𝕮𝖍𝖆𝖕𝖎𝖙𝖗𝖊 𝟏𝟎

Leopold tourna la tête et vit que Narcisse ne le suivait plus. Paniquant, il fit marche arrière, mais un vent bien trop fort pour être naturel l'en empêcha, le repoussant comme des bras aussi musclés que s'ils avaient travaillés des années durant. Le jeune homme tenta de courir, en vain; cela ne changeait pas grand-chose. Essoufflé, glacé et trempé jusqu'au os, il se recroquevilla, faisant fi de la tempête de grêle. 

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Narcisse se releva, essuya les gouttes gelées qui perlaient à ses yeux. Un bruit de grosse vague se fit entendre, et elle se mit immédiatement sur ses gardes, dague pointée devant elle. Sous l'eau sombre, une forme de taille humaine se mouvait lentement, comme pour narguer la jeune femme. Elle resta à regarder la chose, essayant de remettre cette silhouette à un animal marin du nord. 

- Bonjour, fit une voix de femme, résonnante et noble. 

Narcisse vit que la forme avait disparu juste avant que ses réflexes prennent le dessus et qu'elle se retourne, prête à trancher la gorge de l'inconnue, mais elle s'arrêta net, impressionnée.

Grande, très grande même, une longue chevelure blanche l'enrobant comme un vêtement, les épaules basses et fines, des doigts longs. Narcisse ne discernait pas ses pieds, cachés dans une brume soudaine, mais nombre de bijoux la paraient. La jeune femme aux cheveux de jais inspecta rapidement la femme de haut en bas, mais s'arrêta sur ses yeux. Elle hoqueta, ne s'attendant pas à cela. La nouvelle venue avaient de grand yeux bleus à priori très jolis, sauf qu'ils ne possédaient pas de pupilles. C'était un regard inquisiteur, mystérieux, apeurant. 

Ne voulant pas paraitre indiscrète et encore moins dénuée de bonnes manières, Narcisse se redressa de toute sa hauteur, releva le menton, aussi bien pour faire bonne figure que pour pouvoir le visage de la grande femme. Celle-ci s'éleva du sol, et ses yeux sans pupilles se parèrent d'un cercle au début presque invisible, mais qui devint rapidement doré. En son centre, de plus petits suivirent, jusqu'à créer une sorte d'illusion d'optique. Narcisse aurait voulu reculer, mais elle tint bon, même sous le regard pesant de la femme. Un coup de vent venu de nul part dévoila une robe blanche sous les cheveux de l'inconnue, qu'elle repoussa. L'habit avait quelque peu les attraits d'une toge, cette coupe droite et ces nombreux pans de tissus étant reconnaissables entre tous. Une broche d'or et d'argent ornait son épaule, et les ronds dans ses yeux sans pupilles disparurent un instant, mais refirent surface très vite. 

- Narcisse.

La concernée se racla la gorge, ne sachant que répondre. Le fait que l'étrange femme connaissait son nom aurait dû la perturber, mais depuis tout ce qu'elle avait traversé, ça lui paraissait presque courant. 

- Narcisse, répéta l'inconnue.

Les cercles d'ors de ses yeux disparurent alors pour de bon, laissant place a de multiples couleur qui intervenaient les unes après les autres. La femme à la blanche chevelure ne paraissait pas s'en soucier, elle semblait même s'en abreuvoir. Soudain, tout s'arrêta, et ses iris prirent une teinte noire. Des étoiles semblèrent briller à l'intérieur lorsqu'elle parla reprit la parole d'une voix sibylline.

- Narcisse... Tu es l'Espoir. Tu peux sauver ton village, leur trouver une endroit où vivre. Tu peux leur offrir une nouvelle vie, calme et paisible. Tu n'a qu'une chose à faire : accomplir la Quête de l'Émeraude. L'Émeraude est un miroir brisé en pierre d'émeraude. Si tu réussi à trouver les quatre morceaux, l'un de tes vœux pourra être exaucé. Tu as été choisie par le destin, car il sait que tu ne souhaiteras rien à tes fins et aideras ton village. Pour t'aider, tu n'auras droit qu'à mon indice de départ : Le premier fragment de l'Émeraude se trouve au village dans lequel vous avez fait immersion. 

- Et... Je doit le trouver seule ? Il n'y a pas moyen de bêtement chercher un endroit où vivre ?

- Narcisse, Narcisse, fit la femme en secouant la tête. 

Elle se reposa sur le sol, et ses yeux devinrent à nouveaux bleus, mais toujours aucune pupille n'était visible. 

- Je ne m'approche pas des mortels sans bonne raison. Crois-moi, cette quête est ton billet d'entrée pour une nouvelle vie, et c'est aussi le cas pour ta famille. Tu ne voudrais pas que tes amis, voisins, parents, doivent chercher indéfiniment une île, traversant périple après périple, non ? Pour ta première question, il n'est pas interdit de révéler la quête à tes camarades, au contraire, c'est certainement plus pratique.

Se rapprochant encore, l'étrange inconnue prit les mains de Narcisse dans les siennes. La jeune femme voulu se dégager, sans succès.

- Je dois te laisser, Narcisse. Rappelle-toi qui tu es et d'où tu viens, souviens-toi du passé et ne pense pas trop au futur, vit l'instant présent, profite de tout, apprend de tes erreurs, ne reste pas au sol après une chute. 

Elle lâcha les mains froides de Narcisse, lui tourna le dos et leva les bras dans un geste théâtral. 

- Dis au revoir à la grande Iris, Prêtresse Divine des Déesses Voyantes et Sibyllines, ou si tu préfère, dit simplement à bientôt. 

- Heu... À bientôt...

- Nous nous reverrons, Tch'alah.

Les bras toujours levés, la déesse disparut, ne laissant pour trace qu'une trainée de grêle, qui fut très vite emportée par un vent doux. Narcisse n'eut pas le temps de réaliser quoi que ce soit, elle se trouvait à nouveau en pleine tempête, à l'endroit qu'elle avait quitté. Désorientée, elle remonta sa capuche et couvrit le bas de son visage avec le haut de son manteau de fourrure. La glace sous elle semblait avoir laissé place à de l'humide poudreuse, et la jeune femme s'enfonçait de plus en plus, peinant à soulever ses pieds. Alors qu'elle pensait pour la deuxième fois de la journée que tout était perdu, elle perçut un cri lointain, puissant. Il fut très vite emportée par le vent rapide, mais Narcisse eut le bon sens de lui répondre.

- Ohé !! Ohé !

Seules des bribes lui parvinrent, qui semblaient dire : 

- ...Hé ! ...Y a... qu'un ? ...Arci...oi ?

- Que dites-vous ? hurla t-elle le plus fort qu'elle put. Où êtes-vous ?

- Hein ? ...Oi ? 

Narcisse leva les yeux au ciel et se dirigea vers la voix de plus en plus distincte. Tout à coup, alors qu'elle avançait avec effort, elle tomba à plat-ventre, le pied pris dans un petit dôme de glace. De la neige plein la bouche, elle tenta de se relever, mais un bras puissant la souleva.

- Narcisse ! s'écria Leopold.

- J...Leo ! répondit celle-ci, joyeuse de voir le jeune homme malgré qu'elle aurait préféré ne jamais le retrouver. 

- Au fait... fit le garçon, gêné. Continue de m'appeler Jo. Je... Je crois que ce prénom...

Il n'eut pas le temps d'en dire plus, Narcisse le serra dans ses bras. 

- Tu ne devinera jamais ce que je viens de vivre, lui souffla t-elle à l'oreille. 


Le chemin avait été retrouvé, et Narcisse contait son aventure avec Iris - qui portait d'ailleurs un drôle de nom lorsque l'on savait que ses yeux étaient étranges - autour d'un délicieux alcool local. Attablés, les villages de Sapance ainsi que celui d'Issterrà écoutaient le récit de la jeune femme, suspendus à ses lèvres. Elle leur raconta en détails toute l'histoire, depuis le début de la tempête à l'accalmie sur le petit morceau de glace, en passant par l'apparition étrange d'Iris. Lorsqu'elle eut terminé son récit, personne ne prit la parole. Narcisse se pinça les lèvres, plus certaine que ç'aie été une bonne idée de tout déballer. Elle changea pourtant vite d'avis.

Alyn et sa mère se mirent soudain à lui poser moulte questions, le Capitaine à grommeler qu'elle inventait, ses amis Isseterriens à se demander comment Iris, l'une des déesse qu'ils louaient, avait pu descendre sur Terre, d'autres encore avaient l'air soupçonneux, voir inquiets. Ne sachant à qui répondre, qui rassurer, Narcisse se leva d'un bond du banc et haussa la voix :

- Ça suffit ! Taisez-vous un peu ! 

Toisant les gens avec le regard le plus suffisant possible, la jeune femme garda le silence quelques instants, mais lorsqu'elle voulut reprendre la parole, son père la coupa. Il se redressa et frappa la table du point pour amener l'attention sur lui.

- En tant que chef de Sapance, il est de mon devoir de trouver une nouvelle île. Mais cela semble malheureusement impossible, et Narcisse vient de découvrir la clé pour que ce rêve puisse se réaliser. Si vous êtes du même avis que moi, ce n'est pas à elle de porter le fardeau de la recherche sur ses épaules, mais si Iris lui a confié cette mission, c'est pour une bonne raison.

Le chef fit une pause, prenant le temps de parcourir tous ses sujets des yeux.

- Nous allons donc nous mettre ensemble à la recherche des fragments d'Émeraude.

Acclamations mais aussi cris de négation accueillirent la fin du court discours. Le chef, ne voulant en entendre plus, sortit de la taverne, très vite suivi par sa femme, Alyn, Tarann, Narcisse, et, plus étonnant, le Capitaine, ainsi que tous ceux qui acceptaient la décision du chef. 


Le soir était bien installé lorsque Narcisse et les villageois ayant décidé de l'accompagner dans sa quête se retrouvèrent à une table de la taverne, examinant une carte. Narcisse ne leur avait pas encore avoué que le premier fragment se trouvait à Issterrà, et ils cherchaient déjà le possible endroit où il pourrait être. 

- En fait, fit-elle, coupant court au tumulte de la conversation, le premier fragment se trouve ici même, à Issterrà...

- Fallait pas le dire plutôt, surtout, cracha Jo.

- Ben ça ! s'agaça le Capitaine. Et tu comptais nous l'dire quand on s'raient tous morts et enterrés ?

- Non, mais j'avais oublié...

- Oublié ! cria Tarann. Y a que toi pour oublier ce genre de trucs Narcisse ! 

Il rit, bientôt suivi de tout le monde. Finalement, le père de la jeune femme se leva et prit la parole, les mains sur les épaules de sa fille :

- Écoute, ma fille. Va voir le chaman du village, il saura certainement te montrer où se trouve précisément le fragment. Rejoins-nous lorsque tu le sauras, nous t'attendrons ici. 

Pour toute réponse, Narcisse hocha la tête, et sortit de la taverne de glace pour se retrouver dans le soir glacé. L'igloo du chaman était simple à repérer; au centre du village, tout luisant de bougies magiques, des reliques accrochées partout sur la façade. Narcisse s'y dépêcha, souhaitant qu'il y fasse chaud. Elle perdit tout espoir en voyant que la porte n'était qu'un rideau de peau usée. Lorsqu'elle le repoussa pour entrer, ne sachant que dire et comment s'y prendre - fallait-il demander la permission d'entrer ? Fallait-il faire une prière ou répéter un mantra ? - elle se mit à littéralement étouffer. Dans l'air flottait une odeur d'encens mêlée à celle de tabac ainsi que d'autres inidentifiables. La jeune femme toussa et mit sa main devant son visage en tentant de repousser la vapeur qui s'échappait des bocaux et autres récipients, dans un coin de l'antre. 

- Bonjour ma jolie, fit une voix éraillée de femme. Que puis-je faire pour toi ?

La femme sortit d'une pièce adjointe, des grimoires dans les bras. Sa tête arrivait tout juste au menton de narcisse, mais ces formes bien dessinées lui donnaient un air puissant. Ses cheveux gris étaient détachés et parsemés de breloques en tout genre. Un bandana retenait les mèches folles, et deux longues boucles d'oreilles en os pendait à ses lobes. Son nez épaté moucheté de taches de son égayait son visage ridé à l'air pâlot dans la lumière tamisée.

- Je désire voir le chaman, répondit la femme à la chevelure de jais entre deux quintes de toux. 

- Je suis désolée, ma jolie, mais il n'est pas là. Souhaites-tu l'attendre autour d'une tisane ?

Narcisse hésita, sachant d'avance ce que donnaient les tisanes des chamans.

- Heu...

Mais il lui était trop tard de refuser, en deux temps trois mouvements elle se retrouva sur un coussin à même le sol, devant une table basse et ronde, faite en bois foncé et poncé. Deux tasses étaient déjà installées sur de belles soucoupes en porcelaine. La boisson fumante créait de petites bulles qui en disaient long sur le liquide. 

- Alors ma jolie, qu'est-ce qui t'amènes dans l'antre du chaman ?

- Heu... À vrai dire c'est assez... secret et confidentiel...

- Ces deux mots sont synonymes. Il ne sert à rien des les mettre dans la même phrase, ma jolie. Et puis, les secrets ne restent pas longtemps cachés pour Anabella. 

- Qui êtes-vous, au juste ? demanda Narcisse en esquivant la remarque de la femme.

- Une voyante, assistante et femme de notre cher chaman. 

- Est-il performant, ou simplement un de ces arnaqueurs de foires ? Et vous ?

Narcisse ne voulait pas perdre de temps et préféra enchainer les questions.

- Voyons, ma jolie ! Te trouves-tu dans une foire ? T'as t'on déconseillé de te rendre ici ? 

Comme Narcisse ne répondait pas, la vieille femme reprit :

- Parfait. C'est ce que je pensais. Maintenant, si tu veux bien m'attribuer ne serait-ce qu'un centième de ta confiance, ma jolie, explique moi ce que tu cherches.

Narcisse, de plus en plus agacée par les propos de la femme, l'absence du chaman et le fait que la voyante la surnomme "ma jolie", avoua d'une traite :

- Je recherche le premier fragment du miroir d'Émeraude et on m'a dit qu'il était ici. 

- Cours, clair, et net. C'est bien ce que je pensais. Tu es l'Espoir, ma jolie, non ? Et tu désires accomplir la Quête de l'Émeraude pour trouver un nouveau foyer pour ton village ?

- C'est exactement ce que je viens de dire. 

- C'était plus ambiguë, le sens était caché. 

- Peu importe, vous aviez très bien compris de quoi je parlais. Maintenant que vous savez tout ça, qu'allez-vous faire de ces informations ?

- Les transmettre au chaman lorsqu'il reviendra, ma jolie.

Narcisse faillit se taper le front de la paume, mais se retint, pour garder contenance. Elle entendit sa tisane éclater une bulle particulièrement bruyante et baissa les yeux sur la tasse pleine. Elle n'y avais pas touché, alors que la voyante, qui avait l'air de trouver ça bon, l'avait bu d'une traite. Elle le remarqua d'ailleurs et fit un signe de tête à la jeune femme en lui désignant la boisson. 

- Tu devrais goûter. 

- Ça ne m'inspire pas confiance. 

- Tu as bien raison, c'était assaisonné d'un sérum de parole. 

La voyante se leva, prit la tasse et en jeta le contenu par une fenêtre cachée par un épais rideau. 

- Que faisons-nous à présent ? demanda Narcisse qui voulait rester le moins de temps possible dans l'antre.

- Nous allons attendre, ma jolie. 

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