Chapitre 9 (1) (corrigé)
Le musée des horreurs
« Je n'ai ni foi ni espérance ; je peux rendre mon cœur dur comme une meule, ma figure impassible comme un silex,
Voler, être volé et puis mourir : qui sait ?
Nous ne sommes que cendre et poussière. »
Alfred Tennyson, Maud
Jane dormit d'un sommeil sans rêves et aux premières lueurs du jour elle engloutit son petit déjeuner et fila faire un tour dans les rues déjà bien animées de Londres. Elle prit place sur un banc dans Hyde Park, nouvelle édition du Daily Telegraph qu'elle s'était procuré en chemin sous le bras, et ne put cacher sa déception à la lecture de la Une. Le nouvel article de Simon Palmer parlait bel et bien de l'affaire Jack l'Éventreur, mais il s'avérait bien avare en informations ; pas de nouveau suspect, le boucher d'Aldgate ayant été relâché pour manque de preuves tangibles, pas de précisions sur le corps retrouvé, pas de nouvelles pistes et surtout pas de mention de Magdalena Roserfield... Rien hormis quelques lignes sur le vol par effraction dans le bureau de l'inspecteur McColl dont Will était l'auteur.
Jane demeurait réservée sur la situation. Will le lui avait bien dit, si cette Magdalena Roserfield était bien la dernière victime de l'Éventreur et qu'il y avait du nouveau dans l'affaire, l'inspecteur McColl se gardait bien de partager son dîner avec la presse. De ce fait, la jeune fille n'avait rien de nouveau à se mettre sous la dent, et elle était d'avis que Scotland Yard tenait le plus possible à l'écart la presse et autres fouineurs, de sorte que, pour continuer à alimenter la curiosité des Londoniens et vendre du papier, les journaux continuaient à placer au premier rang et en lettres capitales deux mots : « JACK L'ÉVENTREUR », afin d'alimenter la rumeur sur cette légende qui hantait les rues de Whitechapel. L'heure était simplement au fait divers qui servait à défrayer la chronique et encourager les discussions et débats dans les salons.
La jeune fille se leva résolument, Will avait raison, si elle voulait du concret il allait falloir qu'elle se salisse les mains. « Eh bien soit ! Qu'à cela ne tienne ! J'irai à la chasse aux informations moi-même ! » Se dit-elle résolue. Certes, c'était tout à son honneur que cette belle volonté, cela dit par où commencer ? Il lui fallait d'abord trouver la preuve que la nouvelle victime de Jack l'Eventreur était bel et bien cette Magdalena Roserfield, ainsi elle pourrait reconsidérer les renseignements de Nokomis et pourquoi pas son lien avec cette sombre affaire. Et pour cela, Jane savait exactement où aller.
« MORGUE »
Au-dessus de sa tête, l'écriteau en caractère majuscule semblait narguer son petit monde avec insolence, à la manière d'un Memento Mori glaçant. Le petit bâtiment était aussi lugubre que le mot qui le désignait, si un promeneur candide venait à passer par là, aucun doute qu'il aurait tourné les talons loin de ce lieu inquiétant. Mais Jane n'était pas ce genre de promeneur innocent.
La porte qui menait tout droit aux Enfers n'était pas gardée par un quelconque Cerbère, ce qui était plutôt étonnant vu l'euphorie autour de l'affaire Jack l'Éventreur. Par habitude la jeune fille jeta quelques coups d'œil de part et d'autre avant de pénétrer dans le royaume des cadavres. Depuis les terribles forfaits de Jack l'Éventreur, les corps de ses deux dernières victimes étaient entreposés ici, où seuls les légistes les plus brillants et les policiers de Scotland Yard étaient autorisés à s'aventurer malgré le froid glacial et l'atmosphère pesante qui y régnaient.
Ce fut une des raisons pour laquelle Jane fut surprise de ne rencontrer personne dans les couloirs étrangement déserts et silencieux. Elle avança prudemment, les talons de ses bottines faisant plus de bruit qu'elle ne le désirait. Bien qu'elle ne cessât de se dire que si elle frissonnait c'était à cause de la température bien basse afin de préserver les corps qui pourrissaient lentement, elle ne put s'empêcher de penser que ce lieu ressemblait à une descente dans les abysses infernales, si bien qu'elle s'attendait presque à croiser l'esprit de Judy Browler ou la grande Faucheuse au détour d'un couloir. Elle déploya bien des efforts pour faire taire l'angoisse qui lui nouait l'estomac et l'adrénaline qui faisait pulser son sang dans ses tempes, mais la vérité était qu'elle regrettait presque que Will ne l'ait pas accompagnée. Peut-être lui aurait-il parlé de Dante, il aurait cité sur un ton théâtrale pour la faire rire : « Je vis plus de mille diables au-dessus des portes précipités du ciel, qui disaient pleins de rage : " Qui donc est celui-là qui sans avoir sa mort s'en va par le royaume des âmes mortes ? " »*.
Jane frissonna rien qu'à l'idée qu'elle puisse se retrouver dans un des neuf cercles de l'Enfer. À chacun de ses pas, son cœur se serrait, des rires sans couleur venaient jusqu'à ses oreilles, des soupirs caressaient sa peau nue, des ombres sauvages se dérobaient sous ses yeux. Elle avait beau se convaincre que le pouvoir de son imagination se décuplait sous la tension macabre qui régnait dans cet endroit, elle avait tout de même hâte de sortir respirer l'air suffoquant mais plein de vie de la ville.
Elle perçut des bruits de pas. Ne prêtant gare à ce nouveau produit de son imagination elle poursuivit sa route.
– Halte ! Qui va là ? héla une voix masculine.
Cette fois Jane sut qu'elle n'avait pas rêvé quand un homme en uniforme surgit de nulle part et se posta devant elle, raide comme un piquet, lui bloquant la route. Alors que tout être humain normalement constitué aurait pâli devant un représentant de l'ordre, surtout lorsqu'il se trouvait dans un endroit non autorisé au public, la petite demoiselle retrouva bien vite ses esprits égarés et lui sourit, parfaitement détendue et surtout rassurée de se retrouver face à un homme bien vivant et pas face à un démon tout droit surgit de l'univers de Dante.
– Bonjour, le salua-t-elle. Que puis-je faire pour vous ?
– Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ? C'est strictement interdit au public ici ! s'écria le policier sur un ton hargneux.
Le cerveau de la jeune fille fit rapidement le tour des possibilités. Même si son talent pour le mensonge n'était pas comparable à celui des comédiens de pacotilles tant il était mauvais, elle se risqua tout de même à sortir quelque chose qui pourrait être tout à fait vraisemblable.
– Oh ! Je suis fort contrariée que vous me parliez sur ce ton monsieur ! Sachez que je ne tolère pas que l'on s'adresse à moi de cette façon ! s'indigna-t-elle.
Le bonhomme parut un petit instant désarçonné par son ton contrarié et son regard intransigeant.
– Plaît-il ?
Jane se permit de soupirer d'exaspération, elle posa ses poings sur ses hanches et le réprimanda sévèrement.
– Vous osez me demander sur ce ton abject qui je suis ? C'est impardonnable, votre ignorance devrait être sanctionnée de la plus rude des manières ! Si vous aviez mieux fait votre travail, vous sauriez probablement que je suis attendue pour assister le docteur durant une autopsie de la plus haute importance !
Le policier se tassa un peu sur lui-même sous le coup des remontrances de Jane, la jeune fille avait réussi à le plonger dans un doute profond. Il fronça ses sourcils épais avant de sortir un calepin et un crayon.
– Euh, je... Pardonnez-moi mademoiselle, veuillez accepter mes excuses et exempter mon manque de connaissance. Je vais aller rectifier de ce pas mon erreur, pour cela pouvez-vous me donner votre nom ? (Devant l'air choqué et contrarié qu'arborait la demoiselle il s'empressa d'ajouter :) C'est la procédure qui l'exige.
– Oui évidemment. Notez que Miss Julie Blancksfair, fille du docteur Henry Blancksfair et elle-même infirmière, a été convoquée pour apporter sa contribution à l'expertise d'un corps. (Le policier, manifestement en plein doute fronça davantage les sourcils s'il eut été possible de le faire encore plus). On m'a fait mander spécialement de Winchester pour cette mission. Et cet air contrarié ne me sied guère, ne m'obligez pas à faire un rapport à vos supérieurs ! admonesta Jane.
L'homme nota vite le nom sur sa page en marmonnant quelque chose dans sa barbe et referma prestement son calepin. Enfin les bras plaqués le long du corps il ajouta :
– La chambre froide se trouve au fond du couloir, à votre droite.
– Cela sera tout j'imagine ? Bonne journée monsieur ! répondit-elle d'un air hautain.
Elle leva le menton avec fierté et reprit son chemin. Le policier ne prit même pas la peine de la regarder prendre le large, son petit calepin entre ses larges doigts crispés, il préféra tracer sa route afin de se renseigner sur cette mystérieuse infirmière bien désagréable en tous points.
En ce qui concerne la dénommée « Julie Blancksfair » qui n'était autre qu'une petite demoiselle à la chevelure brune et aux yeux bleus-gris, elle se dirigeait d'un pas pressé vers la chambre froide. Elle suivit les instructions du gardien et se retrouva devant une porte métallique. Ce ne pouvait être qu'ici, il n'y avait que cette porte-ci à l'horizon. Elle saisit la poignée glacée et un frisson remonta le long de son bras, la gelant comme par une nuit d'hiver. Elle hésita avant d'entrer, son courage lui faisait-il défaut ? « Allons ce n'est pas le moment ! » Elle ne voulait pas rester une seconde de plus dans ce couloir, à guetter le moindre son inquiétant, le moindre mouvement qui saurait retenir son attention, le moindre souffle qui chatouillerait sa peau. D'un geste un peu trop empressé, elle ouvrit la porte à la volée et s'engouffra dans la pièce gelée.
La porte se referma dans un bruit lourd et troublant, à l'intérieur de la pièce, quatre tables identiques étaient disposées dont seulement deux occupées, d'où des chevelures dépassaient plus ou moins ternes et abîmées. Ces corps étaient ceux de femmes, c'était une évidence, les victimes de l'Éventreur se trouvaient bel et bien là. Devant Jane. Un silence cérémonieux presque angoissant l'enveloppa et l'émotion la subjugua. Elle resta là, à les contempler sans un mot durant de longues secondes, se murant dans un silence liturgique par respect et tristesse pour ces femmes qui avaient tout perdu l'espace d'une nuit funeste. Après cet instant solennel elle dut remonter ses manches et commencer ses fouilles.
- Au boulot ! s'encouragea-t-elle pour briser le silence.
Elle commença par le premier corps. La chevelure dorée cachée par un drap maculé de sang séché, la jeune fille qui se trouvait là était un peu plus âgée que Will, le teint gris et les lèvres décolorées. Jane n'avait pas peur des cadavres, cela dit elle ne s'aventura tout de même pas à glisser le drap plus bas que le buste sur le corps inanimé. Pendant qu'elle examinait le visage endormit de l'inconnue, elle put voir ses paupières violettes bouger. Bien qu'elle ne crût pas une seule seconde à ce fantasme de son imagination, elle s'écarta un peu, par précaution. Accrochée à l'orteil du cadavre, une étiquette pendait. Elle s'en approcha pour la déchiffrer : « Browler Judy ».
– Enchantée de faire enfin votre connaissance, Miss Browler, chuchota Jane. J'ai tellement entendu parler de vous. Vous êtes devenue célèbre grâce à votre assassin malheureusement. J'aurais aimé qu'il en soit autrement.
Puis elle passa au corps suivant. Une brune dont les lèvres portaient encore la trace d'un rouge vif. Elle ne cacha pas sa surprise quand elle lut le nom du corps : « Roserfield Magdalena ». Des images envahirent brusquement son esprit ; une jeune femme sous un lampadaire, un individu étrange venant à sa rencontre, du sang chaud sous ses doigts, et puis, et puis... Un horrible sourire figé sur ses lèvres écarlate à jamais.
Secouée, Jane eut un haut le cœur. Elle dut même s'asseoir un instant et respirer à plein poumons pour éviter de rendre son déjeuner. Le cœur battant, elle revivait la scène de son rêve. Encore et encore. Assaillie par des visions sanglantes qu'elle aurait voulu chasser de son esprit à tout jamais. Elle décupla ses forces pour parvenir à se tenir convenablement sur ses jambes flageolantes et rassembla tout son courage pour affronter de nouveau le visage tordu en un rictus diabolique. C'était bien elle. La prostituée de son rêve était bien réelle, celle qu'elle avait croisée dans Whitechapel, elle s'appelait Magdalena Roserfield, et cette nuit-là, Jane ne le savait pas, mais elle l'avait vue mourir.
*Dante, La divine Comédie, tome 1 : L'Enfer. Chant VIII, (82-86)
Bonsoir mes chers lecteurs ! J'espère que ce nouveau chapitre vous plaît, si c'est le cas vous connaissez la procédure : votez, commentez, donnez-moi vos avis et suggestions que je prends toujours plaisir à lire...
J'ai plusieurs choses à vous dire : premièrement suite aux remarques générales j'ai décidé de couper mes chapitres en 2 voir en 3 lorsque cela sera nécessaire. Pour le bien être de vos rétines et afin que je puisse aussi garder un peu d'avance, j'ai jugé que cela serait le mieux. C'est pour cela que quand je serais enfin en vacances, je vais procéder à un découpage des chapitres déjà écris tout en corrigeant à partir de vos remarques. Dites-moi si cela vous convient, personnellement je pense que c'es mieux ainsi.
Deuxièmement, j'ai le plaisir de constater qu'on se rapproche bientôt des 1K ! Cela me fait énormément plaisir et pour fêter cette barrière charnière, j'aimerais vous remercier. Je voulais faire une FAQ ou interview personnage mais l'histoire vient à peine de commencer et seulement les trois quarts des personnages sont présents... Mais si vous voulez cela alors je le ferais ! Sinon j'avais pensé à vous offrir la nouvelle couverture que j'ai réalisé pour l'histoire, si elle vous plaît je peux en faire la couverture "officielle". Ou encore si vous désirez un dessin des personnages (certaines savent de quoi je suis capable pour les autres je vous redirige vers le Rant Book si vous êtes curieux :p). Ou bien si vous aimeriez des anecdotes sur l'histoire etc... Je ne sais pas. J'ai envie de vous faire plaisir à VOUS donc dites-moi ce qui vous ferait plaisir et je m'exécuterais au mieux !
Quoi qu'il en soit je vous donne rendez-vous pour la suite mes doux lecteurs, à bientôt pour le cadeau des 1K ! Je compte sur vous ;)
Ceci est la version réécrite.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top