1. Camille et Margot

« Chouchou, tu fais quoi ? Allez, viens, on sort... J'veux en profiter un peu... »

Le torse plaqué contre la chaise de son amoureux, Kilian lui avait tendrement passé les bras autour du cou tout en lui mordillant l'oreille. Entre réviser le bac Français qui aurait lieu en plein milieu de la semaine suivante et profiter un peu du soleil de juin, le blondinet avait fait son choix. C'était en extérieur qu'il voulait recevoir une pluie de bisous, et non pas à l'étroit entre les quatre pauvres murs de sa chambre de lycéen. Un soupir aux lèvres, Aaron lui gratouilla le haut du crâne. Au fond, il savait que son petit ami avait raison. Le temps passait trop vite. Leur première touchait bientôt à sa fin. Viendrait ensuite l'été, avec ses si difficiles décisions. Le jeune brun allait vers ses dix-sept ans, qu'il fêterait dans quelques jours à peine. Dix-sept ans. Une certaine mélancolie teintée de tristesse s'était emparée de lui depuis quelques jours. Ce cap lui faisait peur. La maladie qui rongeait sa mère était à un stade avancé. L'éventualité que, pour la soutenir, il doive retourner en Suisse – ce pays qu'il avait souhaité ne plus jamais voir de sa vie – était de moins en moins à exclure, même si cela impliquait de laisser derrière lui la merveilleuse petite bestiole qu'il aimait tant et qui lui grignotait le cou, les lèvres, et même bien autre chose.

« Kili, arrête, tu m'empêches d'écrire. T'es chiant, tu baves en plus. »

Ça, le blondinet n'y pouvait rien. Les bisous partout étaient la seule arme à sa disposition pour faire bouger son petit ami quand ce dernier se plongeait dans la réalisation son roman. Là, alors qu'il approchait enfin de la fin de ses histoires, le brunet était presque rentré en apnée. Il était nécessaire de l'aider à se détendre, afin que son style se fasse plus agréable. Pour Kilian, cela passait forcément par une utilisation maline et tendre de ses douces lèvres rosées. Et il savait particulièrement bien s'en servir. Surtout quand ses genoux touchaient le sol.

« RHA, putain, t'as gagné, on sort. Mais demain, on bosse, hein. Je ne veux pas passer mon dimanche à glander. »

Ravi de la tournure des évènements, Kilian essuya sa bouche souriante du dos de la main, se redressa et se jeta sur son téléphone posé sur le lit. Il avait un SMS urgent à envoyer. Curieux, le brunet jeta un coup d'œil par-dessus l'épaule de son compagnon et le questionna :

« Tu veux qu'on aille où ? Et surtout, avec qui ? »

Le blondinet répondit sans réfléchir ni même tourner la tête. Il y avait une personne qu'il avait absolument envie de voir.

« Camille ! Il voulait essayer les nouvelles barques qu'ils ont installées près du lac. J'lui avais dit que j'étais partant pour en faire avec lui ! La dernière fois que je suis monté sur un de ces trucs, c'était avec ma tante au primaire... Et les autres, ils peulent pas... J'ai demandé, ils révisent tous le bac, même Martin. J'voulais squatter chez lui pour jouer un peu mais il m'a envoyé chier à coup de pied virtuel au cul. Donc du coup, il reste que Cam. C'est l'avantage d'être en seconde. »

Enchanté de la proposition, le concerné ne mit que quelques secondes à répondre au texto. C'était avec plaisir qu'il se joindrait au duo pour une expédition risquée en eau inconnue, à condition qu'il puisse venir accompagné de Margot, sa plus tendre et chère amie.

Depuis l'anniversaire de son camarade aux cheveux blonds, il allait mieux et ne se posait plus trop de questions, préférant attendre que le temps lui apporte certaines réponses. Lui aussi avait grandi, surtout moralement. Cela faisait presqu'un an que, grimé en fille, il avait rencontré Aaron et Kilian. Le genre avec lequel il était venu au monde ne lui convenait tout simplement pas. La chose pourtant simple avait provoqué un grand nombre d'incidents. Il le savait, quand on avait le malheur de naitre garçon, porter la jupe était un véritable combat. Il ne voulait plus le mener aussi bêtement qu'auparavant. Il avait changé. Maintenant, il n'avait plus peur d'assumer cette absurde part masculine qui lui collait à la peau tant qu'il laissait sortir celle plus féminine à chaque fois que nécessaire. En un an, une seule chose était restée en l'état. Ou plutôt, était revenu plus éclatante que jamais. Rien que d'y penser sur le chemin, Kilian en sautillait de joie.

« J'vais voir son sourire ! »

Ces lèvres fines, dès qu'elles se tournaient vers le ciel, le blondinet en devenait fou. L'idée même du visage paisible de Camille lui faisait du bien. Vêtu d'un débardeur blanc qui laissait paraitre ses épaules, d'un short beige qui ne cachait rien de ses mollets et d'une casquette qui protégeait ses sensibles yeux verts, il n'avait qu'une seule envie, faire le pitre. Derrière lui, Aaron grinchait en traînant des pieds et en admirant la vue sur la nuque de son petit ami. D'un côté, il trouvait énervant de ne pas pouvoir écrire alors qu'il en était arrivé à un point crucial et sensible de son histoire. De l'autre, il trouvait toujours aussi adorable et craquant d'observer Kilian s'amuser. À ses yeux, plus son amant grandissait, plus il était beau. Et il partait déjà de très haut. Les mois n'avaient pourtant qu'ajouter du charme à l'innocence. Si la bouille et la pilosité du blondinet étaient toujours celles d'un enfant, son corps élancé avait encore prit quelques centimètres, du volume et des formes. Aaron était amoureux. Cela faisait deux ans qu'il l'était, et malgré les crises de nerfs et les prises de bec, à ce niveau-là, rien n'avait changé. Toujours, le brunet se sentait obligé de s'arrêter devant le premier marchant de crêpe ambulant pour offrir une pitance « banane-nutella » au garçon excité comme une puce qui partageait sa vie. Et tant pis si ça les mettait en retard. Allongé sur un banc, la tête posée sur les genoux d'Aaron, Kilian dégusta sa friandise en se brulant les lèvres. Ce ne fut qu'une fois engloutie toute entière qu'il leva ses pupilles au-dessus de lui et se perdit l'air comblé dans le regard sombre de son petit ami.

« Au fait chouchou, t'as bientôt fini ton roman, non ? Eh déconne pas, j'veux une suite, hein ! »

Amusé, le brunet lui hotta la casquette pour mieux pouvoir laisser ses doigts caresser ses cheveux. Si une séquelle n'était pas encore à l'étude, il avait une folle envie de poursuivre les aventures littéraires de toutes les émanations et incarnations de son héros. Légèrement psychorigide, Aaron détestait laisser un travail inachevé. Son univers méritait d'être développé, et si son foutu ordinateur si vieux et usé ne l'avait pas rendu aussi fou, il se serait déjà mis au travail en marge de l'œuvre principale.

« Tu te souviens que, l'année dernière, j'avais écrit une nouvelle pour tester mon style et la réaction des lecteurs ? J'voulais en faire un recueil, mais je n'ai pas eu le temps. L'idée serait, à chaque fois, de raconter une petite histoire en quelques chapitres sur les générations de héros du passé. Et à la fin, je ferais un sondage en ligne pour déterminer quel est le meilleurs de tous les Kili'ans. Et comme t'es leur modèle à tous, t'as intérêt à gagner, sinon, j'te fais la gueule. »

Aller de l'avant, chercher de nouvelles choses et exploiter ses idées abandonnées sur des feuilles déchirées, tel était le plan qu'Aaron déroula à son compagnon particulièrement à l'écoute. Le blondin buvait littéralement les paroles de son petit ami. Il n'avait qu'une seule hâte, pouvoir découvrir toutes ces petites aventures et essayer d'y trouver les liens avec sa réalité, un de ses jeux préférés. Et puis, savoir que son brun fourmillait de projets et d'imagination le rassurait. Même s'il n'était pas toujours là pour lui tenir la main comme il le faisait présentement, il pouvait lui faire confiance pour s'occuper pendant ces longues semaines d'été où ni l'un, ni l'autre, ne savaient encore précisément ce qu'ils feraient. Kilian aurait pu rester des heures allongé sur ce banc à passer commande pour les histoires de ses Aar'ons préférés – sur la seule base de leurs surnoms distillés ici et là dans le roman principal – si une forte vibration dans sa poche ne l'avait pas fait sursauter.

« Merde, Camille ! On est en retard. Heu... Tiens chouchou, décroche pour moi. J'le connais, il va encore m'engueuler... »

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le lycéen déverrouilla l'appareil et répondit à son camarade qui hurlait dans le combiné qu'il attendait déjà depuis dix minutes comme un con avec Margot à côté des embarcations, qu'il n'y avait toujours ni brun ni blond à l'horizon, et qu'il commençait sérieusement à se demander si une sombre histoire de câlin surprise imprévu n'avait pas mis ses chers amis en retard, dans quel cas il trouvait légitime de gueuler très fort. Aaron le rassura. Il n'était ici question que de l'appétit sans borne de son bien aimé pour les crêpes. L'amour, il l'avait déjà dégusté juste avant de partir, ce qui mettait l'argument hors de cause dans ce malencontreux retard.

Dix minutes plus tard, le jeune couple arriva aux abords du lac. Comme prévu, Margot et Camile patientaient, assis sur des cailloux. La première chose que Kilian remarqua fut que le sourire qu'il avait tant désiré s'était malencontreusement caché derrière une grimace d'impatience, ce qui le peina quelque peu et le poussa à se jeter, toutes phalanges dehors, sur Camille pour le chatouiller un peu. La deuxième, alors que ses doigts étaient passés sous le t-shirt de jeune lycéen et s'amusaient à le faire hurler d'un rire gênant et incontrôlable, c'était que ce dernier avait fait le choix d'une tenue plutôt masculine. Un haut vert flashy près du corps, un pantalon léger en toile, des baskets et même pas un soupçon de maquillage pour venir mettre en valeur ses joues roses et ses yeux bleu de minuit. Camille était sorti en mode mec, et d'une certaine manière, même si son corps était encore parfaitement androgyne, cela lui allait plutôt bien.

Laissant les deux sacrés numéros mener leur bataille de guiliguilis dans l'herbe sous les yeux dérangés de quelques grands-mères séniles en sortie avec les petits enfants, Aaron salua Margot d'une bise, s'avança vers le guichet et sortit son portefeuille en demandant s'il était possible de laisser quelques effets personnels qui craignaient l'eau pendant la promenade. Acquiesçant, la vendeuse de ticket lui dicta les règles de sécurités évidentes pour ce genre de promenade et lui rappela qu'il était interdit d'emmener un animal sur l'embarcation. Un soupir coincé dans la gorge, le brunet détourna le regard vers son petit ami qui se roulait par terre avec Camille dans une sorte de remake des plus grands spectacles de catchs, version ridicule. Ça, s'il avait bien anticipé la consigne en prenant soin d'interdire à Kilian de sortir les laisses pour promener les chiens – ce qui lui avait valu cinq bonnes minutes de bouderies –, il avait bêtement oublié que son petit ami était lui aussi à sa manière, une bien drôle de bestiole. Le pointant du pouce, il demanda avec une moue à moitié contrariée si l'embarquer ne posait pas de problème. Amusée par la question, l'hôtesse répondit que non, à condition d'avoir une bonne assurance, puis lui donna son numéro de barque. Quelques secondes plus tard, le brunet se retrouva à ramer pour amener ses camarades au milieu de l'étang. À la position du soleil qui lui brulait les joues, il détermina approximativement qu'il devait être entre quinze heures trente et seize heures. Le lac était calme et réfléchissait la lumière comme un miroir dans lequel Kilian n'avait de cesse de se mirer. Le blondinet trouvait cela presque magique qu'en abord d'une petite ville comme la sienne, on puisse trouver ces étendues d'eau peuplées de canards et de cygnes. Le plus merveilleux, c'était de pouvoir sentir le vent causé par le déplacement de la barque s'engouffrer dans ses cheveux, sans qu'il ne bouge d'un sourcil. Là, ça tenait presque de la magie. Le seul problème était que le trucage qui l'avait rendu possible n'était rien d'autre qu'un foutu brun ronchon qui menaçait d'utiliser la rame pour lui taper dessus s'il n'arrêtait pas de déséquilibrer l'embarcation en passant sans cesse d'un côté à l'autre à la recherche du plus beau colvert.

Vexé, Kilian enleva son débardeur et s'allongea entre les jambes de son petit ami. Sa casquette posée sur le visage, il expliqua vouloir bronzer un peu. Aaron traduisit qu'il était simplement en train de bouder. Camille et Margot, assis en face, rigolèrent de bon cœur. La barque était à présent au milieu de l'étendu d'eau, et personne ne semblait vouloir briser le silence qu'on ne pouvait trouver qu'à cet endroit. De sa poche de pantalon, Camille sortit une vielle version usée et cornée de L'Étranger d'Albert Camus, qu'il expliqua avoir pris avec lui car il devait le lire au printemps à la demande de la prof de Français, ce qu'il n'avait jamais pris le temps de le faire, à la différence de Margot. Elle avait adoré et, au détour d'une conversation, elle lui avait conseillé de s'y plonger :

« Tu t'es souvent senti étranger dans ton propre corps. Ça peut être intéressant, je pense. »

Ce jour-là, le lycéen avait souri tendrement, puis avait embrassé sa camarade dans le cou. Entre eux deux qui se connaissaient depuis des années, les choses avaient souvent été compliquées. De l'amour peut-être, de l'affection certainement, un foutu attachement sans le moindre doute. Ils étaient sortis ensemble, puis avait cassé, encore et encore, le même schéma se répétant inlassablement. Là, sentimentalement, l'histoire était terminée. Pour le mieux. Pour que Camille puisse grandir, faire ses propres choix et devenir le garçon ou la fille qu'il était au fond de lui. Pour finir, cette séparation avait fini par les rapprocher encore plus. Margot était l'amie dont l'adolescent avait besoin pour se confier, s'amuser et échanger quelques gestes tendres, sans finir écraser par le poids d'une relation. Depuis que son esprit était appaisé, il souriait, et cela faisait la joie de son entourage. Même si Kilian aurait quand même bien voulu le voir en jupe, parce que quand-même, c'était presque l'été, et lui, il aimait bien que Camille se maquille. C'était quand même comme ça qu'il l'avait connu.

« Au lieu de dire des bêtises, tu ne veux pas ramer ? »

Relevant la tête en entendant la voix du brun qui lui servait de petit copain, Kilian se redressa et se jeta de manière presque automatique sur les rames. Bêtement, il avait déjà oublié pourquoi il faisait la tête. Alors qu'il s'était mis à déplacer la barque à la force des bras en chantonnant, Aaron s'assit en face de lui, tout juste entre Margot et Camille, plongé dans la lecture de son livre. Le lycéen aux cheveux noirs avait lui aussi bien apprécié l'ouvrage, lorsque ce dernier lui était tombé entre les mains. Il se souvenait même encore par cœur du fameux incipit, un des plus connu de toute la littérature.

« Inciquoi », demanda Kilian avec sincère naïveté.

« Incipit ! », répondit son compagnon. « Ce sont les premiers mots d'un roman, les plus importants, car ils doivent réussir à capter le lecteur et lui donner envie de poursuivre la lecture. Et celui-là est énorme. Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier. T'as tout en quelques phrases. Du rythme, du style, et la construction du personnage. Tu sais qu'il est étrange, tu le sens, tu vois qu'il a une sorte d'indifférence envers sa propre génitrice, qu'il est en décalage avec une société froide et cruelle à l'image du télégramme. En trois mots, le narrateur te fait comprendre que c'est lui, l'Étranger du titre, parce qu'il ne correspond pas au moule qu'on peut attendre. Et c'est d'autant plus fort que c'est jeté sur le papier de manière ultra naturelle. Ce n'est pas travaillé, c'est le talent qui parle, le sens des mots, de la poésie, de l'élégance. C'est percutant, c'est... »

« OUAIS, OH, STOP, LÀ ! Le bac, c'est dans quatre jours, okay ? Tu vas pas nous faire un commentaire de texte sur ça en pleine sortie, sinon, j'te préviens, je plonge ! »

Ayant lâché les rames, Kilian avait dressé ses deux mains devant lui. Quand son homme commençait à partir comme ça dans ses délires intellectuels, les choses devaient extrêmement dangereuses pour les pauvres petits neurones qui prolongeaient ses cheveux dorés. Déjà qu'ils n'étaient ni très nombreux, ni très courageux, alors si en plus ils se mettaient à cramer, c'était foutu. Surtout qu'avec ce soleil qui tapait fort, ils n'avaient vraiment pas besoin d'aide pour prendre un coup de chaud.

Soupirant d'épuisement, Aaron croisa les bras, souffla à l'aide de ses narines et contracta ses lèvres d'un air abattu. Parler littérature à Kilian, c'était comme danser un ballet avec un éléphant. À cela près que l'éléphant, lui, ne barrissait que lorsqu'il avait une bonne raison de le faire. Pas comme cet indécrottable blondinet qui se vexait pour un rien et qui voulait toujours avoir le dernier mot, quitte à raconter n'importe quoi.

« Ton incipit, d'abord, pourquoi tu ne le mettrais pas à la fin ? Hein ? Ça sera un excipit, ça serait très bien. En plus, j'm'en tape de tes critiques, quoi que t'en dises, j'suis un grand lecteur. J'ai la plus grande collection de mangas du lycée, et je suis le mec qui a le plus lu tes chapitres, alors ça va, hein, pouet pouet. »

Levant les mains au ciel et secouant nerveusement la tête, Aaron essaya de contenir un rire nerveux. Là, Kilian devenait vraiment insupportable.

« Nan mais t'es con, ou quoi ? À la fin, ça n'aurait aucun intérêt. Quelle histoire se terminerait par ça ? Sérieux, continue de lire tes bédés à la con, ça vaut mieux pour tout le monde ! »

Choqué, le blondinet recula sa tête de quelques centimètres et renifla lourdement. Il détestait quand Aaron le prenait de haut comme ça et critique ses goûts. Dans ces moments-là, il aurait presque été capable de vraiment mal le prendre et d'avoir de la peine. Sentant l'ambiance devenir un peu électrique, Camille reposa son livre, se mordilla la lèvre et tenta de détourner la conversation avant que les deux amants n'en viennent aux mains ou, pire, que le plus sensible des deux ne se mette à crier. Sans trop d'idée, il aborda le premier sujet qui lui vint en tête, relent d'une vielle conversation qu'il avait plusieurs mois de cela avec le blondinet :

« Au fait, Kil, depuis la dernière fois, vous avez à nouveau échangé les rôles avec Aaron, au lit ? Quand on... s'est amusé tous les trois au camping, ça ne semblait pas te brancher. Mais c'est quand même chiant de rester sur un échec et... Que... Eh, Kil, pourquoi tu me regardes comme ça ? J'ai dit une bêtise ? Aaron, rassure-moi, j'ai dit une bêtise ?

Rouge de gêne, l'adolescent aux cheveux dorés tremblota. Son brun, lui, détourna le regard en plongeant son visage dans sa main. Cet épisode fameux – un sacré foirage des deux côtés –, les deux amoureux n'en avait jamais vraiment reparlé. Rien que d'y repenser, cela les mettait mal à l'aise. Alors qu'après quelques secondes de silence, Aaron semblait enfin décidé à répondre et à clarifier les choses, son compagnon se redressa – ce qui fit dangereusement tanguer l'embarcation –, lui coupa la parole et invectiva violemment l'idiot qui avait posé cette question en le saisissant par le bras.

« Oui, bon, ça va, on sait que j'ai été nul. Mais voilà, pas ma faute si ça marche mieux dans l'autre sens. Moi, j'ai pas la chance d'être cramé du cerveau et de fonctionner aussi bien en mode fille que mec, comme certains dont je terrais le nom par pur respect de leur dignité. Moi, c'est uniquement le mode... mâle qui fonctionne, sauf qu'il est un peu contrarié et bloqué en marche arrière, c'est tout. Mais c'est pas une fatalité du tout, hein. Et puis merde. Aaron, c'est quand il veut que je l'en... »

Le liquide verdâtre entrant dans ses poumons empêcha Kilian de terminer sa phrase. À force de gigoter avec Camille qui le provoquait en lui proposant de lui prêter quelques robes, était bien arrivé ce qui devait arriver. Les deux adolescents avaient chuté par-dessus bord et s'étaient retrouvés tous deux la tête le nez dans le lac. Heureusement assis, Aaron et Margot avaient pu se tenir et rester au sec. À moitié tordu de rire, le brunet apostropha son malheureux compagnon qui, de l'eau jusqu'au-dessus des lèvres, le regardait avec un air particulièrement mauvais.

« Tu m'emploufes, Kili ? C'est bien, t'as tout à fait raison. T'es ridicule. J'suis désolé, mais là, t'es vraiment ridicule. Et fais attention, y a Camille derrière toi qui semble vénère. J'crois qu'il veut te couler et... ah... Trop tard. Il t'a coulé. Putain, faites des gosses, faites des gosses... y sont gentil, hein, ceux qui disent ça. Après, c'est pas eux qui se les tapent ! »

Tranquillement assis, Aaron et Margot admirèrent quelques instants leurs camarades jouer à se pousser la tête sous l'eau puis, rapidement lassés de cette bataille qui semblait partie pour durer jusqu'à ce que l'un de deux protagonistes se noie ou abandonne la lutte, se mirent à discuter entre eux. Malgré tout, le brunet était ravi de voir son amoureux s'amuser ainsi. Pour d'autres raisons, sa camarade partageait sa joie.

« Je suis vraiment heureuse que Camille vous ait rencontré l'année dernière. Quand on ne se fait pas la gueule, il parle toujours de vous deux. Je ne sais pas s'il vous l'a déjà dit, mais il vous adore. Il vous considère un peu comme des grands frères sexy. Eh, me regarde pas comme ça, ce sont ses mots, pas les miens. »

Surpris et touché par la confidence, Aaron tourna légèrement la tête. Dans l'eau, la bataille continuait de plus belle. Se redressant, le brunet continua la conversation.

« Je crois qu'il a surtout de la chance de t'avoir eu toi. Je ne connais pas bien sa vie avant, mais ça a dû être dur, avec la perte de sa sœur. Vous étiez amis avant ça, non ? »

Perturbée par la question, Margot se perdit dans ses pensées. Cette époque, elle en avait fait son deuil. Pourtant, il lui arrivait souvent d'y resonger. C'était l'origine d'une amitié profonde, qu'elle chérissait aujourd'hui encore plus que tout.

« Oui. Cam et Max, je les ai rencontrés au primaire, quelques années avant l'accident. »

*****

En ce matin de septembre, Margot était fière de sa nouvelle robe que sa mère lui avait achetée spécialement pour sa rentrée en CE2. Les petites fleurs bleues faisaient ressortir le rose pastel du tissu et lui donnaient un air de petite princesse. Ça, dans la cour de récréation, elle en était sûre, tous les garçons n'auraient d'yeux que pour elle. Mais pas question de leur offrir un bisou ! Ça, jamais, c'était bien trop dégoutant. Franchement, elle ne voyait pas du tout comment les adultes pouvaient faire pour aimer un truc pareil ! Elle, elle ne voulait jamais devenir adulte. Elle aimait trop l'école pour imaginer un jour la quitter. En CE1, sa maitresse avait été adorable, et elle s'était faite plein de copains et de copines. Elle n'avait qu'une seule hâte, découvrir les nouveaux camarades avec qui elle passerait cette nouvelle année.

En arrivant devant les portes de l'établissement, la demoiselle n'embrassa même pas sa maman. Son cartable sur le dos, elle se jeta à toutes jambes en direction de la cour pour l'appel. Dans sa précipitation, sans faire exprès, elle fit trébucher un autre élève qui attendait là et qui, s'écorchant le genou, se mit à pleurer. Comme une fille. S'en doute parce qu'elle en était une, forcément.

Margot avait beaucoup du mal à supporter ces petites précieuses incapables de jouer et de tomber sans se faire mal. Certes, elle-même adorait les froufrous, les serre-têtes et les petits souliers, mais dès que sonnait l'heure de la récréation, plus question de jouer à la poupée en évitant de se casser un ongle. Elle préférait largement s'amuser avec une partie de chat perché. Un petit côté félin ressortait naturellement de son minois et de ses cheveux oscillant entre le blond et le marron clair. Sauf que là, avec sa pauvre camarade de classe dont elle n'avait toujours pas vu le visage et qui chouinait sur place, elle ne savait pas trop comment réagir. Fallait-il s'excuser ou tracer sa route ? L'énergumène, décoiffée, possédait une tignasse fine de couleur châtaigne qui lui tombait sur la nuque. Vêtu d'un petit débardeur, d'un short et de sandales, son look était plutôt coquet. Tout en elle respirait la douceur et l'innocence. Margot se retrouva complétement bloquée. Une grosse voix colérique surgit de derrière son dos et la fit sursauter :

« Eh, toi, t'as fait quoi à Camille ? Pousse-toi ! Eh, Cam, ça va ? Montre. Oh, ça va, c'est rien qu'un p'tit bobo, allez, arrête de pleurer... Tu veux que j't'accompagne à l'infirmerie ? »

Faisant timidement non de la tête, la concernée se releva et se cacha derrière son bienfaiteur. Celui-ci, furieux, s'était retourné vers Margot en se tenant les poings sur les côtés. Ses cheveux courts, son t-shirt ample de couleur uniforme, son jean et ses baskets lui donnaient un air de petite terreur. La colère se lisait au fond de ses yeux bleus.

« Eh, toi, pourquoi t'as poussé Camille ? Ça va pas la tête ? Tu veux mon poing sur le nez ? »

Dans son dos, l'autre ne savait plus où se mettre. Alors, d'une voix douce, elle supplia :

« Arrête Maxime, c'est gênant... J'crois pas qu'elle ait fait exprès, en plus... »

Ça, Margot en témoigna immédiatement. Elle n'avait fait que courir un peu au pif sans savoir où elle allait. Confuse, elle s'excusa auprès de ses nouveaux camarades et se présenta. Elle entrait en CE2, et était impatiente de connaître sa nouvelle classe.

« Comme nous ! », s'emporta fièrement Maxime sans décroiser les bras.

« Vous vous connaissez ? », finit par demander Margot, intriguée par cet étrange duo qui s'apparentait presque aux chevaliers et princesses qu'elle avait vu dans ses livres.

« Oui, nous sommes frère et sœur ! »

Ceci expliquait donc cela. Maintenant que Margot y prêtait attention, il était vrai que ces deux-là se ressemblaient un peu. Ils avaient les mêmes yeux. Histoire de détendre l'atmosphère et de sympathiser avec l'étrange duo, elle s'autorisa une petite réflexion amusée :

« C'est mignon, moi aussi j'aimerais bien avoir un frère qui me protège ! »

La baigne qui suivit, la jeune écolière ne s'y était ni attendue, ni préparée. Les fesses sur le sol et les paupières lourdes, elle dévisagea le goujat mal élevé qui venait de lui en mettre une. Depuis quand les chevaliers frappaient-ils les princesses, fussent-elles celles d'un autre royaume ? La réponse arriva, cinglante :

« C'est moi la fille ! Camille est mon frère ! Et je t'interdis de te moquer de lui parce qu'il est chochotte. C'est mon frère et je l'aime ! Sinon, mon poing sur le pif ! »

Complétement prise au dépourvu, Margot écarquilla les yeux. Pour le coup, jamais en huit ans d'existence elle ne s'était retrouvée aussi confuse. Cherchant des excuses dans sa tête, elle n'arriva pas à les prononcer. Camille avait été trop rapide et s'était emparé de la parole en bombant naïvement et maladroitement le torse.

« Ouais, et t'as pas intérêt non plus à te moquer de ma sœur parce qu'elle est un vrai garçon manqué ! C'est pas gentil et... AIE ! Mais arrête de me pincer, Max, ça fait mal ! »

« Me traite pas de garçon manqué, Cam, ou sinon.... POING SUR LE PIF ! »

Toujours les fesses par terre et sa belle robe salie par le goudron, Margot contracta les lèvres, puis explosa de rire. Elle venait de rencontrer deux perles qui venaient d'égayer sa journée. Camille était chou à croquer, Maxime était un véritable clown et une boule d'énergie. Elle, au milieu, elle venait de trouver ses nouveaux meilleurs amis.

Pendant tout le primaire, ces trois-là firent ensemble les trois cents coups. Dès qu'il y avait une connerie à imaginer, Maxime entraînait les autres. En véritable cheffe de bande, c'était elle qui, dans la cour, organisait les jeux du gendarme et du voleur. Hors de question pour elle de se grimer dans le rôle de la pauvre victime à secourir. Ou elle représentait les forces de l'ordre, ou elle se déguisait en génie du mal. Mais il fallait que ça castagne. Il fallait bien qu'elle rentabilise tous les cours de karatés qu'elle prenait ! Des jumeaux, Camille était forcément beaucoup plus calme et posé. Faire des bêtises ne l'intéressait pas trop. Le jeune garçon préférait de loin les activités calmes, comme la poterie ou le dessin. Mais dès que sa sœur l'entraînait, il se retrouvait obligé de suivre le mouvement. Avec son sourire presque irréel, il n'avait jamais aucun problème pour faire fondre les adultes et se faire passer pour un ange. Cela lui permettait d'enchainer les bêtises sans jamais se faire prendre. Rapidement, il devint le roi du chapardage de bonbons à l'étalage, et de toute sa scolarité, personne ne songea jamais à l'accuser. Son visage était trop tendre et rayonnant, sa douceur trop charmante. Après tout, la gentillesse se lisait en lettres d'or sur son visage. Seul Margot connaissait le côté caché un peu foireux de celui qui était rapidement devenu son plus proche copain. Au-delà de sa timidité apparente, Camille avait un caractère bien trempé, presque autant que sa sœur, et quand il se mettait quelque chose en tête, personne ne pouvait le lui enlever. L'agneau pouvait parfois se montrer colérique, et il était déconseillé d'être à l'origine de sa frustration. Margot s'en garda bien. Son rôle attitré dans la bande était de rétablir l'équilibre, en masculinisant le garçon et en féminisant la fille. Quand elle sortait avec Max, elle parlait chiffons et stars de la chanson. Ensemble, elles comparaient leurs robes et leurs jupes, hobby causant des dépenses folles à leurs parents. Quand elle se promenait avec Cam, elle exigeait que ce dernier se comporte en chevalier et la protège des malotrues. Alors l'écolier relevait la tête et jouait aux supers héros. Et cela lui plaisait.

Cette insouciance, Margot aurait aimé la garder toute sa vie. Ne jamais grandir. Rester toujours ce petit trio inséparable que rien ne pouvait perturber si ce n'était quelques petites disputes innocentes. Le destin en voulut autrement.

Très rapidement, la jeune fille avait été mise dans la confidence du drame familial qui touchait ses meilleurs amis. Leur mère était gravement malade. Personne d'autre qu'elle à l'école ne le savait. Maxime n'avait jamais voulu en parler, Camille avait toujours masqué sa peine et sa peur derrière son sourire. Jusqu'à ce triste jour en CM1, où le jeune garçon ne sut retenir ses larmes.

« Maman... »

De son mieux, Margot et sa sœur avaient essayé de le rassurer. Même si Maxime partageait le même désespoir et la même détresse, elle préférait serrer les poings et le garder pour elle. Il fallait qu'elle soit forte pour deux. Il fallait que Camille puisse sourire à nouveau. Ses lèvres tournées vers le ciel étaient tout pour elle. Elle voulait les voir resplendir, quitte à sacrifier ses propres sentiments.

Alors, les membres du trio consacrèrent les années de CM1 et de CM2 à reconstruire ce qui n'était plus. Margot y joua pleinement son rôle de meilleure amie. Puisque Camille n'avait plus sa maman, elle n'hésiterait pas à la remplacer. Si ses camarades avaient besoin d'elle, elle serait là pour eux. Il fallait bien avancer. L'innocence ne pouvait pas durer toute la vie, même un enfant de primaire touché par certains drames pouvait comprendre ça. Le bonheur était un combat à mener chaque jour. Ceux de fêtes étaient les plus désignés pour cette tâche. Mardi gras, par exemple. C'était la date rêvée pour s'amuser.

Arrivant ce matin-là en classe avant son frère, Maxime interpela sa bonne copine, au centre de tous les regards.

« T'étais obligé de te déguiser en princesse, Margot ? Mais c'est trop cliché ! »

« Et toi alors ? », répondit la jeune fille faussement outrée. « On dirait un bonhomme, on peut savoir en quoi t'es habillée ? Et pour ta gouverne, JE suis une princesse ! Princesse Margot, duchesse de la cour de récréation et marquise des crêpes ! Et j'attends Camille, que j'espère voir déguisé en chevalier servant, une rose à la bouche pour me l'offrir ! »

« Tu rêves, ma vieille. Camillou et moi, on a décidé de se déguiser l'un en l'autre ! J'adore ses jeans ! Bon, là, il se planque, il a honte, c'est la première fois qu'il met une de mes robes, mais j'te jure, ce matin, j'l'ai coiffé et tout, il était trooooooop craquant. Je serais pas sa sœur, je serais amoureuse tellement il est chou ! »

« Taiiiiis-toi, Maaaaax... »

Rouge comme une tomate prête à tomber de son pied, Camille avait fait son entrée dans la classe, ses mains masquant son visage. L'effort de travestissement était allé jusqu'aux ongles, recouverts d'une fine couche de verni transparent. Tout autour, le silence se fit immédiatement. Les garçons comme les filles, tous s'étaient arrêtés de parler pour saluer l'arrivée de leur camarade, avant que les plus courageux et curieux ne se jette vers lui pour admirer sa tenue. Qu'un mec se déguise comme ça en nana, fût-ce avec les habits de sa sœur, c'était tout simplement énorme. Et mignon. Gênant pour le concerné, mais particulièrement mignon. En quelques secondes, Camille devint le roi de la journée, et personne, carnaval oblige, ne songea à se moquer de lui. Même la maîtresse le félicita pour son déguisement, particulièrement réussie.

« J'ai failli te confondre avec ta sœur ! Bien joué ! »

Touché et flatté, le jeune garçon passa son après-midi à fanfaronner et à jouer les princesses, éclipsant Margot du rôle-titre qui lui était promis. Loin d'être jalouse ou en colère, la jeune fille avait observé la scène avec un regard bienveillant. En un an, c'était la première fois qu'elle voyait Camille resplendir autant. Assise à ses côtés, Maxime vint rapidement taper la discussion. Elle avait quelques questions à poser à sa meilleure amie.

« Tu l'aimes, mon frère ? »

Gênée, Margot répondit par la défensive. Bien sûr qu'elle l'aimait... comme un ami. Un meilleur ami, même.

« Non, je ne te demande pas si tu l'apprécies ! », coupa Maxime. « J'te demande si tu l'aimes comme moi je t'aime ! »

Surprise, la jeune écolière tourna sa tête et fit la moue. Là, elle avait bien du mal à comprendre.

« Comment tu m'aimes ? »

« Comme ça ! »

Plaquant ses lèvres sur celles de sa camarade, Maxime avait apporté sa réponse la plus franche, sincère et directe possible. Elle l'aimait d'amour. Enfin, d'un amour d'écolière, certes, mais d'amour quand même. Rouge de gêne après ce baiser volé, Margot se recroquevilla sur elle-même. Ça, elle ne s'y attendait pas du tout. Mais d'un autre côté, c'était plutôt touchant.

« Alors, tu l'aimes ? Mon frère, tu l'aimes ? »

Toujours secouée, la jeune fille hésita avant de répondre. Maxime était vraiment le pire des diables quand elle s'y mettait. Non seulement, elle pouvait la mettre dans un drôle d'état, mais en plus, elle arrivait toujours à lui tirer les vers du nez ! C'en était presque insupportable ! Et en même temps...

« Un... Un peu... C'est Camillou, quoi. Mais lui dit pas, hein... »

Amusée, Maxime éclata de rire, puis posa sa main sur l'épaule de sa camarade. Soufflant un bon coup, elle essuya les larmes qui lui étaient naturellement venues, les premières qu'elle avait acceptée de montrer à sa meilleure amie. Un peu déçu, elle était surtout soulagée.

« J'le savais qu'il avait gagné. J'avais aucune chance contre son sourire. C'est mon frère, j'le connais.... J'ai qu'une seule chose à te demander, tu veux bien me le promettre ? »

« Te promettre quoi ? »

« Si un jour je ne suis plus là, de lui rendre ce baiser que je t'ai donné, même si lui ne t'aime pas comme tu l'aimes. Comme ça, il y aura un peu de moi aussi... »

Surprise et ne comprenant pas tout de cette étrange prière, Margot acquiesça. Elle n'avait aucune raison de ne pas le faire.

« Promis... »

Un an plus tard, Maxime décédait dans un accident domestique.

*****

« J'ai toujours voulu tenir ma promesse. Même si parfois c'était dur. Maxime voulait que je veille sur lui, quels que soient ses choix. Au collège, j'ai tout fait pour qu'il puisse sourire, même quand il a décidé de commencer son travestissement. Il ne s'est jamais remis de la mort de sa sœur et je sais qu'il ne s'en remettra jamais vraiment... Même si au fond de moi, ça me faisait mal de le voir mettre ses robes en sixième après l'accident, je l'ai toujours soutenu, puis on est sorti ensemble, même s'il ne m'a jamais aimé de la même manière que moi je l'aimais. On a cassé, on a recommencé, une histoire sans fin. Max avait raison sur un point. Quand je l'embrasse, elle est un peu avec nous. Ça me fait tellement chier de ne pas l'avoir vu grandir avec son frère. Il est tellement beau. Elle aurait été tellement fière... Cam était tout pour elle. Tout. »

Avoir raconté toute son histoire avait poussé Margot aux larmes. Aaron, lui, en avait le souffle coupé. C'était assez rare pour le souligner, mais il ne trouvait même plus ses mots. À port poser une main compatissante sur l'épaule de la fille avec qui il partageait la barque, il ne savait pas quoi faire. Pris par l'émotion, il en avait presque oublié son blondinet qui pataugeait à côté avec le châtain.

« Allez Cam, à trois... un, deux, trois... »

Après s'être coulés mutuellement pendant plusieurs minutes, Kilian et Camille avaient conclu une trêve. Le lac n'était pas assez profond à cet endroit-là pour décemment noyer quelqu'un. Et puis surtout, deux personnes au sec discutaient de manière un peu trop familière depuis tout à l'heure. Il fallait remédier à ça. Alors ensemble, ils avaient grimpé de tout leur poids sur le côté de la barque pour, à défaut de la faire chavirer, la faire tanguer au moins suffisamment pour qu'un certain brun et une certaine fille viennent les rejoindre dans l'eau. Et à peine Aaron en eu-t-il sorti la tête qu'il hurla :

« MAIS PUTAIN ELLE EST GELÉE ! ET AVEC LES FRINGUES EN PLUS ! MAIS J'VAIS LES TUER ! J'VAIS LES TUER ! LE BLOND, AU PIED QUE J'TE NOIE ! »

Ah, ça... Kilian ne s'en était même pas rendu compte. Lui, il la trouvait plutôt bonne. Après tout, si les canards savaient l'apprécier, c'est qu'il y avait une bonne raison, non ? Bon, malheureusement, il n'eut pas vraiment la possibilité d'exprimer son argument. À son corps défendant, il était plutôt compliqué de parler la tête du mauvais côté du lac. En plus, Aaron ne semblait pas vouloir qu'il remonte à la surface. Heureusement que Camille vint à son secours en s'appuyant lourdement sur les épaules du brunet, d'ailleurs, sinon, Kilian aurait été obligé de se défendre, et ça, il n'en avait strictement aucune envie. Trop fatigué.

Après quelques minutes de chahut, les quatre adolescents remontèrent enfin sur la barque. Fier d'avoir ôté son débardeur avant de tomber à l'eau, Kilian fanfaronna. Il aurait un truc de sec à se mettre dès que le soleil l'aurait réchauffé, lui. En réaction, Aaron le poussa d'un coup de paume dans la flotte, puis lui balança son haut à la figure.

« Voilà ! Comme ça, celui-là aussi il est mouillé. P'tit con. »

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Kilian accepta la punition, pas forcément imméritée.

Une fois la barque rendue et les sacs récupérés, la joyeuse bande s'allongea dans l'herbe en petite tenue à côté de leurs vêtements, histoire de faire sécher ce qui pouvait l'être. Mécontent, Kilian demanda à pouvoir aussi enlever son caleçon qui lui irritait les fesses, chose qui lui déplaisait fortement. Entre son bienêtre physique et les règles de décence en extérieur, son choix était vite fait. Il n'était pas question d'obéir à des règles stupides pondues par des vieillards séniles et jaloux de son cul. Car à part la jalousie, il ne voyait pas vraiment ce qui pouvait pousser des députés ou un maire à interdire aux gens de se promener le derrière à l'air. Et il prenait Aaron et le monde entier comme témoin : le sien était plutôt bien foutu.

« Ta gueule et sèche ! »

Mouché par son brun, l'adolescent soupira et se roula dans l'herbe. Encore une fois, la politique venait de l'emporter sur la raison. À ses côtés, ses camarades profitèrent eux aussi de ce moment de quiétude. Aaron et Margot en terminant leur conversation commencée sur le bateau, Camille en envoyant des tonnes de messages sur son téléphone qui avait, heureusement, évité la baignade.

Enfin, l'heure tournant, les quatre lycéens décidèrent de se séparer. En partant avec son petit ami, Kilian lui fit quand même remarquer qu'ils avaient passé une super après-midi et qu'ils s'étaient bien amusés, et qu'en plus, comme la journée n'était pas terminée, il avait encore quelques idées coquines pour en profiter. Hilare, Aaron explosa de rire. Ça, c'était bien son Kilian. Le seul garçon au monde à pouvoir bouder pendant des heures et à en ressortir sincèrement ravi.

Laissant le petit couple partir, Margot et Camille se regardèrent en rigolant. Au final, eux aussi avaient passé un bon moment. Laissant ses yeux parcourir le corps encore torse-nu de son camarade, l'adolescente se fit la réflexion qu'il avait bien grandit, et qu'elle l'aimait toujours. Même si leur histoire était terminée, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir quelque chose d'unique pour lui, qui allait au-delà de l'attachement. Repenser au passé l'avait un peu chamboulée. Il lui restait une chose à faire. Alors, lui prenant la main, elle lui chuchota quelques mots à l'oreille.

« On essaye ce que tu m'as proposé à l'anniversaire de Kilian ? »

Glapissant de surprise, l'élève de seconde dévisagea sa meilleure amie. Certes, il se souvenait bien d'avoir vaguement évoqué une idée en l'air, mais de là à la réaliser... En fait, il en avait bien envie, pour voir, mais il ne s'attendait pas un seul instant à ce que la réciproque soit vraie.

Plaqué sur son lit, il réalisa pleinement que si. À peine eu-t-il mit les pieds chez lui que Margot le traina dans sa chambre et l'effeuilla sauvagement. Gêné, il tenta vainement de se justifier sur la quasi-totale absence de pilosité sur son corps. Elle le coupa en souriant.

« Nan mais je sais que tu t'épiles, hein. Mon pauvre vieux, je sais tout de toi, et ça ne me dérange pas. J'trouve ça même assez sex ! »

Forcément. À son tour, Camille décrispa ses lèvres. Ce n'était qu'un agréable moment à passer. Du bout des doigts, il retira les quelques pièces de tissus qui habillaient encore sa camarade. Avec ses longs cheveux légèrement bouclés qui lui tombaient dans le dos, ses yeux pétillants et son buste qui semblait taillé dans une opale géante, Margot avait tout d'une princesse. Pour régner, elle n'avait pas besoin de robe. La douceur crémeuse de sa peau et de ses paumes suffisait largement à rendre docile n'importe lequel de ses sujets.

Depuis l'enfance, ce n'était pas la première fois que Camille la voyait si peu vêtu. Mais jamais encore son corps n'avait indiqué de manière aussi peu ambiguë son désir. Il frissonnait d'envie. Son sang bouillait entre ses jambes. Il était mignon. Du bout des doigts, Margot se saisie de sa fine virilité, la caressa, puis l'embrassa dans le cou. Elle se voulait rassurante. Le plus possible.

« Ne te force pas à faire le mec si tu n'en as pas envie. »

D'un sourire, Camille répondit :

« J'en ai envie. J'peux tout être. J'veux tout être. Mais tu m'aides, hein, je n'ai pas l'habitude... »

Allongé sur le lycéen, Margot lui glissa les doigts dans les cheveux puis sur ses joues blanches, ses lèvres roses et son torse nu. Jusqu'à ses tétons qui se durcissaient au passage des dents, Camille transpirait un subtil mélange de masculinité et de douceur, de force et de faiblesse. Aux baisers reçus, il répondit par des caresses et des murmures. Aux gestes qui faisaient frétiller ses cuisses, il rétorqua par la même soif de découverte. Et quand Margot le plaqua à nouveau sur le lit et lui posa son index sur la bouche en lui disant de se taire, il ferma simplement les yeux et laissa sa vigueur se faire recouvrir d'une douce humidité un peu chaude. Sa meilleure amie ne faisait pas ça trop mal. L'exercice du plaisir, elle le maitrisait, sans aucun doute parce que l'envie de combler dirigeait naturellement sa langue. Gémissant d'extase, Camille fut pris de jalousie. Donner comme ça, lui aussi il savait faire, et il adorait, surtout avec des garçons. Mais avec une fille, il n'avait jamais essayé. Recevoir sans pouvoir rendre le mettait mal à l'aise. Alors il se redressa, s'assit sur le bord du lit et se jeta sur les joues de sa camarade. Du bout des lèvres, il lui picora tout le buste. Des mains, il s'agrippa à une poitrine qu'il n'avait jamais imaginée si généreuse et agréable à embrasser. Torse contre torse, il la serra dans ses bras. Elle était assise sur ses cuisses. Une sensation de plastique le fit frissonner. Il contracta la mâchoire. Elle s'offrait. Il voulait tous lui donner.

Camille n'était pas amoureux de Margot. Il ne l'était plus, ou n'avait jamais su s'il l'avait vraiment été. Mais l'attachement qu'il ressentait pour elle allait au-delà même de l'amour. Pour la première fois, peut-être la dernière, il se foutait des mots et du sens. Ils le faisaient ensemble, corps contre corps, cuisses contre cuisses, lèvres contre lèvres. Et tout cela dura jusqu'à ce que le garçon sente sa tête tourner, ses sens s'enivrer et son corps se crisper, puis se relâcher tout entier.

Allongé sur le lit à côté de sa meilleure amie qui lui posait la tête sur l'épaule, il soupira.

« C'est vraiment moche de me travestir en mec. T'imagines si je me mets à aimer ça ? C'est des années de construction personnelle que tu risquerais de foutre à la poubelle ! »

Ces mots amusèrent Margot. Les risques étaient limités. Elle connaissait Camille, ses goûts et ses passions, ses fréquentations, aussi. La manière dont il passait son temps à toujours jeter un coup d'œil discret à son téléphone était un indice qui ne trompait pas. Elle souffla dans son cou.

« Tu l'aimes ? »

« Je ne sais pas... », répondit l'adolescent, en soupirant à son tour. « P'têt, p'têt pas, j'sais pas. J'suis en kiff je crois, on en a même un peu profité depuis l'anniv de Kil... J'en sais rien. On doit se voir la semaine prochaine, après le bac français. Il m'a demandé comment je m'habillerai. J'y ai pas encore réfléchi. Je ne sais même pas ce qui lui ferait plaisir. »

Cette confession maladroite fit sourire Margot. Elle était la seule à pouvoir comprendre parfaitement son meilleur ami. C'était pour cette raison, peut-être, qu'elle avait voulu coucher avec lui, même si jamais ils ne pourraient finir ensemble. Parce qu'elle le comprenait. Du bout des lèvres, en pensant un instant à Maxime, elle l'embrassa. Camille se laissa faire. C'était son comportement qui voulait cela.

« Mets ta plus belle robe ! »

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