𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 𝟔

Un faible soleil s'était mis à poindre dans une enveloppe de ciel pâle. Il n'y avait aucun nuages à l'horizon, seulement des mouettes qui riaient aux éclats. La bois de la coque grinçait et le bateau tanguait doucement, plutôt silencieux pour une fois. Le hamac de Narcisse se balançait au rythme des vagues et elle entendait dans les cabines avoisinantes les marins et villageois qui commençaient tout juste à s'éveiller. Les bras derrière la tête, elle n'avait pas du tout envie de se lever, mais plutôt de rester là à rêver d'un monde où elle aurait une île paradisiaque rien qu'à son village et elle, où elle y serait cheffe, où tout se passerait sans accrocs. Regardant son plafond, une idée lui vint à l'esprit et elle se leva.

Elle adorait les chants typiques de chez elle, les danses et les musiques entrainantes, et l'envie subite d'écrire de nouvelles paroles la prit. La jeune femme s'assit à son bureau et prit sa plume et un morceau de parchemin. Il lui semblait avoir bien changé depuis son arrivée sur l'île, et cela ne lui convenait peut-être pas tout à fait, mais elle n'y pouvait rien, et elle était bien décidée à devenir une femme forte et dirigeante, qui un jour pourrait conduire les gens vers la victoire, conduire les gens dans un endroit où ils pourraient s'épanouir et danser chaque soir en entonnant des chants vagabonds. Elle déroula le parchemin et se mit à tracer des runes dans sa langue natale, la langue dans laquelle était interprétés tous les chants de son peuple. Elle laissa glisser son poignet au grés des vers, puis lorsqu'elle eut fini, entama l'écriture de la mélodie, qu'elle griffonna sous formes de portée musicale. Elle n'avait jamais vraiment appris le solfège mais en savait suffisamment pour tracer les notes d'une chanson comme elle les aimait.

Soudain elle sursauta, on venait de toquer bruyamment à sa porte. Elle se leva pour aller ouvrir, mais l'imposteur qui avait décidé de la déranger s'en était déjà chargé et la regardait en souriant. C'était Ghurid, le cuisinier du bateau.

- Le petit-déjeuner est servi, lança t-il malicieusement.

Il repartit sans dire un mot de plus et Narcisse hésita avant de se décider à monter sur le pont. Les bonnes habitudes reviennent, songea en esquissant un semblant de sourire qu'elle effaça immédiatement.

- Bonjour ! la salua Alyn en l'invitant à venir s'asseoir près d'elle.

Chaque matin et soir, les villageois avaient pris l'habitude non pas de manger dans la cuisine, mais sur le pont, endroit qui leur paraissait bien prévu pour pouvoir observer le lever et coucher du soleil. À midi, ils préféraient manger à l'intérieur, à cause de la torpeur qu'exigeait le travail sous le soleil de l'océan. Car oui, il fallait entretenir le bateau, et ce n'était pas une mince affaire.
Narcisse accepta l'offre de la femme aux formes rondes et s'installa sur la table de bois rustique. Là, elle put voir que Ghurid ne s'était pas ménagé sur le petit déjeuner. Trônait sur les planches branlantes mais épaisses différents plats de fruits de mers, des omelettes d'œufs de mouettes, des tartines de pain presque frais que le boulanger avait eu le temps de confectionner sur l'île, des marmelades diverses, des céréales aussi dures que du béton et encore bien plus. Ces aliments peuvent paraitre un peu miteux à première vue, mais lorsque l'on vit sur un bateau durant deux ans et quelques jours sur une île déserte, c'est un gueuleton bien mérité. Narcisse se servit copieusement, consciente de sa maigreur, et mangea tout en discutant avec les villageois assis autour de la table. Elle ria de bon cœur, se laissant aller un peu pour une fois. Ghurid se prêtait volontiers aux blagues, qu'il racontait en langue du pays natal des villageois, et que Narcisse devait traduire pour Jo.

- J'en ai une bonne ! s'écria le cuisinier au terme d'une longue rigolade après qu'Alyn aie lancé une bourde. Sarr tanam et kliga soon geillih. Soon oj cavonra sentië ja shiimp, ta tanam solli et rinië jovalae geillih !!

Il rit si fort que Narcisse en sursauta, mais elle se dépêcha de traduire à Jo qui attendait impatiemment.

- Et bien, il raconte que c'est une tavernier qui est dans son auberge, sur un volcan, et il sert les clients. Mais soudain, l'un d'eux se lève, s'approche et lui demande une bouteille de champagne. Alors il l'ouvre. Mais au moment ou le bouchon pète, le volcan aussi !

Narcisse se mit à rire, mais Jo n'avait pas l'air de trouver les blagues du pirate amusantes.

- Elles sont tout de même dépourvues d'imagination, vos blagues, lança t-il à la jeune femme.

- Je sais, répondit elle, toujours riante. C'est ce qui fait qu'elles sont drôles !

- D'accord, fit Jo, pas convaincu.


Narcisse se trouvait au pied d'un des mâts du bateau. Le matin lui avait changé les idées, tant et si bien qu'elle en avait presque oublié la veille. Elle s'approcha du mât et tendit les mains pour attraper les cordages qui la mèneraient en haut. Elle saisi la matière usée, et, aidée de ses pieds, se mit à grimper. Les mailles étaient larges vers le bas et se resserraient vers le haut, ce qui facilitait la tâche à la femme aux cheveux de jais, qui pourtant était déjà une excellente grimpeuse. Lorsqu'elle arriva au sommet, Tarann l'attendait, les bras croisés. Il avait entendu le mât grincer lorsqu'elle avait entrepris son ascension et l'avait observé faire. Un sourire narquois se dessina lentement sur ses lèvres.

- Alors, fit-il, on se décide à venir observer la vue ?

- Ce n'est pas ton genre de faire ce type de réflexion, lui fit remarque la jeune femme en frottant ses doigts endoloris. Mais oui, ajouta t-elle après un bref silence, je viens observer la vue. On se dirige où ?

- Le Capitaine vise cette île, là-bas, indiqua t-il en lui tendant la longue-vue et en pointant du doigt un minuscule monticule lointain.

- Ça se trouve vers quel point cardinal ?

- Nord.

- Nord ? demanda Narcisse en se tournant vers lui, un sourcil levé.

- Tu as bien entendu. Le Capitaine pense que plus nous irons vers le nord, moins les îles seront habitées, et donc plus on aura de chances d'en trouver une libre.

- Mais celle-ci... Elle n'est pas inexplorée, si ?

- Non, elle est répertoriée, mais il faut que l'on aille faire le plein de nourriture et vêtements neufs.

- Mmh.

Le soir pointait le bout de son nez, et l'îlot à atteindre se trouvait toujours bien loin. Le père de Narcisse avait décidé qu'une fête serait organisée, sans aucune raison, juste pour le plaisir de fêter quelque chose.
Quand Narcisse, ses longs cheveux de jais coiffés d'une tresse lâche agrémentée de fleur séchées, monta sur le pont, de la musique entrainante gonflait déjà les marins et villageois d'excitation. La jeune femme s'était vêtue pour l'occasion d'une longue robe bleu-vert, toute simple, serrée au buste et large aux jambes. Le vêtement lui seyait parfaitement, et ses longues manches la protégeaient du froid. Sur son front, elle avait ajouté un diadème en inox peint en doré. Les lignes du métal froid formaient de jolies courbes, enjolivant le visage de la femme.

- Narcisse ! la héla soudainement Alyn. Te voilà enfin ! Viens donc voir ce qu'a préparé Ghurid pour ce soir !

La dame aux courbes biens dessinées emmena la jeune femme dans les cuisines d'où émanait une chaleur embaumée des senteurs du repas. Sur la table étaient disposés deux énormes volailles enrobées d'une sauce jaune, entourée de feuilles de salades, d'oignons, de tomate coupées en tranches et d'aubergines grillées. Dans des plats annexes trônaient des sortes de grosses omelettes fourrées au sirop de tomate, et des aspergent venaient agrémenter le tout. De la purée de pommes de terre et de carottes dans sur laquelle avait été versé une sauce aux champignons venait ajouter du contenu, et le Ghurid cuisinait toujours, ce qui signifiait qu'il pensait encore ajouter quelques plats au banquet. Il s'essuya le front, laissant une trace de sauce, et fit signe aux femmes de s'approcher.

- Bonsoir, les salua t-il. Que pensez-vous du repas de ce soir ?

- Ça risque d'être un fabuleux gueuleton ! s'extasia Alyn en se pourléchant le contour des lèvres. C'est un ragoût que tu prépare là ? demanda t-elle en lorgnant les chaudrons fumant posé sur les plaques de cuissons.

- Exact. De la viande de bœuf.

- On peut goûter ? quémanda Narcisse en se baissant vers les casseroles.

- Ah non ! interdit le cuistot. Il faudra attendre l'heure du repas. Vous devriez aller vous amuser un peu avec les musiciens, d'ailleurs, ajouta t-il en regardant Alyn.

- Oui, tu as raison, avant qu'ils n'aient épuisé tout leur répertoire chansonnier ! Allez, viens ma belle !

La femme aux cheveux attachés en une complexe coiffure qui avait dû lui prendre pas mal de temps attrapa la main de Narcisse et l'attira sur le pont. Là, la plupart des villageois dansaient, et le reste buvaient.

- On arrive un peu tard, commenta Alyn avec une fausse moue. Il va falloir nous rattraper.

Sans en dire plus elle s'élança dans la foule de danseurs et se mit à mouvoir son corps en accord avec la musique. Narcisse n'hésita qu'un instant avant de faire de même. Les violons s'en donnaient à cœur joie, et la musique vive aux airs celtique enchanta la jeune femme qui dansa jusqu'à en suer. Sa robe tournoyait au rythme de ses pirouettes, et elle se retrouva au centre de la foule à danser avec un marin presque inconnu, puis un autre, enfin elle crois Alyn, ensuite Jo, et pour finir elle se retrouva de nouveau à danser seule.
Soudain, on prit sa main, elle se retrouva à danser avec Tarann, qui la fit tournoyer toujours plus vite. Certains villageois dansaient des claquettes, d'autre une sorte de valse, et le reste ce qui lui passait par la tête. La musique entêtée mettait Narcisse d'humeur excellente, et elle dansa jusqu'à en avoir des ampoules aux pieds, jusqu'à en avoir la tête qui tourne, jusqu'à être étouffée par la foule de villageois, et même là, elle ne s'arrêta pas.

Tout à coup, la foule s'écarta d'un même mouvement pour laisser passer les danseurs de claquettes, qui défilèrent en synchronisant leur pas. Narcisse et le public tapaient des pieds pour les accompagner, le tout soutenu par la musique de violons et flûtes. Lorsqu'ils s'arrêtèrent, Narcisse et Tarann prirent leur place. Tout deux avaient, dans leur enfance, fait des claquettes dans le même cours, et ils n'avaient rien perdu de leur virtuosité.

Les musiciens changèrent de chanson et accompagnèrent les deux jeunes danseurs. Bien qu'ils ne soient pas en tenue adéquate, leur danse était tout aussi parfaite que celle des danseurs précédents, et le public avait l'air de l'apprécier aussi. Tarann fit voltiger un peu Narcisse, la reposa au sol, et ils se prirent les mains pour exécuter maints tours, avant de se stopper net, dans le même mouvement, sous les acclamations du public. La musique termina sur cette note, et bientôt, repris. Cette fois-ci, la mélodie était plus calme, et la plupart des fêtards s'arrêtèrent de danser pour aller manger un morceau ou boire un verre.

Narcisse ne fut pas en reste, et elle laissa Tarann avec ses amis pour aller s'accouder au bar momentané qu'avait installé Ghurid. Là, elle prit une chope et la tendis au cuistot qui lui servi sans son avis préalable du whisky. Elle ne protesta pourtant pas et trinqua avec Alyn et sa mère, qui étaient juste à son côté, puis but une gorgée. La boisson lui enflamma la gorge et Narcisse toussa. Elle n'avait pas l'habitude de boire ce genre d'alcool, et elle n'avait encore pas appris que l'on ne devait pas prendre de grosses gorgées lorsque l'on n'était pas très compétent en matière de boissons fortement alcoolisées. Elle recracha un peu du liquide tandis ce que sa mère, en riant, lui tapait gentiment le dos.

- Allons Narcisse, je pensait que tu avait retenu la leçon, depuis le rhum !

La jeune femme grommela mais ne se laissa pas démonter pour autant, et continua de boire le whisky, tout en riant avec les villageois. 

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