7. Art, études et manipulation - Souvenirs de Gabriel
Pour le commun des mortels, le 20 janvier était une date qui n'évoquait pas grand-chose. Pas de début ni fin de guerre, pas de fête particulière à célébrer ni même de journée internationale, rien de spécial qui permette de la cocher dans un calendrier. Certains historiens, certes, auraient relevé qu'on parlait quand même du jour ou Geoffroy Plantagenêt, comte d'Anjou et du Maine, avait été intronisé duc de Normandie, ce qui n'était pas rien. Plus inattendu, c'était aussi à cette date que Rio de Janeiro avait été fondée, en 1531, et que John Fitzgerald Kennedy avait été intronisé trente-cinquième président des États-Unis, en 1961. Mais ça, c'était un non évènement. Jimmy Carter, Ronald Reagan, George Bush Sr., Bill Clinton et Barack Obama en avaient fait de même. Sinon, c'était aussi la fête des Fabien et des Sébastien, mais ni Kilian ni Aaron n'en comptaient dans leurs amis...
Pourtant, dans les lycées de la France entière, le 20 janvier était devenu une date centrale que les CPE répétaient à l'envie année après année et qui échauffait tous les esprits des élèves de terminale. Elle sonnait en effet le début, pour la dernière année avant la réforme, de la fameuse procédure « Admission Post-bac » ou APB, où chaque candidat aux études supérieures devait sélectionner sur le portail les formations qui l'intéressaient, dans l'espoir d'être au moins pris quelque part à la fin de l'année.
Kilian, lui, s'en foutait royalement. Si encore le 20 janvier avait été la Saint Nutella ou la journée internationale de l'escrime, il n'aurait pas dit. Mais la procédure qu'il voulait suivre pour intégrer une école de commerce parisienne après le bac était hors APB. Et sa condition de sportif Espoirs était un argument de poids lorsqu'il se présenterait à l'oral. Depuis qu'il s'était remis de son petit pépin physique, il avait consacré la majorité de ses week-ends à parcourir les tournois et compétitions juniors organisés par sa fédération, histoire de se mettre les responsables dans la poche afin qu'ils appuient son projet d'études. Sa victoire aux précédentes nationales de sa catégorie d'âge lui avait ouvert grand les portes de l'INSEP et il était même sur le point d'être accepté à l'entrainement avec l'équipe sénior. Pour le coup, il avait quand même magistralement manœuvré, en se faufilant au travers des Pôles Jeunes de province, passage normalement obligé pour tous les grands espoirs de son sport. En même temps, les espoirs, il les avait tous battus ! Déjà qu'il acceptait de se séparer de son coach adoré, si en plus c'était pour finir à Wattignies, il préférait encore arrêter l'escrime et se consacrer à une carrière d'éleveur de chèvres. Mais la Fédération avait voulu le récupérer. Il avait pu fixer certaines exigences. Le dossier était solide. Tout semblait parfaitement se passer.
Les choses étaient plus compliquées pour Martin. Le rouquin s'était mis en tête de se porter candidat à la même école que Kilian. Il ne savait pas trop quoi faire et le commerce lui semblait un chemin logique et légitime après une section ES. L'idée de pouvoir glandouiller sévère pendant ses études lors de soirées jeux vidéo avec son meilleur ami lui plaisait assez. Mais du coup, il avait lui aussi des concours à préparer, et cela ne l'enchantait pas vraiment. Juste avant la sortie d'une nouvelle console, en plus !
Janvier, c'était aussi un mois où les arbres nus grelottaient sous le froid et la pluie, où les sans-abris fuyaient les rues à la recherche d'une source de chaleur et d'un quignon de pain, et où les bruns déprimaient sous leurs couettes. Rarement Kilian avait vu Aaron à ce point le moral dans les chaussettes. La gifle avait été violente, à la hauteur de l'égo démesuré de l'adolescent aux cheveux noirs. Triste pour son petit ami, le blondinet avait tout fait pour le réconforter :
« Nan mais c'est pas grave si ton dossier n'est pas le meilleur ! Allez, moi j'crois en toi pour les écris, tu vas tout déchirer ! Et au moins, comme ça, on pourra dire que t'as pas révisé pour rien ! »
En guise de réponse, Aaron n'avait fait que grogner. Il était un raté. Enfin, c'était ce qu'il n'arrêtait pas de se répéter.
Intégrer Sciences-po impliquait une procédure particulière. Avant de plancher, les candidats étaient invités à fournir un dossier. Les meilleurs passaient directement à la phase d'oral. Les autres devaient triompher des épreuves écrites. Le brunet avait énormément misé sur son niveau scolaire pour s'épargner cette étape, où tout pouvait basculer. La décision qui lui avait été rendue était négative. Il devait encore faire ses preuves, quand bien même il était premier de sa classe.
« Tout ça parce que notre lycée n'est pas ultra côté ! Avec mes notes, dans un bahut parisien, ça serait passé crème ! C'est dégueulasse ! »
La vérité était légèrement différente. Il la connaissait bien, même s'il ne voulait pas se l'admettre. Bien sûr qu'il était dans les premiers dans quasiment toutes les matières. C'était ce « quasiment » qui l'avait plombé. Ses excellentes notes au bac anticipé de français n'avaient pas suffi à effacer la moyenne et les commentaires catastrophiques qu'il s'était trimbalés dans cette discipline pendant toute la première. À force de faire la guerre aux profs qui ne lui revenaient pas, il fallait bien qu'il le paye un jour. Pour le coup, il s'en voulait. Pire, il stressait. Il n'avait pas vraiment de plan B, en réalité. Qu'allait-il faire si Kilian était pris dans l'école qu'il voulait et pas lui ? Hors de question d'aller dans un IEP de province ! Trop mauvais. Alors quoi d'autres ? Une prépa ? Imaginer passer son temps à bosser pendant deux ans le faisait chier. Une école post-bac ? C'eut été du gâchis à la vue de ses capacités. Restaient quelques formations de qualité à l'université, à Dauphine ou dans des doubles-cursus sélectifs, mais il fallait pour cela préparer des dossiers, et se confronter à l'horrible machine qu'était APB. La tête sous son oreiller, il avait piqué une crise quand Kilian était venu avec son ordinateur pour le motiver :
« J'VEUX PAS ! J'SUIS TROP NUL ! SI SCIENCES-PO VEUT PAS DE MON DOSSIER, EUX NON PLUS ILS EN VOUDRONT PAS ! »
Pour le coup, Kilian avait longuement inspiré et expiré pour ne pas trop s'énerver. Son mec était insupportable quand il était vexé. Bien sûr qu'ils voudraient bien de lui ! Il était le meilleur ! Tout le monde le savait et le jalousait ! Même le prof de math avait fini par jeter l'éponge et lui mettre les 20 qu'il méritait ! Ce foutu brun était parti pour décrocher une mention « très bien » les doigts dans le nez, et il faisait un caprice honteux parce qu'il n'avait pas été glorifié à sa juste valeur ! Incroyable ! Il n'avait même pas été éliminé, en plus, comme beaucoup, mais simplement « pas directement » sélectionné. Enfin, abandonnant l'idée de procéder aux inscriptions pour le moment, Kilian se mit en tête de remonter le moral de son amoureux ! Il avait pour cela plusieurs cordes à son arc !
Le massage fut une foirade complète. L'adolescent aux yeux verts était pourtant sûr qu'un frottement intégral avec la langue de la tête aux pieds aurait été du plus bel effet. Aaron avait simplement eu l'impression de se faire lécher par Mistral, ce qui l'avait bien fait débander.
Transmettre au brun une certaine information réjouissante ne fonctionna pas plus. Le chaton Suisse qui visait la même formation avait vu son dossier sélectionné pour l'oral, appuyé il est vrai par une lettre de recommandation dithyrambique de la part de son proviseur, qui aurait tout fait pour l'aider à réussir en mettant en valeur autant ses résultats que sa personnalité. En apprenant la nouvelle, Aaron avait explosé d'un sanglot lourd, composé à moitié de joie pour son protégé et à moitié de honte d'avoir, lui, échoué.
Insupporté, Kilian se tira les cheveux en se roulant sur le lit. Là, pour le coup, son mec devait forcément en rajouter. Enfin, il n'avait pas dit son dernier mot. Il lui restait encore quelques cartouches pour faire revenir un beau sourire sur cette mine défaite :
« Bon, papa trouve que je ne passe pas assez de temps avec lui et il culpabilise ! En même temps, vu que je suis la moitié de la semaine chez toi, j'peux comprendre que ça le gave. Mais comme il a passé l'âge de m'engueuler et de me filer des baffes, il me propose à la place de partir en vacances en février avec lui... et toi, du coup, parce qu'il est pas fou, il t'invite aussi, comme en Italie après Noël. Ça l'a pris comme ça, sur un coup de tête, il a réservé les billets et l'hôtel ! Ça va te plaire, il parait que c'est magnifique, la Réunion ! »
Relevant une paupière, Aaron s'arrêta de chouiner quelques secondes. Ça, pour le coup, c'était intéressant. Et il pouvait confirmer, la végétation de la petite île française pommée au milieu de l'océan indien était luxuriante et ses panoramas impressionnants. Il y était allé une fois en vacances juste avant son entrée au collège, au moment de son déménagement entre le Vietnam et le Japon. Il avait adoré. C'était même là qu'il était devenu un vrai connard. La proposition lui allait. Il avait bien mérité de s'amuser, de toute manière, vu qu'il était un raté.
« RHA, MAIS ARRÊTE, TU FAIS CHIER ! En plus, tu vas pas faire que t'amuser, tu vas aussi réviser tous les soirs, et c'est moi qui vais contrôler ! On rentre juste avant ton exam ! Et t'as intérêt à pas te merder ! »
Étonné par la verve de son amoureux, pas habitué à hausser le ton et à se montrer aussi directif, Aaron écarquilla les yeux et répondit simplement « Oui, monsieur », avant de se remettre à renifler. Désespéré, Kilian grogna, grimaça en remuant et contracta ses doigts devant lui. Il était presque prêt à l'étrangler. Si Aaron voulait jouer au plus chiant, il allait perdre ! Le blondinet restait le maître en la matière, comme il le marmonna en gonflant ses joues :
« J'suis quand même cinquième Dan en casse-couillitte, quoi... »
Quitte à ce qu'Aaron reste allongé toute la journée, autant que cela serve l'art ! Kilian était bien décidé. Jarno lui avait glissé l'idée. Depuis la rentrée, ils avaient beaucoup discuté. L'adolescent aux cheveux blonds avait évoqué certaines de ses lubies actuelles. Le littéraire avait grandement apprécié cette confiance, et l'avait récompensée par de nombreux conseils, certains techniques, d'autres plus comiques. Kilian n'avait pas du tout perçu le second degré. Il en était resté à l'idée première, celle de bien s'amuser.
« Bon, on va chez Gaby ! Et t'as intérêt à poser avec moi sans faire chier ! »
Tout sourire, le châtain ouvrit poliment sa porte à son couple préféré. S'il était parfaitement habitué au cul de Kilian, cela faisait des mois qu'il n'avait pas vu celui d'Aaron. Avoir le brun sur son canapé lui permettrait enfin d'illustrer quelques scènes du roman et des nouvelles du concerné. L'adolescent aux cheveux corbeau grogna. Il était hors de question qu'il fasse tomber le bas. Kilian ne lui en laissa pas le choix. Fallait pas déconner, non plus ! Quand on servait l'art, il fallait se donner tout entier. Le brunet rétorqua que lui, il n'avait jamais signé pour en être l'esclave ! Un peu énervé, le blondinet demanda à l'artiste si ce dernier n'avait pas gardé une vieille corde pour attacher son homme, et un foulard pour le bâillonner. Gabriel hésita, puis accepta d'aller chercher tout ça. Cela lui faisait penser à un des écrits qu'Aaron avait pondu pendant l'été, il y avait matière à dessiner des choses très intéressants ! Finalement, le brunet négocia sa reddition : il acceptait toutes les tenues, à commencer par leur absence, si on lui foutait la paix. Il était quand même encore un peu déprimé, fallait pas trop le faire chier.
L'après-midi débuta tranquillement après que Kilian se soit gavé de biscuit et de lait, puis avachi sur le torse de son mec. Là, ils étaient bien. Gabriel sortit les fusains et l'aquarelle. Puisqu'il maitrisait bien les bases, il avait envie de réaliser de plus en plus d'œuvres mixtes à la recherche d'un certain renouveau. Le trait du crayon pour les formes, la peinture claire pour les couleurs de la peau et des cheveux. La tendresse de l'un et la dureté de l'autre rendaient la scène touchante et en faisaient ressortir la passion. Ce fut en tout cas comme cela que le présenta le jeune artiste, en train de s'extasier devant sa propre réalisation.
« Aaron, ça te va si je fous ce dessin dans mon book ? Là, j'le sens vraiment très bien... »
Levant les yeux au ciel, le brunet soupira puis, pincé par Kilian au niveau des hanches, accepta. Tant que cela empêchait Kilian de l'afficher dans son salon, il préférait. Et si ça pouvait aider un copain... Gabriel le remercia. Il était confiant. Il avait passé les vacances de Noël à réaliser son petit dossier. La première partie montrait son évolution depuis le début du collège, avec trois ou quatre œuvres marquantes par année, dont certaines représentant une femme nue et d'autres qui avaient fait sa renommée. On y retrouvait des photos de ses plus fameuses installations et prestations. La deuxième partie était consacrée à l'étendue de ses capacités. Pour chaque technique auxquelles il s'était essayé, il avait sélectionné ses meilleures réalisations. Gouache, acrylique, fusain, trois crayons, photographie, peinture sur corps, montage, etc. Il tenait à montrer son ouverture d'esprit artistique et sa maitrise technique. Certes, on y retrouvait de nombreuses fois le même modèle blond, mais pas que. L'artiste avait tenu à varier les styles et les sujets. Enfin, il avait ajouté au tout plusieurs lettres de recommandations, signées par les responsables des ateliers qu'il avait fréquentés. Une, pleine de douceur, en provenance de Montmartre, l'avait particulièrement touché. Là, il avait presque fini de tout compiler. Il n'avait plus qu'à envoyer le tout aux écoles de ses rêves, en espérant être pris dans la plus prestigieuse d'entre elles : l'ENSBA, plus connu sous le nom d'école supérieure des beaux-arts. Ne resterait après plus qu'une épreuve technique, une théorique et un entretien. Une formalité pour un passionné. Avec le temps qu'il avait passé dans les musées, à fréquenter des artistes et à étudier, il n'avait aucun doute sur ses chances de réussite.
Sa confiance en lui, presque arrogante, fit grogner Aaron. Lui, le raté dont le dossier n'avait pas permis de lui éviter la phase d'écrits ! Kilian s'énerva de plus belle :
« Nan mais il va me faire chier longtemps ? Est-ce que moi je fais la gueule quand je perds un match en escrime ? Oui ? Vraiment, vous trouvez tous les deux ? Ah... Bon... Mais quand même, c'est pas une raison ! »
L'heure passait. Il était temps pour le blondinet de passer à la dernière phase de son plan diabolique, celui-là même que Jarno lui avait glissé à l'oreille et qu'il avait mal compris. Il était nu, Aaron aussi, et ils avaient devant eux un châtain plutôt bien foutu et sympathique. Hétéro, certes, mais il avait prouvé à plusieurs reprises qu'il était facilement corruptible. Il suffisait de savoir s'y prendre. Tout était une question de regard et de déhanché.
« Aaron, tu peux dire à ton blond d'arrêter de me chauffer ? Je bosse, et c'est pas super discret ! »
Un peu vexé d'avoir été aussi rapidement cramé, Kilian se blottit dans les bras de son homme. Peut-être qu'en se frottant contre son ventre, il avait une chance de faire naître en lui une excitation qui saurait se propager. Ce dernier soupira de plus belle en lui caressant les cheveux, puis s'excusa auprès de l'artiste :
« Excuse-le, c'est sa nouvelle lubie de l'année. Môssieur rêve de se faire des plans à trois avec des garçons qui lui plaisent. J'te précise pas où tu es placé sur sa liste, ça serait indécent pour les autres ! Et en plus il est persuadé que ça me fait plaisir ! Enfin, c'est sans doute pour ça qu'il m'a demandé de venir. Sauf qu'il n'a pas encore compris que ni toi ni moi n'avions envie de coucher ensemble... »
Un peu piteux de constater que toutes ses intentions avaient été déjouées et découvertes, Kilian se recroquevilla encore plus fort contre son mec, puis ronronna. C'était peut-être sa dernière chance de retourner la situation. Toujours accroché à ses pinceaux et concentré sur son ouvrage, Gabriel plussoya. Il était hétéro, il avait une copine et le corps d'Aaron ne lui faisait ni chaud ni froid. Et s'il avait par le passé goûté à celui de son modèle préféré, cela avait sans doute été dans un moment d'égarement, bien plus motivé par l'affection folle qu'il avait pour lui que par un quelconque désir. Vraiment. Kilian grimaça. Ça, ce n'était pas super gentil. Parce que son cul, ils avaient été nombreux à baver dessus. Et ses lèvres, combien avaient rêvé de les embrasser ? Même Gaby ne s'était pas gêné !
« De une », répondit l'artiste, « à chaque fois que j'ai pu le faire, c'était pour te secouer. De deux, si j'avais voulu, j'aurais pu te choper avant même que tu n'aies conscience que j'existais ! Alors arrête tes gamineries, termine ton cookie, pose et fais ce pour quoi tu es le plus doué quand tu es chez moi : être beau et fermer ta gueule. »
Sincèrement vexé par cette dernière remarque, Kilian se résolut à obéir et lécha les dernières miettes sur ses doigts. Quand Gaby commençait à grogner, c'était encore la chose le plus sage à faire. Enfin, quand-même, il y avait eu dans toute cette tirade quelque chose d'étrange.
« Comment ça, t'aurais pu me choper avant ? On s'est rencontré en sixième, le premier jour de classe ! T'es tout de suite venu vers moi en souriant et en me disant que tu étais fou, mais que ça allait bien se passer ! Même Martin s'en souvient ! »
Reposant ses ustensiles, Gabriel soupira. Il était à peu près sûr et certain que son modèle ne le lâcherait pas. Même Aaron semblait intéressé. Reprenant son souffle, il se leva puis s'approcha du couple et, enfin, s'avachit entre eux deux. Quitte à discuter, autant le faire bien installé...
« C'était pas en sixième. On s'était déjà croisé avant, mais tu ne l'as jamais remarqué ! Et j'aurais trouvé con de te le dire après coup, au collège. Mais j'te jure, si j'avais voulu, j'aurais pu t'embrasser sans aucun problème... »
*****
« Il s'en remettra, Renée, ton fils est fort... »
Gabriel ne savait pas exactement depuis combien de temps il avait perdu son père. Il avait arrêté de compter les jours, les mois et les années. Parfois, il lui arrivait de ne pas y penser. Il était trop occupé à s'amuser. Ce n'étaient pas les passions qui lui manquaient ! L'enfant adorait le water-polo et il s'était pris de passion pour le violon, qu'il pratiquait activement tous les jours. Au début, sa mère avait eu un peu de mal. Gabriel avait une fâcheuse tendance à se jouer des règles élémentaires du solfège. Puis il s'était calmé. Son instrument ne pouvait pas lui résister. Il était même devenu bon, pour un écolier.
Parfois, il en pleurait. C'était comme ça, par période, il ne savait pas trop, quand il tombait sur une vieille photo ou un dessin qu'il lui avait fait et que Renée avait conservés. Gabriel n'avait pas bien compris pourquoi son papa était parti. Pourquoi il l'avait quitté. Une maladie avait tout brisé. Ne restait plus qu'une mère célibataire devant élever seule un enfant plutôt agité.
« Je sais, je sais... mais quand même, il lui manque une présence, ça se voit... Avant-hier, je l'ai quand même trouvé en pleine discussion avec le chat ! Il lui parlait de ses notes et il lui demandait s'il était fier de lui ! Et ensuite, il l'a emmené dans la baignoire pour prendre un bain avec lui, comme le faisait son père quand il était petit ! J'ai retrouvé le chat trempé et planqué chez la voisine... »
Après la mort de son mari, Renée avait pu compter sur la gentillesse de la famille et de quelques amies. Charlotte, une copine de la fac qui était devenue prof elle aussi, passait souvent à la maison. Les deux femmes se préparaient un café et refaisait le monde. Le jeune châtain était au centre de tous les échanges. Sa mère n'en pouvait plus de le voir souffrir. Elle n'en pouvait plus de le faire souffrir, en étant elle-même triste et nostalgique. Tout dans cet appartement lui rappelait l'homme de sa vie. Chaque cadre, chaque vase, chaque fauteuil portait en lui un détail de leur histoire commune, et de sa fin précipitée.
« Un jour, Charlotte, j'vais me casser d'ici et aller sur Paris refaire ma vie ! L'année prochaine, je fais une demande de mutation. »
Gabriel était en CM2. Le mois d'avril avait été plutôt frais aux abords du Rhône. Mai se montrait plus ensoleillé. Quelques épais nuages très blancs ressemblaient à des taches de peinture au milieu d'un bleu aussi étincelant que celui des yeux du garçon. Fuyant son appartement à l'ambiance lourde, Gabriel aimait bien se laisser porter par le courant de ses envies à la recherche d'un petit coin à admirer. En septembre, il entrerait en sixième, au collège Voltaire. Il y ferait ses études, pour un temps. Il n'était pas contre suivre sa mère là où elle voudrait l'emmener. En fait, il préférait ne pas y penser. Son truc à lui, c'était dessiner. Avant de partir pour un autre monde, son père lui avait offert carnets et crayons. Gabriel avait pu y noter toutes les couleurs qu'il voyait. Ses pupilles en percevaient de multiples. Chaque feuille d'arbre avait son vert particulier. Le transparent des gouttes d'eau lui semblait tinté de rose ou d'orange. Le gravier affichait tous ses dégradés. Même le gris du béton et des murs lui semblait complexe. Chaque bâtiment avait sa petite particularité qui le rendait unique.
Seules ses larmes lui paraissaient incolores et sans saveur. Elles venaient d'ailleurs. Ce dimanche-là, elles avaient coulé toutes seules. Il avait pensé à son papa. Un souvenir fugace lui était venu. Celui d'un week-end où, alors qu'il était trop jeune pour savoir écrire, il était allé pécher toute la journée à la mouche. Son géniteur lui avait expliqué mille choses et lui avaient enseigné la patience. La pêche était un art comme un autre, et chaque art requérait concentration et persévérance. Ce jour-là, ils n'avaient pas ramené le moindre poisson, mais Gabriel avait pourtant adoré. Après coup, il en avait tellement rigolé ! Ce n'était pas grand-chose, mais ces petits instants lui manquaient. Pourquoi diable avait-il dû retomber en rangeant ses affaires sur ce vieux chapeau usé que lui avait légué son père en fin de journée ? Pourquoi le tissu beige n'avait pas réussi à stopper ses larmes ? Pourquoi entendre sa mère se faire du souci pour lui en pleine discussion avec Madame Charlotte l'avait à ce point touché ? Il ne voulait pas que sa maman s'inquiète. Il l'aimait trop pour cela. Renée était sans doute la plus chouette de toutes ! Sévère quand il le fallait, compréhensive dès qu'elle le pouvait, elle encourageait son fils à faire des erreurs et à toujours tenter. C'était sa pédagogie à elle, celle qu'elle aurait rêvé développer au lycée où elle enseignait. Les notes et le poids du stylo rouge l'avaient contrainte à fixer des règles à ses élèves. C'était le bac que eux, ils cherchaient à recevoir, pas de bêtes leçons de vie qui pourtant leurs auraient été bien plus profitables.
« Gabriel, à table... »
Répondant favorablement à l'appel, l'écolier avait séché ses larmes. Il ne voulait pas que sa maman le voie comme ça. Elle était tombée amoureuse d'un fou, disait-elle parfois. Gabriel s'en était fait un objectif. Devenir le plus grand de tous les fous, celui qui attendrirait sa mère et rendrait fier son père. Il l'était déjà un peu ! Il aimait les arts, les gens, leurs sourires et les fleurs. Lors du déjeuner, il s'empiffra. Tant pis pour lui s'il détestait les poivrons dans la salade ou si la pâte feuilletée du mille-feuilles acheté la veille à la boulangerie était trop sèche. La seule chose qui comptait, c'était le temps passé ensemble.
L'après-midi, Gabriel s'éclipsa. Avec un tel soleil dehors, il ne pouvait pas supporter l'idée d'être enfermé. Il réclama d'aller se promener dans le parc. La dernière fois, il avait vu quelques canards patauger au milieu du lac. Il tenait absolument à les dessiner, à défaut de les croquer. Tout était tellement bon dans le canard... et puis, au moins, un canard, c'était sympa, ça se laissait bouffer, pas comme le chat.
Sa mère refusa de l'accompagner. Elle avait encore trop de copies à corriger. Charlotte, elle, accepta. Elle aimait bien ce jeune garçon, vif d'esprit et rigolo. Le surveiller n'était pas bien compliqué. Soit il se posait dans l'herbe pour gribouiller, soit il dansait et chantonnait, ce qui permettait de le garder à portée d'oreille si jamais les yeux le lâchaient.
Armé du nécessaire usé offert par son père, Gabriel sautilla jusqu'à destination. Son sourire était étrangement d'autant plus chaleureux et sincère que son cœur était noué. Les larmes du matin coulaient toujours, mais seulement à l'intérieur. Il n'était plus question de les montrer. Seule une joie calme avait le droit de s'afficher sur son visage.
Une fois arrivé sur place, il se rua vers le lac. Afin de voir de plus près les animaux, il enleva ses baskets et chaussettes et remonta le bas de son pantalon. Les pieds dans l'eau, il frissonna. Elle était gelée, mais il fallait bien ça. L'art nécessitait quelques sacrifices ! Son matériel sous le bras, il avança de trois mètres, jusqu'à avoir du liquide jusqu'aux genoux. Là, pendant dix bonnes minutes, il conversa avec un canard étonné qui l'avait fixé sans bouger. L'animal lâchait parfois quelques « coins » en destination de l'humain. Ce dernier lui répondait d'arrêter de remuer partout, sinon, juré, il en faisait du pâté. Puis Charlotte le héla. Si la scène l'avait amusée au début, elle ne voulait pas non plus que le garçon attrape froid ! Que lui se fasse engueuler par Renée, elle n'avait rien contre. C'était un enfant, il était en plein dans son rôle. Mais elle, se faire rouspéter par sa meilleure amie, ça la soulait. Compréhensif, Gabriel sortit de l'eau et se laissa sécher les doigts de pieds en éventail, allongé dans l'herbe. Il en avait bien profité.
Puis la journée se poursuivit. Charlotte alla acheter des gaufres au marchant non loin. Chocolat chantilly. C'était délicieux. Pour digérer, la jeune femme proposa de se poser dans un coin et de faire une petite sieste. Après une bonne heure à somnoler, Gabriel en profita pour s'éclipser. Le soleil lui-même commençait à descendre dans le ciel, signe que la journée toucherait bientôt à sa fin. L'écolier n'alla pas loin, il avait juste envie et besoin de se dégourdir les pattes à la recherche d'un peu de nouveauté. Un arbre un peu différent des autres, un oiseau jamais vu ou même un écureuil. Il était prêt à tout dessiner ! Seul lui manquait le modèle parfait. Dans sa tête, il l'imagina tour à tour fort comme un lion et fragile comme un lapinou. Pendant plus de dix minutes, il erra à la recherche de son petit graal, mais rien ne semblait lui convenir. Jusqu'à enfin tomber sur un bien étrange animal, délicatement posé sur un banc.
Il n'était pas bien grand. Un enfant, recroquevillé sur lui-même. Gabriel lui donna immédiatement son âge. Ils avaient la même corpulence et aussi le même air distrait. Gabriel s'en approcha. Le garçon semblait somnoler, les yeux fermés. Des vêtements bariolés, bien trop chaud pour la saison, recouvraient son petit corps. Ce qui choqua le jeune châtain, ce fut la couleur et la douceur des cheveux du faon abandonné. Ils étaient d'un jaune qui brillait de la même lueur que le soleil lorsqu'il se réfléchissait dans les blés. Son visage, pâle, semblait d'une douceur infinie. Des petites lèvres roses fines y avaient été déposées par un Dieu délicat comme une feuille d'or sur un gâteau. Il n'y avait rien à redire, juste à observer. Ce fut ce que fit Gabriel, debout à ses côtés, en maniant ses crayons avec précaution. Il ne voulait pas abimer cette figure calme et souriante. Il fallait se montrer délicat. Pendant dix bonnes minutes, le tout jeune artiste le dessina. Puis, arrivé au bout de son croquis, il grimaça. Quelque chose n'allait pas. Il n'avait pas pleinement réussi à capter toutes les expressions du petit ange qui, sans le savoir, posait pour lui. Ses traits de crayon ne lui rendaient pas hommage. Il leur manquait quelque chose, une compréhension, une partie de l'histoire. C'était ça. Alors Gabriel s'arrêta. Écrivant comme titre à son dessin « enfant calme dormant sur un banc », il le signa, puis arracha la page de son carnet, avant de la laisser s'envoler, portée par le vent. Ce n'était pas grave si jamais personne ne la voyait. Ce n'était même pas important si Gabriel n'en gardait aucune trace. Un souvenir lui suffisait.
« Gaby, arrête de jouer, on rentre ! »
C'était Charlotte. L'écolier regarda une dernière fois l'angelot paisible. Il dormait toujours. Ses lèvres tremblotaient. Le châtain s'en approcha, comme attiré par un étrange magnétisme qui avait parcouru son corps. C'était peut-être simplement sa manière à lui de dire au revoir. Arrivé à trois centimètres de sa cible, il se ravisa. Une légère brise s'était engouffrée dans ses cheveux et l'avait décoiffé. Le souffle chaud du petit blond l'avait stoppé dans son élan. Il semblait crier « protège-moi ». Gabriel pouffa, puis se redressa, et se mit à courir en direction de la sortie du parc.
Quand bien trois mois plus tard, fraichement débarqué au collège, le jeune artiste reconnut le petit blond dans sa classe, il crut d'abord à une farce. Puis, après s'être bien frotté les yeux, il accepta l'évidence. La vie était faite de drôles de hasard. Peut-être son père, là-haut, avait reçu son croquis porté par le vent et, touché par l'expression tendre de l'agneau, avait offert à Gabriel une nouvelle chance de le dessiner, cette fois-ci sans être obligé de se cacher. Ce fut comme cela, en tout cas, que le châtain l'interpréta.
« Salut toi ! T'as l'air marrant, tu me plais bien ! Moi, c'est Gabriel, mais tu peux m'appeler Gaby ! Et ne t'en fais pas si à un moment tu penses que je suis fou ! C'est sans doute parce que je le suis vraiment ! J'aime beaucoup jouer du violon, faire le con dans la cour et dessiner, et toi ? »
*****
« Mais bon, je ne vois pas pourquoi je t'en aurais parlé... C'était improbable que tu puisses te souvenir de cette journée... En plus, v'la la honte quoi... T'aurais trouvé ça ultra bizarre ! Et ce n'était pas vraiment notre première rencontre. La vraie, c'était au collège. Là... ça comptait pas, vu que tu pionçais... »
Le souffle coupé, Kilian se sentit particulièrement con. S'il se rappelait de ce jour ? Oh que oui, et pas qu'un peu !
« Un jour de mai, en CM2 où je me suis endormi sur un banc ? Bien sûr que je m'en souviens ! C'était mon anniversaire ! Ced m'a passé deux savons ce jour-là ! Le premier parce que je ne voulais pas de gâteau, le deuxième parce que je m'étais planqué toute l'après-midi dans le parc avant de m'assoupir ! Il avait eu la trouille, un truc de dingue ! »
Le blondinet n'en revenait tout simplement pas ! Déjà à l'époque, Gabriel aurait pu faire ce qu'il voulait de lui ! Pas étonnant ensuite, qu'avec le temps, il soit devenu son modèle attitré. C'était son destin. Par contre, une chose continuait de le chagriner. Parce que quand il refaisait le compte, du coup, il lui manquait bien un bisou !
« Bah oui, forcément, celui que tu m'as pas donné ce jour-là ! Les autres après, ça compte pas. Eh, si tu veux, j'peux faire semblant de pioncer hein. Mais faut absolument rattraper le coup ! Sinon, l'équilibre de toutes les forces de la terre risque de se rompre ! Regarde, les méchants bruns ont commencé à grogner, c'est un signe ! On risque la destruction du monde ! La fin des temps ! Non, pire, l'apocalypse ! »
« C'est la même chose... », nota Aaron à voix basse, trop curieux de savoir jusqu'où son petit ami pouvait aller et trop amusé par la scène pour l'interrompre.
« Ouais, enfin on se comprend ! », reprit Kilian, surexcité. « Non, parce que moi, j'veux pas qu'on me colle la fin de l'humanité sur le dos à cause d'un bête coup de vent qui t'a décoiffé, ça serait trop con ! Allez, hop, bisous tout de suite ! Putain Gaby, arrête de faire ton chieur, là ! »
Étonné et gêné, le châtain commença à gesticuler. Il se sentait de plus en plus mal à l'aise. Que Kilian se jette sur lui pour lui arracher son t-shirt, ça encore, il pouvait gérer, même s'il n'appréciait pas forcément que son camarade puisse admirer aussi facilement le discret et particulièrement sexy petit tatouage sous la clavicule gauche ayant pour motif cinq étoiles et que Cléa l'avait convaincu de faire pour fêter la nouvelle année. Une bonne tape derrière le crâne et le blond serait calmé. Mais qu'Aaron lui attrape les poignets et pose sa tête souriante sur son épaule, ça, ça l'emmerdait. C'était comme si quelque chose échappait complétement à son contrôle. Les murmures du brun dans son oreille confirmèrent ses craintes :
« Quand j'y repense, je sais que t'as embrassé plusieurs fois mon mec, mais je ne t'ai jamais vu faire. Il a raison mon p'tit con... Un p'tit bisou pour éviter la fin du monde, c'est un p'tit sacrifice de rien du tout, non ? Parce que moi, hein, on m'a quand même obligé de me foutre à poil sur ton putain de clic-clac. Y a pas de raisons que je sois le seul à faire des efforts ! »
Là, peu de choses auraient pu rendre Kilian plus heureux que ces quelques mots chuchotés ! Si en plus Aaron était d'accord, tout était parfait. Ne restait plus qu'à calmer le châtain pour qu'il se laisse faire et pour éviter qu'il ne balance des coups de pieds. Malheureusement pour lui, Kilian connaissait son point faible. C'était ça que d'avoir trop souvent chahuté ensemble !
« NON, PAS LE NOMBRIL PUTAIN ! KILIAN, ENLEVE TA LANGUE DE LÀ ! RHA, JE BANDE PAS, JE TE JURE, JE BANDE PAS, JE ME DOTE JUSTE D'UN TROISIEME BRAS POUR TE CASSER LA GUEULE ! »
Masquant mal son hilarité, Kilian grimpa d'un étage. Maintenant qu'il avait bien fait durcir son artiste préféré, il pouvait sans problème l'enlacer par le cou et lui rouler un patin, sous le regard bienveillant de son homme qui observa toute la scène en se léchant les lèvres. Les yeux humides, Gabriel finit par relâcher ses muscles. Il s'était fait avoir sur toute la ligne ! La trahison d'Aaron ne resterait pas impunie, c'était une certitude ! Mais en attendant, il ne pouvait pas faire autre chose que de se détendre et de fermer les paupières. Même s'il n'aimait pas particulièrement ça, il ne pouvait nier que Kilian savait y faire. Surtout quand, après avoir fini de l'embrasser, il était redescendu bien plus bas. Devant le regard dubitatif d'Aaron, il avait simplement haussé les épaules avant de plonger sa bouche vers une confiserie qui lui plaisait encore plus que ses cookies. Et qui était réputée, foi de Cléa, pour produire un bien meilleur lait que celui qu'il buvait d'habitude.
« Bah quoi ? Faut pas gâcher ! »
L'espace d'un instant, Aaron l'avait accompagné. Embrasser son mec en partageant un petit quelque chose le faisait depuis longtemps fantasmer. Gabriel en glapit d'effroi. Là, pour le coup, ce n'était pas du tout prévu, pas plus que le massage digital dont le brun le gratifia pendant plusieurs minutes tout en s'affairant en couple sur son extrémité.
« Putain Aaron, là, j'te jure, faut qu't'arrête, j'me sens pas super bien ! Fais pas ta Cléa ! Déjà quand elle, elle me fait ça... »
« Mais si t'es bien, rho, c'est juste que t'as chaud ! AIE ! Mais t'es pas obligé de taper putain, c'est bon, j'arrête ! »
Il avait bien fallu avouer que Gabriel s'était retrouvé un peu pâle. Un peu déçu, Aaron se massa le crâne, puis se fit une raison en observant la croupe de son Kilian. Avec celui-là, au moins, il savait qu'il ne ferait pas de malaise ! L'attrapant par les hanches, le brunet se remit à son sport équestre préféré : le concours complet. Dressage du blond en lui agrippant la crinière, cross dans son derrière et sautage de dos pour le spectacle. C'était certes un peu tiré par les cheveux – trop pour Kilian qui demanda qu'on relâche la pression afin qu'il puisse se concentrer aussi un peu sur ce qu'il était en train de gâter – mais ça amusait beaucoup Aaron. Un peu moins Gabriel qui, rouge de gêne, étouffait sur place. Et pourtant, c'était bien le blondinet qui avait la bouche pleine. Kilian prenait son pied. Certes, il avait aussi pris celui du châtain dans la gueule quand ce dernier s'était débattu, mais pour le reste, rien ne pouvait l'empêcher de sourire : son mec lui faisait l'amour de la meilleure des manières tandis qu'il dévorait la virilité de son artiste préféré. En réalité, il croyait bien qu'il était en train de kiffer sa race, pour reprendre ses expressions préférées. Pas autant que lorsqu'il était devenu champion de France Junior d'escrime, mais pas loin. Entendre Aaron grogner comme il le faisait souvent au meilleur moment le rendit fou de joie. Sentir Gabriel tressaillir et se relâcher fut une apothéose qui lui colmata la gorge. Entendre Cléa se racler la sienne, par contre, le bloqua net.
« Attends Princesse, c'est pas DU TOUT c'que tu crois ! », tenta de se justifier Gabriel en repoussant le blond toujours accroché à son bout. « C'est un simple dérapage artistique ! Une séance qui a mal tournée ! Cléa chérie, j'te jure, fait pas la conne, pose cette toile ! J'en ai plus besoin dans mon book qu'écrasée sur mon crâne ! »
Se planquant les mains sur les yeux, l'adolescente secoua la tête de désespoir, avant de croiser les bras et de soupirer particulièrement lourdement et de s'assoir. En fait, ça ne l'étonnait même pas. Elle connaissait Kilian. Et Aaron. Ce dernier plaida non coupable ! Jusqu'à preuve du contraire, lui, il jouait juste le rôle du plombier en train de refaire la tuyauterie de son mec ! Le châtain, il ne l'avait « presque » pas touché. Cléa ne répondit même pas. Elle avait plus intéressant à faire, comme négocier :
« Écoutez les trois merdeux ! Si vous voulez vous en sortir vivant, j'exige que Kilian pose pour moi pendant au moins cinq séances ! Et je veux pouvoir lui faire subir les pires tortures à base de cordes et de pinces à linge. Et sans cookie ni verre de lait, pour le punir ! »
« Accordé ! », crièrent en cœur Gabriel et Aaron devant un blondinet médusé.
Non, parce que lui, en fait, il avait déjà négocié avec Cléa en amont ! Elle lui avait dit qu'elle fermerait les yeux s'il tentait quelque chose avec son mec à condition qu'il lui raconte tout et s'il posait DEUX fois pour elle. Cinq fois, avec des ustensiles et sans manger, ce n'était pas du tout ce qui avait été convenu ! Il s'était complétement fait avoir ! Là, il ne pouvait même pas la ramener, c'eut-été donner la preuve de son machiavélisme et de ses manipulations, ce qui faisait vraiment mauvais genre et jurait avec la pâleur de ses cheveux. En même temps, il ne pouvait qu'admirer Cléa ! C'était sans doute parce qu'elle était encore plus maline et vicieuse que lui qu'elle avait attendu le bon moment pour débarquer dans le duplex pour se rincer l'œil, un sac de caleçons sales sous les bras ! Du grand art. Un vrai travail de maître.
Cela n'empêcha pas Gabriel de se faire engueuler, pour la forme. Cléa devait quand même lui reprocher d'avoir cédé et de s'être laissé faire, histoire de, même si ça ne la dérangeait pas plus que ça. Se rhabillant vite fait, Aaron et Kilian partirent presque tout de suite après. Le petit couple était trop mignon à se chicaner, mais ils ne voulaient pas forcément assister à leurs ébats passionnés. Parce que personne ne doutait de la manière dont le couple le plus fou et libre du lycée allait finir la soirée.
L'après-midi était bien entamée. S'étirant dans la rue, Kilian bailla de plaisir. Il avait passé un excellent moment et, mieux encore, Aaron ne tirait plus la tronche et semblait remotivé à se remettre à bosser. Se plaquant au dos de son amoureux, le blondinet lui proposa un petit quelque chose. Il était encore trop tôt pour rentrer se coucher.
« Dis, on va se manger une glace ? J'ai des envies de fraise ! »
En plein mois de janvier. Aaron explosa de rire, puis accepta. Ses révisions pouvaient bien attendre encore un peu. Il avait un sourire à contempler.
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