandis que Mey s’apprêtait à utiliser son arme, retenue par Sebastian.
-Ce n’est pas ton affaire, l’éclaira le majordome en voyant son regard d’incompréhension. Tu as entendu le maître. '' Un duel en bonne et due forme ''. Cette phrase s’adressait à nous. Quoi qu'il se passe, nous n’avons pas à intervenir.
-Mais...
-Je sais. Mais c’est un ordre auquel on ne peut se soustraire.
Vaincue, elle lâcha son arme. Claudia en avait assez de ce jeu cruel, elle profita de l’inattention du noble et repoussa son bras pour aller arrêter le duel. Elle attrapa Cédric par l’épaule avec l’intention de l’éloigner mais elle se fit violemment repousser et reçut une autre gifle.
-Une femme reste à sa place, déclara froidement Cédric en s’approchant d'elle et en lui saisissant la gorge.
Elle émit une petite plainte étouffée et sentit le sang battre à ses tempes. Puis il la lâcha et elle s’effondra, avalant une grande bouffée d'air. Ce fut au tour du chasseur de se retrouver en position de faiblesse, une immense lame argentée devant ses yeux. Il recula et, pour la première fois, commença à avoir peur.
Son adversaire se tenait devant lui, une aura de mort s’installa sur l’assemblée et un éclat émeraude brillait de colère dans ses yeux. Il tenait une grande faux argentée ornée du buste d'un squelette coiffé d'épines. Une faux digne de la Mort.
-Tu recule et tu ne la touche plus, ou ton nom s’ajoutera à ma Liste.
Le jeune homme recula et laissa Claudia se jeter dans les bras d’Adrian tandis que les villageois quittaient précipitamment les lieux, effrayés de tenir tête à la Mort en personne.
-Je suis désolée, murmura-t-elle en pleurant. C’est ma faute...la lettre...et...
Elle sanglota un peu plus et son ami comprit tout de suite les événements tragiques de cette nuit.
-Je...
-Ce n’est pas ta faute du tout, coupa doucement son ami. Tu n’as rien à te reprocher.
-En revanche, vous avez triché.
Adrian se retourna et fit face à Cédric.
-Votre...faux est un coup en traître. Je remporte donc la mise qui m'est due.
Avec un sourire carnassier, il regarda la jeune femme.
-Dans ce cas, comment appeles-tu le fait de menacer une femme de mort pour pouvoir l’épouser ? répliqua le maître du château d'une voix froide. Sors de ma demeure immédiatement et ne reviens jamais.
-C'est un peu fort venant de la part d'un homme qui proposait un duel en ''bonne et due forme''. C'est indigne et très humiliant.
Le jeune homme fit un pas en avant et voulut saisir le bras de la jeune femme mais il ne réussit qu'à se trancher la paume sur la lame argentée. Un étrange film sépia semblable à ceux que Claudia avait vu dans les livres s'éleva de sa blessure et fut attentivement examiné par le Faucheur. Les minutes s’égrainèrent ainsi sans un bruit, Cédric regardait son sang couler et le film mémoriel continuer sa course. Puis il disparut. Le noble eut un autre de ses sourires malsain et regarda le couple.
-Ma vie entière dans une Lanterne ! s’exclama-t-il en surprenant Adrian, qui ne s’attendait pas à ce que cet homme connaisse l’existence des Cinématiques. Et alors ? Votre petit tour ne m'impressionne pas !
-C'est toi qui l’a tué, coupa le maître des lieux. Tu as poignardé cet homme et tu as laissé les preuves de ton crime être emportées par l'incendie que tu as provoqué !
Fébrile, Claudia le regarda en ayant peur de comprendre.
-Cédric...c’est toi...qui as tué mon père ?
-Eh oui princesse ! Tu aurais dû voir sa tête ! Il allait mourir et il souriait toujours comme un imbécile !
La pauvre femme s'effondra et fut secouée de douloureux sanglots. Le chasseur, comme pris de démence, ne cessa de se moquer et pencha la tête sur le côté en une expression d'incompréhension.
-Oh ! La Lady pleurt ! Quelle dommage ! On dirait un petit animal faible et inutile !
À peine eut-il finit sa phrase qu’il se retrouva projeté de plusieurs mètres, une énorme entaille en travers de la poitrine saignant abondamment. Adrian avait levé sa Faux et se rapprochait de sa victime à pas lents, comme implantant chacun de ses mots dans l’espace qui les séparait.
-Tu as osé la faire pleurer, déclara-t-il d'une voix lourde de sens. Et tu n’as aucun respect pour les vivants ou les morts.
Il s’arrêta à quelques centimètres de Cédric qui commençait à paniquer en voyant la lueur déterminée que son ennemi avait dans le regard. Ce dernier leva un peu plus sa faux et s’apprêtait à l’abattre lorsqu'il sentit deux bras entourer son dos.
-Arrêtes...supplia Claudia d'une voix faible. S'il te plaît...
Aussitôt, l’arme tomba à terre dans un bruit métallique. Adrian se défit de l’étreinte de la jeune femme et se retourna doucement, prenant son visage dans ses mains.
-Il a tué ton père, il t’as fait pleurer et tu voudrais le laisser vivre ? demanda-t-il sans comprendre.
-Je ne veux plus de morts inutiles...
Dans sa voix, il y avait de la supplication, de l'angoisse, de la tristesse...mais ce qui brisa le coeur d’Adrian, ce fut toute la peur qu'il y lisait. De la peur...envers lui.
-Très bien...murmura-t-il en s’éloignant d’elle.
Mais à peine eut-il fait quelques pas qu'il sentit une lame froide s'enfoncer entre ses omoplates.
-Je me suis toujours posé une question, ricana Cédric plus dément que jamais en retirant la lame et en laissant sa victime s'effondrer dans une mare de son propre sang. Peut-on tuer la Mort ?
Il allait recommencer lorsqu'un couteau d’argenterie se planta dans son épaule, lui faisant lâcher la faux. Devant lui, Sebastian et Claude lui lançaient un regard carmin rempli de rage. Dans son dos, Hannah faisait de même, Mey à ses côtés.
-Mademoiselle ne veut pas votre mort et nous respecterons sa volonté, railla Claude avec un mauvais sourire. En revanche...
-Vous laisser un jour accéder au repos éternel... continua Hannah.
-Serait une faveur que vous ne méritez pas, termina Mey.
Là, le chasseur sut qu'il était la proie. Sebastian lui attrapa le bras et une épaisse brume noire enveloppa les quatre silhouettes.
-Voulez-vous connaître le véritable enfer ? sussura le majordome en disparaissant dans les ténèbres.
Le pauvre homme ne put, pour dernière déclaration, que hurler de terreur.
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