𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 𝟑
Le froid s'insinuait dans tout le corps de Narcisse, l'engourdissant. La journée avait été longue et bien plus qu'épuisante. Avec les villageois, ils avaient approximativement reconstruis un hameau, et bien que précaire et bancal, il avait pris du temps à mettre en place. Des équipes avaient parcouru l'île à la recherche de nourriture et de probable vie humaine. L'îlot s'était révélé bel et bien désert, mais la nourriture ne se trouvait en abondance qu'en un point opposé au village. La jeune fille solitaire avait décidé de passer la nuit à l'extérieur, malgré l'opposition de sa mère, qui argumentait en disant qu'elle ne savait pas encore quelles créatures rôdaient dans le coin. Narcisse lui avait rétorqué qu'elle le découvrirait cette nuit, et que ce serait utile à tout le monde. Si sa mère n'avait pas voulu entendre quoi que ce soit, elle avait fini par céder.
Encore perturbée par son souvenir qui était remonté brutalement, Narcisse avait besoin de passer du temps seule, encore plus que d'habitude. La nuit était sombre, les étoiles paraissaient lointaines, et la lune jouait à cache-cache avec les nuages. Narcisse, qui bien sûr ne comptait pas rester près du village cette nuit, s'clipsa discrètement lorsque la dernière lanterne se fut éteinte. Elle marcha jusqu'à une petite forêt noire d'encre au arbres émaciés, très hauts. Une fois sous le couvert des arbres feuillus, il faisait si sombre qu'elle se demanda si elle ne devrait pas rentrer. Mais sa soif de solitude était plus forte, et elle continua à avancer, d'abord doucement, se prenant les pieds dans les racines, puis plus rapidement, se rendant compte qu'elle pouvait deviner où se trouvaient les racines en fonction du sol, s'il penchait, ou s'il restait droit.
De temps à autre, une lune aussi fine qu'un cheveux se dessinait, puis disparaissait peu après. Narcisse marcha en silence, faisant craquer des brindilles et des feuilles mortes sous ses pieds. Elle marcha longtemps, et quand elle s'arrêta enfin, elle ne savait absolument plus où elle était, ni par où elle était arrivée. Transpirante après sa longue marche, elle se laissa glisser contre le tronc maigre d'un arbre et leva la tête vers le ciel. Elle ferma les yeux, reprenant peu à peu ses esprits, et se rendit compte qu'elle venait de commettre une grosse, grosse, très grosse bêtise en quittant ainsi le village. Désespérée, elle resta un moment appuyée à l'arbre, les yeux clos, écoutant le moindre bruit.
Tout d'abord, elle n'entendit rien, que le bruissement du vent dans les feuilles foncées des arbres malingres. Puis vint le hululement discret d'une chouette, le cri d'un loup, et un feulement qu'elle ne réussit pas à remettre. Un grillon jouait de ses ailes alors que quelques lucioles vinrent éclairer faiblement l'endroit. Narcisse se mit à frissonner, car oui, il ne faisait vraiment pas chaud. Elle se dit alors qu'il lui fallait essayer de retrouver le chemin jusqu'au nouveau hameau, mais lorsqu'elle ouvrit les yeux, le paysage noir était devenu blanc, enneigé. De petits flocons moelleux tourbillonnaient entre les arbres émaciés, et un soleil caché derrière de fins nuages donnait un air mystique à la scène. Stupéfaite, Narcisse se releva d'un bond, tout froid oublié, les yeux ronds comme deux billes. Pourquoi faisait-il jour ? Pourquoi neigeait-il soudainement ? Paniquée, la jeune femme se demanda si elle avait fait un retour dans le passé ou un bond dans le futur, ou si elle avait dormi jusqu'à l'hiver. Voulant d'autant plus retourner au hameau, elle se mit à courir dans une direction aléatoire, mais la neige poudreuse l'empêcha d'aller bien loin.
Elle chuta, les mains en avant par réflexe, et tomba au sol en grognant de douleur. Sa joue avait heurté de plein fouet la neige bien trop froide, et elle en avait dans la bouche. Narcisse s'agenouilla d'un bond et cracha, tout en époussetant la neige de sa joue. Elle ferma les yeux de douleur lorsqu'elle passa ses doigts sur un fine plaie sûrement due aux cailloux qui dépassaient de la neige. Lorsqu'elle les rouvrit, la neige avait disparu, ainsi que le jour, et il faisait à nouveau nuit. Les genoux non plus dans la froide neige, mais dans une flaque boueuse, Narcisse, stupéfaite, se releva lentement, regrettant de ne pas avoir pensé à prendre une lame avec elle. Encore une fois, une chouette émis un hululement à glacer le sang, et s'envola tout près, faisant bruire les feuilles des arbres. Narcisse, bien que tenace et courageuse, se mit à paniquer de plus en plus. Un vent doux se leva, mais très vite, il devint plus fort et des bourrasques impitoyables vinrent balayer les feuilles mortes. La jeune femme se remit alors à courir, enjambant les buissons, les ruisseaux, les racines. Elle ne savait pas où elle allait, mais elle voulait sortir de cette forêt au plus vite. Baissant la tête pour ne pas se reprendre de branchettes dans la face, la fugitive ralentit, sans pour autant s'arrêter. Elle écarquilla alors les yeux, et la suite des événements se déroula au ralentit.
Ne sachant pas pourquoi elle fuyait le vent, mais sachant qu'il était impossible de le semer, Narcisse voulut cette fois-ci stopper sa course. Mais au moment même ou elle dérapait dans la boue, un trou béant s'ouvrit sous elle, et la jeune femme y tomba comme une masse. Hurlant de désespoir autant que de peur, elle paniqua d'autant plus lorsqu'elle comprit que la chute serait longue. Elle aurait voulu d'écraser au sol le plus vite possible, pour éviter de penser à sa famille, à comment quoi ressemblait la mort, et à un espoir de survivre - qui bien sûr était impossible. La fugitive tombait tête la première, ses cheveux de jais volant dans tous les sens, des grêlons lui giclant le visage.
« Attends... Des grêlons ? Donc il neige de nouveau ? »
Toute peur disparue, Narcisse tenta de se retourner dans sa chute pour pouvoir apercevoir le ciel, mais la gravité se retourna avec elle, et les grêlons ne cessèrent d'en vouloir à son visage.
« Mais qu'est-ce que c'est que ce n'importe quoi ? Je rêve ? »
Plus en colère qu'inquiètes à présent, la jeune femme tenta de se rapprocher des parois du trou en nageant dans l'air. Mais, en faisant ce geste étrange, une joie soudaine l'envahit, la faisant repenser à son enfance.
- J'ai rêvé de faire ça toute ma vie, se murmura t-elle en brassant vigoureusement l'air de ses bras musclés.
- Tu n'as plus besoin de le rêver, maintenant, lui répondit une voix qu'elle connaissait bien et qui venait d'une personne qui devait avoir les oreilles sacrément affutées.
Narcisse se retourna vivement vers sa gauche, et se retrouva immédiatement au sol, à plat-ventre, sans savoir ni pourquoi ni comment. Et il n'y avais personne. Pas l'ombre d'un humain. Elle s'appuya sur ses avant-bras pour se relever lentement, observant chaque arbre avec attention, les yeux plissés. Elle frotta une trace de terre qui maculait sa joue puis se remit sur ses pieds. Un éclair déchira le ciel, la faisant sursauter, et la jeune femme se cacha derrière un chêne épais. C'est là qu'elle le vit. Avançant dans la pénombre de la nuit, un chapeau haut de forme légèrement de travers, une redingote noire et une montre à gousset pendant d'une poche, Jo s'avança vers elle.
- Jo ? parvint-elle à articuler, mi-terrifiée, mi-hargneuse.
- En personne, répondit-il avec politesse en exécutant une petite courbette.
- Que fais-tu là, demanda Narcisse, méfiante, regrettant une fois de plus de ne pas avoir de lame sur elle.
- Je te retourne la question, fit Jo, son sourire disparu.
- Mmh, et bien... Comment dire que j'ai fui. Il faut croire que je n'avais pas envie de rester au village cette nuit.
Un silence s'abattit sur les deux jeunes, on entendit plus qu'alors les chants des criquets et chouettes.
- À toi maintenant.
Jo paru pensif, sûrement l'était-il vraiment. Il sembla hésiter, puis se décida. Narcisse ne saurait probablement jamais si c'était un mensonge ou pas, mais elle l'écouta.
- Je suis venu ici car cette forêt me rappelle le plus mon ancien foyer. Tu ne t'en doutais sûrement pas, mais mon chez-moi me manque.
Jo marqua un temps de pause.
- Comme il doit te manquer à toi aussi, remarqua t-il.
Narcisse acquiesça, les yeux dans le vague. Elle n'eut pas le temps de poursuivre ses pensées, Jo repris sa tirade, et pour une fois qu'il parlait de lui, la jeune femme comptait bien en profiter.
- Cette forêt est sombre, mystérieuse, personne n'y viens... Je suis seul ici, seul avec moi-même. Je peux, en toute liberté, exercer mon pouvoir, ma malédiction.
Encore une fois, Jo s'arrêta.
- Tu as des pouvoirs ? fit Narcisse en levant un sourcil.
- Pas exactement.
- Alors c'est quoi ?
- Curieuse ! râla Jo en la foudroyant du regard.
- Et fière de l'être, rétorqua la fugitive en prenant une pose noble.
- Tu m'épuises, constata Jo en soupirant.
Il s'assit sur une souche, les mains sous le menton, puis inspira.
- Dans mon village, mon foyer, comme j'aime l'appeler, pour célébrer les naissances, on bénis les nouveau-nés. Donc, forcément, j'ai dû y passer. Malheureusement, c'était un apprenti prêtre qui m'a lancé la bénédiction, et il a oublié la formule. Tête de mule comme il est, il a ajouté des mots qu'il avait appris - les prêtres apprennent une langue étrange pour formuler toutes sortes de bénédiction ou malédiction - et a fait des phrases au pif. Son maître, imbécile comme il était, ne lui a rien dit, et je me suis retrouvé maudit. Depuis, quelquefois, des crises surviennent, et des sortes de pouvoirs me tombent dessus. Ensuite, je ne peux pas les empêcher, ils sortent de moi.
Un lourd silence suivit la confidence, même les bestioles s'abstinrent cette fois de sons, ainsi que le vent.
- Je suis désolée, murmura Narcisse. Je ne savais pas.
Elle posa sa main sur celle de son potentiel ami.
- Tu ne pouvais pas savoir, je ne te l'avais jamais dit.
- C'est pas vrai ! s'exclama la noiraude en reculant brusquement, les yeux au ciel. Enfin, je devenais soucieuse de toi, aimable, voir j'avais pitié, et voilà comment tu remercies ma bonté !
- Bonté, bonté, feint de ronchonner Jo. J'appelle ça de l'hypocrisie, moi !
Il se mit à rire, et pour une fois, à la place de répliquer sarcastiquement, Narcisse se joignit à lui, et la forêt reprit ses bruits nocturnes.
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