Chapitre 7 (2) (corrigé)
Will arqua un sourcil :
– Quoi donc ?
– La signature ! Vous auriez dû y penser ! C'est la marque de l'écrivain. Quand on rédige une lettre on la signe, toujours, ou du moins on laisse une trace. Or ici je ne vois pas de signature.
– Vous avez raison, j'aurais dû le voir plus tôt, avoua Will. Qui ne signe pas ses lettres ?
– Quelqu'un qui ne veut pas qu'on remonte jusqu'à lui. Quelqu'un qui avait peut-être prévu son coup. Dans tous les cas, cela nous coupe l'herbe sous les pieds. Je comptais sur une signature ou des initiales.
– Quand bien même il y aurait eu des initiales rien ne nous aurait prouvé qu'il ne s'agissait pas là d'un nom d'emprunt, d'un surnom, un pseudonyme... Tout ceci contrarie quelque peu votre hypothèse, non ? Quel metteur en scène digne de ce nom oublierait-il de signer sa pièce ? Whisky ?
– Pas d'alcool, merci. Bien sûr, mais il n'allait tout de même pas signer « votre dévoué et sanglant Jack l'Éventreur » !
– Ou il aurait laissé un petit message à l'intention de ce cher inspecteur McColl pour se faire un peu de publicité. Il a un coup d'avance, et il s'amuse à le rappeler à tout le monde, surtout à Scotland Yard.
Will n'avait pas tort, Jane devait bien l'admettre. Le jeune homme se dirigea le pas nonchalant vers une étagère sur laquelle trônait une bouteille. Il la déposa sur la table et en profita pour se débarrasser de sa veste qui l'encombrait. Il avait le col de sa chemine entrouvert sur sa petite cicatrice dans le cou que Jane avait remarqué dès le premier jour. Sa chemise blanche laissait entrevoir sa gorge et les traits élégants de sa clavicule. Bien qu'elle cachât le reste de son torse, Jane n'eut pas trop de mal à imaginer les lignes graciles de celui-ci. Son partenaire la surprit en train de le reluquer sans vergogne et elle fit soudain mine d'observer les papiers sur la table. Elle s'en voulut sur le champ de l'avoir détaillé aussi indiscrètement, du moins elle s'en voulait d'avoir osé le regardé tout simplement, quand il était près d'elle, elle avait la désagréable impression de ne plus se reconnaître.
Will l'ignora, d'une part pour ne pas la mettre plus mal à l'aise qu'elle ne l'était déjà, ensuite parce qu'il avait l'habitude que les femmes le regardent ainsi, si bien qu'il n'en n'éprouvait plus aucune gêne depuis. Et il détestait cela. Il enviait aux autres ce sentiment flatteur quand une femme les complimentait, ou les regardait comme s'ils étaient un bijou précieux d'une rareté exceptionnelle. Pourtant c'était bien les autres hommes qui le jalousaient, c'était évident. Il n'avait aucun mal à pervertir même le cœur le plus vertueux. Il se demanda subitement s'il aurait pu survivre toutes ces années comme il l'avait fait s'il avait été laid.
Il dévissa le bouchon et prit une gorgée pour chasser ses souvenirs. Jane reporta son attention sur la lettre qu'elle tenait entre les mains pour éviter de croiser son beau et mystérieux regard triste. C'était la dernière que Judy avait reçue. Ses doigts glissèrent le long du papier et là, en bas à droite de la lettre, elle sentait que le grain était devenu irrégulier. Intriguée, elle caressa plusieurs fois le papier à cet endroit. Will avait raison, le papier était fin, tellement que si l'émetteur de cette lettre avait rédigé autre chose juste avant celle-ci, il pouvait en rester des traces.
– William, demanda-t-elle, avez-vous un crayon ?
– Un crayon ? demanda l'intéressé qui reposant sa bouteille.
– Donnez-moi un crayon, le pressa Jane.
Devant l'impatience de la jeune fille, Will s'exécuta. Devant son regard intrigué elle se mit à hachurer rapidement la surface lisse. Sous les traits réguliers que laissait la mine grasse sur la page un dessin apparut, incrusté dans la feuille. « Je le savais ! » Pensa-t-elle enjouée. Elle ne s'était pas trompée, il y avait bien quelque chose de gravé sur le papier. Perplexe, Will se pencha par-dessus l'épaule de la jeune fille préoccupée à essayer de reconnaître le dessin.
– On dirait un animal... Un chien ? proposa-t-il.
– Non, le corrigea Jane, je ne crois pas. À en juger par la posture de l'animal et les détails du dessin, c'est plus sauvage, j'aurais plus pensé à un loup. Et... Regardez ! Juste au-dessus, on dirait la pièce d'un jeu d'échec !
– La reine... La pièce représente la reine d'un jeu d'échec. C'est un blason Jane.
– Et pas n'importe lequel.
– Vous le reconnaissez ?
– Je ne sais pas... Mais il ne m'est pas inconnu. J'ai l'impression de l'avoir déjà vu quelque part, c'est certain. C'est un blason très célèbre, comment cela peut-il m'échapper !
– Nous avons déjà un indice et une nouvelle voie à explorer. Qui sait où cela va-t-il nous mener ?
Depuis cet instant, ce blason ne cessa d'hanter les pensées de Jane. Cela prouvait au moins trois choses : la première, et pas des moindres, ce blason était la preuve que son propriétaire était plus ou moins impliqué dans l'affaire. La seconde, seules les familles nobles possédaient un blason, de toute évidence l'affaire aller se corser, d'autant plus si des membres importants y étaient impliqués. Et la troisième, celle qui ravissait le plus Will ; ils avaient pris une longueur d'avance sur Scotland Yard. À moins que la police ne l'eût déjà trouvé avant eux ? Ce dessin était la clé de leur prochaine étape.
Sur le chemin de Piccadilly, Jane fouillait sa mémoire à la recherche de ce maudit blason, mais rien n'y faisait. Malgré cette impression de déjà vu, sa mémoire refusait de lui livrer ce qu'elle savait. Peut-être les informations désirées resurgiront si elle cessait de s'obstiner ? Quelque chose interrompit pourtant le fil de ses pensées. Les lettres. Toujours ces lettres, tout tournait autour d'elles contrairement aux événements de 1888. Elle ressassa toutes les informations qu'elle avait accumulées ces derniers jours : tout d'abord la découverte du corps de Judy dans Mitre Square. Ensuite la rencontre avec Fulton, homme politique corrompu et fidèle client de Miss Browler. Suivait l'étude des lettres, c'était une correspondance entre la victime et un homme, ou une femme selon Will, issu d'une famille noble.
« Supposons que ce soit un homme. Quel intérêt aurait un homme puissant à correspondre avec une prostituée ? Qu'est-ce qu'il attendrait d'elle ? La même chose que Fulton sans doute. Mais Fulton n'a pas d'ancêtres nobles... Quelque chose me gêne dans cette histoire. » Il manquait vraisemblablement un élément à Jane. Elle essaya de raisonner comme Will le ferait ; « Un homme marié, ou un homme issu de bonne famille. La seule façon pour lui de réaliser ses fantasmes serait de prendre contact avec une fille de joie, c'est évident. Mais pourquoi entretenir une correspondance avec elle ? Voilà qui est risqué... »
La jeune fille n'eut le temps de poursuivre ses réflexions qu'elle heurta un obstacle. Un homme en manteau beige et portant un chapeau melon se retourna. Cette épaisse moustache brune, ces petits yeux bleus inquisiteurs, cet air impitoyable et sévère. L'inspecteur McColl. Quand il reconnut la jeune femme, le bonhomme tenta de prendre un sourire aimable :
– Ah ! Miss Warren !
– Inspecteur, répondit-elle poliment.
– Vous devriez rentrer chez vous, le ciel se couvre.
– Justement, j'y retourne. (Elle se risqua néanmoins à poser la question qui lui brûlait les lèvres.) Comment avance l'enquête ?
McColl haussa un sourcil, dubitatif.
– Simple curiosité, se justifia Jane.
– Miss Warren, je comprends tout à fait que votre curiosité parle à votre place, seulement ce n'est pas ce que l'on entend dans une conversation courtoise, expliqua-t-il d'une voix mielleuse mais ferme. (Jane pinça les lèvres surprise par la réserve soudaine de l'inspecteur.) Nous avons seulement quelques suspects, du moins pour le moment. La situation est sous contrôle n'ayez crainte.
« Sous contrôle ? Vraiment ? Je ne dirais pas ça alors que l'on rentre dans les locaux de Scotland Yard comme dans un moulin. »
– Je n'ai pas peur inspecteur, répondit effrontément la jeune fille.
Une lueur de défi brilla dans le regard de Jane, en tenant tête ainsi à McColl, elle avait l'impression de défier l'autorité de sa tante, et elle jubilait rien qu'à cette idée. L'inspecteur plissa les yeux.
– Dites-moi, que fait une jeune demoiselle comme vous à se balader seule dans les rues à une heure pareille et sans chaperon ? s'enquit-il en changeant de sujet.
– J'avais un certain besoin de m'aérer, répondit Jane sur le qui-vive.
Il eut un petit rire sec. Il voulait l'effrayer, ennuyé par cette jeune péronnelle un peu trop collante à son goût.
– Si je puis me permettre, ce n'est pas très prudent de se promener seule. Surtout par les temps qui courent.
– Mais enfin, nous sommes en plein jour inspecteur, je ne risque rien, répliqua-t-elle.
Il s'approcha de la jeune femme, il paraissait démesurément grand à cause de son long manteau. Puis il jeta un regard autour de lui pour s'assurer que personne ne les regardait et, comme s'il allait lui révéler un secret, il murmura :
– Jack l'Éventreur ne relâche jamais son attention. Il pourrait tout aussi bien être ici, tout près de vous, et vous suivre sans que vous ne puissiez vous en rendre compte. Savez-vous ce qu'il ressort des rapports des légistes ? On dirait bien qu'il tue aussi facilement que vous et moi cueillons les pâquerettes, Miss.
Le souffle de McColl empestait le tabac froid et Jane frémit quand il s'éloigna. Elle ne sut dire si elle frissonnait à cause de l'odeur âcre du tabac qui lui donnait la nausée, ou bien à cause des paroles intimidantes de l'inspecteur. Quand elle eut enfin repris contenance, elle répondit :
– Qu'essayez-vous de me dire ?
– Disons que je vous fais une recommandation Miss Warren. On ne sait jamais, Londres est une grande ville après tout, mais elle n'est qu'un vague terrain de jeu pour les individus comme Jack l'Éventreur.
– Je croyais que son terrain de jeu ne se limitait qu'à Whitechapel, lança la demoiselle en essayant de lui soutirer des informations le plus discrètement possible.
– C'est loin d'être une garantie. Il n'y a pas de frontière invisible qui nous protège de Whitechapel. S'il décide de gagner du terrain, il le fera. Soyez en sûre.
– Mais vous l'arrêterez à temps, n'est-ce pas ?
L'inspecteur McColl laissa s'échapper un petit rire caustique.
– Naturellement. Toutefois évitez de sortir seule. Le danger est partout. (Il toucha son chapeau en guise d'adieux.) Bonne journée, Miss Warren.
Et il s'éloigna en sifflant un air qui ressemblait à une comptine inquiétante. Ce fut avec une sensation désagréable que Jane rentra chez sa tante.
À peine eut-elle franchi le seuil de la villa Blancksfair que la jeune femme ferma les yeux. Prête à être assaillie par les questions de sa tante sur son absence. Mais au lieu de cela, elle ne trouva personne. Personne pour lui faire des représailles, ni pour la débarrasser de son manteau. « Étrange, peut-être ne m'a-t-elle pas entendue rentrer. Au moins cela me laisse un peu de répit. ». Elle devait avouer que cette rapide entrevue avec l'inspecteur l'avait secouée et tout particulièrement ses paroles étranges. Quel intérêt à effrayer une jeune fille ? La convaincre de s'enfermer à double tours chez elle ? Cela allait à l'encontre de sa stratégie qui visait à rassurer les londoniens. Non, en son for intérieur Jane savait qu'il se tramait quelque chose. Mais quoi ? En attendant son estomac criait famine et elle s'obligea à affronter sa tante, il le fallait bien.
Quand elle s'avança vers le salon, elle y découvrit tante Helen, ses lunettes sur le bout du nez. Les plis sérieux qui barraient son front trahissaient la concentration extrême dont elle usait pour lire le bout de papier entre ses doigts. Si bien qu'elle ne s'était même pas aperçue de la présence de sa nièce.
– Tante Helen ?
Surprise, Helen replia rapidement ce qui ressemblait à une lettre et la dissimula dans les plis de sa robe.
– Que lisiez-vous ? demanda Jane.
Helen blêmit malgré elle.
– Rien de très important, très chère.
– Vous êtes sûre ? Est-ce que tout va bien ?
– Oui... Oui. Tout va bien. Cesse de te tracasse veux-tu ? Ce n'est là qu'un bout de papier, assura Mrs Blancksfair en balayant les soupçons de Jane d'un revers de la main. Mrs Donegall m'écrit juste pour me dire qu'elle est souffrante, et que par conséquent elle ne pourra être présente pour la réception en l'honneur de l'anniversaire de Julie. À vrai dire je comptais sur sa présence pour permettre à Julie d'élargir son cercle...
Devant le regard circonspect de sa nièce, Helen se redressa vivement, agacée.
– Ce courrier m'est adressé, personnellement. Ne t'imagines rien d'alarmant. Et puis cela ne te concerne pas. Où étais-tu d'abord ? Ne me dis pas que tu étais encore dehors ? J'ai été pourtant formelle l'autre soir !
« Ironique, voilà un beau retournement de situation... » Commenta Jane silencieusement. Le regard perçant de sa tante lui rappela celui de McColl. L'espace d'un instant elle se retrouvait de nouveau face à l'inspecteur et son odeur de tabac froid, elle frissonna.
– Je cherchais un cadeau pour l'anniversaire de Julie, mentit finalement Jane.
Helen parut réellement surprise de la réponse de sa nièce. Apparemment elle s'attendait à un mensonge plus cocasse de sa part, cela ne l'empêcha pas de demeurer raide comme une poupée de cire retenue par un fil invisible.
– Oh. Parfait, déclara simplement tante Helen. J'espère que tu auras le temps de le trouver avant la réception.
La jeune fille hocha la tête avant de s'éclipser d'un pas rapide. Malgré tout, Jane n'était pas convaincue par la sérénité feinte de sa tante. « Cette enquête me rend paranoïaque. »
Oui, je plaide coupable, avec cette partie de chapitre j'ai voulu faire une petite pause et en profiter pour semer un peu le trouble. Histoire que l'enquête n'occupe pas constamment la première place dans votre esprit ;)
A vos claviers !
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