Chapitre 27 (2) (corrigé)
Le soleil commençait à peine à poindre à l'horizon lorsque Jane sentit qu'on lui touchait l'épaule. Elle s'éveilla, épuisée de son sommeil sans rêves. La jeune fille avait sombré après des heures d'inquiétude et puisqu'elle avait refusé de se reposer, on l'avait obligée au moins à se laver la figure et à subir une auscultation minutieuse. Seulement les blessures de Jane ne se trouvaient pas tant sur son corps, mais bien dans son cœur et son esprit qui se flagellait de remords. Son supplice ne faisait que l'affaiblir davantage, infini comme un long corridor sombre dont elle avait l'impression qu'elle ne sortirait jamais.
On avait posé une couverture sur ses épaules pour éviter qu'elle n'attrape froid, mais elle frissonna tout de même lorsqu'elle sortit de sa léthargie. La première chose qu'elle vit fut un Simon Palmer aux cernes marqués, une mine indubitablement fatiguée.
- Comment va-t-il ? l'interrogea Simon.
Le journaliste s'était accroupi face à Jane et la détaillait, l'air inquiet.
- Je ne sais pas... On refuse de me dire quoi que ce soit... avoua la jeune fille d'une voix éraillée d'avoir trop pleuré, elle serra sa couverture contre elle. J'espère qu'il va se réveiller bientôt.
- Je l'espère aussi.
Il demanda à Jane l'autorisation de s'asseoir à côté d'elle, ce qu'elle lui donnât. Simon inspira, las, il n'avait pas beaucoup dormi cette nuit. Il frotta son visage et ses yeux rougis par le manque de sommeil. Son esprit perspicace de journaliste ne l'avait pas quitté une seule seconde depuis qu'il avait trouvé Jane et Will dans l'entrepôt. Il avait trouvé inconvenant de l'assaillir de question dans l'immédiat mais à présent, il désirait obtenir des réponses.
- Miss Warren, vous êtes libre de refuser mais... J'aimerais que vous m'éclairiez sur quelques points, si vous le voulez bien.
Jane lui jeta un drôle de regard, ses iris bleus-grises le dévisagèrent, mais Simon savait que ces prunelles habitaient tout un monde de secrets, et il comptait bien les découvrir. Elle hésita, la situation n'avait franchement rien de propice à cela. Mais après tout, elle lui devait bien cela, ce serait grâce à lui si Will s'en sortait.
- Je vous écoute, Mr Palmer.
- Que s'est passé ?
Il y eut un silence avant que la jeune fille ne décide de se laisser aller aux confessions.
- Je savais qui allait être la prochaine victime de Jack l'Éventreur, avoua Jane de but en blanc. (Devant cette révélation qui illumina le visage de Simon, elle s'empressa de devancer sa question.) J'ai mes sources moi aussi, Mr Palmer. J'ai alors décidé de me déguiser pour tendre un piège à Jack. Je pensais que si je parvenais à le prendre la main dans le sac... J'avais tous les moyens à disposition pour le faire. (Et comme pour imager ses paroles, elle sortit le revolver volé qu'elle avait caché à sa ceinture sous le regard écarquillé du journaliste.) Malheureusement rien ne s'est passé comme prévu... Capucine Green est morte... Je n'ai rien pu faire...
Le regard de la demoiselle se perdit dans le vide. Elle venait de prendre conscience de son échec, ou plutôt de ses lamentables tentatives miséreuses qui n'ont fait que lui créer des problèmes. Capucine Green était morte. Jack l'Éventreur enfuit ou mort, Will dans un état critique, et elle avait bien failli y laisser la vie. Cette dernière pensée la bouleversa. Elle avait failli mourir. Si Will ne l'avait pas poussée, elle serait sans doute à la morgue à l'heure qu'il était.
Elle sentit les larmes piquer de nouveau ses yeux. Alors elle inspira un grand coup, afin de retenir ces détestables petites gouttes d'eau salées qui menaçaient de dévaler ses joues à tout moment. Il était absolument hors de question qu'elle se laisse aller, qu'elle montre un quelconque signe de faiblesse. Jane se focalisa donc sur le blanc aveuglant de ses bandages pour dompter sa faiblesse et reprit son récit.
- Vous aviez raison. Maxwell Walter était là, avec Capucine Green, à la Maison du Lys. Nous poursuivions Maxwell Walter. Je me suis retrouvée nez à nez avec lui dans l'entrepôt, il pointait une arme sur moi. Puis tout s'est passé très vite ; Will est arrivé, il a hurlé mon nom, a crié qu'il s'agissait d'un piège et...
Jane s'interrompit brusquement dans la narration de son histoire. « Il a hurlé mon nom et il a crié qu'il s'agissait d'un piège... » Répéta-t-elle silencieusement. Son regard se perdit sur le sol. « Qu'il s'agissait d'un piège... »
Simon Palmer sentit que quelque chose se passait, la jeune fille tapotait son index sur ses lèvres. Bien que silencieuse, le journaliste n'eût aucun mal à imaginer les rouages de son cerveau s'échauffer.
- Qu'y a-t-il ?
- Un piège... Mr Palmer, je crois qu'on m'a tendu piège, déclara Jane, l'éclair de la révélation illuminant son visage si terne depuis quelques heures.
- Expliquez-vous, demanda Simon attentif.
- On m'a informée de l'identité de la prochaine victime volontairement, tout comme du lieu... On a tué Capucine Green alors que je n'étais qu'à quelques mètres. J'ai vu Maxwell Walter amener Capucine dans une chambre, mais je ne l'ai pas vu sortir de la chambre... J'ai seulement entendu des hurlements tandis qu'il s'enfuyait. Je l'ai suivi et il s'est dirigé dans un endroit bien précis. Il aurait pu me semer, me tirer dessus, puisqu'il était armé depuis le début. Mais il s'est réfugié dans l'entrepôt puis c'est seulement à ce moment-là qu'il a braqué son révolver sur moi. Cet entrepôt en particulier. Qu'y avait-il dans ces caisses en bois ? l'interrogea-t-elle en braquant un regard perçant sur son visage.
- Rien de particulièrement dangereux, je crois que l'inspecteur a mentionné du textile... répondit Simon.
- Donc l'entrepôt était piégé. Et tout était soigneusement minuté. Mr Palmer... Je crois qu'on a tenté de m'assassiner. Non, en fait je pense qu'on a voulu m'effrayer. Vous dites qu'on n'a pas retrouvé le corps de Mr Walter. Qu'est-ce que cela signifie ? Je veux connaître toutes les options possibles, lui demanda Jane.
Simon examina avec minutie son interlocutrice. Un réflexe du journaliste sagace qu'il était.
- Je reviens de l'entrepôt, Scotland Yard a passé la nuit sur les lieux et les a passé au peigne fin, expliqua le journaliste. Si le corps est introuvable, on peut imaginer deux options : soit Maxwell Walter, puisque c'est l'individu que vous dites avoir reconnu, s'est enfui, soit quelqu'un a enlevé le corps.
- Était-il possible que Mr Walter puisse fuir ? Il était au cœur de l'explosion quand celle-ci a eu lieu. Will et moi avons failli y laisser notre peau !
- Pas s'il avait un complice pour le tirer d'affaire. S'il a été assez rapide, et qu'il avait connaissance des lieux, il a très bien pu s'y cacher et fuir grâce à une aide extérieure une fois l'explosion passée. Ceci pourrait confirmer votre théorie du piège.
- Je vois, comprit Jane. Dans le cas contraire il semblerait qu'une tierce personne soit impliquée.
- Miss Warren, quelque chose me turlupine, l'interrompit Simon. Vous parlez d'un piège, comment en êtes-vous si sûre ? Avez-vous quelque chose à me dire ?
- Maxwell Walter a eu l'occasion de me tuer. Il en avait les moyens. Si je constituais vraiment une gêne, il n'avait qu'à appuyer sur la détente, répliqua Jane avec une insensibilité surprenante. Mais il ne l'a pas fait. Il paraissait même apeuré à l'idée de presser la détente...
Devant l'intérêt non dissimulé du journaliste, elle ajouta :
- Cet homme a vu des cadavres toute sa vie. Mais je doute qu'il ait l'étoffe d'un tueur. Admettons qu'il tue des prostituées de sang-froid, les découpe dans la plus grande sauvagerie et prélève leurs organes. Ce n'est pas le portrait d'un homme hésitant, bien au contraire, c'est l'œuvre d'un tueur impulsif et expérimenté. Jamais il n'aurait hésité à se débarrasser de moi une seule seconde, or il ne l'a pas fait.
- Peut-être ne s'attendait-il tout simplement pas à être pourchassé, suggéra Palmer. Miss Warren, sans me vanter, j'ai toujours eu un instinct remarquable quant à deviner la véritable nature des individus. C'est pour cela que je suis le meilleur. (Jane ne pouvait rien objecter à cela, c'était bien vrai, Simon Palmer était réputé dans tout Londres pour ses qualités que certains qualifiaient presque de « surnaturelles ».) Je peux vous assurer que derrière la bête se cache un homme. Jack l'Éventreur n'a rien de différent, c'est un être tout ce qu'il y a de plus humain, bien que ce dernier ait cédé à ses pulsions démoniaques depuis un bon bout de temps. Ce que je veux vous dire, c'est que certaines réactions sont imprévisibles, et que nos émotions sont parfois les seuls moteurs de nos actions. Jack a peut-être été déstabilisé par votre comportement, il n'a pas su l'anticiper et vous l'avez forcé à agir contre son naturel dans un certain sens. Voilà comment je m'expliquerais les événements de cette nuit. Je crois en l'humanité Miss Warren, et je reste persuadé que derrière le masque du monstre se cache un homme. Donc, Jack l'Éventreur a très bien pu commettre une erreur dans son parcours. Ou du moins, va en commettre une un jour. Je sais que cette erreur nous permettra de l'arrêter dans sa course infernale. Et je suis convaincu que ce jour est proche.
Simon défendait avec ardeur sa théorie, Jane ne pouvait le lui reprocher, elle en avait fait de même avec Will quand elle lui avait parlé de l'inspecteur McColl. Toutefois l'explication du journaliste, aussi bien ficelée soit-elle, contrariait ce que Jane avait pu observer. Si effectivement, Jack avait été déstabilisé par le comportement de la jeune fille, comment se fait-il qu'il l'ait conduite directement vers l'entrepôt piégé ? Le hasard ? Will lui avait dit un jour que le hasard n'existait pas. Non, décidemment quelque chose n'allait pas.
Certainement, Jack l'Éventreur avait bien des allures de monstre. Une chose sans cœur capable du pire. Un être démoniaque sans âme, avide de sang. Un Cerbère à la porte des Enfers. « Un peu comme un léviathan... » Songea ironiquement Jane qui repensa à la créature sur les invitations du bal de lord Stanbury. Néanmoins la créature, quelle qu'elle soit, avait un certain sens du spectacle ; chacune de ses entrées en scène, chaque acte, était minutieusement orchestré.
Bien que l'explosion de l'entrepôt fût extraordinaire, il y avait quelque chose dans le comportement de Maxwell Walter qui la déroutait. Elle avait lu de la peur dans ses yeux. Ce n'était pas là l'exaltation d'un maître de scène qui dévoile sa dernière œuvre d'art sous le regard horrifié du public, ni l'excitation d'un chasseur sanguinaire qui attire sa proie dans le piège qu'il lui a tendu. Jane ne retrouvait rien du Jack l'Éventreur outrageusement farceur qui lui glaçait le sang sans ses lettres. Si un piège lui avait bel et bien était tendu, elle doutait que Maxwell Walter en soit l'instigateur. Alors qui ? Et si Walter n'était finalement rien de plus qu'un pion sur le vaste échiquier de ce jeu sordide ? Quel était son rôle ? Et surtout à qui servait-il ?
Trop d'éléments venaient se contrarier pour les ignorer.
- Mr Palmer, je désire croire en votre optimisme, mais si je ne parviens pas à m'ôter cette idée de la tête c'est pour la bonne et simple raison que j'ai vu de mes propres yeux ce dont Jack l'Éventreur est capable... Jack n'a pas peur de moi, bien au contraire. Il joue. Je le sais, puisqu'il m'a contactée, avoua Jane subitement.
Simon écarquilla les yeux, la révélation que venait de lui faire Jane eut l'effet d'une bombe et son regard s'embrasa immédiatement. Bon Dieu comment cela avait-il pu lui échapper ! Lui qui savait toujours tout avant tout le monde, comment avait-il fait pour ne pas imaginer que l'Éventreur puisse s'intéresser à Miss Warren ? La douce, innocente et férocement intelligence Miss Jane Warren. Il l'observa alors, plus intensément que la première fois dans cette salle d'interrogatoire, désormais une seule folie le manipulait : le savoir. Il voulait tout savoir. Quand, comment, où et surtout pourquoi. C'était comme une obsession. Un instinct primaire chez lui. Il ne se donna pas même la peine de réfléchir à la manière la plus délicate d'obtenir ces informations que Miss Warren les lui donnât sans faire d'histoires. Elle en avait trop dit, inutile de faire comme si rien ne s'était passé. Tout ce qu'elle désirait à présent, c'était comprendre. Et pour cela, le talent de la vedette du The Daily Telegraph ne serait certainement pas de trop.
- C'est comme cela que j'ai su qui serait la prochaine victime et où. Je n'ai fait que supposer quand. Il s'avère que j'avais raison. C'est Jack l'Éventreur qui, pour s'amuser écrivait-il dans sa lettre, m'a aiguillée vers Capucine Green et La maison du Lys dans une énigme de fort mauvais goût.
- J'ai besoin de voir cette lettre, la supplia presque Simon. Je suis tout à fait sérieux, je ne compte pas la publier à la Une, ni citer votre nom d'ailleurs, cela serait bien trop dangereux. Mais il faut que je lise ce que Jack l'Éventreur vous a écrit à tout prix.
Il paraissait déboussolé, frappé de plein fouet par l'incompréhension et l'excitation. Inconsciemment, Jane fronça les sourcils. Pourtant, elle était pleinement consciente que c'était ce qu'il y avait de mieux à faire, qu'elle était allée trop loin en permettant à Jack de s'immiscer dans sa vie aussi impunément. Que des vies étaient en jeu, y compris la sienne. Cela dit, elle rechignait à la tâche, comme si le journaliste était un intrus dans la relation privilégiée qu'elle entretenait avec le tueur.
- Je ne sais pas si vous mesurez l'ampleur du danger qui plane sur vous, lui dit Simon en se massant nerveusement les tempes, mais ce n'est sans doute pas un hasard si nous avons retrouvé des correspondances entre Jack l'Éventreur et toutes ses victimes. Je suis navré d'être aussi brutal avec vous, mais il semblerait que vous soyez la prochaine.
Me revoilà ! Oui, je sais, je suis horrible de vous avoir laissés dans l'attente plus d'une semaine, sachant que notre Will est dans une situation bien critique...
La raison à ce retard est la suivante : un remaniement de l'histoire. J'ai décidé de changer les passages qui suivent (donc j'ai perdu toute mon avance...) Je n'en dis pas plus !
Pour l'instant je vous laisse un peu de répit, voilà une discussion plutôt intéressante... Il s'agirait donc d'un piège ? Où est Maxwell Walter ? Est-il l'Éventreur ? Que va-t-il advenir de notre Will adoré ? Et Jane dans tout ça ? Est-elle la prochaine comme le prétend Palmer ?
Que de questions pour vous occuper jusqu'au prochain chapitre !
J'attends vos réactions bien entendu ;)
Bonne soirée, et bonne semaine !
Ceci est la version corrigée.
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