𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 𝟏𝟐
Le bateau était prêt au départ, le soleil déjà haut trônait dans un ciel sans l'once d'une nuage. Le pont menant au navire avait été sorti, et plusieurs villageois étaient déjà à bord. Narcisse, ses parents, Alice, Tarann, Jo et quelques autres saluaient leurs nouveaux amis. Kejdhan serra la main d'Alyn et lui dit :
— Bonne chance, prenez soin de vous. Agi nom'rè grol, comme on dirait en Isterrien, ce qui signifierait "Que l'orage reste éloigné".
— Merci, répondit Alyn en lâchant la main de l'Isterrienne amicale.
Narcisse se détourna de la scène d'adieu et s concentra sur celle qui se déroulait sous ses yeux. Les adolescents rencontrés, Sanah, Julio, et Yanwa ne cessaient de lui faire des bises, des serrages de mains, des câlins, des "au revoir" et des prières de bonne fortunes. Jo s'approcha, et il fut à son tour enseveli sous les adieux. Il recula brusquement, amusé.
— Je ne pars pas, moi !
Narcisse lui lança un regard surpris qui devint bientôt haineux, et tous les gens autour stoppèrent leurs adieux.
— Comment ça ? demanda finalement Tarann, brisant le silence.
— Et bien, lorsque le Capitaine m'a accordé le plaisir de rejoindre votre embarcation, notre contrat a été qu'une fois ici, à Isterrà, je devais y rester.
— Jo ! s'offusqua Alyn. On a besoin de toi !
— Pas si sûre, fit Narcisse, retrouvant la colère qu'elle avait enfoui. Il pourrait à tout moment nous faire du mal avec sa malédiction.
Elle avait craché son dernier mot, essayant de blesser le jeune homme. Elle était bien plus peinée qu'elle aurait voulu l'admettre.
— Je sais me contrôler ! lança l'homme aux cheveux ambrés.
— Ah oui ? Tu ne l'as pas vraiment prouvé !
— Ou pas... fit-il en réponse à sa précédente parole.
Jo se gratta l'arrière du crâne, signe de sa gêne.
— En fait, je change d'avis, car je pense que tu as une dette envers nous pour l'île, tu sais, celle que tu as bousillé.
Jo, visiblement mal à l'aise, se balança d'avant en arrière, le regard fuyant comme un gamin pris en flagrant délit la main dans le sac.
— Bon... De toute façon je crois que je n'ai rien d'autre à faire...
Narcisse adressa au jeune homme un sourire suffisant et lui dit :
— Monte quand tu sera prêt !
La femme aux cheveux sombre s'apprêta à retourner sur le navire, ayant déjà salué tout le monde et ne voulant pas s'attarder à cette douloureuse tâche, lorsqu'un souffle précipité se fit entendre sur sa droite. Elle fit volte-face et aperçut James et Anabella, courant vers elle. La femme du chaman était vêtue d'une splendide robe de velours rose pâle dont elle devait agripper les pans de devant pour éviter de lui marcher dessus. James, lui, portait toujours les mêmes vêtements que la veille.
— Narcisse, haleta t-il.
La jeune femme s'approcha de lui et posa une main sur son épaule.
— James, tout va bien ?
— Parfaitement, parfaitement articula t-il avec quelque difficulté. Hier, j'ai oublié de te donner la quelque chose de très important : la carte te permettant de trouver les autres morceau du Miroir.
— Oh, il y a une carte ? Avec elle, tout sera simple comme "bonjour" !
— Ne t'emballe pas trop vite, Narcisse, ma petite, coupa Anabella. Bien des étapes vous sont encore à affronter, et une bête carte pourrait même vous paraitre inutile, en comparaison. Sois bien en connaissance de causes avant de te lancer dans quoi que ce soit, s'il te plait.
Le ton de la fin de phrase de la femme âgée était presque suppliant, et Narcisse promis de bien réfléchir avant de faire quoi que ce soit. James tendit alors un parchemin roulé et tenu fermé par un ruban rouge à la jeune femme aux cheveux de jais, et cette dernière le prit soigneusement entre ses mains. Elle lança un coup d'œil au chaman qui répondit à sa question muette par un léger hochement de tête, et la Sapancienne défit délicatement le nœud pourpre avant de dérouler la feuille de papier jauni. Sur la carte aux traits aussi foncé que s'ils venaient d'être tracés, des montagnes, des plaines, des forêts, et toutes sortes de pictogrammes montraient le monde tel qu'il était.
— Mais... C'est une bête carte de notre monde ! s'étonna Narcisse, déçue.
—Absolument pas, la détrompa James. D'ici peu, trois points apparaitront, et c'est à ces endroits que ce trouvent les autre fragments. C'est juste que la carte est solaire, et à être restée des années dans un coffre, elle n'a pas pu être rassasiée.
— Je vois, répondit la femme, intriguée. Et bien, merci, j'imagine ?
— De rien, lui sourit le chaman en redressant ses lunettes.
Ils restèrent là quelques instants à se regarder, jusqu'à ce qu'Anabella coupe ce moment.
— Bon, je crois que c'est l'heure des adieux...
Elle n'eut pas le temps d'en dire plus, Narcisse la serra contre elle.
— Merci infiniment, Anabella.
Les deux femmes restèrent ainsi un moment avant que la Sapancienne ne se tourne vers James. Elle l'observa et passa son regard de ses pieds à sa tête, ne sachant que dire. Semblant lire dans ses pensées, le chaman sourit gentiment :
— Parfois, il n'y a pas besoin de mots, Narcisse. Les yeux seuls peuvent servir de paroles.
Sur ce, il prit sa main et l'embrassa, puis attrapa les épaules de sa femme, et tous deux repartir sans plus un mot.
Le bateau s'en alla, brisant les flots foncés dans un silence total. Narcisse ne pouvait s'empêcher de regarder Issterrà qui disparaissait au loin, et qui n'était déjà plus qu'une masse blanche. Un orchestre inattendu dans un pareil moment surgit de la cabine se trouvant sous le gaillard d'arrière, faisant s'entendre une musique entrainante au sonorités celtiques. Un tambour donnait le rythme, et les musiciens l'entourèrent tout en poursuivant leur musique. Très vite, Plusieurs personnes les imitèrent, et au final, tous les Sapanciens se trouvant sur le port se retrouvèrent à danser en rond autour des instrumentistes. Narcisse en oublia totalement Issterrà, James et Anabella, Kejdhan, Julio, Sanah, et tous les autres. Comme il y a quelques semaines lors de la fête sur le bateau, elle se sentit emportée par la musique qui l'enveloppait. Elle dansa de façon irrégulière, sans mouvement fixe, mouvant son corps dans une harmonie qu'elle seule comprenait. Jo, qui n'était pas un très bon danseur, buvait une pinte, accoudé au bastingage, le pied frappant la mesure. La jeune femme aux cheveux de jais se détacha du petit groupe et vint à sa rencontre sans pour autant arrêter de danser. Le ciel avait rougi, et le soleil à l'ouest plongeait dans le sommeil. Jo sourit d'un air moqueur en regardant Narcisse.
— Alors, on se remet des adieux, à ce que je vois !
— Ne ravive pas la douleur dans la plaie à peine sèche, Jo, prévint la jeune Sapancienne.
Elle s'appuya à son côté, arrêtant enfin sa danse vive. Ses cheveux longs tourbillonnaient dans le vent, lui cachant une partie du visage. Jo se rapprocha un peu d'elle, et la jeune femme lança soudainement :
— Je n'arrive toujours pas à croire que je t'aie pardonné toutes tes conneries...
Elle soupira et tourna la tête vers la fête. Jo préféra changer de sujet et demanda :
— As-tu pu voir où nous devons nous rendre pour récupérer le premier fragment ?
— Les points sont apparus, oui, et le plus près se trouve dans une forêt dense. Je ne sais pas qui y vit, ni ce qu'on va y trouver, mais le Capitaine a déjà mis le cap sur cette côte.
— À combien de jours d'ici ?
— Environ trois, selon le Capitaine. La forêt porte le nom de Pays de l'Est, aussi appelé Dakaah. D'après les renseignements que j'ai pu récupérer, ce serait un territoire d'elfes...
— Et de dragons. Je sais.
Jo marqua une petite pause, puis reprit, le regard dans le vague, les bras croisés sur sa poitrine.
— Une légende d'Issterrà raconte la mission d'Undrìl, une elfe dragonnière qui, après en avoir fait le serment, à dû parcourir la région à dos de dragon pour y trouver la Couronne qui ne ternit pas. Ce conte était souvent raconté aux enfants de mon peuple, c'est une histoire bien connue.
Le jeune homme tourna la tête vers Narcisse et lui sourit faiblement.
— J'ai hâte de voir à quoi ça ressemble, avoua la Sapancienne. Je n'ai jamais vu d'elfes.
— Moi non plus, mais je ne pense pas que ce soit bien différent des humains.
Narcisse haussa les épaules, ne sachant que dire, puis murmura un indistinct souhait de bonne nuit avant de descendre dans sa cabine.
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