𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 𝟐
Une lune aussi ronde qu'une balle surplombait le bateau. Ce dernier, lentement, avançait sur des eaux calmes, sillonnant les flots avec agilité. Seul le grincement du bois venait perturber le silence.
La terre que Tarann avait aperçu le matin même serait atteinte à l'aube, avait affirmé le capitaine durant le diner.
Narcisse y croyait; elle savait que le capitaine aurait raison. Postée sur la poupe, la jeune villageoise devenue marin contemplait le ciel étoilé, tentant de repérer certaines constellations spéciales. Elle replongea alors dans un souvenir gravé à jamais dans sa mémoire.
- Regarde, Narcisse.
Une voix douce attira l'attention de la petite fille. Elle regarda le ciel que pointait du doigt une jeune adolescente.
- Tu voix, les lignes tracées entre les étoiles ? Ce sont les constellations. Celle-ci, c'est Andromède, ma préférée. On raconte que c'est la fille de Cassiopée et Céphée. Elle était très belle, et les nymphes des mers en furent jalouses. Alors elles demandèrent à Poséidon, leur père, de s'en débarrasser. Ce dernier envoya Cetus, un monstre, dont la colère ne pouvait s'apaiser seulement si on lui offrait Andromède. La princesse, car Andromède en était une, fut sauvée du monstre par Persée.
Narcisse était accrochée aux lèvres de la fille. Ses yeux brillaient, ses cheveux de jais volaient dans le vent.
- Pourquoi est-ce ta préférée ? Elle a juste une horrible histoire !
- Car Andromède est fière, et qu'elle a vu son sort en face. Elle méritait que Persée la sauve.
La conteuse marqua un temps d'arrêt.
- Et peut-être aussi parce qu'elle était belle, comme moi !
Elle termina en éclatant de rire, suivie par Narcisse.
- Et celle-là, c'est laquelle de constellation ?
L'ainée leva la tête et observa les étoiles. Elle parut se plonger dans ses pensées, le regard dans le vague.
- Alors ?
L'adolescente regarda sa petite sœur avec un sourire malin, puis murmura :
- Elle, c'est la Petite Ourse. Veux tu que je te conte son histoire, à elle aussi ?
- Je crois que tu connais la réponse, s'impatienta la petite Narcisse.
- Bien bien ! s'amusa la conteuse. Alors écoute attentivement.
Narcisse lui aurait bien répondu qu'elle y comptait, mais elle ne décrocha mot, laissant la voix de sa sœur l'envouter.
- L'ancien nom de la constellation de la Petite Ourse est Cynosura, qui veut dire « la queue du chien». L'origine de ce nom n'est pas très bien sue, car la Petite Ourse en tant que « queue du chien » voudrait dire qu'il devrait y avoir une autre constellation tout proche d'elle se nommant « le chien », or cette constellation n'est pas connue, voir n'existe pas.
La tradition voudrais plutôt que Cynosura soit le nom d'une nymphe décrite comme une nourrice de Zeus, qui, honorée par le dieu, lui ait dédié une place dans le ciel. Il existe de nombreuses théories expliquant le nom de Cynosura. En fait, la Petite Ourse n'a pas d'histoire très connue, ou fixe. Mais elle est célèbre car l'étoile polaire, qui indique le nord, en fait partie. Et si tu peux trouver le nord, tu peux te guider n'importe où.
Émerveillée, Narcisse, les yeux ronds et brillants, toujours aussi suspendues aux lèvres de sa sœur, bégaya :
- Je... C'est ma constellation préférée ! Les ours sont si beaux et forts !
- Et pouvoir indiquer le nord est très utile, compléta l'adolescente. Tu as fait un bon choix, Narcisse.
La Narcisse d'aujourd'hui a bien changé. Elle n'est plus cette petite fille surexcitée et est devenue aussi arrogante que maitresse de l'ironie et du sarcasme. Aujourd'hui, elle cache ses peurs et ses émotions et ne montre qu'une façade lisse et agressive. Aujourd'hui mais aussi depuis tant d'années, finalement. Depuis...
Elle évite d'y penser.
Elle évite d'y croire.
Elle évite de le voir en face.
Elle s'empêche de défier la réalité.
Elle est devenue Narcisse, et c'est ainsi. Peut-être à cause de cette chose, ou peut-être à cause de sa solitude... Peu importe, ça ne compte pas. Plus maintenant. Plus depuis.
Enfin, le soleil se leva, depuis l'est, lointain. Narcisse avait passé toute la nuit sur la poupe, en proie au chagrin, mais le ciel nimbé de rose et d'orange lui redonnait espoir. Elle se leva et sauta souplement de son perchoir avant d'aller s'agripper à l'un des trois mâts. Habituée maintenant à la vie de marin, elle grimpa avec facilité et s'installa sur le petit endroit prévu à cet effet, au sommet. Tarann était là aussi, regardant l'horizon sans l'aide de la longue-vue.
- La terre est proche, lui confia t-il sans détourner le regard.
- Je sais. Capitaine a dit qu'elle serait atteinte à l'aube, et il ne se trompe jamais. De plus, je pouvais m'en rendre compte par mes propres moyens, c'est à dire : mes yeux.
Si elle avait l'air humoristique, ce n'était pas le cas, mais simplement sa façon de répondre aux gens qui disaient des propos qui lui paraissaient non-instructif ou inutiles.
Tarann, ayant appris le caractère de l'adolescente, se tut et continua sa contemplation de l'océan et de l'île de plus en plus distincte. Peu à peu, les marins s'échappèrent de leur sommeil et montèrent sur le pont, ensommeillés. Les enfants débutèrent leurs jeux, les adultes s'émerveillèrent devant la terre au loin, et d'autres prirent un air blasé. Narcisse resta juchée près de Tarann tout le restant du trajet. Ce fut alors que l'aube venait de passer que le navire ne fut plus qu'à quelques mètres des terres. Le capitaine fit un rapide demi-tour de l'ile, car elle était assez vaste et qu'il ne voulait pas perdre de temps. Il fit accoster le bateau près de rochers au niveau de l'eau. Le père de Narcisse et sa mère installèrent la passerelle et aidèrent les villageois rescapés à descendre. Le capitaine sortit en trombe, voulant être le premier à poser le pied sur l'île. Tarann rejoignit les autres pour aller visiter la terre, mais Narcisse décida de rester sur son mât, ne voyant pas l'intérêt d'en descendre. Elle savait que sa mère monterait la réprimander, mais elle s'en fichait royalement. elle voulait juste être seule, même si elle l'était déjà bien trop. Elle ne voyait pas le but de sa vie, et découvrir quelque chose ne lui disait rien qui vaille. Du moins, pour l'instant...
Le soleil brillait haut lorsque Narcisse ne put finalement contenir sa légitime curiosité.
Hé oui ! Malgré son caractère fort et arrogant, elle avait toujours une envie irrépressible de voir. Pas d'aller loin, de visiter chaque recoin; juste observer.
Alors elle descendit lestement de son mât, se laissant glisser à une corde usée. Elle posa un pied à terre et fléchi les genoux pour amortir le choc du saut. Une fois relevée, elle marcha lentement mais sûrement vers la passerelle, et jet un rapide coup d'œil alentour. Elle n'aimait pas montrer sa face curieuse et préférait qu'on la voit comme une solitaire insolente.
Rapidement, elle passa de la passerelle à l'île, et s'arrêta sur les pierres. La mer était relativement calme, et les mouettes chantaient en canon d'horrible mélodies. Narcisse se fraya un passage parmi les mauvaises herbes qui poussaient ici et là, puis déboucha sur un étendue verte et jaunie. À l'horizon se dressait un énorme montagne, si haute qu'on ne voyait pas le sommet, et si large qu'elle cachait presque tout le lointain. Sur les côtés, de la forêt, de la forêt, et encore de la forêt. Narcisse ne vit aucune habitation. L'île devait être déserte de ce côté-ci, pour une raison ou une autre. Au début, elle ne vit personne, mais après coup, elle découvrit les silhouettes d'hommes et femmes en plein travail. Elle se rendit compte que c'était les villageois, et qu'ils étaient en train de couper des arbres et tisser des lianes. Soudain, un déclic se fit dans son esprit, et elle comprit.
- Nous avons... trouvé notre île !
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