3. L'étincelle de fougue des temps perdus - Souvenirs de Benjamin
Posé sur les marches dans la cour, Aaron ne pouvait s'empêcher de grogner. S'il n'avait pas eu les snapchats ridicules et les grimaces débiles de Justin pour sourire un peu, sa mauvaise humeur caractéristique aurait presque été visible.
La perte de sa mère l'avait moralement affaibli, bien plus qu'il ne l'aurait imaginé. Cela ne l'aidait pas pour ses études. La préparation au concours de Sciences Po était plus exigeante qu'il ne l'avait imaginé et il avait la ferme impression de ne pas avancer... Sans être complètement las, il manquait tout de même cruellement d'énergie. Octobre venait de commencer. L'automne s'était accompagné d'un vent frais qui faisait voler les premières feuilles mortes. Ce vendredi était plutôt morne. Des flaques d'eau ici et là refusaient de sécher, par manque de soleil. Il ne pleuvait pas tout le temps, mais le ciel était plutôt gris. Les lycéens avaient laissé de côté les t-shirts à manches courtes pour ressortir les pulls et blousons. Tous ? Non, un irréductible élève de terminale S résistait encore et toujours à la logique. Grelotant dans le froid les épaules à l'air, Kilian ne voulait rien entendre. Il aimait trop son nouveau débardeur vert pour attendre le printemps avant de le mettre. Pourtant, Aaron le lui avait offert avant tout pour un usage domestique, parce qu'il trouvait sexy de voir à la maison les fermes bras dénudés de son amant. Pas pour que ce dernier fasse son minet devant Jarno.
Après leur petit accrochage, son blondinet l'avait mouché assez durement :
« Si t'es meilleurs que lui, écris-moi au moins une nouvelle ! Sinon, il gagne par forfait ! Et moi, j'suce pas les perdants ! Enfin si, sinon tu vas râler, mais on se comprend ! »
Ah ça, c'était une remarque cruelle. Le brunet n'avait pu se résoudre à se remettre à l'écriture. Il n'en avait pas eu la force. En fait, depuis le décès de sa mère, il n'avait pas rédigé la moindre ligne. Le vide dans son cœur l'avait vidé et affaibli. Même si les choses allaient mieux, c'était comme s'il n'avait pas réussi à se remettre en selle. Même faire l'amour ne le faisait plus vibrer comme avant, sans doute parce qu'il y mettait moins de passion et de force.
Sans doute Kilian avait-il raison de vouloir voir ailleurs et de tenter de nouvelles choses, comme essayer à plusieurs. Aaron ne pouvait le nier. Même s'il trouvait son mec assez lourd avec cette nouvelle lubie qui était sortie d'on ne savait où alors même que l'été précédent, il n'en avait pas vraiment envie. Mais ainsi fonctionnaient peut-être les couples au vingt-et-unième siècle. Libres, volages, inconsistants un peu fous, mais toujours passionnés.
Le meilleur exemple dans la cour restait encore Gabriel et Cléa. Ces deux-là brillaient comme le soleil et la lune, ne s'éclipsant que pour s'embrasser fougueusement en cachette dans une salle vide. Le tandem phare des littéraires faisait encore plus parler de lui que celui des scientifiques. Le brunet en était presque jaloux. Depuis qu'il sortait avec Kilian, il avait toujours été au centre de l'attention. Mais depuis septembre, il fallait bien avouer que les deux artistes menaient la dance de l'extravagance. Leur objectif principal était de foutre le plus le bordel possible pour le bac à la fin de l'année, pour partie en beauté. En attendant, ils testaient un certain nombre de folies. Un jour, ils venaient habillés l'un et l'autre exactement de la même manière, avec maquillage noir et lunette de soleil, se copiant dans tous leurs gestes. L'autre, ils faisaient un concours de roulage de pelle pendant la pause du midi, pour déterminer qui avait le plus de fougue. Un point pour une personne de l'autre sexe. Deux points pour une de son sexe. Trois points pour un frère. Plusieurs victimes avaient gueulé. Martin avait failli dégueuler et s'était même pris une gifle de la part de Yun-ah, qui l'accusait d'avoir aimé ça. Elle en était sûre et certaine qu'il avait apprécié, vu que même elle n'avait pas détesté le geste de Cléa ! Le « mais pupuce » que le rouquin sortit, les larmes aux yeux, lui causa une deuxième baffe. Yun-ah détestait qu'on l'appelle comme ça en public, au moins autant qu'elle l'aimait en privé, ce qui était peu dire. Le brunet lui-même, cible du châtain, avait dû lui coller un magistral coup de poings sur le nombril après qu'il se soit approché trop près de ses lèvres, afin d'avoir la paix. Plié en deux, l'artiste en avait hurlé de douleur, puis s'était rapidement remis en chasse d'une autre victime en sautillant. Normalement ça comptait. Cléo, lui, s'était même roulé en position latérale de sécurité au milieu de la cour après avoir été choppé trois fois par sa sœur afin qu'elle augmente son score.
Pour finir, le plus furieux avait sans doute été Kilian. Trop occupé à discuter avec Jarno – Aaron préférait le terme « chauffer comme une femelle de petite vertu en manque » –, il n'avait été cueilli par personne ! Ce qui était particulièrement injuste ! Après ça, Gabriel avait dû courir pendant toute la pause de l'après-midi pour fuir un blond qui le traçait pour obtenir lui aussi un petit bisou, même si ça ne comptait plus dans les points ! Parce que zut, déjà qu'il s'était sans doute absenté pour aller aux toilettes le jour où Dieu avait distribué l'intelligence, si en plus il manquait la distribution de galoches, il allait finir par mal le prendre ! Puis, vexé, il s'en était naïvement se plaindre en débardeur à Jarno, qui toujours l'écoutait.
Aaron avait à peine rigolé, là où d'habitude il se serait esclaffé en observant amoureusement les pitreries de son amoureux. La jalousie, peut-être... D'ordinaire, l'adolescent ne voyait aucun problème à ce que le blondinet se fasse des amis ou qu'il soit proche d'autres personnes. Il connaissait très bien la place particulière qu'il occupait et les sentiments qui animaient son petit lion. Il n'avait aucune raison d'en douter. Mais voir Kilian se taper des barres avec Jarno en lui tournant autour à moitié dénudé, cela ne passait pas. Plusieurs choses chez le Fantôme le dérangeaient. Vraiment.
Son talent, déjà. Le brunet n'avait pas du tout l'habitude de fréquenter des gens qui le dépassaient dans ses domaines de prédilection.
La façon dont il parlait roman, philosophie et écriture à son mec, ensuite, avec de grandes envolées lyriques passionnées. Aaron supportait mal que Kilian ait ce genre de discussions avec un autre. En fait, il n'acceptait tout simplement pas leur complicité naissante qui s'était faite de plus en plus forte ces deux dernières semaines, justement après sa crise de nerf. C'était peut-être un moyen pour le blond de le punir et de lui faire regretter son arrogance. Si tel était le cas, c'était sans doute mérité, mais bien cruel, mais il s'était promis de ne pas s'y opposer, pour éviter d'envenimer la situation. Mais du coup, il ne pouvait pas s'empêcher de grimacer assis sur ses marches.
Alors qu'il observait toujours silencieusement son copain tourner autour de l'autre, une voix dans son dos le fit sursauter.
« Colonel Gaby au rapport, mon Général Grognon ! D'ailleurs, à ce sujet, tu serais sympa d'arrêter de tirer la tronche, sinon, tu risques d'être promu très rapidement Maréchal Tire-la-gueule. »
Amusé par la boutade, Aaron sourit et tapa dans la main de Gabriel, qui s'assit à ses côtés afin de discuter. Devant l'attrait incompréhensible de Kilian pour la personnalité de Jarno, le brunet n'avait pas trouvé meilleure solution que d'envoyer le châtain enquêter en sous-marin. C'était bien à ça que servaient les amis, surtout les meilleurs. En celui-là, il avait une pleine confiance. L'artiste lui avait d'ailleurs déjà rapporté plusieurs informations très intéressantes, comme le fait que son rival préparait lui aussi le concours de Sciences po. Ce qui avait fait grincer quelques dents.
« Alors ? Il veut quoi à mon blond, ce con ? »
« Bof, pas grand-chose », songea Gabriel à voix haute et en baillant. « C'est surtout Kilian qui vient le voir en fait... Mais ils parlent surtout de trucs chiants. Ton mec sollicite des conseils. D'ailleurs, ça va te faire rire, il lui a demandé de l'aider à te faire plaisir ! Bon, j'ai pas compris exactement comment il veut s'y prendre, hein, mais avoue que c'est marrant ! »
Manquant de s'étrangler, Aaron sentit sa vue se troubler. Lui n'avait pas la moindre envie de rire. Ses pires craintes semblaient en train de se réaliser ! Kilian était un petit enfoiré ! Il fulmina :
« S'il me demande de faire un plan à trois avec ce mec, j'te jure, je dis non et je l'étrangle ! Puis je viole son cadavre. Puis je le ressuscite, je l'embrasse et je le re-viole ! Il me fait chier avec sa lubie de vouloir qu'on couche tous les deux avec d'autres personnes ! Enfin, dans l'idée, j'suis d'accord, mais pas avec Jarno ! Il me revient pas, celui-là ! »
Un peu étonné, Gabriel écarquilla les yeux, puis pouffa. C'était quand même un peu extrême, comme démonstration d'amour.
« Ouais, nan mais attends, tu délires grave là, hein, il est hétéro-chiant, Jarn. J'veux dire, ok, il n'est pas homophobe et il est ouvert d'esprit et tout, mais faudrait arrêter de voir des gays partout, et surtout d'imaginer que tous les garçons du lycée en veulent au cul de ton mec ! Déjà c'est faux, quand j'ai compté, y en avait que la moitié ! Et ensuite, lui, c'est juste mort. »
« Comment ça, la moitié ? », s'exclama Aaron en tremblant, trop stressé par cette information pour faire attention au reste du propos.
« Putain, mais j'déconne ! Tu prends tout trop au premier degré en ce moment, déstresse un peu ! C'est pas la moitié, rho, rassure-toi... C'est que le tiers ! »
Se jetant au cou de l'artiste pour l'étrangler et faire disparaitre le foutu rictus qu'il affichait sur son visage, Aaron ne remarqua même pas que Kilian s'était rapproché dans leur dos et se tenait là, à trois mètres à peine, les poings posés sur les hanches. Et il n'était pas content.
« Nan, sérieux chouchou, on avait dit que les câlins à trois, c'était aussi avec moi, et pas à deux toi tout seul avec Gaby ! Parce que là, j'vais être jaloux ! »
« C'est pas un câlin, j'suis en train de le buter ! », rétorqua le brun en dévisageant son blond, d'un ton qui se voulait rassurant tout en continuant de mollement serrer les doigts autour du cou de sa cible, qui s'amusait de son côté à en rajouter avec un ensemble de beuglements étranges et animaux.
Enfin... Il restait un peu de temps avant la reprise des derniers cours de l'après-midi avant le week-end. Assis côte à côte, les trois compères observèrent la cour sans un mot. Gabriel croisait les bras. Aaron laissait les siens pendre le long de son corps. Kilian, enfin, avait posé ses coudes sur ses genoux et son menton sur ses paumes. Ils baillèrent tous en même temps. Sans détester la terminale, ils commençaient à trouver le temps un peu long et il leur tardait de commencer leurs études supérieures, histoire de sortir un peu de ce carcan. Ils avaient peut-être grandi trop vite pour être encore considérés comme des gosses. Même Kilian, qui mettait en avant son immaturité comme une force et une fierté, trouvait cela lourd de se faire engueuler par le CPE Musquet à chaque fois qu'il faisait le con. Et sutout, il ne supportait plus de devoir présenter à chaque fois badge et carnet dès qu'il voulait sortir en dehors des heures autorisées.
Enfin, il y avait sans doute plus à plaindre. Camille, lui, n'était qu'en première. Il en avait encore pour deux années de torture avant de pouvoir s'envoler comme un oiseau, lui qui se sentait en cage, piégé entre ces murs et dans son propre corps. Son seul moment de liberté était le vendredi. Après de nombreuses discussions, le directeur avait concédé que la mode du Friday Ware qu'on trouvait dans les entreprises pouvaient s'adapter au lycée pour certains élèves méritants. Par-là, il fallait simplement entendre qu'une fois par semaine, Camille pouvait plus facilement troquer ses jeans et t-shirt masculins pour des coupes plus féminines, sans que les adultes ne lui cherchent trop de noises. L'adolescent ne se priva pas de le faire. C'était le seul jour où il s'autorisait un peu de maquillage, verni et un soupçon de féminité. Et gare à celui qui, dans de telles conditions, utilisait le masculin pour parler d'elle. Du lundi au jeudi, il s'en moquait complétement, mais le vendredi, elle restait ferme. Mieux fallait ne pas laisser sa langue fourcher. Son prince charmant veillait au grain pour défendre son honneur et la protéger des malotrus.
« Dites... », murmura Kilian en baillant toujours. « C'est moi où t'as Cléo qui s'engueule avec Jérôme, là-bas ? »
« En même temps, il est encore plus possessif que ton mec... », marmonna Gabriel.
« Ta gueule », conclut Aaron, sans même le regarder.
Intrigué par la dispute, Kilian traîna ses deux camarades derrière lui pour en apprendre plus. Suffisamment proches, ils purent clairement entendre ce que Cléo reprochait à Jérôme, le poing en l'air. Et c'était plutôt inattendu :
« Arrête de traîner autour de ma meuf, mec ! J'te jure, arrête ! »
Un peu surpris, le délégué partit sur la défensive. Ses intentions avaient été particulièrement mal comprises. Il s'était juste autorisé un petit compliment sur son maquillage... Parce qu'il trouvait cela super classe que Camille ose s'assumer de la sorte et être lui-même au lycée. C'était tout. Jamais ne lui serait venu l'idée de le draguer ! Malgré ses fringues serrées, c'était un garçon, quand même, et pour le coup, il n'était pas du tout branché mecs ! En plus, sans se venter, Jérôme se trouvait plutôt mignon et bien foutu. S'il le voulait, il pourrait avoir toutes les filles et tous les blonds du lycée à ses pieds !
La remarque fit un peu tiquer Kilian. Ce n'était pas très gentil pour les filles et les blonds, ça. Mais en même temps, ce n'était pas forcément faux, surtout si on considérait que par « tous les blonds du lycée », son camarade faisait une référence directe et exclusive à sa personne. C'était qu'avec ses cheveux très courts, sa mâchoire carrée et ses tablettes de chocolat juste où là il fallait, Jérôme était très haut placé dans la liste des cibles potentielles pour pimenter quelque peu sa vie sexuelle. En première ou deuxième position, en fait. Mais la remarque restait méchante. Jetant un coup d'œil insistant à son brun impassible à côté de lui, Kilian attendit fermement une réaction qui ne vint jamais. La sonnerie avait annoncé la reprise des cours. Des maths, forcément. Si Kilian adorait la matière, il avait de plus en plus de mal avec son professeur qui l'avait pris en grippe, pour la seule et bonne raison qu'il était amoureux d'un petit arrogant, et donc qu'il avait été placé avec lui dans la catégorie des insupportables casse-pieds. Ce qui était tout à fait justifié pour Aaron, mais pas vraiment pour son cas.
Du coup, le soir, sur le chemin du retour, le blondinet ne put s'empêcher de grogner. Plus boudeur que d'habitude, il se retira quand sa panthère essaya de l'attraper par la main, ce qui provoqua l'étonnement et la déception de l'animal concerné.
« Kil... arrête-là... Tu me reproches quoi, encore ? »
« Encore ». Le mot avait toujours du mal à passer. Il portait en lui un petit quelque chose de culpabilisateur que l'adolescent n'aimait pas. Comme s'il était injustifié qu'il tire de temps en temps la tronche. Toujours bougon, il marmonna sa réponse. La cause de son mécontentement datait de la dernière pause :
« C'était trop classe comment Cléo a défendu Cam, même si ça partait d'un quiproquo. Alors que toi, t'as rien dit quand il m'a chambré... En plus il est trop beau et tu vois que je bave sur lui. T'aurais pu réagir... Depuis septembre, t'es chiant. »
Plaquant ses index sur ses yeux, Aaron vida ses poumons par le nez et secoua la tête. La réaction de son mec était à la fois adorable et exaspérante. Une mise au point était nécessaire :
« Putain, quand je dis à Jarno de ne pas te chauffer, tu me fais la gueule pendant une semaine parce que je suis un con, et quand je ne dis rien à Jérôme, tu me fais aussi la gueule ! Tu te rends compte à quel point t'es casse-couilles quand tu t'y mets ? Dans tous les cas, avec toi j'suis piégé, quoi que je fasse, tu vas me tirer la tronche ! »
« Mais quel imbécile », ne put s'empêcher de penser Kilian en gonflant ses joues. Celui-là, il fallait tous lui expliquer :
« C'est juste que je veux que tu me montres que tu m'aimes, c'est tout... Et pas simplement en étant jaloux, parce que c'est chiant quand t'es jaloux. Juste en t'occupant de moi et en étant gentil et tout, comme quand tu me draguais en troisième et que tu pouvais passer des heures à simplement me caresser les cheveux... »
Refusant de subir une nouvelle scène, Aaron accepta de remettre ses révisions à plus tard et de venir assister à l'entrainement d'escrime du jour. C'était le minimum qu'il pouvait faire pour apaiser la situation. Il savait bien que les torts étaient partagés et que Kilian loin d'être le seul responsable de cette prise de bec. Il avait parfois du mal à se reconnaître. La mort de sa mère l'avait changé, malheureusement pas pour le mieux. Le deuil durait et le rendait plus irascible. Il en avait pleinement conscience, mais il n'y pouvait rien. Une étincelle de fougue lui manquait, celle qui le poussait à grimper sur les tables pour s'affirmer. Celle qui lui avait permis de conquérir son petit blondinet en passant du diable à l'ange et en faisant vriller son cœur. Il voulait simplement la voir renaître, sans même savoir si cela serait un jour possible.
Laissant son amoureux pratiquer ses exercices, Aaron s'assit sur un banc, dos aux miroirs qui bordaient les pistes. Son petit athlète à lui était toujours angélique dans sa combinaison blanche. Mais alors qu'il soupirait autant d'affection que d'ennui devant une scène qu'il connaissait par cœur, une tête connue vint se poser à ses côtés. Son propriétaire n'était pas bien grand. Benjamin était venu ce soir-là simplement pour observer les grands. Il trouvait cela plus sympathique et instructif que la télévision. Depuis qu'il était passé à Voltaire, le collégien semblait transformé. Son silence s'était mu en éclats de rire ; sa peine avait laissé place à des sourires et, sa parole libérée, il s'était mis à parler et parler encore. Le brunet ne trouvait pas cela dérangeant. Il aimait bien ce môme, qui le lui rendait bien. Benjamin était curieux. La relation entre Aaron et Kilian l'intriguait. Comment ils s'étaient rencontrés ? Comment ils étaient tombés amoureux ? Pourquoi ils s'aimaient, d'ailleurs, et est-ce que cela avait toujours été le cas.
« Mais quand est-ce que tu as su, vraiment ? »
Se perdant dans ses pensées, Aaron hésita avant de répondre. C'était compliqué. Il ne savait pas trop. Ou plutôt, c'était comme s'il l'avait toujours su.
« Au premier regard, je crois... C'était dans un car. J'me rappelle de tout ce que j'ai fait ce jour-là. Même de la couleur de ma casquette. Rouge. Il s'est assis à côté de moi et a commencé à vouloir gratter l'amitié pour éviter de se faire trop chier pendant tout le voyage. J'l'ai envoyé chier. C'est mon premier souvenir que j'ai de lui. »
Amusé, Benjamin ne put s'empêcher de pouffer. Il reconnaissait bien là les deux personnages.
« Et toi ? », demanda le brun au collégien en tournant la tête vers lui. « Ton plus ancien souvenir de mon mec ? »
Étonné qu'on lui pose cette question, le pré-adolescent bafouilla. C'était très vieux, tout ça. Si Kilian lui donnait des cours depuis l'année dernière, leur première rencontre était bien plus ancienne. Ses parents étaient amis avec sa tante. À l'époque, le blondin en était très proche et passait beaucoup de temps chez elle. C'était par son intermédiaire que Benjamin l'avait rencontré. Puis plusieurs années s'étaient passées sans qu'ils ne se revoient.
« J'crois qu'il me connait depuis que je suis bébé... Mais l'année dernière, quand mes parents m'ont dit qu'il viendrait me donner des cours, j'dois avouer que j'avais plus trop de souvenirs. En fait, j'me souvenais juste d'une super après-midi avec lui. J'étais vraiment tout p'tit, j'crois, encore en maternelle... juste avant le CP ! Mais c'était tellement cool que ça m'a marqué ! »
*****
« Kilian, tu t'occupes bien de Benjamin, hein ? Je peux te faire confiance ? Je rentre dans deux heures. Vous, restez devant la télé ou jouez ensemble ! »
Rien ne pouvait rendre plus fier le blondin que de voir sa tante lui confier les clés de son appartement ainsi que la garde du petit Benjamin, en ce chaud mois de juin. Il venait de fêter ses onze ans et terminait son CM2 ! Il était presque grand. Comme souvent à cette époque, l'écolier passait ses week-ends chez Suzanne. La sœur de sa mère résidait dans un petit appartement pas très loin de chez lui et l'accueillait toujours avec un immense sourire. Son seul défaut était son amour de la cigarette qui avait rendu sa voix roque. Sa principale caractéristique, son goût immodéré pour les chapeaux qui lui donnait un air de vieille bourgeoise rebelle. Kilian adorait sa tante. Il l'aimait plus que ses propres parents, et elle le lui rendait bien. Pendant toute son enfance, elle s'était occupée de lui mieux que ses propres géniteurs et elle insistait pour l'avoir le plus souvent possible avec elle. Au moins avait-elle ainsi l'assurance qu'ainsi, il n'aurait aucune raison de pleurer, lui qui était si doux et sensible.
Quand il était chez Suzanne, Kilian se sentait comme un petit prince dans son palais. Il régnait sans partage sur les chats. La chambre était son royaume. Le salon ses provinces pacifiées. La salle de bain un pays allié qu'il adorait visiter. Dehors, un grand arbre montait jusqu'à la fenêtre. Quelques écureuils y vivaient et grimpaient parfois sur les branches. L'écolier pouvait passer des heures à les regarder et à leur faire des signes de la main. Et puis il y avait aussi ses sujets d'un jour. Un revenait souvent. Le petit Benjamin.
Lui, Kilian l'aimait beaucoup. Il l'avait vu débarquer un jour comme ça, sa petite paume blottie dans la main ridée de sa tante. Il était le fils d'amis qu'elle avait accepté de garder de temps en temps, pour leur rendre service. Jamais le blondinet n'avait rencontré de gamins de maternelle aussi gentil, poli et bien élevé ! Enfin, il fallait aussi avouer qu'il n'en fréquentait pas beaucoup, mais celui-là, quand-même, il était particulier.
De son côté, Benjamin était toujours un peu effrayé. Ce garçon l'impressionnait ! Ses cheveux brillaient et réfléchissait le soleil. Ses yeux verts étaient magnifiques. Le petit enfant adorait les regarder. Parfois, il attrapait ses joues de grand avec ses petits doigts et restait là pendant plusieurs secondes la bouche entrouverte à se perdre dans son regard. Puis les deux explosaient de rire en même temps, et Kilian se jetait sur Benjamin pour le chatouiller, sous la surveillance amusée de Suzanne qui sirotait une petite Suze à quelques mètres d'eux.
Parfois, comme ce samedi de juin, Suzanne laissait seule les deux enfants pendant quelques heures, confiant le plus petit au plus grand, le temps d'aller faire quelques courses en vue du diner du soir. Kilian se sentait alors extrêmement fier. On le traitait comme Cédric, son grand frère qu'il admirait. Celui-là même qui avait passé une après-midi complète à le chercher alors qu'il avait fui la maison le jour de son anniversaire. L'écolier avait de folles raisons d'aimer son grand frère et de le prendre en exemple. Là, avec Benjamin à sa botte, il voulait briller du même éclat que son aîné. Pas question, donc, de passer l'après-midi enfermé devant la télé. Il devait assurer.
« Viens, on va jouer au ballon dans le couloir ! »
De son propre aveux, Kilian trouvait son idée géniale. Il avait souvent avec lui une petite balle en mousse qu'il s'amusait à jeter en l'air et à rattraper, et qui pouvait servir à bien d'autres activités. Le foot d'intérieur en était une parmi les autres. Sauf que les vases, et sa tante en avait beaucoup, détestaient ce genre de passe-temps. Du coup, pour éviter que leur colère ne se matérialise par des éclats de verre sur le parquet, Kilian avait traîné Benjamin devant la porte d'entrée. Là, aucune chance qu'ils cassent quoi que ce soit. Si ce n'étaient les pieds de quelques voisins capricieux. Monsieur Grosjean n'était pas particulièrement méchant, mais il n'aimait pas trop les enfants, surtout les bruyants qui prenaient sa porte pour une cage de but.
Après s'être fait violemment engueuler, et décoiffer par la même occasion, Kilian bougonna. Devant Benjamin, c'était un peu la honte. Enfin, puisque c'était ainsi, il suffisait de suivre le conseil du vieil homme et de descendre dans la cour. Les voitures n'y venaient presque jamais, et c'était sur le passage de Suzanne. Elle les verrait tout de suite à son retour, ce n'était pas non plus comme s'ils disparaissaient. Du coup, le blondinet recoiffa ses cheveux qui tombaient en de multiples bouclettes sur sa nuque, attrapa ses chaussures puis lassa celles de Benjamin. Il allait lui apprendre quelques dribles sympas dont le tout jeune garçon pourrait être fier, l'année suivante, quand il serait en CP.
Toujours obéissant, Benjamin suivit sans discuter celui qui était censé le garder. Lui, il aimait bien jouer au foot avec Kilian. À la différence des autres « grands », celui-là était gentil et faisait exprès de ne pas taper trop fort dans la balle. Parfois, même, il exagérait ses mouvements et ratait volontairement pour laisser son jeune partenaire marquer des buts faciles. C'était très drôle, surtout quand Kilian se faisait des croches-pattes à lui-même et finissait le nez par terre en grognant que ce n'était pas juste et qu'un jour, lui aussi, il serait un grand footballeur. Mais pas le mercredi, parce qu'il avait piscine.
Puis ce fut le drame. Enfin, le drame... l'erreur bête, plutôt. À trop vouloir frimer en montrant son coup spécial le plus efficace, Kilian fit malencontreusement voler sa balle dans un buisson chez les voisins. Une balle que lui avait offert Cédric.
Trop grand pour pleurer de la perte de son objet adoré, il renifla juste bruyamment puis serra les poings contre son corps frêle. Il n'était pas question de laisser le destin le séparer d'un tel symbole. Il était bien plus fort que ça. Agrippant Benjamin par la manche, il le tira derrière lui.
« On va où ? », demanda naïvement l'enfant.
« On part à l'aventure, découvrir le monde ! », répondit Kilian sans se démonter et en serrant les dents. « On est des pirates, moi je suis le capitaine et toi t'es mon fidèle second, et la route, c'est la mer ! On va chercher le trésor de Kili le vert, le plus grand des corsaires ! Il est tout rond, c'est ma balle. Par contre, faut bien que tu m'écoutes hein, parce que le dehors, c'est super dangereux pour un p'tit mousse comme toi ! Allez, suis-moi ! »
Retrouver un objet perdu tout en faisant rêver un minuscule petit ange. Comment mieux faire d'une pierre deux coups ? Même les oisillons qui chantonnaient dans leurs nids auraient volontiers applaudit, si seulement ils avaient eu des bras à la place des ailes ! En tout cas, c'était comme ça que le blond présenta les choses à son jeune protégé en le trimbalant dans tout le quartier, fermement accroché à sa main. Faisant le tour du pâté de maison pour arriver jusqu'au jardin où était tombé la balle, les deux acolytes sonnèrent, sans recevoir de réponses, malheureusement. Que cela ne tienne, toujours aussi énervé, Kilian se motiva à escalader le muret pour passer de l'autre côté. Il l'avait déjà fait, plus petit. Certes, il était resté coincé toute une après-midi et s'était pris un savon mémorable par sa tante quand enfin elle l'avait récupéré, mais il avait grandi depuis. Cette fois-ci, il ne risquait rien. Sa principale préoccupation était plutôt Benjamin. Il ne voulait pas le laisser seul dans la rue, comme ça. On ne savait jamais, il y avait toujours le risque de tomber sur un kidnappeur d'enfants ou un chien affamé. Les premiers étaient profondément méchants. Les seconds avaient juste faim, ce qui était pardonnable, mais ils restaient quand même dangereux. Heureusement, le blondinet savait qu'il y avait juste en face un tout petit parc dans lequel il pouvait laisser pendant cinq minutes son jeune acolyte sous la surveillance d'une gentille voisine. Ce fut ce qu'il décida de faire, non sans trouver une excuse farfelue à Benjamin pour justifier son court abandon :
« On va faire un nouveau jeu ! On est des extra-terrestres ! Moi je suis le capitaine d'un vaisseau prisonnier par des méchants. Toi, t'es un jeune héros qui maîtrise le pouvoir du sable ! Ton rôle, c'est d'aller dans le bac et de creuser un trou pour... euh... Je sais pas encore, mais c'est super super important ! Si tu ne le fais pas, je serais offert en offrande par les vilains au dieu soleil, et t'as vu comment il tape fort ! Donc si tu ne veux pas que j'ai mal et que je sois tout rouge, creuse un super trou ! Moi je reviens, parce que là, je suis censé être en prison, donc j'y retourne, je m'échappe et je te rejoins ! Bouge pas ! »
Les explications avaient beau être ridicules, elles émerveillèrent Benjamin. Rarement il s'était amusé autant ! En plus, c'était la première fois qu'on lui faisait confiance à ce point en lui confiant une mission de cette importance ! Voulant se montrer digne des espoirs que Kilian plaçait en lui, il se démena pour réaliser le plus grand trou de son existence. Pendant plus de quinze minutes. L'œuvre de sa vie ! Celle-là même dont l'univers entier se souviendrait... Enfin, si seulement le gardien du parc n'était pas venu lui crier dessus et le traiter de petit vandale mal élevé. L'engueulade eut pour effet d'immédiatement faire pleurer le pauvre enfant, qui ne savait même plus quoi répondre. En plus, Kilian avait disparu depuis un quart d'heure, il était tout seul, il était perdu, il avait peur et il ne comprenait pas pourquoi on lui en voulait. Une voix claire, heureusement, le rassura. Elle provenait d'un tout jeune blondinet qui, sa balle dans la main, sirotait tranquillement un jus d'orange sur un banc juste à côté depuis au moins cinq bonnes minutes.
« Et, vous, arrêtez de lui crier dessus ! Méchant ! On va le remettre à sa place votre sable ! Nan mais sérieusement quoi ! Benjamin, fait pas attention à lui, c'est un vilain extra-terrestre qui supporte pas que tu sois génial ! Il est très bien ton trou ! Grace à lui, le soleil a fui derrière les nuages et j'ai pu me sauver et récupérer ma balle ! En plus, j'ai même pu dévaliser la prison ! J'ai récupéré du sang d'Alien en boite ! C'est super bon ! Tiens, y en a un pour toi ! Et vous, arrêtez de l'embêter, où je le dis à ma Tante ! Et ma Tante, c'est la femme la plus merveilleuse du monde ! »
Et accessoirement, une habituée du parc que le gardien connaissait bien. Soupirant, le pauvre homme baissa les bras. Tant que les petits crapules remettaient l'endroit en l'état, il n'allait pas prendre le risque de se fâcher avec la tata gâteau. Finissant de sécher ses grosses larmes de ses petits poings, Benjamin attrapa la briquette que lui tendait Kilian. Ce sang d'Alien n'était rien d'autre qu'un simple jus de fruit que les voisins lui avaient offert en le voyant tomber dans leur jardin. C'était parce qu'il s'était senti un peu con, qu'il avait dû s'excuser et qu'on lui avait offert à boire et des cookies que Kilian avait un peu tardé. Et quand il était enfin revenu, Benjamin était trop enfoncé la tête dans son trou pour le voir. Du coup, il avait bu sa boisson en souriant sur le banc. Sauf que maintenant, il commençait à se faire tard. Cela faisait un moment que Suzanne était partie et il fallait absolument rentrer avant son retour. Et accessoirement, avant que l'orage ne gronde. En quelques minutes à peine, le ciel s'était couvert et déjà le tonnerre se faisant entendre au loin. Il ne restait plus qu'une seule épreuve avant de rentrer.
« Non, parce qu'en fait, on est des aventuriers dans la jungle, et là, cette flaque de boue, c'est un lac plein de piranhas qui veulent nous bouffer. Mais comme on a des supers pouvoirs, on peut voler par-dessus ! On n'a pas le choix, on doit essayer pour rejoindre la cité perdue de Kikilialian ! Ouais, l'appart de Tatie. Par contre, faut qu'on y arrive avant le retour du gardien de Kikilialian, sans quoi, on va se faire punir. Ouais, par Tatie. Mais on est des héros, donc ça devrait aller ! Faut juste que tu fasses comme moi ! »
Copier Kilian, Benjamin trouvait cela plutôt simple, et cette dernière épreuve l'amusait au plus haut point. Après, lui, il était en maternelle. Du coup, réfléchir, ce n'était pas son rôle. On lui disait de copier, il copiait, même s'il ne comprenait pas très bien pourquoi Kilian avait choisi de marcher sur son pantalon au moment du saut afin de s'assurer de bien plonger la tête la première dans la gadoue. Sans doute une subtilité de grands. En tous cas, Benjamin fit bien attention à faire exactement la même figure, et se roula comme il le fallait dans la gadoue pour être aussi crade que son mentor ! Par contre, en voyant le blond chouiner, il se demanda quand même s'il devait l'imiter aussi pour ça. Parce que c'était bizarre, quand même.
« Rhaaaaaaaaaa ! Mais naaaaan, Et merde, il pleut... Et l'autre idiot qui m'écrase ! On va se faire engueuler... »
Ce que Benjamin admirait le plus chez Kilian, c'était sa capacité à lire l'avenir. Là, pour le coup, il s'était montré exceptionnel ! Quand, au coin de la rue, dégueulasses et trempés l'un et l'autre, ils étaient tombés sur une Suzanne en furie qui les cherchait partout depuis un quart d'heure en hurlant, la prophétie se réalisa exactement comme le blondinet l'avait prévue ! Sa tante l'avait secoué pendant cinq bonnes minutes – elle ne tapait jamais – en lui demandant ce qu'il lui avait pris de disparaitre comme ça avec Benjamin. Plutôt que de répondre, Kilian avait explosé en larmes, en en rajoutant un peu. Chialer marchait toujours avec sa tante. Là encore. Le clin d'œil discret qu'il lâcha à son jeune acolyte était la preuve que tout était sous contrôle !
La journée s'était fini de la plus délicieuse manière. Obligé de laver et sécher les fringues des deux garnements avant de les rendre à leurs parents, Suzanne les avait envoyés au bain ensemble. Posé entre les cuisses de Kilian, Benjamin s'était laissé frotter le dos en profitant bien de la chaleur de l'eau et des pensées du blondin.
« Tu vois Benji, c'est comme ça que mon frère fait avec moi ! Tain, j'aimerais trop être ton grand frère en fait ! On s'est quand même bien amusé aujourd'hui, tu trouves pas ? »
Si, il trouvait. Il avait adoré. Tour à tour joueur de foot, pirate, explorateur spatial et aventurier, il finissait sa journée dans un des rôles qu'il connaissait le moins et qui pourtant lui plaisait le plus. En tant que fils unique, c'était la première fois qu'il jouait au petit frère. C'était peut-être même ce qu'il avait préféré. Se retournant face au blondin, il se jeta contre sa poitrine, ses petits poings serrés, et lâcha quelques larmes. Sentir les doigts de Kilian caresser son crâne le fit craquer. Dans un murmure étouffé s'accompagnant d'un sourire des plus sincère, il acquiesça :
« Oui grand frère ! »
*****
Un air ravi aux lèvres, le regard fixé sur le blond en plein entraînement, Benjamin soupira à nouveau.
« C'est con qu'après cela, je l'ai beaucoup moins vu, jusqu'à l'année dernière. Ok, avec le recul, j'admets qu'il m'a vraiment pris pour un con, mais c'était génial, il était trop gentil ! Le pire, c'est qu'il n'a pas trop changé en fait... Quand il me donnait des cours, il cherchait toujours à inventer des histoires farfelues et des jeux pour me motiver ! »
L'air un peu perdu, Aaron avait passé les dernières minutes à se mordiller la lèvre. À force de frotter ses doigts contre ses yeux pour éviter qu'ils ne coulent, ils avaient fini par devenir tous rouges. Une étrange émotion l'avait poussé à déglutir bruyamment à plusieurs occasions. Comme si cette histoire somme toute banale l'avait ému, sans forcément trop de raisons. Si une chose le rendait vraiment triste, c'était bien le fait qu'il n'existe aucune machine à remonter le temps. Le Kilian de cette époque lui était totalement étranger. Il aurait presque tout donné pour le côtoyer. Seuls les récits que certains lui en avaient fait lui permettait de s'en rapprocher. Ce dernier ne faisait que confirmer ce qu'il savait déjà. Le garçon dont il était tombé amoureux avait toujours été le même. Tendre, sincère, plein d'imagination et d'esprit, drôle, loufoque, insouciant et profondément blond, jusqu'au bout des racines. Il était déjà comme ça l'été de leur rencontre, avec son sourire, sa répartie et sa naïveté touchante. Et là, répétant encore et encore les mêmes gestes, il poursuivait simplement son rêve, devenir le meilleur, comme un simple écolier avait pu poursuivre sa balle dans son quartier. Un enfant devenu grand, mais un enfant quand même. Et Aaron l'aimait.
« Bon, chouchou, arrête de bayer aux corneilles là et viens m'aider à faire mes étirements ! Et toi Benji, fais-moi quatre tours de piste au lieu de glander ! Tu n'as qu'à te dire que tu es un grand marathonien et que chaque tour fait dix kilomètres ! Ça te motivera et te fera te sentir héroïque ! Parce que sinon, c'est trop chiant de courir ! »
Ni le lycéen ni le collégien ne discutèrent les ordres, chacun pour ses propres raisons.
La soirée connut un épilogue précoce. Éreinté, Kilian s'était endormi quelques secondes à peine après s'être effondré sur son lit. Encore éveillé, Aaron avait tamisé la lumière puis s'était doucement installé sur son ordinateur portable, une bête de compétition que son petit ami lui avait offert pour son anniversaire. Cette étincelle de fougue qu'il avait peur d'avoir perdue, il était sûr qu'elle était encore là, quelque part bloquée entre le fond de son cœur et les méandres de son esprit. Les gens grandissaient, mais ne changeaient pas. Kilian n'avait pas changé. Il n'y avait pas de raison que les choses soient différentes pour lui. Inspirant profondément, il laissa ses doigts voler sur son clavier. Pour la première fois depuis la fin de l'été, il écrivait. Une idée de courte nouvelle lui était venu comme ça, à force de passer son temps à meugler contre cet « enfoiré » de Jarno qui tournait bien trop près de son mec. C'était encore la meilleure manière d'extérioriser sa frustration et de régler ses comptes. Il n'en était pas fier, mais c'était comme cela qu'il faisait, maintenant qu'il ne grimpait plus sur les tables.
Pitoyable ? Peut-être. Inlassablement triste ? Certainement. Amoureux ? Sans aucun doute. Même les chiens l'avaient compris. Enfin au moins un. Pata n'en avait rien à foutre, en fait. Il s'était depuis un long moment allongé au pied du lit, près de la main de Kilian. Mistral, lui, était resté plusieurs minutes à observer son maître d'un air dépité, avant d'aller se coucher dans son panier.
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