L'ogre aux mille dents (1/2)
Le craquement des feuilles mortes marquait la lente progression de la paysanne dans la forêt d'Ambroise. À ses côtés, Balthazar poussa un hennissement plaintif. Cette longue marche parmi les grands chênes avait épuisé le vieil âne. La femme salua la bravoure de la bête par une caresse à l'encolure et quelques mots à l'oreille. Consciente toutefois que de douces paroles ne suffiraient pas à soulager son fardeau, une modeste charrette surmontée d'un coffre en bois épais, elle les accompagna d'une délicieuse carotte.
Puis la femme se retourna.
Encore cette désagréable sensation d'être observée.
Et pourtant, toujours personne.
Serait-ce les fameuses Pixies des légendes ?
Durant des siècles, la forêt d'Ambroisie avait été surnommée par les locaux « le Bois des Pixies ». Un titre obtenu en raison des nombreux témoignages de voyageurs rapportant qu'à la nuit tombée, on pouvait apercevoir, voletant parmi les arbres, ces êtres fantastiques venus guider les cœurs pieux ou au contraire perdre les impies. Ce n'est que très récemment qu'un savant vagaranthe avait découvert que ces petites sphères lumineuses n'étaient en réalité que des insectes, des femelles qui émettaient ces lumières pour attirer les mâles. Quand bien même les fables seraient elles avérées, ces créatures volantes n'auraient jamais fait crisser de feuilles mortes sous leurs pas. Cependant, malgré ses nombreuses tentatives visant à débusquer un rôdeur humain, elle n'avait encore rien aperçu.
La paysanne se résolut à mettre ses inquiétudes sur le compte de l'atmosphère si singulière de la forêt d'Ambroise. En automne, une brume très fine capturée par les chênes centenaires flottait autour des troncs d'arbres tandis que le vent dansait parmi les branches, balayant les innombrables feuilles mordorées qui pleuvaient sur les promeneurs. Hélas pour elle, la femme ne pouvait profiter comme elle le souhaitait de ce paysage à l'ambiance presque onirique.
Le temps lui était compté.
Son âne ayant croqué le dernier morceau de sa friandise, elle le pressa ainsi à poursuivre leur chemin. En quelques minutes, ils atteignirent enfin le point de rendez-vous : une clairière située en plein milieu des bois. En son centre se trouvaient les ruines de ce qui fut autrefois un modeste village du nom d'Eldann, pillé puis brûlé. La femme s'arrêta un instant, le temps de se recueillir sur toutes les victimes de cette tragédie. Elle n'en avait connu aucune. Cependant, au cours de la dernière guerre, elle avait traversé de trop nombreux « Eldann ».
Une brise fraîche vint soudain lui caresser le visage et colla contre ses jambes sa longue robe de laine crottée par le voyage. La femme invita Balthazar à faire encore quelques pas. En silence, ils traversèrent les cendres, les maisons détruites et les tristes vestiges de toutes ces vies brisées prématurément, pour rejoindre un puits en pierre, seul monument épargné.
La paysanne redressa la tête pour considérer le soleil qui descendait doucement vers l'horizon. Elle soupira de soulagement : elle avait atteint le lieu de rendez-vous à temps. « Au coucher du soleil ».
Et pourtant, toujours personne.
La femme se sentit nerveuse, mordillant ses lèvres.
Balthazar lui, tirait la langue, expirant bruyamment.
— Mon pauvre, tu es assoiffé, le plaignit-elle.
Elle recoiffa son chignon qu'elle faisait tenir à l'aide de baguettes en métal puis la paysanne retroussa ses manches et s'en alla tirer de l'eau du puits.
— Mais quelle délicieuse p'tite croupe !
La femme sursauta. Derrière elle, un homme venait de surgir de la clairière par le même chemin qu'elle, confirmant que son impression de tout à l'heure d'être suivi était fondée.
Longiligne et borgne de l'œil gauche, l'inconnu l'observait de haut en bas, goguenard, tout en tapotant son épaule avec son arme, une masse métallique bardée de pointes acérées. Tandis qu'il s'avançait vers elle, la femme recula instinctivement. Sa fuite tourna court au moment où ses fesses se retrouvèrent collées au muraillement du puits.
— S... Sanctijio Ghosta ? se hasarda-t-elle en déglutissant.
L'homme filiforme aux allures de bandit ne répondit pas, se contentant de lui tourner autour avec les yeux avides d'un rapace.
Elle entendit un autre mouvement derrière elle. Cinq autres personnes, tout aussi menaçantes que le premier, apparurent des ruines. La femme ne put s'empêcher de frissonner à la vue de l'un d'entre eux. Son visage portait les traces de terribles et profondes brûlures qui faillirent lui provoquer de la pitié pour le malheureux si ce ne dernier ne l'avait pas à ce moment-là dévoré du regard avec indécence, bavant littéralement d'envie sur ses seins dont il mimait une palpation vigoureuse.
— T'es bien sûr qu'elle a pas été suivie, Sigven ?! tonna une voix puissante et rauque.
La paysanne ne put réprimer un hoquet de surprise et d'effroi en découvrant une toute dernière silhouette émerger des décombres noircis d'Eldann. Solidement bâti comme un ours, un colosse revêtu de pièces d'armures en cuir et en métal ainsi que d'une peau de bête la surplombait de plusieurs têtes. Son teint hâlé, et les tatouages tribaux ornant son crâne et son torse rasés trahissaient ses origines medijiennes. La gigantesque épée dentelée accrochée à son dos lui mit la puce à l'oreille, mais c'est lorsqu'il lui tendit son sourire tristement célèbre, dévoilant toutes ses dents pointues que la femme eut la certitude qu'elle se retrouvait devant le redoutable Sanctijio Ghosta, l'Ogre aux mille dents.
— T'en fais pas Ghosta, assura Sigven le fin, répondant à la question que le chef lui avait posée. J'la suis depuis qu'elle est entrée dans la forêt. Y a personne d'autre !
— T'as plutôt intérêt !
Sa sécurité assurée par l'un de ses plus fidèles lieutenants, le géant considéra la figure frêle en face, la scrutant à son tour de bas en haut en frottant sa barbiche noire.
— J'avais espéré qu'ils enverraient une fille plus... jeune. Dans la vingtaine. Pourtant, je suis bien forcé d'admettre que vous êtes sacrément jolie, madame.
Son vocabulaire et le ton employé surprirent la paysanne. Il était plus avenant et soutenu qu'elle ne l'aurait présagé de la part du chef d'une troupe de brigands se faisant appeler « Les Monstrueux ». Pourtant, à l'instar de son sourire carnassier, cette apparente politesse sonnait faux et ne rendait la femme que plus mal à l'aise. Un sentiment qui ne fit que s'accroître à mesure que l'épaisse main cailleuse de Ghosta se rapprochait. De son pouce, l'Ogre suivit le parcours dessinée par la profonde cicatrice barrant le front de la paysanne apeurée avant de plonger ses yeux noirs dans les siens.
— Tes yeux. Ils sont... Magnifiques ! murmura-t-il, adoucissant sa voix au maximum.
Gênée d'être ainsi scrutée, la paysanne détourna le regard, provoquant un rictus amusé chez Ghosta.
— Comment t'appelles-tu ?
— É... Émilie.
— Émilie, répéta-t-il en essayant à nouveau de distinguer le bleu de son iris qui semblait tant le fasciner. Quelle espèce d'enfant de salaud a bien pu avoir l'audace d'abîmer une telle beauté ?
— L-les soldats n-ne sont pas les seuls à avoir souffert de l'Atroce Guerre, v-vous savez ?
— C'est vrai, admit-il avant de s'écarter d'elle. Putain ! Aucune guerre n'a jamais aussi bien porté son nom.
Voyant le bandit s'éloigner, Émilie s'autorisa à nouveau à respirer. —
— À cette époque, mes gars et moi — l'ancienne troupe des Monstrueux — on était des mercenaires engagés par le royaume de Délita. Les consignes étaient on ne peut plus simples : on nous ordonnait de notre battre contre les Jaggercastiens à un contre vingt ? D'empoisonner leurs ravitaillements pour qu'ils crèvent de faim ? D'incendier leurs villages, femmes et enfants inclus histoire que les soldats ennemis aient la tête ailleurs sur-le-champ de bataille ? Ou encore d'écorcher vif les déserteurs à la vue de tous ? On répondait à chaque fois : « aucun problème, mon bon seigneur. Ce sera dix pièces par tête ! »
Ghosta s'arrêta un instant pour observer le ciel dont les nuages se teintaient d'un orange crépusculaire. Émilie frissonna en apercevant soudain se dessiner son abominable sourire. Ainsi, cette bête sauvage n'éprouvait pas le moindre remords pour ses exactions passées. Au contraire, leur souvenir semblait éveiller en lui une lugubre nostalgie.
— Puis... il y a eu le Serment de la Lune Dorée, soupira-t-il sans chercher à dissimuler son dédain. Bordel ! Qui aurait pu croire que deux mois seulement après la Boucherie de Milvar et la Nuit Écarlate notre « bon roi » Thalès I et l'empereur Armstark accepteraient de signer ce fichu traité de paix ?!
Ghosta s'esclaffa quelques instants, comme si, aujourd'hui encore, il n'arrivait pas à croire que ces évènements aient été autre chose qu'une vaste blague. Lorsqu'il cessa, Émilie aperçut soudain les hommes de Ghosta s'éloigner au plus vite de leur chef. La paysanne ne comprit que trop tard qu'elle se retrouvait à présent seule piégée dans l'œil du cyclone.
— ILS NOUS ONT ALORS CHASSÉS COMME DES MALPROPRES ET EXTERMINÉS LES UNS APRÈS LES AUTRES !!! tempêta Ghosta, transperçant au passage les ruines d'un mur en pierre d'un seul coup furieux de son gantelet en métal. NOUS ! LES MERCENAIRES DE SA MAJESTÉ, SOMMES REDEVENUS EN UN INSTANT DE VULGAIRES BRIGANDS ! DES CHIENS TROP SAUVAGES QU'IL FAUT ABATTRE !!!
Sa colère, plus proche et plus vive, poussa Émilie à prendre instinctivement ses distances. Hélas, deux des brigands de Ghosta lui coupèrent sa trajectoire de fuite, la laissant à la merci de leur chef.
— Alors, maintenant vous comprenez, ma gente dame ? lui demanda-t-il derrière un ton exagérément doucereux qui échouait à dissimuler sa furie. Tout ce que mes compagnons et moi-même voulons, c'est que justice soit rendue. Nous voulons simplement récupérer la récompense que des vétérans de guerre méritent après avoir vaillamment combattu et risqué leur vie pour VOTRE protection.
— P-pourtant, la Main Tendue ! Le roi vous a of —.
Avant qu'elle ne comprenne ce qu'il lui arrivait, Émilie se retrouva avec la main immense de Ghosta serrée contre sa gorge, lui coupant le souffle et la parole. La femme sentit les doigts du colosse trembler de rage tandis que ses pieds décollèrent du sol. Sans la moindre difficulté, l'Ogre aux mille dents la souleva jusqu'à ce que leurs yeux se retrouvent à même hauteur.
— J'aime ton regard, murmura-t-il d'un ton plus calme sans toutefois relâcher la pression de son étreinte. Laisse-moi t'expliquer : quand les Monstrueux seront reformés, je tuerai de mes mains tous ces fils de putains qui ont accepté de trahir leurs camarades en échange de mottes de terre ou de titres de pacotilles !
— Gh-Ghosta, tu vas la tuer, l'avertit faiblement Sigven, voyant la captive bleuir et suffoquer.
Par chance, Ghosta consentit à écouter son lieutenant. Libérée de la terrible étreinte, Émilie s'effondra à genoux. Elle toussa et respira bruyamment en tenant sa gorge tuméfiée, marquée par les doigts puissants du colosse. Ce dernier lui tourna le dos et acheva son discours sans se préoccuper de son état :
— L'Accord de la Main Tendue ?! Peuh ! fit-il en crachant par terre. Ce n'était guère plus qu'une laisse offerte à des chiens pour qu'ils aillent sagement quémander des miettes à leurs maîtres.
Derrière, le corps d'Émilie, mouillé de sueurs froides, tremblait comme une feuille. Quant à son esprit paniqué à l'idée d'avoir frôlé la mort, il la rendait incapable de bredouiller le moindre mot cohérent. Quand bien même, sa gorge la faisait encore bien trop souffrir pour qu'elle veuille débattre de l'accord royal.
Le pauvre âne Balthazar, de son côté, n'avait pas plus fière allure. Il se mit à hennir de terreur à l'approche des Monstrueux venus s'emparer de son chargement. Respectant la hiérarchie de leur bande, ils laissèrent néanmoins le soin à leur chef le privilège d'ouvrir le coffre à l'intérieur de la charrette. Ghosta se saisit ensuite d'une lourde poignée de pièces d'or et s'esclaffa :
— Parfait ! J'savais qu'on pouvait compter sur l'honneur chevaleresque de cette couille molle de marquis ! Allez les gars ! On prend tout et on rentre !
Pendant que les autres Monstrueux obéissaient, Émilie parvint à ressembler suffisamment de force et de courage pour se redresser. Encore toute tremblante, la main droite collée contre sa gorge encore marquée par sa récente agression, elle osa balbutier :
— Et les en... les enfants ! Où... où sont-ils ? V-vous deviez les libérer en échange de 300 000 Delms ! C'est... c'est ce qui était convenu !
— Emmenez-la, elle aussi, ordonna Ghosta sans lui adresser le moindre regard et encore moins une réponse en bonne et due forme. Des hommes comme il faut ne laissent pas une dame rentrer seule à la nuit tombée. Et puis les nuits sont froides.
Émilie n'eut pas le temps de saisir entièrement les terribles implications de cette dernière phrase qu'un voile noir s'abattit devant ses yeux. Elle hoqueta de terreur. La tête enfermée dans un sac en tissu épais, elle peinait à reprendre son souffle. Elle sentit alors une poigne ferme lui agripper le bras et coller son corps contre le sien. Émilie reconnut les éclats de rire stupides du pervers au visage brûlé. Le dément la palpa des pieds aux épaules, s'attardant sur ses parties les plus charnues et sensibles. L'effroi laissa Émilie dans un tel état de stupéfaction qu'elle n'esquissa pas le moindre geste pour se défendre. Des larmes de dégoût roulèrent sur ses joues tandis qu'elle sentait un pénis en érection contre sa cuisse.
— Hé ! Du calme, Mogor, intervint Sigven le fin. Rappelle-toi nos règles : les dés décideront de l'ordre de passage !
Émilie les entendit à nouveau s'esclaffer, rejoints par le rire dément du dénommé Mogor. La paysanne était désormais certaine du destin cruel qu'ils lui réservaient. Durant l'interminable marche en direction du camp des Monstrueux, la pauvre femme implora maintes et maintes fois la pitié de ses ravisseurs. Hélas, ses pathétiques suppliques eurent autant d'effet sur eux que leurs plaisanteries grivoises.
Lorsqu'après une heure de marche, on lui ôta enfin le sac noir sur sa tête, la nuit était tombée. Émilie se trouvait à présent dans les ruines d'un fort construit à la fois sur et à l'intérieur d'une falaise rocheuse. Fragilisé par le temps et les nombreuses batailles dont il avait vraisemblablement été le théâtre, l'édifice avait apparemment fini par être abandonné, laissé à la merci des voyageurs ou, en l'occurrence ici, des bandits.
Au passage d'Émilie, une vingtaine de Monstrueux lui susurrèrent des promesses salaces en les illustrant de gestes peu équivoques. Ghosta, lui, s'en alla compter sa fortune bien mal acquise. Au grand dam de sa prisonnière, il chargea Mogor, surveillé toutefois par Sigven, de l'emmener à travers le dédale creusé dans la falaise. À mesure de leur avancée, Émilie crut percevoir des pleurs qui se firent de plus en plus proches. Son escorte et elle atteignirent finalement leur origine : à l'intérieur de cachots faiblement éclairés par des lames à huile, de toutes petites silhouettes se terraient dans l'ombre. En plissant les yeux, Émilie reconnut les quinze enfants de Léonide, un petit village situé aux abords de la forêt d'Ambroise. Les plus curieux jetèrent de très rapides coups d'œil dans la direction. La plupart préférèrent néanmoins enfouir la tête dans leurs genoux, comme s'ils espéraient se fondre dans la roche.
Quatre jours s'étaient écoulés depuis leur enlèvement. Pourtant, les pauvres apparaissaient particulièrement chétifs et tremblants. Les Monstrueux les nourrissaient à peine !
Mogor poussa Émilie dans une petite cellule en face des leurs qu'il ferma ensuite à double tour. Puis, avant de quitter la pièce par la lourde porte métallique, il offrit aux plus jeunes captifs un sourire que tout homme sain d'esprit se refuserait d'adresser à des enfants.
Ses geôliers partis, Émilie éructa péniblement. La main collée contre sa bouche, elle se rua dans un coin de la prison où elle vomit les restes de son dernier repas. Du plat de la main, la paysanne essuya ensuite ses lèvres et son front en sueur.
— Vous... vous allez bien madame ? l'interrogea une voix frêle.
Émilie se retourna pour apercevoir une fillette, cinq ans à peine. De longues mèches noires s'emmêlaient sur un visage dont on distinguait à peine les traits sous la crasse.
— Ça va aller, je te remercie, la rassura l'adulte en se forçant à sourire. Vous êtes enfants de Léonide ? Les gardes de Capricorne m'ont envoyée pour vous ramener chez vous.
— On peut pas dire que ça a été efficace, railla un garçon aux portes de l'adolescence.
—... Tu as raison, concéda Émilie. Comment vous appelez-vous ?
— Moi c'est Iria. Et lui là, c'est mon frère, Ugos, répondit la fillette, plus avenante que son aîné.
Émilie fit alors connaissance avec la prénommée Iria, fille d'un tisserand. Ugos, malgré ses réticences, fut lui aussi gagné par l'envie de parler et se joignit à leur conversation, bientôt suivi par la petite Daphnée et les jumeaux Phébé et Philip. Sophia présenta sa poupée Pixirêve, ainsi que sa meilleure amie, la timide Roxanne. Flore révéla son rêve de devenir guérisseuse, comme sa grande tante, tandis que Sébastien, lui, annonça vouloir exercer le métier de chasseur pour la protéger. Tobian, jaloux, rabaissa avec méchanceté la virilité de son camarade. Une malveillance que refusa de laisser passer Viviane qui semblait sur la bonne voie vers sa destinée de chevaleresse de la Reine. Léonce apaisa alors les tensions en citant avec une impressionnante exactitude l'une des paraboles du Primordiale, laissant son audience bouche bée jusqu'à ce que Noé révèle le projet de son cousin de se présenter le jour de ses douze ans à la cérémonie de l'acceptation afin de rejoindre l'ordre des Prêtres.
Émilie aperçut ensuite deux autres enfants qui n'avaient pas pris part à la conversation. Étendus au fond de la cellule l'un contre l'autre, ils semblaient dormir paisiblement.
— Bien, il se fait tard ! Nous devrions faire comme vos camarades et nous reposer un peu, leur proposa-t-elle en remarquant des bâillements chez les plus jeunes.
Soudain, les sourires s'effacèrent laissant la femme perplexe. Alors qu'Émilie pensait avoir obtenu leur confiance, leurs yeux se détournèrent des siens.
— Qu... qu'est-ce qu'il vous... ? balbutia-t-elle cherchant à comprendre avant qu'elle ne considère de nouveau les deux endormis.
C'est alors qu'elle s'en aperçut. Ses deux corps trop immobiles et surtout, ses horribles hématomes qui, dans la pénombre, ressemblait à première vue à de la crasse. Bouche-bée, elle maudit sa bêtise. L'Atroce Guerre l'avait pourtant habituée à différencier une simple sieste de l'ultime sommeil.
— On a ... voulu se défendre... Kirian, il... Alors, ils ont... lui et sa soeur, Axelia.
Le récit de la petite Iria était remplie de blancs qu'Émilie n'eut hélas aucun mal à les combler. Elle aurait tant aimé être surprise, choquée de voir des enfants abattus, leurs cadavres laissés en exemple pour décourager toutes velléités de leurs camarades. Pourtant, des pires bassesses de l'Homme, elle avait été maintes et maintes fois témoins durant la Guerre. Face à elles, elle avait eu un choix à faire : devenir folle ou bien inhiber au maximum sa capacité à ressentir jusqu'à ce que son cœur devienne dur comme la roche. Fort heureusement, la colère qu'elle éprouvait à cet instant prouvait qu'il lui restait encore suffisamment d'humanité.
Le grincement des gonds rouillés de la porte en métal produisit un sursaut général. Émergea alors d'un pas léger Mogor, l'homme au visage à moitié brûlé dont le regard lubrique provoquait dégoût chez Émilie, mais surtout terreur chez les enfants. C'est pourtant la paysanne qu'il se contentait de fixer avec une incompréhensible hilarité et en la désignant du doigt.
— J'aime bien tes p'tites piques accrochées dans tes cheveux ! lâcha-t-il en s'avançant lentement vers elle.Et pis, et pis j'aime bien ta bouche aussi ! Et tes yeux bleus ! Ils sont comme le ciel ! Et tes longues, longues, longues jambes !
Tout en marchant vers la captive, le Monstrueux défit sa ceinture, laissant tomber par la même sa dague sur le sol rocheux.
— Mais tu sais ce que je préfère ? C'est tes nichons !!! avoua-t-il en mimant de ses mains la forme fantasmée de ses désirs. Ouais, t'as de trop beaux nichons, hi ! Hi ! Hi !
Mu par des instincts violents et bestiaux, Mogor se pressa de déverrouiller la porte de la cellule, ultime rempart physique entre lui et Émilie. La paysanne se réfugia à l'autre extrémité, souhaitant maintenir le plus longtemps possible de la distance entre eux.
Mogor sortit un dé six faces de sa poche qu'il brandit avec fierté.
— Et ouais, c'est moi qu'a gagné au jeu ! Je s'rai le premier à met' ma queue dans ta foufoune ! Hi ! Hi ! Hi !
Au son de son rire dément, un frisson parcourut l'échine d'Émilie. Le moment était venu !
— Les enfants, ne regardez pas ! eût-elle à peine le temps d'hurler avant que Mogor ne se jette sur elle.
Le pervers poussa Émilie avec violence contre la paroi opposée, l'envoyant s'écraser les omoplates contre les barreaux durs et glacials de sa cellule. Mogor entreprit ensuite d'embrasser la pauvre paysanne, mais elle s'y refusa, gesticulant dans tous les sens en interposant ses bras. Il finit par abandonner sans néanmoins laisser sa victime souffler. Une autre partie de son corps intéressait bien plus son agresseur qui pressait désormais sa main forte contre la cuisse charnue de la jeune femme. Il entama ensuite sa lente ascension vers l'objet réel de ses désirs. Émilie usa encore une fois de toutes ses forces pour stopper sa progression vers son entrejambe, mais...
— REST' TRANQUILLE ! s'agaça Mogor, lui postillonnant au visage.
Il la saisit alors par les épaules et balança contre un autre pan de mur Émilie qui interposa de justesse ses bras pour ne pas se retrouver le crâne fracassé.
— Du... du calme ! supplia Mogor, qui semblait regretter sincèrement la brutalité de son geste. Les... les aut' vont pas êt'e contents si j'te casse ! Alors... laisse-moi faire ! S'y te plaît ! J'f » rai attention... j's'rai tout doux !
Encore choquée par la violence dont elle avait été victime, la paysanne se figea, stupéfaite. Croyant que cela signifiait qu'elle acceptait d'obtempérer, Mogor sourit de ses trois dents ocre. Il s'approcha doucement et attrapa ses hanches avec toute la délicatesse dont il était capable de faire preuve. Élevé sans l'amour d'une mère, l'homme au visage brûlé approcha ce dernier de la poitrine généreuse d'Émilie, espérant s'y blottir pour enfin trouver cette chaleur qu'il avait si longtemps convoitée.
Ainsi ne s'attendait-il pas à ressentir une telle froideur. Mogor hoqueta puis cracha du sang. Et ce fut finalement son visage sans vie qui se pressa contre les courbes tant désirées. À l'arrière de son crâne, les deux baguettes en métal qui tenaient jusque-là le chignon d'Émilie étaient fichées sur sa nuque tandis que la longue chevelure châtain clair de la femme, désormais libre de toute entrave, tombait en cascade sur ses épaules.
— En... enfoiré ! cracha-t-elle en repoussant le corps puant qui s'effondra sur le sol froid de la cellule.
Du revers de la main, elle essuya les gouttes de sueur et de sang sur son visage. Son cœur battait la chamade. Hélas, ce n'était pas la première fois qu'elle manquait de se faire violer ou tuer. Souvent les deux à la fois d'ailleurs. Mais au moins avait-elle appris de ces épreuves comment calmer la décharge d'adrénaline qui suivait. Ainsi, elle ferma les yeux et inspira profondément à deux reprises. Déjà, ses tremblements s'estompaient.
— Allez !
Après s'être infligé une claque mentale puis deux plus douloureuses sur ses joues, elle s'empara des clés de la cellule accrochées à la ceinture du cadavre de Mogor. Ensuite, elle alla récupérer le tout petit sac de cuir qu'elle s'était empressée de régurgiter dès son arrivée en prison. Elle ôta la bile désormais froide en frottant sur sa robe avant de sortir un appareil pas plus grand qu'un bouton qu'elle enfonça dans son oreille. Elle s'arma ensuite avec la dague abandonnée par son geôlier avant de se libérer elle puis les enfants.
— Dépêchez, sortez maintenant ! leur ordonna-t-elle avec autorité.
Les treize jeunes captifs refusèrent de bouger. Même la petite Iria était encore sous le choc de la violente tentative de viol dont elle avait été témoin, puis de la brusque métamorphose de la gentille paysanne en meurtrière.
Comprenant l'effet qu'elle avait produit sur ces enfants, la femme glissa la lame de sa dague dans la ceinture à son dos puis s'agenouilla à leur hauteur. Tout en adoptant une voix se voulant la plus douce et la plus rassurante possible, elle leur révéla enfin sa véritable identité.
— En réalité je m'appelle Cassandre. Je suis une mercenaire que Capricorne a recrutée pour vous ramener sain et sauf auprès de vos parents.
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