4. Matthieu et Koa
« Kilian, cela ne sert à rien de m'appeler, je ne t'ouvrirai pas les portes de la salle d'armes. Retourne chez toi te coucher et fous-moi la paix. Un dimanche à même pas huit heures du matin, mais franchement, il n'est pas bien, celui-là ! »
Excédé, Jipé avait fini par raccrocher. Seul devant son centre d'entrainement, Kilian ne savait du coup plus trop quoi faire. Lui qui s'était levé aux aurores, il se sentait couillon. Sa compétition nationale était dans quelques jours à peine, et on refusait de se plier à ses souhaits et à son agenda particulier de préparation ? Même si la frustration l'enveloppait, il ne pouvait nier que la décision de son coach était logique. Mais ce n'était pas sa faute à lui si, pris entre l'excitation de l'échéance qui arrivait à grand pas et la solitude, il s'ennuyait ferme chez lui et n'arrivait plus à bien trouver le sommeil !
Les résultats du bac étaient tombés la semaine précédente. Dans la foulée, Aaron avait comme prévu pris la route pour la Suisse afin de soutenir sa mère, emportant avec lui Mistral et beaucoup de gaieté. La maison était bien vide. Esseulé, le blondinet avait tout fait pour trainer un peu avec les copains, histoire de se changer les idées, mais Gabriel venait de s'envoler pour le Canada avec son oncle – les photos qu'il postait sur son mur Facebook, d'ailleurs, était très sympathiques – et Martin passait quelques jours dans les Landes en famille. Même Camille avait foutu le camp en séjournant pour la semaine sur la côte, invitant Cléo au passage. Kilian s'était ainsi retrouvé tout seul, comme un idiot, sans personne d'autre que son chien à voir et avec son seul sport chéri comme occupation. Ça, pour s'entrainer, il s'entrainait bien, tous les jours jusqu'à pas d'heure. Mais pas celui du Seigneur. Et comme il n'avait pas forcément une envie folle d'aller à la messe, il rebroussa chemin en grognant et en shootant dans chaque caillou qu'il croisait sur sa route.
Passant devant une boulangerie, il décida de noyer sa frustration dans un sac de chouquettes. Et tant pis pour les autres, il ne partagerait même pas. Ils n'avaient qu'à pas le laisser tout seul, aussi. Ce ne fut qu'une fois son paquet terminé qu'il se fit la réflexion qu'il avait forcément d'autres camarades avec qui il pourrait trainer. Il lui suffisait simplement de jeter un coup d'œil dans son carnet d'adresses jusqu'à trouver les victimes idéales qui accepteraient de le supporter jusqu'au lendemain, lui et sa mauvaise humeur. Ce qui n'était pas aussi simple que cela, en fait. Des copains, il en avait plein. Mais des copains qui pouvaient lui passer ses caprices et se mettre au garde à vous pour lui faire plaisir et le distraire, c'était déjà moins courant. Enfin, à force de chercher, il finit par tomber sur les profils idéaux ! Certes, il aurait largement préféré son brun à lui, mais là, il n'était pas en mesure de faire la fine bouche. Et ces deux-là, il était persuadé qu'ils seraient contents de le voir. Surtout s'il se ramenait avec un t-shirt vert pomme un peu transparent qui laissait bien voir la forme de ses tétons et de son ventre. Oui, c'était ignoble de manipulation, mais en même temps, Kilian se trouvait plutôt mignon quand il jouait ainsi les génies du mal. Et il avait aussi un nouveau boxer violet qu'il voulait absolument porter avec un jean taille basse, afin que son moulage de postérieur soit bien visible. C'était l'occasion rêvée. Certes, il avait un tout petit peu l'impression d'être une allumeuse, mais cela l'amusait. Il avait hâte de voir la tête de ses camarades.
« Salut Koko ! Toi et Matthieu êtes libres pour un p'tit bowling cette après-midi ? Ils ont ouvert une nouvelle salle sympa sur Lyon, faut qu'on y aille ! »
À l'autre bout du fil, le jeune laotien n'avait même pas eu le temps de rétorquer quoi que ce soit. Déjà, Kilian lui avait dicté l'adresse et indiqué l'horaire auquel ils devaient se pointer. Lui, il avait plutôt prévu de faire une sortie posée et peu onéreuse avec son petit copain, à la base. C'était le plan. Mais en même temps, on parlait de Kilian, là. Leur fantasme ambulant à tous les deux. Ils étaient piégés.
Vers quinze heures, les deux compères retrouvèrent le blondinet devant les portes du centre où ils avaient rendez-vous. Le lieu était récent et moderne. À côté de la trentaine de pistes, étaient disposés des rangées de billards, quelques tables de Air Hoquet, des babyfoots et même des bornes d'arcade. Un royaume pour les enfants, un paradis pour les lycéens blonds encore un peu immatures !
Kilian avait des étoiles dans les yeux. À peine avait-il claqué la bise à ses deux camarades qu'il se précipita sur les merveilleux jouets qui s'offraient à lui. Il voulait s'amuser. Il était comme fou. À quelques pas de lui, main dans la main, Koa et Matthieu se regardèrent, puis pouffèrent de rire au même moment. Quand il était dans cet état d'excitation, le blondinet était à croquer. Tous deux avaient d'ailleurs noté le soin qu'il avait apporté à sa tenue. Ses vêtements volontairement moulants faisaient ressortir une sensualité pas désagréable au regard. Koa l'avait connu en seconde, Matthieu l'avait fréquenté pendant tous le collège. Tous deux l'avaient secrètement désiré. Ce drôle d'adolescent insouciant était, d'une certaine manière, ce qui les avait réunis. Le côtoyer de la sorte était à la fois une réjouissance et une torture. Et le pire dans tout cela, c'était qu'il en avait pleinement conscience, et qu'il en jouait.
« ET BUT ! Putain, j'suis trop fort ! À un contre deux j'vous explose au baby ! Et après, j'vous prends au Air Hoquet l'un après l'autre, vous z'allez rien comprendre ! »
Ce que perturba le plus Koa, ce fut la manière dont Kilian se penchait sur la table pour taper le palet le plus fort possible. Ainsi, son t-shirt se plaquait à son torse et laissait tout voir à travers. Simple innocence ou véritable perfidie dont l'objectif était de l'emporter en déconcentrant ses adversaires ? Le Laotien avait sa petite idée. Mais déjà, Kilian les avait trainés vers les billards.
« Eh, et oubliez pas, hein, c'est les perdants qui payent le bowling après ! »
Le piège, grossier, s'était refermé sur les portefeuilles de Koa et de Matthieu sans même qu'ils ne le réalisent. Foutu blond ! Il les avait bien eus. Avec ses mimiques, ses sourires et ses clins d'œil, il était en train de se faire offrir une superbe après-midi aux frais de la princesse. Un peu frustré par la situation, Matthieu essaya tant bien que mal de ne pas paraitre trop minable. Il devait assurer devant son mec. Depuis qu'il sortait avec Koa, et malgré toutes ses manies et ses tics un peu efféminés, il s'efforçait à afficher un semblant de virilité. Comme il faisait une tête de plus que son petit ami, il avait naturellement considéré que le rôle dominant lui incombait. De toute manière, son petit Laotien en sucre, ne cherchait pas du tout à le lui contester, bien au contraire. Ce que Koa recherchait chez l'autre, c'était un sentiment de protection et une raison de laisser ses yeux s'émerveiller. Si tout n'était pas parfait dans leur couple, ces deux-là était quand même bien satisfaits de s'être trouvés. Leurs nombreux échanges de regards complices trahissaient leur très bonne entente. Koa trouvait Matthieu plutôt beau gosse, même si cela ne valait pas le blond de ses rêves. Matthieu trouvait Koa tellement mignon qu'il n'avait qu'une seule peur : l'abimer. Kilian, lui, n'était pas aussi précautionneux. Avec ses gros sabots, il n'hésitait pas à se mettre entre ses deux camarades et à les chatouiller, surtout si cela lui permettait de leur faire rater leurs coups, et ainsi de décrocher gratuitement son billet pour la piste de bowling.
« Putain ! Mais j'te jure Matt, j'vais l'baiser ce putain de blond ! S'il continue à me chauffer comme ça et à me passer la main sous le t-shirt, j'le baise ! Enfin, avec la bouche. Enfin, on s'comprend, quoi. »
Étonné, Kilian tourna la tête sur le côté en se plaquant l'index sur la bouche. C'était la première fois qu'il voyait Koa aussi démonstratif. Pendant toutes leur seconde commune, le blondinet ne s'était pas privé de provoquer son camarade – parfois même assez cruellement –, mais jamais ce dernier n'avait répondu en le menaçant de le faire passer à la casserole. C'était presque tentant. Parfaitement irréaliste, mais tentant.
« Bah nan, Kaochou ! T'appartiens à Matthieu, et moi à Aaron ! Donc c'est pas possible ! Hein Matthieu, que c'est pas possible ? Matthieu ? Tu peux arrêter de te lécher les babines comme ça, tu m'fais peur ! »
Forcément, le petit ami officiel du Laotien ne pouvait qu'hésiter. D'un côté, il ne considérait pas la fidélité comme un vain mot. Mais de l'autre, il avait absolument envie de voir ça. Non, il voulait même carrément participer.
« Moi, ça me va hein ! Mais que si après on échange. Et puis, je suis persuadé qu'Aaron serait d'accord. Il n'aime pas te voir déprimer tout seul. Limite, ça lui ferait plaisir de savoir que tu passes du bon temps avec nous... »
Glapissant d'effroi, Kilian vit son propre piège se refermer sur lui-même. Déjà, ses deux camarades s'étaient faits étrangement beaucoup plus câlins. Une caresse sur les fesses, quelques doigts sur le torse, un bisou sur la joue, un autre dans le cou... Koa et Matthieu avait lâché leur queue de billard dans l'espoir, peut-être, de se lancer dans un tout autre jeu de boules. Les fumiers ! Ils travaillaient main dans la main pour faire chanceler le cœur du blondin ! À défaut d'enrager – il aurait bien voulu, mais il n'avait aucune raison de le faire – Kilian vit ses joues changer de couleur. Était pris qui croyait prendre.
« Les messieurs du billard onze sont priés de se tenir. Il y a des enfants dans le centre. Je répète : les messieurs du billard onze sont priés de se tenir. Il y a des enfants dans le centre ! »
Sauvé par le haut-parleur ! Le lycéen aux yeux verts soupira de soulagement. Il venait de gagner un moment de répit. Du coup, pour changer de sujet, il proposa à ses compagnons de tout de suite passer au plat de résistance de l'après-midi : le bowling. Chacun pour sa peau. Celui qui marquerait le plus de strikes aurait le droit de fuir mettre son cul à l'abri des deux autres. Kilian croyait fortement que son habileté pourrait le sauver. À la différence de ses camarades, il était sportif de haut niveau, lui. Et le bowling était presque un sport. Il ne pouvait donc pas perdre contre un petit Laotien pas bien viril et contre un adolescent de sa taille carrément efféminé. Il en allait de son honneur à la fois d'escrimeur, et de blond. Et les blonds avaient énormément d'honneur.
« Merde, un Spare. Ça compte ou pas, le Spare ? »
Tournant machinalement la tête, Koa et Matthieu leur indiquèrent que non ! Ne comptait pas dans leur petit défi le nombre de point total, mais uniquement la classe pure. Frustré de son échec lors de son premier essai, Kilian se concentra en attendant son tour et une nouvelle boule. Il la choisi lourde, pour qu'elle dégomme tout sur son passage. Histoire de faire un peu le show, il enleva son t-shirt qui le gênait dans ses mouvements, le jeta à la tête de Koa, puis improvisa une sorte de Haka plus ridicule qu'effrayant. Il en était sûr. Il allait tout déchirer.
Il ne put même pas viser les quilles. En cause ? Les mecs de la sécurité qui lui étaient méchamment tombés dessus pour l'engueuler à cause de sa semi-nudité et du cirque qu'il faisait et qui déconcentrait les autres pistes. Furibond, Kilian refusa de remettre son t-shirt. Il avait besoin de montrer sa poitrine pour impressionner et perturber ses adversaires. C'était une question de vie ou de mort. Sérieusement ! Forcément, les molosses qui l'avaient pris par le bras ne pouvaient pas comprendre ! Ils ne jouaient pas leur peau sur cette partie ! Ce n'était pas leur derrière à eux qui était au centre de toutes les convoitises !
Plutôt que de plaider en sa faveur, son triste argumentaire avait vu à Kilian de se faire tirer à l'écart jusqu'au bureau du responsable pour une petite explication musclée. Restant seul sur leurs sièges, Koa et Matthieu s'étaient regardés sans savoir quoi faire. Ils auraient bien voulu accompagner leur camarade, mais ils avaient quand même payé pour une partie complète, et ils n'en étaient qu'au début. Partir, s'eut-été gâché l'investissement. Mais continuer à jouer comme ça, ce n'était pas non plus très sport. Alors, restant sur place pour que personne ne leur pique leur piste, ils se mirent simplement à discuter. Forcément, leur sujet de causette avait les cheveux blonds et les yeux verts. Ils étaient tous deux curieux de savoir comment l'un et l'autre avaient flashé sur le même garçon bien avant de se mettre ensemble. Le Laotien, surtout, qui n'avait rencontré cet étrange adolescent que plusieurs années après son mec.
« C'est quand la première fois que tu as réalisé qu'il te plaisait vraiment ? J'veux dire... la première fois que tu as vraiment eu envie de penser à lui dans ton pieu ? »
Si la question semblait un peu indiscrète, elle n'effraya pas Matthieu. Il était même tout à fait disposé à répondre, à condition, bien sûr, que son petit ami en fasse de même.
*****
La quatrième était une année particulière pour Matthieu. Pour la troisième fois consécutive, le jeune collégien avait été élu délégué. Dans la classe, tout le monde l'appréciait. Sa principale qualité ? Sa neutralité dans les conflits. Il voulait toujours faire son maximum pour arranger les choses. Cela lui avait attiré la sympathie de nombre de ses camarades. De fait, il était devenu une figure importante du groupe. Seuls Yun-ah qui partageait son mandat et Adrien qui avait une véritable emprise psychologique sur les autres avaient autant de poids que lui. Mais un élève attirait encore plus les regards. Toujours fourré avec son rouquin de meilleur ami, Kilian était un tout jeune adolescent plutôt timide, naïf et réservé. C'étaient ses autres traits de caractères qui le faisaient briller comme une étoile. Sa douceur, son sens de l'humour, sa beauté ... Kilian était un petit ange innocent tombé sur le collège Voltaire. Quand il souriait, sa bonne humeur se transmettait aux autres. Quand il boudait – c'est-à-dire assez souvent – tout le monde partageait sa contrariété.
Pour Matthieu, sa propore situation était difficile à vivre. Dès la sixième, il avait commencé à se poser des questions sur lui-même. Pourquoi, à la télé, il préférait regarder les catcheurs huilés plutôt que les bombasses décérébrées ? Pourquoi n'avait-il jamais trouvé le besoin de se trouver une petite copine ? Pourquoi trouvait-il le visage de Kilian si agréable à observer ? Pourquoi avait-il un petit pincement au cœur en voyant son camarade pleurer ?
La vérité, sans chercher à mettre de mots dessus, il l'avait toujours sue. Son truc à lui, c'était les garçons. Clairement. Mais personne n'avait le droit d'être au courant. C'eut-été suicidaire d'en parler à quiconque. Les autres n'étaient pas près. D'autant plus que l'avis d'Adrien – qui ne cachait pas son homophobie – avait du poids dans les consciences. Dans la classe, Matthieu se sentait seul. Personne n'était comme lui. Pire, la petite figure blonde qui avait provoqué ses plus adorables battements de cœur n'était qu'une petite créature asexuée et courtisée par de nombreuses filles, qu'il fuyait toujours d'un air gêné. Kilian, sortir avec quelqu'un ? Il était bien trop innocent et affectivement immature pour cela. Et avec un garçon, ce n'était même pas la peine d'y penser. C'était quelque chose que tout le monde savait impossible.
À l'époque, la situation dans la classe semblait parfaitement équilibrée. Elle ne l'était pas. Depuis que Gabriel, trublion et électron libre, était parti à la fin de la cinquième pour voir si l'herbe était plus verte du côté de la capitale, plus personne n'osait vraiment tenir tête à Adrien. Ce dernier en avait profité pour essayer de faire de l'angelot sa chose. Il était son graal, son principal objectif.
Kilian se faisait emmerder. Matthieu, comme d'autres, laissait faire. Nul n'était d'accord avec ce traitement injuste, mais personne ne songeait à élever la voix. Adrien était discret, et Kilian n'osait pas trop se plaindre. Il préférait largement bouder. Certes, à plusieurs reprises, il s'était énervé ou avait fait preuve de sa très bonne répartie pour renvoyer le petit connard dans ses cordes. Mais la plupart du temps, il s'isolait simplement pour pleurer. Sa gentillesse était sa faiblesse. Il n'avait que l'escrime, les jeux vidéo, les mangas et ses copains à la bouche. Le reste lui passait au-dessus de la tête. La méchanceté, il ne la comprenait même pas.
Une fois, pourtant, vers le milieu du dernier trimestre, l'adolescent aux yeux verts eu un comportement inattendu. Alors que l'année approchait de sa fin, les professeurs avaient demandé aux élèves de s'exprimer devant toute la classe. L'exercice, novateur, avait pour but de libérer l'expression et la créativité des jeunes. Il n'était pas noté, mais il comptait quand même. Poème récité, texte improvisé, déclaration solennelle ou monologue de théâtre, les apprenants avait carte blanche. Matthieu n'oublia jamais ce qu'il se passa ce jour-là.
Manquant d'inspiration, le délégué n'avait fait que lire un poème de Prévert. D'autres avaient eu de bien meilleures idées. Yun-ah avait joué de la clarinette. Martin, plein de second degré, avait singé en français une fameuse vidéo YouTube ou un jeune adolescent ridicule essayait d'expliquer que les roux avaient bien une âme. Adrien s'était grimé en Alexandre le Grand et avait rejoué un monologue de Racine. Kilian, lui, avait choisi le silence.
Ou plutôt, l'expression corporelle. Inspiré d'un reportage à la télé sur le théâtre moderne et vêtu d'un simple caleçon, il avait mimé l'éclosion d'une fleur sur un doux fond musical. Si nombre d'élèves ne comprirent pas ce que leur camarade avait en tête, ce ne fut pas le cas de Matthieu qui en saisit toute l'innocence. Le message était merveilleusement clair. Quoi que les autres pouvaient faire, rien ni personne ne pouvait empêcher ce jeune garçon à l'aube de son adolescence de s'épanouir et de grandir. C'était une petite perle de poésie et de douceur dont seul cet étrange séraphin était capable.
Le soir-même, alors que Kilian avait passé l'après-midi à bouder seul sur sa chaise devant la réception très timide et un peu moqueuse de sa prestation, Matthieu s'imagina abeille et s'endormit en rêvant d'un jour pouvoir butiner cette magnifique petite fleur pâle.
*****
Le Kilian en seconde qu'avait connu Koa n'avait pas grand-chose à voir avec le Kilian de quatrième de Matthieu. Entre les deux s'était passée l'année de troisième, et elle avait tout chamboulé dans la tête et le comportement du blondinet. En cause, l'arrivée dans sa vie d'un certain brun nommé Aaron. Ce dernier avait capturé son cœur et l'avait fait grandir. De petite chose innocente parfaitement asexuée, Kilian devenu un jeune garçon lubrique de son époque, peut-être même encore plus tourné vers la chose que la moyenne. Comprendre les sentiments qui l'animaient l'avait libéré. Plus fou, plus drôle, plus coquin, plus blond, mais toujours lui-même, avec sa sensibilité exacerbée et sa manie de bouder à la première contrariété, il était entré de plein pied dans l'adolescence. Mais le départ pour un an du garçon qu'il aimait avait sapé son moral et l'avait rendu insupportable. Il était en crise. Tout le premier trimestre de seconde, il fit partager sa mauvaise humeur à ses camarades, parfois avec une cruauté qui ne lui ressemblait pas. C'était sa manière de conjurer le mauvais sort, celui qui faisait s'abattre des dizaines de malheur sur sa tête sans discontinuer.
Koa avait été une des principales victimes de ce mauvais comportement. Kilian s'était mis en tête de le draguer, peut-être parce qu'attiré par sa timidité, certainement parce qu'il était évident qu'il préférait les garçons, et sans aucun doute parce qu'un stupide accord débile l'y avait poussé. Plaqué contre un mur, le jeune Laotien s'était fait voler son premier baiser. En plus de faire exploser son cœur et de tirer ses larmes comme le lait d'une vache, le geste avait agi telle une révélation. Ce qu'il pensait – sans en être sûr – était bien une réalité. Il en voulait plus. Et Kilian, dans sa plus grande méchanceté, refusa de le lui accorder.
Koa avait beaucoup pleuré. Il ne supportait pas d'avoir des sentiments pour cet odieux blondinet un peu égoïste. Alors, pour les nier, il avait fait le choix de ne surtout pas penser à lui le soir. Sa résolution n'avait tenu que quelques jours à peine.
L'évènement qui lui fit changer d'avis se passa un vendredi, le premier du mois d'octobre. La veille, Kilian avait passé une très mauvaise journée. Parce qu'il était de notoriété publique qu'il était sorti avec un garçon, quelques petites frappes s'étaient mises en tête de l'asticoter et de le cogner. Il était aigre. Presque insupportable. Une dispute avec Adan, un pauvre type de sa classe, avait même failli tourner au vinaigre. Le bellâtre l'avait insulté et traité de gonzesse. Kilian, furieux, était parti en serrant les dents jusqu'à la salle d'armes. Sur le chemin, pour passer ses nerfs, il s'arrêta dans une librairie histoire de feuilleter quelques mangas. Ce dont il n'avait pas conscience, c'était que le jeune Laotien l'avait discrètement suivi. Koa désirait simplement discuter. Savoir comment son camarade allait. Lui faire la causette. Planqué à quelques mètres à peine derrière une étagère, il n'osa pas l'approcher. Il avait peur. Pendant presque dix minutes, il observa le blondinet sans un mot. Quand enfin ce dernier reposa l'ouvrage qu'il avait entre les mains et se remit en route pour son entrainement d'escrime, Koa ne put résister à la tentation et s'approcha de l'étal afin de satisfaire sa curiosité. Il voulait absolument voir ce que Kilian avait regardé avec tant d'intérêt. Découvrir deux garçons sur la couverture lui donna des sueurs froides. Tombé directement sur une scène des plus chaudes dès les premières pages provoqua une immédiate réaction honteuse de son corps. C'était monstrueusement perturbant. Pourtant, le dessin le happait complétement. Il avala tout le tome en quelques instants, avant de passer à la caisse avec la suite.
Le soir, chez lui, Koa s'enferma dans sa chambre et jeta ses affaires au sol pour mieux reprendre sa lecture. Un des deux personnages principaux était brun et dominateur, l'autre était blond et soumis. L'adolescent trembla d'excitation. Il avait l'impression de voir un ange se faire démonter sous ses yeux. Du bout des doigts, il caressa le papier. De l'autre main, il se laissa complétement aller. En se satisfaisant sur une lecture qu'avait eue son camarade de classe, il avait l'impression de partager avec lui un moment unique et interdit. Fermant les yeux, son imagination remplaça les dessins. Dans sa tête, lui et Kilian avaient pris la place des héros. À cela près que, cette fois-ci, c'était bien le blond qui menait les débats.
Quelques jours plus tard, il lui avoua à la fois son amour et son attirance. Le très méchant râteau qu'il se prit le rhabilla pour l'hiver. Kilian se montra particulièrement cruel au moment de le renvoyer dans ses cordes. Sans doute parce qu'il en aimait encore un autre.
*****
« Nan, tu déconnes ! Kilian lit du Yaoï ? Putain ! J'aurais jamais cru ! »
« Si si ! J'te jure ! Même que Martin m'a raconté que cette année, il est même allé à une convention déguisé en personnage de Boy's Love ! D'après Aaron, il en achète très peu, mais un de ses plaisirs coupables est d'en lire sur internet. Nan mais faut pas croire, il s'assume, hein... »
Matthieu avait bien du mal à croire le discours de Koa. Et pourtant, il devait se rendre à l'évidence. Le bel enfant sur qui il avait craqué en quatrième avait bien grandi ! Son innocence, il la gardait principalement pour agrémenter ses bêtises et donner du corps à sa naïveté. Pour les choses de la vie, par contre, il se comportait vraiment comme un adulte. Cela ne le rendait que plus désirable.
Enfin, après vingt-minutes d'absence, Kilian revint sur la piste de bowling, son t-shirt sur le dos. Bougon, il expliqua à ses deux camarades que ces imbéciles voulaient encore faire des histoires pour rien et qu'il avait été obligé de menacer d'alerter la presse contre leurs pratiques homophobes si on ne lui foutait pas la paix. En réponse, le responsable du centre l'avait avisé que, s'il continuait son cirque et refusait de se rhabiller, il le foutrait dehors avec un coup de pied au cul. Kilian aimant particulièrement son derrière, et l'homme en question ayant plutôt de grandes semelles, il avait du coup accepté de se revêtir. La discussion n'avait duré que deux minutes. Ce qui avait pris du temps, par contre, ce fut la négociation qui suivit. En dédommagement du stress causé, Kilian exigea à boire pour lui et ses copains. À bout de nerf, le responsable lui offrit une simple canette de coca que l'adolescent s'était empressé d'aller siroter au bar.
« Bah et nous alors ? », demanda Koa, interloqué.
« Bah nan. On n'a pas le droit d'amener des boissons sur la piste, et je n'avais que trente-trois centilitres et j'avais soif. Bon, on continue la partie ? »
Ce n'était même pas de l'égoïsme, simplement de l'insouciance. Et sérieusement, si ses compagnons de sortie avaient envie de boire gratuitement, ils n'avaient qu'à faire comme lui et jouer torse-poil ! Dans son cas, ça avait très bien marché, et il n'interdisait à personne de le faire. Matthieu et Koa déclinèrent la proposition en cœur. Par contre, s'il voulait coucher avec eux, là ils étaient tous les deux d'accords. Leur petite discussion pendant la longue pause les avait un peu chauffés, et ils avaient une envie folle d'humilier le blondinet au bowling pour le forcer à s'offrir à leurs mains. En guise de réponse, Kilian enchaina les strikes et écœura ses adversaires. Même avec son t-shirt sur les épaules, sa victoire fut sans appel. Tout le reste de l'après-midi, fier comme Artaban, il pavoisa comme un paon ! Et quand, au moment des séparations, le Laotien et son copain lui proposèrent une dernière fois de rentrer avec eux, il déclina à nouveau l'offre, et se faisant cette fois-ci plus précis sur ses motivations.
« Désolé les garçons, mais mon derrière est une propriété privée, et c'est Aaron qui en possède la clé. Avec lui dans le coup, pourquoi pas, j'dis pas, mais j'ferais rien sans lui. Et j'en attends autant de sa part... à une exception près, mais là c'est par pur amour. Mais nan, maintenant, on a décidé d'arrêter les conneries et d'être un peu fidèle. Du coup, il me manque ce con... ça ne fait même pas une semaine qu'il est parti, et il me manque, un truc de dingue. Quand il est là, il me les brise, mais quand il n'est pas là, c'est encore pire ! Il est chiant, putain... »
Forcément, personne ne pouvait se dresser contre les sentiments sincères de l'étrange blondinet. Vaincu, le jeune couple ne demanda pas plus d'explications. Après s'être claqué une bise, les trois jeunes se séparèrent. Ravis de sa très bonne après-midi, Kilian rentra chez lui en sautillant. Il avait une tonne de choses à raconter à Aaron, et il en trépignait d'impatience. Finalement, son idée de sortir un petit peu avec Koa et Matthieu s'était révélée excellente. C'était quand même deux très bons camarades, et ils s'étaient franchement amusés ensemble. Il avait presque hâte de les revoir ! Enfin, après ses vacances et surtout après sa compétition. Il était déterminé à connaître enfin sa première grande victoire. C'était son avenir de sportif qui était en jeu. Se faire plaisir, c'était bien, mais s'entrainer, c'était mieux. Sur le chemin, il téléphona à nouveau à son coach, officiellement pour demander à quelle heure il pouvait venir le lendemain, officieusement pour savoir si, vraiment, on ne pouvait pas lui ouvrir la salle ce soir pour qu'il bosse ses fentes.
De leur côté, Matthieu et Koa l'avaient observé partir sans un mot, puis s'étaient regardés et avaient tous deux soupiré. Encore une fois, leur fantasme s'envolait au loin. Et l'heure tournait.
Profitant de l'absence des parents du Laotien, les deux amants finirent la soirée ensemble dans le même lit. Matthieu, par curiosité, voulu absolument lire le manga dont lui avait parlé son petit ami. Un peu gêné, ce dernier le sortit de dessous son matelas, et lui montra ses passages préférés.
« Ah ouais, c'est quand même super osé... »
« Bah oui ! C'est déconseillé aux mineurs, tu crois quoi ? C'est d'ailleurs pour ça que ça se vend super bien ! C'est un véritable guide de la sexualité ! T'imagines si des mecs comme toi et moi tombaient dessus, ce qu'ils oseraient faire derrière ? »
Matthieu n'eut pas le temps d'y songer. Koa ne lui en laissa pas le temps.
Nu, à cheval au-dessus de ses jambes, l'adolescent à la peau ambrée avait laissé ses lèvres se poser sur la joue de son bien-aimé. S'il ne pouvait pas avoir Kilian, il n'avait en tout cas aucune raison véritable de se plaindre de son amant, si ce n'était le peu d'enthousiasme que ce dernier avait à prendre des initiatives au pieu. Heureusement que lui avait plein d'idées coquines en tête pour compenser.
Ravis de la tournure de la situation, Matthieu hotta ses lunettes, se laissa caresser, puis passa ses doigts dans la longue chevelure noire de son petit copain. Il adorait quand Koa brulait ainsi d'envie. Son Laotien était une petite merveille d'érotisme. Son corps doux et maigre, une réjouissance. Ce qu'il faisait avec sa bouche un véritable tour de magie capable de faire surgir des cris d'extase du néant. Matthieu, en tout cas, haletait à chaque coup de langue.
« Putain, Kilian ne sait vraiment pas c'qu'il rate ! Bon, à moi ! »
Ce que les deux adolescents adoraient par-dessus tout, c'était se satisfaire mutuellement, en même temps. Pour cela, ils avaient beaucoup travaillé leur position. Chacun sur un flanc, l'un orienté vers la tête de lit et l'autre vers le pied. Ils n'avaient dès lors plus qu'à approcher leur visage et fermer les yeux. Ce n'était certes pas dans le manga, mais c'était, de loin, leur sucrerie préférée. Celle devenue presque obligatoire et toujours annonciatrice des choses sérieuses. Le rituel était souvent le même. Le jeu durait jusqu'à ce que Matthieu tremblote et gigote. À ce moment-là, Koa s'allongeait sur le ventre et serrait les poings près de sa tête. Le reste se faisait presque tout seul. Son homme se frottait langoureusement à lui, puis lui accrochait sa belle tignasse, et commençait son rodéo. Parfois, ils échangeaient leur place, histoire que la jalousie ne s'installe pas dans le couple. Pas ce soir. Chacun s'abandonna en imaginant avoir un tout autre partenaire. Koa, qui ne voyait rien, se mit en tête que celui qui lui caressait le dos et effleurait les hanches avait les cheveux blonds. Matthieu, lui, ferma ses pupilles pour ne pas voir. Dans son esprit, l'adolescent qui lui offrait sa croupe avait les yeux verts.
Tous deux jouirent presque en même temps.
Époumoné, le plus frêle des deux amants respira longuement pour reprendre son souffle. Il avait une folle envie de geindre.
« La prochaine fois, il faut absolument qu'il dise oui ! Ça serait trop génial ! Et tant pis s'il faut se taper Aaron avec ! »
Moins brulant, son compagnon fit la moue. Si lui aussi avait une folle envie de se taper le blondinet, et si le brunet ne lui déplaisait pas, il n'était pas pour autant chaud pour mettre le couvert avec les deux en même temps.
« Nan mais ce type, t'as jamais été en classeavec, toi ! Tu l'as juste vu dans la cour et pendant des soirées. Maisj'peux te l'assurer, quand il s'y met, c'est une teigne, y avait bien queKilian pour en tomber amoureux ! D'ailleurs, il est un peu con, ceblond. T'es mille fois mieux que son mec ! »
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