Monsieur le premier ministre avait connu de meilleurs jours. Depuis ce matin, son coeur faisait les montagnes russes à mesure que les journaux relayaient dans la presse les terribles événements qui se déroulaient en ce moment-même dans le bureau du président de la République, en plein coeur de l'Élysée.

Tout avait commencé une semaine plus tôt, lorsque l'humanité avait découvert que la magie était un peu plus réelle que dans les contes de fées. Des sorciers et des sorcières avaient décidé par milliers, du jour au lendemain, de faire connaître leurs talents magiques au monde entier, par volonté d'ouvrir leur culture au commun des mortels.

Oui, mais voilà, un talent magique, ça ne rapportait pas d'argent. Et quelque chose qu'on ne pouvait pas quantifier avec de l'argent, ça rendait fou n'importe quel gouvernement. Entre la gauche qui hurlait aux droits citoyens pour tous les sorciers et la droit qui leur demandait de retourner à Poudlard d'où ils supposaient qu'ils venaient, le président et ses ministres ne savaient plus où donner de l'argent.

Il avait donc été proclamé en urgence la citoyenneté de toutes les sorcières et sorciers, en échange de cotisation à la Sécurité sociale et d'une retraite à soixante-quinze ans comme tous les citoyens français. Mais voilà, le Président ignorait alors qu'il venait de commettre une bourde diplomatique monumentale, puisque les sorciers vivaient plus de deux cent ans, et que beaucoup d'entre eux se firent renvoyer de leurs emplois sous prétexte qu'ils avaient passé l'âge légal de la retraite.

D'un côté, le peuple français hurlait pour travailler moins et faire baisser l'âge de la retraite, de l'autre le peuple sorcier hurlait maintenant pour travailler plus. C'était à ne plus rien comprendre !

Le Président fit alors ce qu'il savait faire de mieux : ignorer tout le monde jusqu'à ce que le problème explose et qu'il n'ait plus le choix que de s'y pencher. Malheureusement pour lui, cela arriva plus tôt que prévu.

Une délégation de sorcières s'était invitée la veille à l'Élysée et avait exigé un entretien avec le Président de la République. Les secrétaires avaient râlé, mais après que l'une d'elles ait été brutalement transformée en grenouille, elles dégagèrent un créneau dans l'emploi du temps du Président pour qu'il puisse les recevoir.

Maintenant, le Président de la République a un vilain défaut : celui de ne pas savoir tenir sa langue quand il le faut. Au lieu de calmer les tensions, il proposa aux sorcières un numéro vert à appeler pour être écouté par des psychologues formés spécialement sur leur cas. Quand l'une des sorcières lui rappela que ça ne leur rapporterait pas leur travail, il leur dit qu'elles ne faisaient pas trop d'efforts non plus et qu'aujourd'hui il suffisait quand même de traverser la rue pour en trouver.

La sorcière hurla « Macaron, explosion ! » et sous les yeux médusés des secrétaires et gardes du corps, le Président de la République explosa en une bouillie rouge sombre qui éclaboussa les murs dorés du palais présidentiel. La coupable hurla alors que c'était un coup d'état, et qu'elles ne quitteraient pas ce bureau avant qu'un sorcier soit élu Président de la République.

Humilié, le Premier Ministre eut alors la lourde tâche de l'annoncer à l'Assemblée Nationale. La gauche grogna que ce ne serait pas arrivé s'ils avaient mis en place la sixième République, la majorité présidentielle pleura la disparition de la démocratie, tandis que l'extrême droite hurlait que l'on demande la nationalité des sorcières, parce que quand même, c'était bizarre qu'elles ne soient pas fichées si elles étaient des terroristes. Les terroristes, ils sont toujours fichés par l'État et on le découvre après, ce qui permet de crier que le Président est un incapable sur Twitter et de parler de migration. Mais voilà, pas de migration, pas de fichage, et bientôt plus de Twitter puisque Elon Musqué provoqua une des sorcières avec une pique misogyne, et elle l'envoya en réponse dans la stratosphère... Sans fusée cette fois.

Un vote eut lieu à l'Assemblée, et on décida d'accorder aux sorcières le droit d'avoir un Président comme eux. Mais c'était un piège. Une fois le nouveau Président à l'intérieur (un faux-sorcier créé de toute pièce grâce aux sources complotistes de l'extrême-droite), il ordonnerait que toutes les sorcières retournent chez elle en Rowlinguie et les laissent tranquille.

Ça aurait pu fonctionner si la gauche, horrifiée de cette atteinte à la démocratie des sorcières, n'alla pas leur balancer tout le plan. Jean-Luc Ménichon se retrouva propulé ministre des humains en remerciement de ses services, alors que le reste de l'Assemblée Nationale fut transformé en gros rats puants sous les caméras du monde entier.

Depuis, la France est un État magique où toutes les sorciers et sorcières sont égaux en droit avec les humains. Le nouveau Président a augmenté l'âge limite de la retraite à cent trente ans, afin de satisfaire les demandes de son peuple.

En tout cas, jusqu'à ce que les humains lui rappellent que eux ne peuvent pas vivre cent trente ans en brûlant tout Paris. Oh, vous savez... Les Français, ils sont jamais contents, mais c'est ce qui fait leur charme. Ils finiront bien par s'y faire, comme toujours...