Parfois, lorsqu'elle était seule dans la salle de bain, Lucie voyait un autre monde prendre vie derrière le miroir. Son reflet s'effaçait au profit de jolies couleurs, celles qui ne ressemblent à aucune des couleurs qu'elle connaissait. Chaque fois, le paysage changeait.

Tantôt, elle se retrouvait sur une planète étrangère, d'autres fois au beau milieu d'un océan peuplé de poissons difformes. Un matin elle gravissait une haute montagne, un soir elle explorait les cavités rocheuses les plus enfouies sous terre.

Et des fois, elle apparaissait. Elle ne restait jamais très longtemps, mais assez pour faire peur à Lucie. Là, derrière un arbre. Ici, chevauchant un poisson. Une fille, comme elle. Elle lui ressemblait étrangement, si ce n'était ses deux yeux d'un blanc mort et sa peau cadavérique, presque translucide.

Lucie avait plusieurs fois tenté de lui demander ce qu'elle lui voulait, en vain. Elle ne répondait jamais. Elle restait là, à l'épier en silence pendant quelques secondes. Et puis, d'un coup, elle disparaissait, et le paysage se décomposait avec son départ.

Maman lui avait dit que c'était son imagination. Qu'il était impossible que tout un monde existe derrière le miroir de la salle de bain. Lucie insistait que c'était réel et qu'un jour, elle irait le rejoindre, pour lui prouver qu'elle avait raison. Sa maman secouait l'idée de la main, comme à chaque fois, mais la détermination de Lucie, elle, grondait chaque jour un peu plus.

Jusqu'au jour où, derrière le miroir de la salle de bain, son double lui fit signe de la rejoindre. Lucie pencha la tête, hésitante, mais curieuse. Comment pouvait-elle rejoindre cet autre monde, celui à l'intérieur du miroir ? Alors qu'elle posait la question à voix haute, l'eau coula soudainement du robinet.

Lucie sursauta. Elle ne l'avait pas touché.

Lentement, une main d'un blan cadavérie sortit du tuyau, la paume grande ouverte, et se contorsionna pour la lui tendre.

Quand Lucie releva les yeux, son double se trouvait juste devant elle, les yeux blanc et un sourire étrange aux lèvres. La main continuait de s'agiter dans sa direction.

Lucie hésita, puis tendit sa main. Son double avait les doigts durs et froids, comme ceux d'un cadavre. Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Puis d'un coup, le temps d'un cri, elle fut happée à l'intérieur.

Sa maman accourut, surprise par le son de sa voix. De l'eau noire coulait sous la porte. Prise d'un mauvais pressentiment, elle tourna la poignée, encore et encore, sans parvenir à ouvrir la porte. Un grand coup de pied aida à faire céder la serrure.

Un cri s'échappa de sa gorge.

Lucie était là, le visage dans le lavabo, rempli d'eau noire. Inanimée. Noyée. De l'autre côté du miroir, une autre Lucie aux yeux blancs sourit brièvement, puis disparut. Sa mère eut beau crier, secouer la fillette et tenter de la réanimer, rien n'y fit.

Lucie avait traversé le miroir.

Lucie était partie. Pour toujours.