2. Cléo et Camille
« Tu me trouves comment, Cléochou ? »
Levant les yeux au ciel, ses mains brulantes plongées dans sa poche, le maigrelet panda prit quelques instants avant de répondre. Il lui fallait avant cela dévisager Camille des pieds à la tête.
Depuis l'anniversaire de Kilian, ces deux-là avaient multiplié les sorties dans la plus grande discrétion. Il y avait des choses qu'il fallait mieux ne pas étaler sur la place publique, comme au lycée. Certains n'aurait pas forcément bien compris pourquoi l'élève de seconde avait fini par accepter de se promener avec le garçon qui s'était le plus joué de sa différence et de ses sentiments. Tout était parti de l'anniversaire de Kilian. Ce soir-là, les adolescents avaient opéré un rapprochement soudain et inattendu. Camille avait proposé à Margot de partager sa couche. La jeune demoiselle avait décliné l'invitation, le temps d'y réfléchir. Déçu, il avait décidé de poser son cul dans le canapé du salon, ou Cléo avait déjà pris place après avoir échoué de convaincre quelques hétéros qu'il jugeait mignons de rejoindre le côté obscur de la force. Les deux s'étaient regardés et avaient explosé de rire avant qu'avec un sourire en coin, le plus vicieux ne propose au plus doux de finir la soirée ensemble.
Sur le coup, l'adolescent avait refusé. Avant de lui envoyer un SMS quelques jours plus tard pour lui proposer une petite sortie, la première d'une longue série. Et cette fois-ci, ce fut bien dans le même lit qu'ils terminèrent la journée.
Depuis que Kilian et Aaron s'étaient démenés pour lui faire prendre la vie du bon côté, Camille vivait bien mieux sa sexualité. Il avait fait le point. S'il ne savait toujours pas vraiment ce qu'il était, au moins avait-il décidé d'arrêter de se prendre la tête. Et Cléo était quand même particulièrement mignon.
Non. Avec ses doux cheveux noirs, ses yeux gris bleu envoutant, son visage triangulaire opalin et ses minuscules lèvres pastelles qui semblaient avoir été dessinée au crayon, le bon mot était plutôt « canon ». Camille n'avait mis que plusieurs mois à le remarquer et à le comprendre. Restait que son camarade était connu pour être un véritable trou du cul doublé d'un narcisse malade et pervers. Camille en avait d'ailleurs été la victime. Harcèlement, drague lourdingue, tentative de baisers volés... Cléo s'était comporté comme la dernière des saloperies pendant toute une partie de l'année, causant bien des tensions. Mais là, Camille n'en avait cure. Cléo n'était pas si différent de lui. Tous deux partageaient la même souffrance, celle de ne pouvoir être vraiment eux-mêmes. Ils l'avaient exprimée chacun à sa manière, se comprendre avait aidé Camille à franchir le pas. Au final, Cléo était peut-être celui qui avait toujours le plus accepté ses différences, au point même de le désirer pour cela. Ce n'était peut-être qu'un jeu, fait de faux semblants. Peut-être que le cœur de Cléo était à jamais prisonnier d'une ombre et n'avait pas encore cicatrisé de toutes ses peines. Et alors ? Camille s'en foutait. Tout ce qu'il avait envie, c'était d'essayer. D'être avec quelqu'un qui ne le jugeait pas et qui l'acceptait. De se promener avec un garçon dont il pourrait dévorer les lèvres sans ressentir la moindre gêne ni souffrance. Se rapprocher. Laisser le temps au temps. S'amuser.
Construire, peut-être.
Embrasser fougueusement « son » mâle alpha, en pleine rue en se jetant à son cou, sans doute.
« Alors, tu m'as pas dit, j'suis belle ? »
Souriant, Cléo passa ses doigts dans la chevelure châtaigne de son camarade. Camille avait sorti sa plus belle robe. Même si cela le faisait à chaque fois frissonner de se promener avec un tel « trap », le panda adorait cela. L'illusion était toujours parfaite. Camille avait un don pour se maquiller sans que cela ne fasse vulgaire. Il savait à la perfection se comporter comme s'il était une fille véritable. Ainsi travesti, il respirait une joie de vivre qui s'effaçait dès qu'il redevenait garçon. Pour Cléo, le plus intéressant et excitant était, dans la rue, d'être le seul à connaître la vérité masquée par ces vêtements et de savoir qu'une fois seuls, il aurait peut-être le droit d'y goûter. C'était un interdit délicieux à braver. Camille lui avait toujours plu, l'avait toujours intrigué. Tel un loup, il avait attendu toute l'année de pouvoir le dévorer. Être enfin arrivé à son but n'avait pas fait que combler son envie et son désir. Cela l'avait aussi aidé à tourner la page, à chasser l'envie de déprimer, à oublier ses sentiments destructeurs pour sa sœur, à avancer. Camille le faisait rire et sourire et lui permettait d'une certaine manière de s'épanouir. Sans être encore persuadé qu'il s'agissait-là d'amour, il avait au moins de l'affection et de la reconnaissance pour cette étrange créature qui partageait certaines de ses nuits depuis quelques semaines
« T'es magnifique. J'adore ta robe et le bleu te va super bien. Bon, on les fait ces courses ? T'as une idée de cadeau pour Aaron, demain ? »
Les épreuves du bac français venaient de se terminer. En cette mi-juin, les élèves de première étaient déjà en vacances. Pour fêter cela et célébrer les dix-sept ans de son homme, Kilian avait décidé d'organiser le dimanche une petite après-midi dans son jardin, entres mecs. Camille avait sauté sur l'occasion pour proposer à Cléo un samedi shopping, en espérant secrètement que la journée se termine chez l'un ou l'autre. Son camarade avait accepté sans le moindre problème. Il y avait une sorte d'accord tacite entre eux. En se côtoyant, ils acceptaient de ne pas se détruire chacun dans leur coin. Ils se retrouvaient forcément gagnant.
« Rappelle-moi, on cherche le cadeau pour Aaron, ou tes nouvelles fringues ? »
L'avantage du centre commercial était qu'il proposait un grand nombre d'échoppes de tous genres, et les jeunes adoraient s'y retrouver pour du lèche-vitrine entre amis. Si Kilian avait fortement recommandé son revendeur de fringues sportwear préféré pour combler son amoureux, Camille préférait de loin passer du temps chez Georgette, haut-lieu de la mode féminine rhodanienne. En plus, la boutique était située juste en face d'un magasin de maquillage qui venait de référencer un nouveau gloss goût coco. Camille devait absolument s'en procurer un pour magnifier son fameux sourire. Et comme c'était lui qui jouait le rôle de la fille, il était normal que Cléo sorte ses sous ! Une idée qui fit légèrement grogner le concerné :
« Pour le gloss, ok, je veux bien te l'offrir. Mais la jupette, tu te démerdes avec tes fonds propres ! Et sinon, pour Aaron, on fait quoi ? Le T-shirt avec marqué dessus « Attention, brun méchant » qu'on a vu, ou un CD ? »
Il n'y avait pas vraiment lieu d'hésiter. Au vingt-et-unième siècle, plus personne n'écoutait de la musique sur un support physique, alors que brun et méchant, Aaron était parti pour le rester encore un long moment. L'investissement était tout à fait justifié.
Une fois les courses terminées, les deux adolescents s'arrêtèrent à un bar qui servait des gaufres. Observant Camille s'empiffrer, Cléo sourit béatement. Il le trouvait beau. Ou belle. Il ne savait plus trop. Il s'en foutait. Le genre de son camarade importait moins que sa joie et que la douceur de son visage. Il y avait quelque chose d'étrange dans leur relation. Quand ils se fréquentaient, Cléo se sentait homme, plus qu'il ne l'avait jamais été. On ne l'avait jamais payé pour faire l'homme. Tous les mecs qu'il avait pu fréquenter, moyennant finances, n'avaient jamais vu en lui qu'un objet d'autant plus appréciable qu'il possédait un ventre fin, qu'il affichait une tête agréable, qu'il savait se montrer discret, qu'il était très docile au lit et qu'il s'épilait avec soin. Ces quelques caractéristiques très recherchées lui avaient permis d'imposer ses tarifs. Mais cet état de fait, Camille s'en foutait royalement. De son point de vue, il préférait largement laisser le port de la culotte à son Panda.
Même si pour Cléo, ce rôle lui était assez inhabituel, il l'appréciait. La douceur et l'envie de Camille l'aidaient à retrouver un soupçon d'amour propre. Le sien avait volé en éclat sous les coups de reins et les mots de certaines enflures financièrement aisées. Avec ce garço-là, il pouvait parler. De tout, de rien, de sexualité, sans le moindre tabou. En quelques jours, l'adolescent savait déjà tout de la vie de son jeune camarade. La mort de sa mère, l'accident de sa sœur, ses tensions avec son père, ses souffrances et même le récit de ses parties de jambe en l'air où il aurait bien aimé être invité. Cléo se demandait encore ce qui était le plus étonnant : que Camille perdre son pucelage entre Aaron et Kilian dans un camp naturiste, ou qu'il s'envoie en l'air avec sa meilleure amie, une fille, après un tour une barque. Dans tous les cas, ces récits l'avaient fait sourire. Ils étaient le signe d'une évolution salvatrice. À son tour, Cléo découvrait la sienne. Entre les bras de cet étrange adolescent entre deux sexes. Ses autres expériences avaient toutes été douloureuses et marquées autant par une absence de sentiment que d'envie. Sa première fois l'avait brisé.
« Tu m'as jamais raconté... », regretta Camille, un morceau de gaufre entre les dents. « C'était si horrible que ça ? T'as eu mal ? Moi, ma première fois, c'était vraiment cool. »
Jouant avec son verre, Cléo renifla. Le souvenir était vraiment très désagréable. Même s'il n'était pas allé au bout des choses, il détestait en parler. À part sa meilleure amie, personne n'avait jamais su. Pourtant, là, cela ne le dérangeait pas d'en causer. Devant Camille, la cachoterie n'avait pas sa place. Ils se comprenaient. Il soupira.
« Le cul se remet de tout, pas le cœur. C'était une merde, il était méchant. Il m'a dit des choses méchantes. Je ne lui pardonnerai jamais. »
*****
Cléo ne s'était jamais senti prédestiné à coucher avec des garçons. Il n'avait jamais ressenti d'attrait particulier pour le genre masculin. Très jeune, pourtant, il avait compris que son petit minois, son regard éclairé et son corps élancé étaient des atouts qui ne plaisaient pas forcément qu'aux filles. Chauffer les pervers était un jeu qu'il avait commencé pour la première fois – à contre cœur – au début du collège, avec certains de ses camarades peu après l'accident qui avait couté la vie à ses parents. Il était en sixième. Cela s'était passé à la fin d'un court de sport. Ce jour-là, il avait beaucoup couru et, en nage, s'était jeté dans les vestiaires pour se changer. Là, plusieurs élèves de sa classe s'étaient arrêtés pour le regarder. Il avait un torse fin, des bras maigres et une peau tellement blanche qu'elle sortait de l'ordinaire. Un certain Ahmed, roi des coups foireux et chef de bande, l'avait scruté des pieds à la tête, puis lui avait posé une bien étrange question :
« Tu ne changes pas aussi ton caleçon ? Il n'est pas crade ? »
Telle était la loi des petites racailles. Cléo comprit rapidement que, s'il voulait avoir la paix et ne pas se faire martyriser, il avait tout intérêt à contenter la perversité de ceux qu'il côtoyait tous les jours. Bien sûr, ni Ahmed ni aucun autre n'avait jamais assumé aimer le regarder. Personne ne lui avait même demandé de se montrer. C'était un accord tacite et non verbal. À la fin de chaque cours de sport, Cléo prit l'habitude de complétement se dévêtir, de ne plus rien cacher, en été comme en hiver. C'était le petit rituel qui lui permettait de ne pas trop se faire emmerder. Non pas que les autres le respectaient, mais tous voulaient assister au spectacle de ce pré-ado plutôt mignon qui acceptait de satisfaire la curiosité naturelle de ses camarades. Entre jeunes garçons, il était normal de se poser des questions, de se demander si on était normal. Le corps de Cléo servait de mètre-étalon. Montrer son cul toutes les semaines lui offrait une paix relative. Même si les insultes injustifiées pleuvaient souvent en dehors et causaient ses larmes qu'il séchait dans les bras de sa meilleure amie, ces petits moments de gloriole le protégeaient. Tant qu'il s'exécutait, les fortes têtes s'arrangeaient entre elles pour conserver un certain statut quo. Devant les plus dominants du collège, le jeune collégien acceptait même de se laisser prendre en photo ou caresser le dos. Jamais rien d'autre. Même si plusieurs le désiraient, les risques étaient trop importants. Ils avaient leur réputation à préserver. On ne pouvait pas écraser les faibles en fricotant derrière les douches avec un garçon. Jouer les voyeurs était plus sage. Comme personne ne pouvait échapper au corps de Cléo quand il se mettait à nu, personne ne pouvait se faire accuser d'aimer ça. Tout le monde y trouvait son compte.
Ce petit jeu dura jusqu'à la fin de la cinquième. Alerté par des rumeurs, Monsieur Le Bris, le professeur de sport, s'était autorisé ce que nul autre adulte n'avait fait avant lui : pénétrer le sacro-saint vestiaire pendait que ses élèves se changeaient. Y trouver Cléo nu au milieu de tous avait confirmé ses doutes. Il y avait des choses qui ne se faisaient pas. L'adulte était connu comme étant caractériel et attaché à l'ordre et à la morale, mal nécessaire dans un collège public mal fréquenté. Comme à son habitude, il gueula sur ses élèves et interdit ce genre de scènes stupides. Le prochain qui s'amuserait à montrer son cul et à se le laisser toucher serait bon pour le conseil de discipline, avec tous ceux qui l'auraient forcé à commettrai pareil impair. Il était hors de question que ses jeunes se laissent aller à des pulsions bestiales et adolescentes. La messe était dite.
Quand Cléo essaya, en aparté, de lui expliquer que personne ne l'avait jamais forcé, mais que cela risquait de mal se passer pour lui si le spectacle cessait, le professeur fit la sourde oreille.
« C'est pour te protéger, que je fais ça ! »
La belle histoire. Le collégien aurait presque pu y croire, si cette phrase ne s'était pas accompagnée d'une étrange caresse sur la joue.
« Tu comprends, Cléo ? Ton corps est précieux, il ne faut pas le montrer à tout le monde, mais seulement à des personnes méritantes, capables de te protéger. Veillez sur toi, c'est notre rôle d'adulte. Je ne laisserai personne faire du mal à un de mes élèves. »
Le message était particulièrement clair. Aux portes de l'adolescence, Cléo était tout sauf naïf. Si les règles venaient de changer, le jeu, lui, ne faisait que continuer.
Comme par hasard, en quatrième, il se retrouva à nouveau dans la classe de Monsieur Le Bris. Et dès le premier jour, le professeur de sport profita d'un cours de gymnastique pour lui passer la main dans le cou et sur les hanches, officiellement pour l'assurer sur des agrès compliqués. Dès la sonnerie, Cléo s'était retrouvé nu dans le petit bureau qui jouxtait le gymnase. Presque immobile, il avait laissé son « bienfaiteur » le regarder et lui caresser le dos, ne gesticulant que pour éloigner les sales pattes du professeur des zones les plus sensibles.
Un porc. Pour Cléo, voilà tout ce que cet homme était. Mais étrangement, il ne fuyait pas ces séances. Forcément, rien ne l'obligeait à s'y présenter après avoir transpiré. Le Bris ne lui avait jamais fait la moindre remarque ni demande. Pourtant, l'adolescent voyait parfaitement l'effet très positif sur son bulletin et sur son quotidien quand il acceptait de se montrer. Ses notes en sport grimpaient et ceux qui l'emmerdaient se retrouvaient plus que la normale en colle ou en conseil de discipline. Avec un sourire sadique aux lèvres, il s'habitua aux caresses sur le torse, le ventre, et même les pieds. Il se sentait fort et dominant. Il avait l'impression de posséder quelque chose. Son jeune corps était une arme capable de faire tourner des têtes. Et puis, les pervers, ce n'était pas ce qui manquait. Là, il ne faisait que mettre au point ce qui, au lycée, finirait par devenir une activité à part entière. Il se vendait au plus offrant. Et celui qui avait le plus à lui apporter, c'était bien ce pauvre type.
Entre ses souffrances, le manque de ses parents, et sa sœur qu'il aimait tant et qui multipliait les mauvaises fréquentations, avait-il d'autre choix que de protéger ce qui pouvait l'être ? Ce jeu lui permit de passer la quatrième sans encombre. En troisième, il le reprit de plus belle. Presque toutes les semaines. Cléo se laisser toucher. Partout. Sa moyenne augmentait plus vite de cette manière. Il avait l'impression folle de manipuler son prof, et certaines caresses n'étaient pas désagréables, comme celle, humide, qu'il reçut au milieu du deuxième trimestre.
C'était la première fois que quelqu'un lui faisait ça. Il se sentit plus puissant et dominateur que jamais. Mais quand, à la fin de la séance, il osa l'exprimer à haute voix, son professeur explosa de rire en lui passant nerveusement la main dans les cheveux :
« Tu ne domineras jamais personne, Cléo. Tu es fait pour être un jouet. Je suis ton prof, je t'apprends, c'est tout. Tu aimes ce qui se passe entre nous, tu y prends goût. Je ne t'ai jamais forcé, rien demandé, et toujours tu reviens. Tu es fait pour être dominé par des hommes, tu en as besoin ! C'est dans ta nature ! »
Furieux, l'adolescent avait claqué la porte derrière lui, puis était allé pleurer dans les bras de Manon, sa meilleure et seule amie. Cet homme avait été ignoble. Il le détestait. Il le haïssait. Il voulait sa mort et ne plus jamais le revoir. Au risque que sa moyenne en sport chute immédiatement. Telle était la règle qu'il avait acceptée dès le début, et il était trop tard pour s'en plaindre et vouloir la remettre en cause. Ce n'était après tout qu'une matière annexe sans importance. Il s'en fichait. Il ne voulait pas être un jouet. Il n'avait pas la prétention d'en être un un jour. Il voulait tirer les rennes de sa propre existence. Le soir-même, Cléa lui proposa de fumer. Il accepta, puis regretta toute sa vie cette expérience. À partir du lendemain, il ne se présenta plus jamais dans le petit bureau.
En tout cas, jusqu'à la fin de l'année, après le brevet. Une petite fête avait été organisée pour célébrer la fin du collège. Ce soir-là, en voyant sa sœur défoncée embrasser Manon, Cléo sombra dans le chagrin. La douleur était trop forte. La seule fille qu'il aimait se détournait de lui. Elle préférait les personnes de son propre genre. Et cela ne l'empêchait même pas de déconner. L'adolescent n'arrivait pas à l'accepter. Il réalisait d'un seul goût son égoïsme et sa perversité. Il n'était qu'un monstre envieux et incontrôlable. Le soir, il pensa à elle, et se détesta à jamais.
Le lendemain, dirigé par une haine autodestructrice, il laissa ses pas le conduire jusqu'au collège. Il était vide, ou presque. Pendant deux heures, il erra dans les couloirs, jusqu'à finir dans le gymnase. Là, son professeur finissait de ranger les derniers matelas. Sans un mot, l'adolescent le suivit dans le petit bureau et jeta ses belles fringues de marque sur le sol.
« Allez-y, faites-vous plaisir ! »
Son seul désir était de souffrir. La lame censée lui trancher la gorge était un vieil adulte vicieux d'une quarantaine d'année. Il le laissa le toucher partout où il le voulait. Il alla jusqu'à lui obéir, au pire moment.
« Tu te souviens de la leçon que je t'avais donnée la dernière fois ? »
Hochant la tête, l'adolescent s'affaissa sur le sol. Les paupières chargées de larmes, il s'exécuta. Il ne pouvait pas lutter. Il n'en avait pas envie. Il était là pour souffrir. Ce qui lui arrivait était une bonne chose. C'était la première fois qu'il faisait « ça » avec sa bouche. Il découvrait son véritable pouvoir. Sentir sa gorge devenir de plus en plus pâteuse fut une révélation. Il pouvait tenir le monde du bout de ses lèvres. Il avait cette force. C'était lui qui était à genoux, mais c'étaient « eux » qui seraient à ses pieds. Il en avait décidé ainsi. Il s'appliqua. Il apprenait. Il comprenait. La rage lui brulait les entrailles. C'était ça, ce qu'il devait faire. S'il voulait se punir d'exister, il n'avait pas d'autres solutions que d'accepter le mal qui s'était incarné en lui. Pervers et vicieux, il sourit jusqu'au bout de son affaire, jusqu'à ce que son professeur lâche un râle de plaisir et ne lui crache sa matérialisation au visage avant de lui caresser la tête pour le féliciter du travail accompli.
« Tu vois, Cléo, tu es doué, naturellement doué. Ne cherche pas à dominer, tu n'es pas fait pour ça. Tu n'y arriveras jamais. Accepte ta place et restes-y, tu feras des heureux... »
Le jour-même, l'adolescent déposa sa première annonce sur internet, mentant sur son âge et insistant sur le mot « Vénal ». Son premier plan, après avoir versé de nombreuses larmes, n'arriva que quelques semaines plus tard, peu après son entrée en seconde.
*****
« Je n'ai jamais pu lui pardonner ce qu'il m'a dit. C'était un véritable connard, il m'a pris pour une merde pendant deux ans, et quand enfin il a obtenu ce qu'il désirait, à savoir que je me foute à genoux pour lui, il a pris son pied comme jamais. Je n'étais qu'un jouet à ses yeux, il n'a pas arrêté de le dire. Mais là où je lui en veux le plus, ce n'est pas pour ne pas m'avoir respecté, c'est pour m'avoir foutu cette idée en tête que je n'étais qu'une merde bonne à sucer. Et le pire, c'est qu'il avait raison. Pendant presque deux ans, c'est tout ce que j'ai fait... »
Cachant difficilement ses émotions, Cléo avait négligemment renversé son verre presque vide. Se remémorer ces souvenirs le faisait trembler. Camille, lui, en semblait presque dégouté. C'était en effet assez ignoble. Il aurait bien voulu demander à son Panda pourquoi il n'avait jamais pensé à porter plainte contre une ordure pareille, au moins pour protéger les autres qui viendraient après lui. Mais poser la question était inutile. Camille connaissait déjà la réponse. Cléo se sentait bien trop honteux, coupable et complice pour l'ouvrir devant les flics. C'était une véritable connerie. mais le dire n'arrangerait rien. Alors, à la place, le jeune androgyne poussa son assiette vide sur le côté et, clignant des yeux, il se força à afficher son sourire légendaire.
« Il avait tort. J'peux te l'assurer, t'es pas mauvais du tout. T'es même plutôt très bon. »
Essuyant les larmes qui lui étaient venues sans qu'il n'y songe, Cléo se força à répondre d'un air réjoui et presque sournois, en laissant ses pieds se frotter sous la table à ceux de son camarade et en lui passant la main sur la cuisse. Innocemment, il avait profité de son monologue pour rapprocher leurs chaises.
« Je sais. »
L'alliance des mots et des gestes fit frissonner Camille. Ils étaient annonciateurs de quelque chose de particulièrement doux et sucré qui ne saurait tarder à arriver. La main de plus en plus baladeuse de Cléo qui s'accompagnait d'une multitude de baiser dans le cou ne faisait que confirmer cette vérité.
« Attends, j'suis en robe, là ! Donc ça ne peut pas marcher, vu que je suis une fille. »
Sincèrement amusé, le Panda rétorqua aussitôt en poursuivant ses caresses de plus en plus assumées, et de mieux en mieux dirigées.
« Attends que je te l'enlève, et on après, on verra si t'es toujours une fille... »
La sortie de l'après-midi se termina assez précipitamment, et commença ainsi l'épisode que les deux adolescents attendaient le plus. Celui de leur rapprochement intime, qui se déroula chez Cléo. Là, après une douche rapide alors que son partenaire l'attendait en caleçon sur le lit, Camille se jeta à son cou et commença à lui picorer le front et la bouche.
« Tu as remis ta robe ? », demanda son hôte, étonné.
« C'est pour mieux que tu me l'enlèves ! », répondit l'invité en lui mordillant l'oreille.
Le reste ne fut que douceur. Comment Cléo défit les petites fermetures ; comment l'habit glissa sur les épaules de son propriétaire, laissant apparaitre un torse suave et timide ; comment Camille se jeta sur le sous-vêtement de son partenaire pour le tirer avec les dents ; comment le brun aux cheveux lisses afficha immédiatement sa vigueur et son excitation ; comment il laissa ses paumes fouiller entre les cuisses du jeune châtain en tenue d'Eve à la recherche de ses attributs d'Adam ; comment, du bout des doigts, il arriva à son but avant d'y plonger les lèvres. Tout se parfumait de caresse et de tendresse.
Plaqué contre le lit, sa robe mêlée par terre aux draps, Camille vit sa respiration s'emballer. C'était comme si Cléo s'était mis en tête d'entièrement le bouffer, et à ce petit jeu il était plutôt doué. Non, il excellait. De ses gémissements, Camille l'accompagna et l'encouragea, avant de réclamer, rose de honte et de plaisir, à tenir lui aussi son rôle.
« C'est pas du jeu, on avait dit que tu devais te comporter comme un vrai mec pour faire taire ton imbécile de prof ! »
À ces mots, Cléo explosa de rire, avant de retourner son partenaire sur le ventre, de s'allonger sur son dos et de poser les paumes sur ses poings recroquevillés. Le visage paisible, il lui expliqua à l'oreille qu'il n'en avait plus rien à foutre. Les gens pouvaient dire ce qu'ils voulaient, rien ni personne ne pourrait plus jamais l'empêcher de profiter de certains moments précieux, comme celui qu'il était en train de vivre. Ce n'était pas aux autres de lui expliquer ce qu'il devait faire avec ce dont la nature l'avait doté. C'était à lui d'en décider. Un instant plus tard, Camille piailla de plaisir et détendit ses muscles. À cet instant précis, il trouvait que son partenaire avait fait le meilleur choix possible. Les sensations qu'il lui offrait, en tout cas, en embrassant sa nuque et le haut de son dos, étaient dignes d'un véritable gentleman. Non. D'un homme. Un homme véritable qui n'avait pas peur d'aller au combat pour défendre ce qui lui était important. Leur bataille dura plus d'une heure. Et à la toute fin, après être passé par toutes les positions et tous les plaisirs, Camille décoiffé et éreinté s'effondra de fatigue, la tête et les doigts délicatement posées sur le torse blanchâtre de son bel amant. De joie, il s'exclama :
« C'était trop bien ! »
« Même pendant les cinq minutes où, dans le feu de l'action, on a échangé les rôles ? Moi, c'était mon moment préféré ! Dommage qu'après, t'as tout de suite voulu que je reprenne les commandes ! »
Un sourire aux lèvres, l'élève de seconde les utilisa pour embrasser la poitrine, les tétons, le cou et la bouche de son partenaire. De ses ongles finement manucurés, il lui griffa les épaules. Il ronronnait.
« Ça, c'est parce que je suis une vilaine fille qui voulait faire plaisir à son mec avec le coup du p'tit doigt. Et comme mes mains étaient occupées à te chatouiller, bah j'ai utilisé ce que j'avais de dispo entre les jambes. Bah quoi ? Faut bien que ça serve d'être piégé dans un corps de garçon, non ? »
Se redressant d'un coup sur ses coudes, Cléo afficha une mine surprise.
« Eh, on n'avait pas dit qu'on ne sortait pas ensemble, mais qu'on ne faisait que flirter ! Et puis, tu assumerais d'avoir une liaison avec moi devant les autres ? Après tout ce que je t'ai fait subir cette année ? J'suis pas sûr de mériter d'être ton copain. En plus, j'suis escort, j'suis une merde, une pute... T'es beaucoup trop bien pour moi... »
Sans hésiter une seconde, Camille s'assit à califourchon sur l'intimité épilée de son partenaire. La façon qu'avait l'adolescent de se mordiller la lèvre était une réponse en soi. La manière dont il s'empara de la tignasse brune qui lui faisait face pour y passer ses doigts en se perdant dans son regard en était une encore plus limpide.
« Demain, à l'anniv d'Aaron, je compte bien leur balancer la vérité. J'assume complétement ! J'sais pas vraiment si je suis amoureuse de toi, mais j'te kiffe, et si j'en crois ce qui me chatouille le derrière, j'pense bien que la réciproque est vraie aussi. Alors j'attendrai le temps qu'il faut que tu acceptes de sortir officiellement avec moi. Mais en attenant, laisse-tomber tes plans et arrête de t'offrir à des connards alors que tu m'as. Assume d'être un mec, et occupe-toi de ta future copine, même si elle possède ce foutu corps masculin de merde. »
Se laissant aller à de nouvelles caresses, encore plus franches et déterminées que les précédentes, Camille empêcha son partenaire de répondre. Cléo se laissa faire et n'empêcha pas les mains de son amant de passer de ses joues à son torse, et ses lèvres de sa bouche à ses cuisses. Alors que Camille, les yeux clos, le dévorait d'amour, Cléo s'abandonna à ses doux effleurements et haleta à chaque baiser. Ses soupirs s'accompagnèrent d'une touchante confession.
« Moi, je l'aime ton corps. Ça ne me dérange pas si ma meuf est un garçon... J'trouve ça même beaucoup plus drôle comme ça, en fait... »
« Piège » en anglais. Utilisé pour désigner certains garçons ressemblant étrangement à des filles, au point de fantasmer sur eux en faisant l'erreur de les prendre sincèrement pour des filles.
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