Chapitre 5 (2) (corrigé)


– William. Qu'est-ce que... c'est que... cela ? l'interrogea Jane avec une fausse tranquillité, pointant un index accusateur sur la jeune femme dénudée.

– Je peux tout expliquer, tenta se justifier Will.

– Il n'y a rien à expliquer, rétorqua Jane. Je vous paie une chambre d'hôtel afin que vous puissiez travailler et vous... vous ne trouvez rien de mieux à faire que de vous en servir pour inviter des... des femmes pour prendre du bon temps avec elles ?! Vous êtes immonde William !

Sur ces mots, elle tourna furieusement les talons et quitta la chambre accompagnée par le son sec de ses petits talons. Will jura en levant les yeux au ciel puis s'élança à sa suite, la priant de bien vouloir revenir.

La femme serra son drap contre elle et passa une main dans ses cheveux dénoués. Se retrouvant seule dans la pièce.

– Bon, je pense qu'il est temps pour moi d'y aller, déclara-t-elle calmement.

– Jane ? Jane ! Revenez bon sang !

– Vous savez quoi, Mr O'Brien ? Faites-moi le plaisir de m'oublier, moi, et cette enquête ! Retournez donc à vos occupations. Quant à moi, je mènerai mon enquête toute seule !

– Jane ! S'il-vous-plaît, Jane ! s'écria Will en la retenant par le bras et comme elle se débattait, il la plaqua contre le mur, lui immobilisant les deux bras. Jane, écoutez-moi ! Cette femme était là pour l'enquête.

– Vraiment ? Alors vous enquêtez dans un lit, vous ? objecta-t-elle.

– Cette femme était une amie de Judy.

– Oh oui bien sûr alors cela excuse tout... releva-t-elle sarcastique. Et vous n'avez rien trouvé de mieux à faire que de ramener un témoin clé dans votre lit ?!

– Arrêtez de jacasser et écoutez-moi un peu ! J'ai trouvé Ronda... (Will s'interrompit car l'intéressée arriva au même moment et offrit un clin d'œil charmeur au jeune homme, elle le gratifia d'un superbe sourire accompagné d'un petit signe de la main en guise d'adieux.) Je pense qu'il serait plus confortable de discuter dans la chambre.

Il ne laissa pas le temps à Jane de négocier qu'il l'agrippa sous le bras et la força à grimper les escaliers pour retourner à sa chambre. Quand ils y arrivèrent, Will la poussa dans la pièce et prit le soin de refermer la porte à clé derrière lui. Il glissa la clé dans une poche de son pantalon sachant pertinemment que la jeune fille serait bien incapable de venir la chercher à cet endroit.

– Bien, maintenant que j'ai toute votre attention, nous pouvons enfin discuter.

Il prit une des chaises autour de la table et s'y assit, invitant Jane à faire de même. À contrecœur elle s'installa.

- Permettez-moi de vous expliquer ce que j'ai appris durant la nuit.

– Laissez-moi deviner, vous avez révisé l'anatomie féminine, j'imagine ?

– Pas la peine de réviser, je suis incollable sur le sujet, reprit Will avec un sourire faussement affable. (À ces mots le sourire narquois de Jane s'évanouit et ses joues rougirent.) Maintenant si vous voulez bien avoir l'obligeance de m'écouter, Miss Warren, je vais commencer. Bien. Hier soir j'ai lu les derniers journaux sur la découverte du corps de Judy Browler, commença-t-il. Je connais assez bien le quartier de Whitechapel, alors j'ai décidé d'aller y faire un petit tour. J'ai interrogé plusieurs prostituées qui travaillaient dans le coin ce soir-là jusqu'à ce que je tombe sur Ronda, une amie de Judy. Elle m'a appris qu'elle l'avait en partie initiée au métier de la rue et que Judy ne venait pas du Pays de Galles comme le disent les journaux, mais de Newcastle. D'après ce que sait Ronda, Judy avait quitté sa famille après que sa mère se soit suicidée et que son père ait petit à petit sombré. Il la battait. Il n'y avait qu'une seule solution pour la malheureuse : la fuite. Pour une fille de la campagne sans le sous la seule option pour survivre c'est le trottoir.

Jane sentit son cœur se serrer. Elle n'imaginait que trop bien la vie douloureuse de Judy. Les mots crus qui sortaient de la bouche de Will l'y aidaient.

– Ronda l'a aidée. Elle a essayé de rendre la vie un peu plus douce à Judy. Nous ne sommes peut-être pas aussi aimables que les aristo', mais entre gens de la rue, on sait être solidaires. À notre manière cela s'entend.

L'emploi de ce « on » était de circonstances, il en disait beaucoup sur les pensées du jeune homme. La remarque cynique de Will n'était pas passée inaperçue dans les oreilles de Jane qui ne pipa mot. Pour cela il n'avait pas tort, le moins que l'on puisse dire était que la demoiselle n'avait jamais vu un Lord accueillir un ivrogne dans son manoir... Du moins, pas quand l'ivrogne en question était un membre de son cercle intime...

- Ce n'est pas tout, reprit l'Irlandais. Il se trouve que Miss Browler travaillait souvent au Ten Bells, un endroit glauque dans lequel il se passe d'étranges choses selon les dires de Ronda. Elle y a suivi Judy quelques fois, mais il paraît que les clients sont assez spéciaux là-bas, si vous voyez ce que je veux dire. Enfin non vous ne pouvez pas savoir puisque vous ne savez même pas ce qu'est un bordel...

Un bordel ? Diable non elle ne pouvait pas savoir comment les choses se passaient là-bas ! Une dame ne met pas les pieds dans ce genre d'endroit. Et ce n'est pas un mot que l'on entend dans une conversation courtoise.

- Je... Je sais parfaitement ce qu'est un... ce genre d'endroit Mr O'Brien ! s'insurgea Jane.

Un sourire goguenard naquit sur les lèvres de William qui ne se priva pas pour pouffer de dédain sous le nez de la jeune fille qui haussa un sourcil.

- Quelque chose vous amuse peut-être, Mr O'Brien ?

- Oui. Mais je suis beaucoup trop courtois pour vous le dire. J'aurais trop peur de m'attirer vos foudres, releva-t-il d'un ton insolent. Quoi qu'il en soit, j'ai une information pour vous. Miss Browler avait surtout un client récurrent : Mr Fulton.

– Vous voulez dire Eliott Fulton ? Le politicien ? s'étonna Jane.

– Exactement, confirma Will les yeux étincelants. Et je pense très sincèrement que ce Mr Fulton a quelque chose à voir avec la mort de Judy.

– Mais pourquoi un politicien aussi célèbre assassinerait-il une prostituée ? C'est un homme très influent, il a les moyens d'obtenir tout ce qu'il désire. À quoi bon éliminer une fille de joie ? Cela n'a aucun sens.

Si Will aurait pu être choqué d'entendre un tel langage dans la bouche de la jeune fille il n'en montra rien.

– Sauf si la fille en question a des informations compromettantes sur ce cher Mr Fulton, suggéra Will. Je mettrais ma main à couper qu'il traine quelques casseroles.

– Vous allez vites en besognes.

– Rappelez-vous ce que je vous ai dit, la coupa Will. Ne faites confiance à personne. Oubliez tout ce que vous savez. Les journaux ne nous disent pas tout Jane.

Will avait raison, elle ne pouvait le nier. Il était on ne peut plus sérieux, si bien qu'elle sentait que c'était l'expérience qui parlait et plus le jeune fanfaron. Elle savait ce qui lui restait à faire, la suite des événements était très claire dans sa petite tête.

– Dans ce cas, il faut en apprendre plus sur Fulton, déclara-t-elle.

– C'est exactement ce que je voulais vous entendre dire.

– Seulement quelque chose m'intrigue : la correspondance retrouvée. Il faudra l'analyser je sens que c'est très important...

– Fulton dira peut-être quelque chose à ce propos, supposa Will.

– En fait j'aimerais la voir de mes propres yeux, insista Jane.

– Oui, je vois. Et naturellement vous comptez vous présenter à la porte de Scotland Yard et simplement leur demander avec un grand sourire niais de vous confier ces lettres ? Oh et puis pourquoi pas en parler autour d'un thé avec eux à l'occasion ?

Jane fronça les sourcils. Pour qui diable la prenait-il ? Elle savait bien que la correspondance se trouvait entre les mains de Scotland Yard ! Elle avait réfléchi à un moyen de se la procurer, et l'arrivée hasardeuse de Will dans ses plans tombait pour le moins à pic.

– Vous lisez dans mes pensées Mr O'Brien ! s'exclama-t-elle sur le même ton, puis elle se pencha par-dessus la table et ses prunelles bleu-gris scrutèrent attentivement le jeune homme. Vous allez voler les lettres pour moi.

Will la considéra un instant, il sourit en se redressant sur sa chaise et croisa les bras sur son torse.

– Quoi ? demanda-t-il simplement. Je crois que j'ai mal entendu.

– Vous m'avez parfaitement comprise, rectifia Jane. Allons et moi qui croyais que vous étiez le plus grand voleur de l'Histoire ?

Une lueur naquit dans le bleu profond des yeux de Will. Elle dansait avec force dans ses iris pétillant de malice. Comme si Jane avait éveillé en lui une flamme dangereuse.

– Serait-ce une provocation Miss Warren ?

– C'en est une, Mr O'Brien.

Will s'était lancé dans la concoction d'un plan particulièrement douteux. Jane n'y avait pas vu le moindre inconvénient jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle ne faisait pas partie de ce fameux plan. Alors elle avait protesté avec véhémence que si une condition lui tenait à cœur c'était de participer à sa propre enquête. Will lui avait répété que ce qu'il s'apprêtait à faire n'était pas fait pour les petites choses de sa trempe. Chose à laquelle Jane avait répliqué avec force qu'elle était assez forte pour assumer cette enquête jusqu'au bout, et cela, elle comptait bien le lui prouver. Elle avait solennellement juré qu'elle ferait tout ce qu'il lui dirait de faire et avait promis de ne pas être gênante en croisant les doigts dans son dos bien sûr. Le voleur avait été contraint d'accepter, muni d'un sourire diabolique, il lui offrit une chance de faire ses preuves. Si elle échouait, elle le laisserait diriger les opérations en restant à l'écart.

Hors, Jane avait omis un léger détail... La fichue pièce de théâtre et le dîner chez les Carroll. Elle se garda bien d'en parler à Will qui aurait saisi l'occasion pour mieux la cantonner cher elle. Jane avait suggéré qu'une heure tardive serait plus appropriée, histoire de ne pas se faire remarquer, ce à quoi Will avait exprimé son accord. Plus tard il serait, mieux cela serait et ainsi ils pourraient commencer l'opération Fulton.


Cela dit Jane ne savait rien de ce que Will lui réservait, et pour cause cet imbécile arrogant gardait farouchement le secret en se faisait un malin plaisir de voir la demoiselle s'irriter. Elle rentra donc chez elle le cœur battant la chamade, avec la hâte d'être au soir.

Quand elle passa le pas de la porte de la maison, elle se figea, se rappelant subitement que le matin même elle était partie en claquant la porte au nez de sa tante. « Aïe. Je vais me faire punir une fois de plus. » Et elle ne se trompa pas. À peine eut-elle fermée la porte que sa tante bondit comme une furie et se retrouva à nez à nez avec Jane, à seulement quelques centimètres d'elle. Mrs Blancksfair bouillait comme un chaudron de lave si bien que pendant une seconde Jane crut que sa tante allait lui arracher la tête, littéralement.

– D'où viens-tu ?!

– Je... Je prenais l'air, bredouilla Jane dont la confiance matinale s'était évaporée.

– Ne te moque pas de moi ! admonesta la tante.

Dans un excès de colère, elle gifla sa nièce. Ce fut si impromptu que Jane en resta pétrifiée, elle avait du mal à se rendre compte de ce que sa tante venait de faire. Elle la croyait capable de bien des punitions, mais jamais de la gifler.

Elle porta la main à sa joue chaude et resta ébahie pendant que sa tante reprit d'un ton sévère :

– Ne t'avise plus jamais de me répondre comme ce matin, c'est compris ? Et encore moins de t'enfuir alors que je te parle. La prochaine fois la sanction sera plus sévère encore, il est temps que tu apprennes à te comporter comme il se doit. Me suis-je bien faite comprendre ?

Jane haussa les sourcils, interloquée par tant de véhémence, elle hocha difficilement la tête, le regard lançant des éclairs alors que sa joue brûlante l'élançait. Helen se fichait bien de la rancune que sa nièce pouvait avoir, elle avait promis d'assumer son rôle de mère de substitution jusqu'au bout, et c'était ce qu'elle ferait. Qu'importe les frasques de sa nièce, Helen Blancksfair ne lâcherait jamais l'affaire. Jane avait beau être féroce pour son âge, Helen l'était davantage.

Mrs Blancksfair lui tourna le dos, s'éloignant drapée dans son aura de fureur. Julie, du haut des escaliers, avait tout vu et tout entendu. En soupirant, elle regagna sa chambre.

Jane avait passée l'après-midi enfermée dans sa chambre. On ne lui avait pas permis de sortir pour le repas, alors elle avait enlevé sa robe lourde et détaché son corset qui l'empêchait toujours autant de respirer. Elle s'était allongée négligemment sur son lit en sous-vêtement, n'en déplaise, et avait continué à lire Orgueil et préjugés de Jane Austen. « Quitte à embêter le monde, autant le faire jusqu'au bout ! »

Lasse, elle soupira. Ces histoires de famille dans lesquelles on s'évertuait à marier les filles aux meilleurs partis l'ennuyaient. « Pourquoi vouloir à tout prix agir ainsi ? » Non, vraiment elle avait du mal à en saisir l'intérêt. Elle avait pourtant bien compris qu'il s'agissait d'une histoire de confort matériel, mais de là à se fatiguer à la tâche... Non, elle ne comprenait pas.

Elle se demanda une seconde qui serait l'heureux élu lorsque sa tante déciderait de jouer les entremetteuses. Elle tenta d'imaginer à quoi il ressemblerait, mais la seule certitude qu'elle avait à son sujet était qu'il aurait sûrement le porte-monnaie lourd. Et dire que Julie n'attendait que la bague au doigt !

Will s'immisça dans ses pensées. Elle l'imagina au bras d'une belle dame fortunée, Dieu qu'il serait élégant dans son habit de cérémonie. Et l'aimerait-il ? Lui qui semblait sans cœur. Elle se remémora la scène de ce matin, lorsqu'elle avait découvert cette fille dans la chambre... Avaient-ils passés la nuit ensemble ? Cela ne faisait aucun doute. « Oh et puis peu importe ! Cela ne te regarde pas. » Un bruit la sortit de ses songes.

C'était Lizzie qui entrait avec un énorme paquet sous le bras, qu'elle laissa tomber lourdement sur le lit de Jane. Elle essuya son front avec le dos de sa main et poussa un long soupir de soulagement. Jane se leva pour aller examiner le paquet qu'elle ouvrit pour en sortir la robe commandée il y avait peu.

– Elle est arrivée ce matin, en même temps que celle de mademoiselle Julie. Mrs Blancksfair m'a demandé de vous l'apporter et de vous préparer pour votre sortie au théâtre, déclara la jeune femme de chambre.

Jane acquiesça, elle n'avait toujours pas plus envie que cela que d'y aller, voire plus du tout. Mais avait-elle vraiment le choix ?

Elle souleva le couvercle du paquet et retint son souffle. Sa robe était splendide, une pure merveille d'un rouge éclatant, agrémentée de rubans bordeaux et dorés. Des motifs cousus au fil d'or avec raffinement donnaient une couleur satinée à la robe, comme le soleil qui se reflète sur la Tamise lorsqu'il entame sa descente les soirs d'été. La robe faisait son effet et, pour couvrir ses épaules nues, Jane devrait se munir d'un châle. La demoiselle avait assortit le tout d'une paire de gants ivoires pour trancher avec l'écarlate de sa tenue.

Lizzie se chargea de donner un air plus élégant et sophistiqué à sa coiffure, bouclant ses cheveux et décorant son chignon las avec des épingles et des perles. Qu'est-ce qu'elle était belle apprêtée de la sorte ! Si elle avait réellement appartenu à l'aristocratie, l'on aurait pu croire qu'elle allait être présentée à la Reine !

Après un départ chargé de tension, dans leur voiture la famille Blancksfair traversa bien des rues pour arriver dans le West End, au cœur des beaux quartiers de Londres. Les Carroll n'étaient pas de ceux qui s'enfermaient dans le cercle extrêmement restreint de l'aristocratie, cela dit ils refusaient catégoriquement d'être traités comme de petits bourgeois. Comment appelle-ton une famille d'ascendance noble déchue de son rang et qui se comporte comme des bourgeois pernicieux ? C'était exactement l'image que renvoyait la famille Carroll.

Leur demeure se trouvait dans le très chic quartier de Mayfair : au milieu des maisons mitoyennes et lumières dansantes des autres appartements, des façades accueillantes et des grilles en fer forgé, des larges fenêtres aux rideaux d'émeraude... Tout ici respirait le luxe. L'intérieur était éclairé comme en plein jour par de grands lustres, le salon était rutilant si bien que Jane se demanda si elle était vraiment venue ici, n'ayant que quatorze ans lors de sa dernière visite.

Mary descendit des escaliers en ouvrant grands les bras comme une reine au beau milieu de sa petite cour, un sourire radieux sur les lèvres. La petite femme blonde portait une robe rose avec des ornements de perles de toutes parts et des bijoux pleins les poignets, si on la jetait dans la Tamise elle coulerait certainement se moqua Jane. Mary était suivie par son mari Douglas, un grand Américain dégingandé brun aux yeux noirs à l'air constamment malade. À Londres, l'on avait une certaine idée des Américains, et si l'image du self-made man ambitieux et arriviste pullulait dans les esprits, Douglas était pour ainsi dire la parfaite antithèse. Douglas Carroll était un homme assez effacé et cela n'était pas pour déplaire à Mary qui adorait se complaire dans son rôle de femme maîtresse.

Quand Mary embrassa Jane, la demoiselle constata qu'elle était toujours aussi fardée. Évidemment Mary s'extasia devant Julie, elle ne cessa de lui répéter à quel point elle était devenue une jeune femme merveilleuse, qu'elle était élégante et digne d'être un modèle de peintre. Julie avait toujours été la préférée de Mary, suivie de Maureen, quant à Jane, elle avait le don particulier d'irriter Mary Carroll.

Mrs Carroll était très attachée à la fameuse étiquette anglaise, tout comme tante Helen, dans une moindre mesure. Mary Carroll avait d'ailleurs reproché à Mrs Blancksfair son manque de poigne quant à l'éducation de sa jeune nièce, elle l'avait conseillée comme si elle était une mère exemplaire ou une experte en la matière, fort heureusement, tante Helen ne l'avait écoutée que d'une oreille distraite.

Quand elle eût fini de se pâmer devant ses invités, Mary se tourna vers Jane.

– Jane ! Ce que vous avez grandi ma chère, s'exclama-t-elle d'un ton faussement affable. Vous m'avez l'air plus... Plus posée. J'espère que ce ne sont pas là que des impressions.

– Mrs Carroll, je crois pouvoir affirmer que la sagesse n'est pas nécessairement une histoire d'âge, en cela je crains de ne pouvoir vous donner raison, répondit Jane sur le même ton.

Mrs Carroll laissa échapper un couinement de dédain et une mine suffisante tira ses traits d'aristocrate effarouchée. Elle décida de reporter son attention sur des invités dignes de ce nom plutôt que perdre son temps avec cette petite impertinente. La maîtresse de maison fit donc installer la famille Blancksfair dans le grand salon avec ses meubles chics à la dernière mode et son lustre en cristal qui brillaient de mille feux, au milieu des longs rideaux de velours et des tissus fantastiques des fauteuils.

Julie s'émerveilla de tout ce luxe, c'était exactement dans ce genre de milieu qu'elle souhaitait faire sa vie. En fait la belle rousse n'avait d'autres aspirations que de vivre dans une cour... Sa propre cour. Elle se laissa lascivement tomber sur le large canapé émeraude, imitée par Mary et sa mère, Douglas s'assied timidement à côté de sa femme extravagante qui rit aux éclats.

– Où sont mes fils ? Douglas, voulez-vous bien aller chercher mes garçons s'il vous plaît ? lui demanda Mary.

Le pauvre mari accepta docilement, il n'avait toujours pas d'autorité face à sa femme. Jane savait que Mary gérait tout dans la famille, elle était la maîtresse de maison et aussi celle qui tenait en laisse son mari et ses enfants. Elle choisissait où investir, qui étaient les meilleures banques et les plus belles boutiques. Décidait de qui il fallait fréquenter ou pas. Une femme moderne en somme.

– Bien, en attendant si nous allions nous rafraîchir ? s'exclama Mary.

– Excellente idée, confirma Helen.

– Je viens aussi, ajouta Julie.

Mrs Carroll sonna une petite clochette et une flopée de domestiques apparut, plateau garni à bout de bras. Tout le monde se fit servir mais Jane n'avait pas soif. Elle ne voulait rien ingurgiter tant son estomac était noué. La jeune fille se dirigea vers la grande fenêtre miroitante pour s'isoler un instant de ce vacarme pompeux, observant la brume qui submergeait la ville, l'air pensif. Au-dessus du pesant brouillard, les cheminées des usines avaient cessé de fonctionner et des silhouettes joyeuses se mouvaient à travers les vitres des villas environnantes, tandis qu'à quelques rues d'ici de pauvres malheureux souffraient de la faim et du froid. « Qui mourra ce soir ? » Songea Jane dont les pensées morbides se dirigeaient vers l'East End.

Julie se rapprocha de sa cousine qui rêvassait, isolée dans son coin.

– Ne veux-tu donc rien boire ? lui demanda-t-elle.

– Non merci, je n'ai pas très soif, répondit Jane. (Lorsqu'elle regarda sa cousine, Jane remarqua que ses taches de rousseurs avaient disparu). Julie, qu'as-tu fais à ta peau ? On ne voit même plus tes taches de rousseur !

– Oh ! Cela... Hum, oui... J'ai sans doute eu la main lourde sur la poudre de riz, badina-t-elle. Je sais qu'on considère souvent le maquillage d'un mauvais œil, mais je n'aimais pas ces taches, cela me donnait un air bien trop enfantin à mon goût.

– Je trouvais cela joli, moi.

– Certes, mais je me fiche de ton avis. Nick s'attend à voir une vraie femme devant lui, pas une petite fille.

Ainsi quand elle acheva ses explications, Douglas se joignit à la petite assemblée accompagné par un jeune homme. Grand et mince, cheveux bruns pleins de pommade plaqués sur son crâne, ses yeux noirs balayaient la salle avec intérêt quand ils se posèrent sur les deux jeunes filles.

Nick Carroll.

Un sourire en coin étira ses lèvres minces et il s'approcha des demoiselles, élégamment apprêté dans son habit de soirée. En l'apercevant, un sourire béat illumina le visage de Julie qui sembla soudain plus gauche et gourde sous le regard atterré de Jane. Nick Carroll s'arrêta à leur hauteur et leur sourit poliment.

– Miss Julie ! Comment allez-vous ? Depuis tout ce temps, s'exclama-t-il. Vous revoir me fait chaud au cœur.

– Je vais bien, enfin mieux maintenant que vous êtes là, murmura-t-elle non sans rosir de plaisir. Et vous ? Je veux tout savoir !

– Bien, je vous remercie. J'ai bien failli ne pas vous reconnaitre, le temps porte souvent préjudice aux femmes, quant à vous, il n'a fait que vous rendre encore plus belle. Vous êtes absolument ravissante ! la flatta Nick avant de reporter son attention sur Jane, il la détailla du regard en s'arrêtant sur ses hanches, sa poitrine et enfin ses lèvres. Miss Jane. Jamais je ne vous aurais reconnue. Quelle surprise, qui aurait cru que l'hideux petit crapaud de mon enfance deviendrait un véritable cygne ?

– Visiblement il a fallu que l'un de nous s'élève vers le ciel tandis que l'autre est condamné à rester cloué au sol, répliqua Jane. Bonsoir, Nick. Comment étaient la Chine ?

– Il faut bien que l'un contemple l'autre, répondit Nick d'un ton évasif. La Chine ? Fabuleux, le paysage y est absolument divin.

– Certainement, quel est le plus fabuleux entre le paysage et les femmes ?

– Jane ! s'écria Julie. Quelle grossièreté, la réprimanda la jolie rousse. Tu es offensante. Nick, je suis vraiment navrée, il semblerait que ma cousine ne soit pas d'humeur ce soir. Que diriez-vous de la laisser à ses idées moroses et d'aller nous rafraichir ? s'enquit-elle en glissant son bras sous celui du jeune Carroll. Ma mère et moi sommes curieuses de connaître davantage les coutumes des pays que vous avez visités.

Ils s'éloignèrent pour le plus grand bonheur de Jane et alors que la petite foule s'égayait entre les mets délicieux et les vins raffinés, elle scrutait l'horizon. À vrai dire, elle se demanda ce que Will lui avait concocté comme plan.

Elle jeta de temps à autre une œillade vers sa cousine qui tentait de séduire cet imbécile de Nick Carroll. Inutile de préciser qu'elle n'aimait guère Nick ; enfants ils se battaient souvent, le garçon était convaincu d'être le plus fort. Tout cela à cause d'une mère qui traitait son fils comme un prince. Nick avait beau avoir vingt-quatre ans cela n'empêchait pas qu'il soit toujours aussi idiot et capricieux aux yeux de Jane. Elle n'avait pas du tout aimé la façon dont il l'avait déshabillée du regard. Elle avait trouvé cela impoli et avait dû contrôler son irrésistible envie de lui donner un coup de genoux dans ses parties génitales.

Ceci dit, l'attitude de Nick la confortait dans son idée qu'elle devait éloigner cet individu nuisible des yeux langoureux de Julie.

– Jane ? résonna une voix derrière elle.

– Oui ? (Elle se retourna pour se retrouva nez à nez avec un jeune homme qu'elle eut peine à reconnaître.) Bryan ? s'étonna-t-elle.

– Oui, rit gentiment le jeune homme. Cela fait longtemps, n'est-ce pas ?

– En effet !

Le jeune homme lui offrit un magnifique sourire. Elle n'en revenait pas de voir à quel point il avait changé. La dernière fois qu'elle l'avait vu, Bryan Carroll n'était encore qu'un adolescent d'une quinzaine d'année, petit et si gourmand qu'il fallait faire venir un tailleur une fois par mois pour ajuster ses costumes !

À présent, le jeune garçon qu'elle avait connu avait bien changé ; il avait grandi et s'était affiné, ses cheveux mordorés étaient peignés et coupés courts alors que ses yeux noisettes contemplaient la jeune femme qu'était devenue son amie. Quelque chose dans son attitude lui donnait un air plus masculin. Ainsi il avait perdu ses traits d'enfants.

– Vous êtes très élégante, bredouilla timidement Bryan en baissant les yeux.

Jane sourit, non, il n'avait pas changé en fin de compte.

– Je vous retourne le compliment, répondit Jane.

Voilà la suite et avant dernière partie de ce chapitre ! :)

Ceci est la version réécrite.

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