Les cloches de l'église monstrueuse de Monculq-sur-Tonbidon sonnèrent tristement la fin de toute une ère. Tous les monstres étaient réunis pour célébrer la disparition de l'un d'entre eux, après des millénaires de travail acharné. Quel gâchis.

— Je sais bien qu'il sentait des pieds, avait dit un Déborah Dégoût, mais quand même, finir dévorer comme un morceau de fromage...

— Il avait de grandes dents, mais il n'était pas mauvais comme le loup, confia ce qu'il restait du Petit Chaperon Rouge, après un énième tour dans l'estomac de son ennemi mortel.

— C'est une leçon que nous ne sommes pas prêts d'oublier, pleurèrent les Mémés Moires. Euh... De qui on parlait déjà ?

Et pour cause. Après des milliers d'années, le Monstre sous le lit avait disparu tragiquement, des suites d'un accident incompréhensible. Alors qu'il accomplissait son devoir quotidien, celui d'effrayer les enfants pour ne plus qu'ils ferment l'œil de la nuit, il avait été sauvagement agressé par Robert, le chinchilla du petit Milo. L'ignoble créature lui avait rongé les poils et la peau comme on ronge un morceau de bois. Le Monstre sous le lit avait tenté de se défendre, mais Robert avait finir par l'attraper à la jugulaire, l'abandonnant pour mort après un combat qui lui avait tout coûté.

Lorsque l'on avait confronté le chinchilla, il s'était roulé en boule pour s'endormir. Il fallait dire qu'il était midi passé et qu'étant un animal nocturne, la boule de poils n'avait que faire des revendications des créatures monstrueuses qui geignaient en chœur devant les barreaux de sa cage.

Un grand procès avait eu lieu pour le venger, sans résultat. La fourberie de Robert le Chinchilla n'avait aucune limite. Lorsqu'il se présenta à la barre, le juge déclara qu'il était « trop mignon pour être coupable » et le renvoya chez lui, lavé de tous soupçons. Cela ne ramena pas pour autant le Monstre sous le lit, qui reçut malgré tout les honneurs du service, après sa mort.

Son départ laissa un goût amer dans la gorge de tous les monstres, déjà menacés par l'expansion de l'activité humaine, et leur rappelèrent à tous que le métier pouvait être dangereux.

Quelques mois plus tard, de nouvelles lois furent votées pour mieux protéger les créatures de la nuit, afin qu'un tel accident ne se reproduise jamais. Devenu martyr d'une génération, le Monstre sous le lit nous a rappelé à tous que si jamais l'on croise un chinchilla sur notre lieu de travail, rien ne sert de lutter : il faut fuir.

Une leçon que tout le monde retiendra.